Samedi, 26 décembre 2020

  • Vayigach
Editorial

 On ne renonce jamais au bonheur !

Semaine paradoxale. Elle a commencé par le 5 Tévèt et ses images de victoire et de liesse. On s’en souvenait dans ce même cadre la semaine dernière : des livres inestimables dérobés de la bibliothèque amassée par le Rabbi et son prédécesseur, des livres détournés ainsi, pour des intérêts personnels, de leur fin première, servir à tous. La victoire était donc claire : des livres restitués, une sainteté qui retrouve sa place. La joie ne pouvait être qu’infinie. Mais voici que cette semaine s’achève, en veille du Chabbat, par le 10 Tévèt, un anniversaire aussi mais d’une couleur bien différente. 10 Tévèt : le jour où les armées venues de Babylone commencèrent le siège de Jérusalem. C’est la première étape d’un drame : la brèche dans la muraille de la ville puis la prise et la destruction du Temple vont s’ensuivre. Ici, la tragédie historique du peuple juif commence et l’allégresse d’il y a à peine quelques jours semble bien lointaine à présent. Faut-il donc ainsi passer d’une émotion à une autre strictement opposée ? Est-il possible de vivre ce qui semble être un bouleversement intérieur trop rapide ?

Bien souvent, les événements graves dépendent du regard que l’on y porte. De façon intrigante, le mot hébreu qui signifie « mettre le siège » peut également se traduire par « soutenir ». En fait, dans les deux interprétations, le terme employé renvoie à l’idée de « s’approcher » de la ville. Cette ambivalence souligne à quel point la signification de tout fait est suspendue à ce que l’homme peut en tirer. Et les commentateurs de relever : si le peuple juif était alors revenu à D.ieu, s’il avait placé sa confiance en Lui, cet « approchement – début du siège » serait devenu « approchement – soutien ». Malheureusement, il n’en fut rien et la concrétisation fut négative. Comment mieux dire que la joie de la victoire et la tragédie de l’invasion sont deux faces d’une réalité qui dépasse largement les contingences humaines ? Comment mieux dire que c’est en l’homme que réside le secret du bonheur et que c’est finalement à lui de choisir ce que sera son sort ?

Quant à nous, bien des siècles plus tard, nous retenons la leçon de l’histoire. Nous savons construire le monde qui vient. Par nos actes, par nos décisions, par notre regard, nous savons faire en sorte que le positif des choses apparaisse toujours. Le bonheur ultime, celui qu’apportera Machia’h, commence en nous. Quand revient le 10 Tévèt, faisons qu’il éclaire avec force notre chemin.

Etincelles de Machiah

 La Divinité par évidence

Quand Machia’h viendra, chacun connaîtra et ressentira la Divinité comme une évidence. En revanche, le monde ne sera ressenti que comme un élément lointain, secondaire.

Chacun sera au degré d’Adam, le premier homme, avant qu’il ne commette la faute de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dans cette période, il était totalement lié à D.ieu et ne ressentait en rien l’existence de la matière. Il mangeait, buvait et satisfaisait tous ses besoins physiques. Cependant, cela ne comportait aucun désir matériel.

 (D’après Séfer Hamaamarim Kountressim I p.134)

Vivre avec la Paracha

 Vayigach

Yehouda s’approche de Yossef pour le supplier de libérer Binyamin, offrant sa propre personne comme esclave à la place de son jeune frère. Devant la loyauté qui anime ses frères les uns à l’égard des autres, Yossef leur révèle son identité : « Je suis Yossef, mon père est-il toujours vivant ? ».

Les frères sont envahis de honte et de remords mais Yossef les console. « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici mais D.ieu. Tout a été ordonné d’En-Haut pour nous sauver de la famine ainsi que toute la région ».

Les frères se précipitent à Canaan avec les nouvelles. Yaakov vient en Égypte avec ses fils et leurs familles, soixante-dix âmes en tout, et retrouve son fils bien-aimé après vingt-deux ans de séparation. En chemin, il reçoit la promesse divine : « Ne crains pas de descendre en Égypte ; car Je ferai de toi une grande nation. Je descendrai avec toi en Égypte et il est sûr que Je vous ferai remonter ».

Yossef amasse de la richesse pour l’Égypte en vendant de la nourriture et des grains durant la famine. Le Pharaon donne à la famille de Yaakov la fertile région de Gochen pour qu’elle s’y installe et les Enfants d’Israël prospèrent dans leur exil égyptien.

 

Le nom des différentes parties de la Torah exprime leur nature particulière ainsi que le contenu de la Paracha elle-même. C’est ainsi que la Paracha de cette semaine se caractérise par son nom : Vayigach, « et il s’approcha ».

Nous devons donc comprendre comment Vayigach inclut toute la succession d’événements mentionnés dans la Paracha, y compris la révélation de Yossef à ses frères et la descente de Yaakov et de sa maisonnée en Égypte. Bien que ces épisodes surviennent en conséquence de Vayigach, du rapprochement de Yehouda vers Yossef, cela n’apparaît pas dans ce mot.

Le sens général de Vayigach s’exprime dans la Haftara, dont la lecture fut instituée pour récapituler la lecture de la Torah. Dans celle de cette semaine, il apparaît que le rapprochement qu’opéra Yehouda envers Yossef est d’une importance globalisante. Nos Sages expliquent que Yehouda comme Yossef étaient des « rois » qui représentaient différentes approches spirituelles. Cette rencontre symbolise donc une union et une unification entre ces différentes approches. C’est ainsi que la Haftara relate comment, à l’Ère messianique, le royaume de Yossef sera réuni avec le royaume de Yehouda. Cela amorcera l’ère où « Je prendrai Israël parmi les nations… et J’en ferai une nation unique… Un roi régnera sur eux. »

Vayigach représente donc l’unité du Peuple juif et une unité qui domine le monde en général. Dans ce contexte, Vayigach exprime « le grand principe général de la Torah » : « Aime ton prochain comme toi-même ». Cela démontre la façon dont s’exprime cette unité qui n‘est pas seulement un principe spirituel général mais, par le biais de la réunion et l’établissement de l’unité dans ce monde, appartient également au domaine de l’action concrète.

Pour expliquer ce concept, on peut s’attarder sur une pratique qui précède la prière et veut que l’on fasse la déclaration suivante : « Voici, je prends sur moi l’accomplissement de la Mitsva : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il ne suffit pas de méditer sur ce concept mais il faut l’exprimer verbalement. Bien que cela puisse paraître venir déranger la concentration et la préparation à la prière, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi requiert très spécifiquement, dans son Siddour, que l’on procède à cette déclaration.

En quoi cette déclaration prend-elle du sens ? D’un point de vue spirituel, il n’y a rien de révolutionnaire dans le concept de l’unité du Peuple juif. Les âmes juives sont « toutes en unisson, avec un Père unique. C’est pourquoi, tous les membres d’Israël sont appelés frères, parce que la source de leur âme est le D.ieu unique… Ce ne sont que les corps qui les séparent ».

En revanche, lorsque l’âme descend dans un corps physique, des facteurs se manifestent, qui peuvent séparer un Juif d’un autre. Cela est particulièrement vrai en temps d’exil quand les Juifs sont « dispersés et éparpillés parmi les nations ». Mais même au sein d’une telle séparation, du point de vue spirituel, les Juifs sont un et partagent le même désir : celui d’accomplir la Volonté de D.ieu.

La Mitsva d’Ahavat Israël, l’amour du prochain, a pour projet d’établir et d’exprimer cette unité au cœur même du monde dans son ensemble.

C’est pour cela qu’il est important de faire une déclaration verbale de cette unité. « Le mouvement des lèvres est considéré comme une action. » Cette action incite à en pratiquer d’autres dans le même sens, avec d’autres membres de notre corps, comme distribuer de la Tsedaka.

Vayigach représente une déclaration d’unité juive identique. Elle va s’exprimer dans le contexte de notre monde matériel. Quand des Juifs se rassemblent ainsi, leur unité a le potentiel de faire venir de plus grandes bénédictions encore que celles de l’ange Mi’haël.

Ce concept s’applique également dans le contexte de notre service universel. Par essence, le monde entier est englobé dans une Unité divine. Notre tâche consiste à exprimer cette unité pour que chaque création, dans ce cadre qui nous sépare, puisse révéler son but ultime : l’expression de la Gloire de D.ieu.

Nous pouvons comprendre, à l’appui de ce qui précède, le lien entre Vayigach et les autres événements mentionnés dans la Paracha. Tout s’y concentre autour du concept de l’unité : le commencement mettant l’accent sur l’unité du Peuple juif, et la conclusion insistant sur l’expression de l’unité du monde en général.

La rencontre entre Yehouda et Yossef suscita l’unité entre Yossef et ses frères, après leur séparation de longues années. Cela fut ensuite la source de l’unité du Peuple juif, à travers les siècles, et cela nous mènera à son accomplissement ultime, à l’Ère de Machia’h.

C’est dans ce contexte que nous pouvons saisir le lien entre Vayigach et toute la séquence des événements qui y sont décrits. L’union entre Yehouda et Yossef représente et fait jaillir l’unité dans le monde. Pour citer le Zohar, elle permet : « le rapprochement d’un monde avec un autre monde pour établir l’unité entre eux, réunissant le monde supérieur et le monde inférieur. »

Quand l’unité règne au sein du Peuple juif, elle règne dans le monde.

C’est donc ainsi que la Paracha Vayigach décrit l’installation de Yaakov et de ses descendants en terre d’Égypte. La Torah évoque l’Égypte comme étant « la nudité de la terre » et les Égyptiens comme : « la plus dépravée des nations. » Leur niveau spirituel était si bas que le Pharaon, leur roi, put se considérer comme un dieu, s’écriant : « La rivière est à moi car je l’ai faite ».

Yaakov et ses fils s’installèrent en Égypte pour élever le pays et y révéler l’Unité de D.ieu, la révélation ultime de la Divinité se produisant dans un lieu de division. Le potentiel qui permit ce service de raffinement fut rendu possible par Vayigach, l’unité établie entre Yehouda et Yossef.

Tout cela permettra d’arriver à Vaye’hi, « et [Yaakov] vécut » (Paracha de la semaine prochaine), que nos Sages interprètent comme signifiant que les meilleures années de sa vie furent celles qu’il passa en Égypte. Lui et ses fils purent s’y adonner à l’étude de la Torah et ainsi transformer l’obscurité de l’Égypte en lumière.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet (cette année vendredi 25 décembre 2020) ?

En ce jour funeste commença le siège de la ville sainte de Jérusalem par l’armée babylonienne, sous les ordres du cruel Nabuchodonosor en 3336 (425 ans avant le début de l’ère commune).

A cause de sa gravité – puisqu’il marque le début de la destruction et de l’exil – il ne peut être repoussé à une date ultérieure (comme les jeûnes du 17 Tamouz et du 9 Av) ou avancé à une date précédente (comme le jeûne d’Esther). C’est le seul jeûne qui peut tomber un vendredi - donc veille de Chabbat. Du fait de sa gravité, il aura d’ailleurs une place de choix quand les jours de jeûne seront transformés en jours de joie (avec la venue de Machia’h).

Le but du jeûne est que même le corps physique ressente « la diminution de la graisse et du sang ». On ne mange pas et on ne boit pas. On ne se rince pas la bouche. Mais on peut se laver sans restriction.

Les enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de la Bar ou Bat Mitsva (les filles dès 12 ans et les garçons dès 13 ans) ne jeûnent pas. Les personnes fragiles, les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ou qui allaitent ne jeûnent pas.

Le jeûne commence à l’aube, vendredi 25 décembre 2020 (6h59 en Ile-de-France) et se termine à la tombée de la nuit (17h36 heure de Paris).

Dans la prière du matin, on récite les Seli’hot spéciales de ce jour après le Ta’hanoun ainsi que « le grand Avinou Malkénou ». Puis on lit dans la Torah le passage « Vaye’hal » (Chemot - Exode 32 : 11 jusqu’à 34 : 1). Seul celui qui a jeûné peut être appelé à la Torah.

Durant la prière de Min’ha (l’après-midi), on lit dans le rouleau de la Torah le chapitre Vaye’hal. Dans la Amida, on ajoute le passage Anénou (« Réponds-nous, Éternel au jour de notre jeûne car nous sommes dans une grande peine… »).

Comme tous les jours de jeûne, on procédera à un examen de conscience approfondi et on évitera de se mettre en colère. On augmentera les dons à la Tsedaka (charité). Rabbi Chnéour Zalman explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme ce jeûne du 10 Tévet est particulièrement important, on comprend que la Techouva (retour à D.ieu) procurée par ce jeûne est aussi d’un niveau plus élevé.

Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est associé au souvenir des martyrs de la Shoah.

(d’après Rav Yossef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Mon vrai nom, c’est ‘Hanna !

En tant que Chalia’h (émissaire) du Rabbi à Vancouver (Canada), j’avais pris sur moi l’habitude de rendre visite à deux de mes fidèles amis, Carl Stein et Ben Tessler. Ensemble, nous étudions la Torah à l’intérieur de leur société d’équipement électronique. Durant ces cours, la conversation tournait souvent autour du Rabbi et de la puissance de ses bénédictions.

Un des avocats rattachés à leur entreprise était un Juif nommé Brian Kershaw. Un jour, en 1976 ou 1977, celui-ci me demanda :

- Est-ce que le Rabbi bénit aussi les non-Juifs ?

- Bien sûr, répondis-je.

- Ma femme est malade : pourriez-vous demander au Rabbi sa bénédiction pour qu’elle guérisse ?

J’écrivis donc pour lui une lettre au Rabbi, en mentionnant le nom de la malade ainsi que celui de son père - comme est la coutume pour les non-Juifs. (Quand on demande une bénédiction pour un Juif, on mentionne son prénom et celui de sa mère puisque, selon la Hala’ha, l’identité juive d’une personne est déterminée par sa mère).

Une semaine ou dix jours plus tard, quand la lettre arriva à New York (c’était avant que n’existent les fax), je reçus un appel téléphonique de Rav Binyamin Klein, un des secrétaires du Rabbi :

- Le Rabbi demande quel est le prénom de la mère de cette dame.

- Mais elle n’est pas juive, protestai-je.

- Je sais, répliqua-t-il, mais le Rabbi a demandé le prénom de sa mère.

Je téléphonai donc à Brian qui répondit que sa belle-mère s’appelait Anne. Cependant, comme moi, il était étonné de la demande du Rabbi et en informa sa femme. Celle-ci réfléchit puis décida de téléphoner à sa mère qui habitait en France :

- As-tu un autre prénom qu’Anne ?

- Pourquoi poses-tu cette question ? s’étonna sa mère.

Quand elle apprit que c’était le Rabbi de Loubavitch qui s’intéressait à son prénom, elle se tut un moment puis murmura :

- Il s’agit certainement d’un homme très saint !

Et elle raconta son histoire : ses parents étaient juifs. Quand la seconde guerre mondiale avait éclaté, ils avaient réussi à la cacher dans un monastère. Ses parents avaient été déportés et n’étaient jamais revenus. Elle n’avait plus eu aucun lien avec le judaïsme. Elle s’était mariée avec un Français catholique et avait adopté toutes ses traditions chrétiennes.

- De fait, mon véritable prénom est ‘Hanna, admit-elle. Je suis juive et donc toi aussi !

D’une manière ou d’une autre, le Rabbi connaissait la vérité et savait que la femme de Brian était juive. Inutile d’ajouter qu’après cela, Brian et sa femme (qui s’était remise et de sa maladie - et de ses émotions) devinrent eux aussi nos fidèles amis et évoluèrent dans leur perception et leur engagement en faveur du judaïsme.

* * *

Environ dix ans plus tard, un autre incident se produisit et je fus à nouveau témoin de la capacité extraordinaire du Rabbi de voir ce que les autres ne pouvaient pas connaître.

En 1987, ma mère vint de New York nous rendre visite à Vancouver et, pendant son séjour chez mous, elle eut une crise cardiaque. Nous la fîmes hospitaliser et mon père téléphona au secrétariat du Rabbi pour demander une bénédiction. La réponse du Rabbi nous étonna : « Je lui ai déjà souhaité une longue vie ! ». (J’appris plus tard que le Rabbi lui avait adressé cette bénédiction en 1965).

Ma mère décéda trois jours plus tard, alors qu’elle n’avait que 67 ans.

Nous étions atterrés et malheureux, ne sachant comment interpréter la réponse du Rabbi. Mais quelques jours plus tard, je rencontrai le chirurgien qui avait opéré ma mère et, au cours de la conversation, il mentionna :

- Votre mère a vécu une longue vie !

- Comment pouvez-vous prétendre cela ? Elle n’a vécu que 67 ans !

- Peut-être mais, quand elle était à l’hôpital, j’avais détecté en elle un défaut au niveau du cœur. Les gens qui ont ce défaut parviennent rarement à l’âge de quarante, cinquante ans ; souvent les femmes affectées par ce problème meurent en accouchant. Donc oui, votre mère a vraiment vécu une longue vie.

Je téléphonai immédiatement à mon père. En entendant cela, il devint très ému :

- Maintenant je comprends ce que le Rabbi voulait signifier ! Ta mère avait quarante-deux ans quand elle a donné naissance à ta petite sœur et ce fut trois ans plus tard que le Rabbi lui accorda sa bénédiction pour une longue vie. Elle a effectivement vécu encore vingt-deux ans après cette bénédiction !

Rav Yits’hak Wineberg - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

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