La porte du bonheur
Comment décrire Yom Kippour ? Comment dire la grandeur du jour que les textes définissent comme « jour unique de l’année » ? Est-ce l’affluence particulière dans toutes les synagogues ? Est-ce la beauté à la fois intime, solennelle et éclatante des chants et des rites, l’atmosphère différente qui préside aux prières du jour ? Peut-être tout cela à la fois… En tous cas, ce jour-là est celui où la conscience juive est comme en éveil. Alors que le monde continue de déferler autour de nous et que son vacarme atteint des sommets au dehors, Yom Kippour fait cesser en nous ce grand tumulte. C’est toute une journée qui passe et nous emporte au-delà de nous-mêmes, de tout ce que nous connaissons et de tout ce dont nous nous croyions capables.
Car Yom Kippour est le point culminant de tout le progrès spirituel et aussi de tous les efforts entrepris à l’approche des grandes fêtes de Tichri. Après avoir vécu le dernier mois de l’année écoulée, Elloul, puis le rendez-vous de Roch Hachana, nous avons tous subtilement changé. Avec Yom Kippour, nous sommes entrés dans ce temps à part où l’essence de l’âme de chacun retrouve sans source, sans dissimulation ni restriction, s’unissant à l’Essence de D.ieu. On se demande parfois pourquoi chacun retrouve le chemin de la synagogue en ce jour, c’est là que tient la réponse : l’âme sait à Qui elle est reliée et tout ce qui pouvait masquer cette vérité a aujourd’hui disparu.
C’est ainsi que nous demandons à D.ieu, Qui est à la fois notre Père et notre Roi, d’effacer toutes les fautes, les erreurs et les manquements, de nous inscrire dans le Livre de la Vie pour une année bonne et douce. Et nous savons que notre demande sera acceptée car c’est de toute notre âme justement que nous l'exprimons. Comprenons comme chaque instant est ici précieux, n’en perdons pas un seul. D’une certaine manière, c’est l’univers entier qui en dépend.
Alors que nous sommes entrés dans la nouvelle année, nous prions D.ieu qu’elle efface les terribles épreuves de celle qui se termine, et nos pensées vont vers tous nos frères qui souffrent. Puisse ce Yom Kippour être la grande porte qui donnera accès à la paix et au bonheur par la venue du Machia’h.
L’abattage du mauvais penchant
Le Talmud enseigne (traité Souccah 52a) que « dans les temps futurs (à l’époque messianique), D.ieu amènera le mauvais penchant et l’abattra ». Le terme hébraïque employé pour « abattage » étant celui de « Che’hita » qui désigne l’abattage rituel d’un animal, on comprend que l’idée est, ici, très forte.
En fait, le concept de « Che’hita » a pour sens, dans ce contexte, l’élimination de la partie mauvaise du penchant en question comme cette opération, dans son sens premier, a pour effet d’éliminer le sang de l’animal. Ne restera alors que l’aspect positif des choses : le mauvais penchant aura été transformé en un « ange de sainteté ».
(d’après Kéter Chem Tov, 265)
MEDITATIONS SUR YOM KIPPOUR
« Kol Nidré »
Pourquoi renoncer à nos vœux ? « Kol Nidré » constitue la prière solennelle inaugurant le service de Yom Kippour. Cette prière, composée il y a bien plus de mille ans, est récitée dans presque toutes les communautés depuis lors.
Nombreux sont ceux qui ont souligné l’incongruité apparente de faire une déclaration juridique selon laquelle nos vœux de l’année à venir seront déclarés nuls et non avenus, avant même que nous ne les formulions.
Quel objectif peut bien poursuivre cette déclaration ? Et, plus significativement, quel lien entretient-elle avec Yom Kippour ?
Commencer la liturgie de Yom Kippour, le jour le plus saint de l’année, fruit de semaines d’introspection et de développement spirituel, par une déclaration juridique semble quelque peu hors contexte.
La prière des Conversos
Une tradition établit un lien entre la solennité attachée à la prière du Kol Nidré et les Juifs de l’époque de l’Inquisition en Espagne, les Marranes (ou, plus précisément, les Conversos), qui étaient contraints de jurer fidélité à une autre religion.
A l’arrivée de Yom Kippour, ils se réfugiaient dans des chambres souterraines secrètes pour s’adresser à D.ieu. Lorsqu’ils récitaient le Kol Nidré, qui traite de l’annulation des vœux, cette prière était imprégnée d’une grande émotion, exprimant en quelque sorte, à D.ieu : « Sache, D.ieu, que nous serons très probablement amenés à faire des vœux qui donneront l’impression que nous Te trahissons. S’il Te plaît, sache, D.ieu, que ces vœux ne sont pas réels ; ils ne reflètent pas qui nous sommes vraiment. Nous demeurerons toujours fidèles à Toi et à Ta Torah, malgré les apparences contraires. »
Bien que tout ait changé depuis l’époque des Marranes, il est crucial de reconnaître qu’aucun changement fondamental n’a eu lieu. En effet, bien que, D.ieu merci, nous ne soyons plus contraints de pratiquer notre Judaïsme en secret par crainte pour notre vie et que nous ne prêtions pas ouvertement allégeance à des dieux étrangers, nous continuons néanmoins à « jouer un rôle ». Ainsi, notre vie demeure souvent en décalage avec l'essence véritable de notre âme.
Ne jamais trahir notre véritable essence
Quand Yom Kippour arrive, nous nous dépouillons du masque que nous avons revêtu, un masque qui obscurcit notre identité intérieure authentique. Néanmoins, nous craignons que dans l'année à venir, nous ne retombions dans nos anciennes habitudes, jouant un rôle qui contredirait nos sentiments et nos engagements véritables.
C'est pourquoi nous récitons le Kol Nidré, par lequel nous déclarons à D.ieu que nous ne donnerons jamais de crédit à quoi que ce soit qui soit susceptible de nous éloigner de notre essence profonde. Nous ne trahirons jamais D.ieu, car ce serait nous trahir nous-mêmes. Et même s'il semble que nous régressions et assumions un rôle incompatible avec l'identité de Yom Kippour que nous vivons maintenant, ces nouveaux rôles ne sauront jamais constituer un reflet fidèle de notre être ; ainsi nous les déclarons nuls et non avenus.
Yom Kippour se présente donc comme le jour où nous dévoilons notre âme. Nous retirons toutes les couches de notre personnalité qui dissimulent tant la reconnaissance de nos défauts que celle de notre véritable potentiel divin.
Pourquoi attendre Yom Kippour
pour faire Techouvah ?
En effet, Yom Kippour, nous offre l’opportunité d’expier tous nos péchés. Toutefois, il est nécessaire de rectifier les fautes commises tout au long de l'année.
Pourquoi attendre Yom Kippour pour se repentir et changer ?
La réponse réside dans le fait qu’au cours de l’année, nous ne savons pas vraiment qui nous sommes. Nous ne comprenons pas pleinement la nature de nos actions et il nous manque souvent les compétences et les outils nécessaires pour corriger nos erreurs. Bien que nous ayons peut-être une perception floue de ces questions, c’est véritablement à Yom Kippour que nous avons la capacité approfondie de saisir véritablement la portée de nos erreurs. Ce jour-là, toutes les couches superficielles de notre personnalité qui obstruent notre véritable nature s’effacent. Nous acquérons ainsi une nouvelle perspective sur notre identité et sur ce que nous avons fait ou omis de faire.
Par conséquent, lors de Yom Kippour, nous disposons également d’une force intérieure et d’une inspiration propices à affronter nos problèmes et les corriger, car les ressources de notre âme sont accessibles.
Mal et bien sans précédent
Dans le contexte tumultueux que nous vivons actuellement, nous sommes témoins d’un nouveau phénomène : la coexistence d’un bien sans précédent avec également un mal sans précédent. Ce phénomène est expliqué dans les textes ‘hassidiques comme un signe précurseur de la Rédemption ultime. Cette période est marquée par l’émergence et l’intensification des extrêmes. Toutes les énergies positives et négatives latentes remontent à la surface. Cela nous confère la force et les moyens pour affronter un mal qui n’est plus caché. L’ouverture de notre âme, permettant d’exposer à la fois nos dimensions négatives et positives, se produit à Yom Kippour et devient ainsi une réalité sous nos yeux. Ce processus nous offrira finalement les moyens d’éradiquer le mal, d’une manière définitive et d’introduire ainsi l’Ère messianique.
« Vidouï » – Confession
Pourquoi confessons-nous nos péchés ? Pourquoi ne se contente-t-on pas de regretter nos actions répréhensibles et de s’engager à améliorer notre comportement à l’avenir ?
La confession verbale remplit trois fonctions essentielles : elle révèle nos pensées et sentiments cachés, elle intensifie nos émotions et même en l’absence de sentiments de regret ou de honte, le fait de verbaliser nos fautes engendre un sentiment de remords.
Parler de la Rédemption remplit les mêmes trois fonctions : cela révèle et renforce notre foi dans la venue du Machia'h, tout en suscitant un sentiment et un désir de Rédemption, même s’ils n’existaient pas auparavant.
« Al ‘Hèt » - Pour le péché...
Le mot hébreu utilisé pour péché, « ’Hèt », signifie en réalité défaut ou imperfection ou vide. Nous demandons pardon à D.ieu non seulement pour les transgressions que nous avons commises intentionnellement, mais aussi pour nos erreurs involontaires. À Yom Kippour, notre objectif est de « combler le vide ». Par conséquent, nous devons même demander pardon pour les bonnes actions que nous avons réalisées, mais qui n'ont pas atteint leur plein potentiel.
L'exil (Galout), par définition, implique un échec à atteindre l’objectif que D.ieu avait fixé pour la destinée du monde. En demandant pardon à D.ieu pour nos péchés, nous exprimons d'une certaine manière une demande d’expiation à D.ieu pour "Son" péché, celui de la création de l'état d'exil, afin que nous puissions réaliser le potentiel qu’Il nous donné.
...que nous avons commis
Pourquoi nous confessons-nous au pluriel ? Le grand kabbaliste, le Ari Zal, a expliqué que notre confession est prononcée au nom de tout le Peuple juif, car nous formons un tout organique. Tant qu'un Juif est incomplet, l’intégralité du Peuple juif est également incomplète. De plus, tant qu’il reste des Juifs qui souffrent ou qui ne réalisent pas leur plein potentiel, nous partageons tous leurs conditions. Cela explique pourquoi le besoin de la venue du Machia'h et de la Rédemption ne se limitent pas seulement à ceux qui souffrent, mais s’étend aussi à chacun d'entre nous.
« OuTechouvah, OuTefilah, OuTsedaka... »
Cependant, la repentance, la prière et la charité détournent la rigueur du décret.
« Techouvah » est généralement traduit par « repentance » bien que la traduction précise en soit « retour ». La repentance implique un regret pour un acte répréhensible et le désir sincère d’adopter un comportement nouveau. Le retour, en revanche, suggère que l’individu est fondamentalement bon et aspire intrinsèquement à faire ce qui est juste. La Techouvah est donc un retour à notre essence la plus profonde.
Quant à « Tefilah », souvent traduit par « prière », ce terme suggère une demande, une supplication. En réalité, « Tefilah » signifie « s’attacher ». Cet attachement est pertinent à tout moment, même en l’absence de besoins apparents nécessitant une prière à D.ieu. La Tefilah constitue une occasion de renforcer notre lien avec D.ieu.
Enfin, « Tsedaka » est souvent traduit par « charité ». Mais la traduction exacte du mot est « justice ». Quand on donne de la Tsedaka, il ne s’agit pas de donner ce qui nous appartient, mais ce que D.ieu nous a confié pour le redistribuer aux autres. De plus, tout le monde dépend de D.ieu pour subvenir à ses besoins, bien que D.ieu n’ait d’obligation envers personne. De manière similaire, nous avons le devoir de donner aux autres, même si nous ne leur devons rien.
Notre désir de rédemption est triple
Tout d’abord, nous voulons retourner sur notre terre et retrouver le mode de vie que nous avons connu dans le passé - Techouvah.
En outre, nous voulons nous attacher à D.ieu ; toute forme de séparation avec Lui est inacceptable.
Enfin, nous voulons voir un monde juste, dans lequel toutes les injustices du passé sont réparées et où chacun peut percevoir qu'il fonctionne selon le plan de D.ieu.
« Chéma Israël… » - Écoute, ô Israël, l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est Un
À la fin de la cinquième et dernière prière de Yom Kippour, la prière de Néilah, nous récitons le Chéma. Le Chaloh écrit que lors de cette prière, le Chéma est récité à voix haute, avec une grande Kavana (concentration). Chaque Juif devrait avoir l’intention de donner sa vie pour sanctifier le Nom de D.ieu. Cette intention sera considérée comme s’il l’avait réellement fait.
La pensée ‘hassidique explique que la cinquième prière correspond au cinquième et plus profond niveau de l’âme, son essence même.
Au premier niveau, un Juif sert D.ieu parce qu’il s’y est conditionné.
Au deuxième niveau, ce service découle de l’attrait émotionnel intrinsèque.
Le troisième niveau repose sur un engagement intellectuel dans le service divin.
Un quatrième niveau se manifeste par un sentiment de dépassement de soi, où l’individu est poussé par une volonté très puissante.
Le niveau le plus profond et puissant est le cinquième, connu sous le nom de « Ye’hida », où le Juif établit avec D.ieu un lien indissoluble.
Avec la « Ye’hida » révélée, un Juif est Juif par sa pensée, ses paroles et ses actions, sans raison apparente ; il ne peut en être autrement. Ce niveau est associé, dans les écrits de la Kabbale, au Machia'h et à l’Ère messianique.
C'est ce que nous ressentons en récitant le Chéma à la fin du service. Nous sommes prêts à donner notre vie, non parce que nous voulons nous sacrifier, mais parce que cela ne peut pas être autrement. Quand on veut sacrifier sa vie, il existe une dimension d’ego qui se trouve inhérente à l’acte de renoncement. Cependant, dans l’état de Ye’hida, il n'y a pas d'ego ; nous sommes un avec D.ieu.
Chofar
Le point culminant de Yom Kippour se manifeste par le son du Chofar, qui, selon nos Sages, est un prélude au « grand Chofar » qui annoncera l'ère du Machia'h. Le Chofar est un instrument capable de nous sortir de notre torpeur de l'exil (Galout), et de nous faire prendre conscience que nous appartenons ailleurs.
Par conséquent, en réponse au Chofar, nous proclamons : « Lechana Haba'a Biyérouchalayim - L’année prochaine à Jérusalem ! »
« Guemar ‘Hatima Tova ! »
Que fait-on à Yom Kippour ?
(cette année samedi 12 octobre 2024)
La veille de Yom Kippour (ou dans la semaine qui précède), on procède aux « Kapparot » : on fait tourner autour de sa tête trois fois un poulet vivant (ou un poisson, ou une somme d’argent multiple de 18) en récitant les versets traditionnels ; puis on donne le poulet (ou le poisson ou la valeur monétaire) à une institution charitable.
La veille de Yom Kippour (cette année vendredi 11 octobre 2024), on a coutume de demander au responsable de la synagogue du gâteau au miel, symbole d’une bonne et douce année.
Jusqu’à la fin du mois de Tichri, on ne récite plus le Ta’hanoun (supplications).
Il est d’usage que les hommes se trempent au Mikvé (bain rituel), si possible avant la prière de Min’ha. On met les vêtements de Chabbat. Après la prière de Min’ha, on prend un repas de fête, sans poisson ni viande, mais avec du poulet. Après le repas, les parents bénissent les enfants et leur souhaitent d’aller toujours dans le droit chemin. Le jeûne de Yom Kippour commence à 18h 50 (en Ile-de-France).
Après avoir mis des pièces à la Tsedaka, les femmes mariées allument au moins deux bougies avant 18h 50 (en Ile-de-France) - les jeunes filles et petites filles allument une bougie. Il est d’usage d’allumer également une bougie qui dure au moins vingt-cinq heures et sur laquelle on récitera la bénédiction de la « Havdala » à la fin de la fête. On allume aussi des bougies de vingt-cinq heures à la mémoire des parents disparus. Les femmes et filles se couvrent le visage de leurs mains et récitent les deux bénédictions suivantes :
1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vétsivanou Léhadlik Nèr Chèl Chabbat Véchèl Yom Hakipourim ».
« Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a sanctifiés par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière de Chabbat et de Yom Kippour ».
2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vékiyémanou Véhiguianou Lizmane Hazé ».
« Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, qui nous a maintenus et nous a fait parvenir à cet instant ».
On enlève les chaussures en cuir et on met des chaussures en toile ou en plastique. Les hommes mariés mettent le grand Talit et le « Kittel » (vêtement rituel blanc).
Durant tout Yom Kippour, on récite la deuxième phrase du Chéma Israël (« Barou’h Chem Kevod Malkhouto Léolam Vaèd ») à voix haute.
Il est interdit de manger, de boire, de s’enduire de crèmes ou de pommades, de se maquiller, de mettre des chaussures en cuir, d’avoir des relations conjugales et de se laver (sauf si on s’est sali ; de même, on se lave les mains pour des raisons d’hygiène). On passe la journée à la synagogue. On évite les conversations futiles. Toutes les interdictions de Chabbat s’appliquent à Yom Kippour.
Ce samedi matin, on ne récite pas la bénédiction : « Chéassa Li Kol Tsorki » (« Qui veille pour moi à tous mes besoins ») car on ne porte pas de vraies chaussures.
Les malades demanderont au médecin et au Rabbin s’ils doivent jeûner ou non.
Quand on crie à voix haute les trois dernières phrases de la prière (Chema, Barou’h Chem et Hachem Hou Haélokim), on signifie par là qu’on est prêt à tout sacrifier pour D.ieu.
A la fin du jeûne, à 19h 54 (en Ile-de-France), on écoute – si possible – la sonnerie du Choffar.
Après Yom Kippour, on se souhaite mutuellement « Hag Saméa’h ». Si possible, on prononce la bénédiction de la lune. On se lave les mains rituellement, on se rince la bouche et on récite la prière de la Havdala en prenant, pour allumer la bougie tressée, le feu de la bougie de 25 heures.
Durant le repas de fête qui suit le jeûne, il est d’usage de parler de la construction de la Soucca et, si possible, on construit effectivement la Soucca tout de suite après le repas.
Un appel en PCV
Le jour de Yom Kippour 1974, ma mère se trouvait chez le Rabbi. Mon père (de mémoire bénie) était resté en Israël avec les enfants.
Au milieu de la journée, les nouvelles du front commençaient à parvenir, la guerre avait commencé. Ma mère en entendit parler par les policiers qui étaient de garde devant la synagogue du Rabbi, au 770 Eastern Parkway à Brooklyn. Elle paniqua : mon père était soldat et certainement, il devrait aller combattre dans le Sinaï. Elle s’inquiétait bien sûr pour lui mais aussi pour les enfants restés seuls à la maison, à Kfar ‘Habad. De plus, comment allait-elle pouvoir rentrer en urgence en Israël en pleine guerre pour s’occuper d’eux ?
Dès la sortie du jeûne, elle demanda au secrétaire Rav Groner à pouvoir parler avec le Rabbi, pour expliquer sa situation. Rav Groner répondit que maintenant, juste après le jeûne, ce ne serait pas possible mais qu’elle devrait se tenir devant la porte du bureau et qu’ainsi, elle aurait peut-être une chance de pouvoir parler avec le Rabbi.
Effectivement, elle se tint devant la porte du bureau ; son père Rav Barou’h Paris se mit en face. Quand le Rabbi sortit, ma mère, retenant ses larmes, lui demanda comment pourrait-elle se rendre en Israël ? Elle demandait aussi une bénédiction pour mon père obligé d’aller à la guerre. Le Rabbi la rassura, la guerre allait bientôt se terminer affirma-t-il, elle pourrait rentrer en Israël en toute sécurité et tout rentrerait dans l’ordre. Puis le Rabbi ajouta : « Annoncez-moi de bonnes nouvelles, à mes frais » c’est-à-dire que ma mère devrait lui téléphoner en « collect-call » (ce qu’on appelait à l’époque PCV : ce n’était pas la personne qui appelait qui payait mais celui qui acceptait de recevoir l’appel, plus cher qu’un appel ordinaire, surtout venu de l’étranger).
De nombreux jeunes gens s’étaient rassemblés devant la synagogue pour tenter de connaître l’opinion du Rabbi à propos de la guerre qui venait d’éclater. Elle raconta ce que le Rabbi lui avait annoncé – que la guerre se terminerait bientôt – et cela les rassura. Dès le lendemain, elle tenta de trouver un billet pour se rendre en Israël mais le seul vol qu’on put lui proposer était réservé à des médecins et des soldats réservistes qui se hâtaient de rejoindre le front.
Elle supplia les employés de l’ambassade, expliquant que ses enfants étaient seuls à la maison car son mari était parti se battre près du Canal de Suez. Finalement, on lui permit de voyager, à condition qu’elle accepte de s’asseoir par terre pendant tout le vol ! Elle était prête à tout et, finalement, les soldats eurent pitié de cette femme enceinte et se relayèrent pour la laisser s’asseoir sur un siège. Cependant, ils se demandaient pourquoi elle tenait tellement à voyager vers un pays en guerre. Elle expliqua à ses compagnons de voyage qu’elle venait de parler au Rabbi de Loubavitch et qu’il l’avait assurée que tous reviendraient en bonne santé. Bien vite, la nouvelle se répandit dans tout l’avion et cela contribua à détendre un peu l’atmosphère. Des groupes se formèrent et se mirent à prier comme dans une synagogue jusqu’à ce que l’avion arrive près de la terre d’Israël.
Cependant, au-dessus de l’Italie, l’avion se mit à zigzaguer. Quand elle en demanda la raison, on lui conseilla de regarder en bas. De fait, huit avions encadraient leur avion : quatre d’entre eux étaient des aéronefs ennemis, quatre autres étaient israéliens. C’était un combat aérien qui menaçait son avion ! Les Israéliens tentaient de protéger cet avion venu des Etats-Unis et qui était la cible de l’ennemi ! L’incident se termina miraculeusement sans aucun dégât.
Enfin, l’avion atterrit à Lod à 20 heures. Personne ne vérifia les passeports, personne n’attendait les passagers, il n’y avait aucun moyen de transport ni pour se rendre à l’aéroport (qui d’ailleurs était vide) ni pour en sortir – à part les voitures militaires venues transporter les soldats qui avaient voyagé avec elle directement sur le champ de bataille.
Ma mère n’eut pas le choix et se mit en route, à pied, pour Kfar ‘Habad. Elle eut la chance que quelqu’un la prenne en stop. Quand elle arriva chez elle, la maison était vide. Où étaient les enfants ? Elle ne pouvait téléphoner à personne au milieu de la nuit. Au matin, elle apprit que sa sœur avait récupéré les enfants quand leur père avait dû partir pour le Sinaï. Il avait même été jusqu’à Ismaïlia, du côté occidental du canal, profondément en territoire égyptien, en Afrique. Il ne rentra que quelques mois plus tard à la maison, en bonne santé D.ieu merci. Ma mère se hâta d’appeler le bureau du Rabbi en PCV afin d’annoncer ces bonnes nouvelles - comme le Rabbi lui avait demandé.
Le secrétaire qui prit l’appel ne cacha pas sa surprise de recevoir cet appel qu’il devrait payer et reprocha presque à ma mère son audace devant ce qu’il croyait être « sa propre initiative ». Elle répondit que le Rabbi lui-même le lui avait demandé. Il raccrocha mais elle rappela quelques minutes plus tard. Le Rabbi avait demandé qu’elle annonce « de bonnes nouvelles » au pluriel, c’est-à-dire au moins deux bonnes nouvelles : elle annonça donc qu’elle venait de donner naissance à un fils… La prophétie du Rabbi s’était pleinement réalisée quant aux bonnes nouvelles… Elle était d’ailleurs certaine que si l’avion n’avait pas été touché pendant son survol de la mer adriatique, c’était le résultat de la bénédiction du Rabbi comme quoi tout se passerait bien. C’est d’ailleurs ce qu’avaient reconnu les médecins et les soldats qui avaient voyagé avec elle : le fait que l’avion avait traversé cette attaque sans être affecté était absolument inexplicable.
Mon père raconta par la suite que, pendant la fête de Souccot, il ne disposait pas des Quatre Espèces (le bouquet du Loulav avec l’Etrog) et cela l’attristait profondément. Au milieu de la fête, il reçut de la part du Rabbinat le précieux bouquet et il se hâta d’en faire profiter ses compagnons d’armes qui acceptèrent avec empressement d’accomplir la Mitsva - même les plus antireligieux parmi eux. Mon père héla aussi son commandant qui se trouvait à quelques 300 mètres de là. Celui-ci ne comprenait pas ce qu’il voulait mais mon père l’appela d’un ton qui n’acceptait pas de contestation. Lui et ses hommes lâchèrent leur occupation du moment et se rapprochèrent du tank où se trouvait mon père. Le commandant n’avait pas encore terminé de prononcer mot à mot la bénédiction sur les Quatre espèces qu’un énorme boum retentit : son tank venait d’être touché directement et avait explosé avec tout l’armement qu’il contenait.
Hébétés, les soldats contemplèrent la scène et comprirent qu’ils venaient d’échapper à une mort instantanée.
Par le mérite de la Mitsva.
Rav Yossef Yits’hak Freiman - Kfar Chabad N° 2027
Traduit par Feiga Lubecki