12 - 26 octobre 2019

  • Souccot
Editorial

 La promesse de Tichri

Temps d’unité et de joie. C’est ainsi que se déclinent les jours du mois de Tichri. Après la solennité puissante de Roch Hachana et de Yom Kippour, l’allégresse ressemble à une déferlante qui emporte tout sur son passage et sa marque est d’autant plus profonde qu’elle efface aussi les différences, pour la plupart artificielles, entre tous ceux qui prennent part à la joie. De Souccot à Sim’hat Torah, il est donc temps de vivre pleinement ce temps où il n’y a plus place que pour l’essentiel : la confiance en D.ieu, la célébration, l’exultation de l’espoir et la foi en l’avenir. Car, finalement, c’est bien de cela qu’il s’agit. Nos actes d’aujourd’hui portent en eux les ferments de ce qui fera demain. Et aucune autre période de l’année ne l’exprime avec autant d’éclat que celle que nous traversons. De fait, ce que nous faisons jour après jour, commandement après commandement, rite après rite, est-il autre chose qu’une façon de poser des jalons sur la route nouvelle qui commence à présent ?
Prenons donc la pleine mesure des jours qui passent. Dans la Soucca, si éternellement solide et si manifestement fragile, nous ressentons essentiellement la protection Divine, cette Présence qui est le sens des choses, qui résonne profondément en nous comme une partie de nous-mêmes. Assis dans cette demeure d’une semaine, l’unité de tous, sous ce toit de branchage et, sans doute, de lumière, est une donnée d’évidence. Et il y a comme une atmosphère d’ailleurs qui flotte au-dessus de tout cela. On dit parfois que la joie peut être palpable. Ici, elle n’a pas besoin de l’être, elle s’impose sereinement avec la force de l’élémentaire.
Puis la douceur explose dans les mille éclats de Sim’hat Torah et cette façon de danser de toutes ses forces avec les Séfer Torah dans les bras. Etre porteur de la Torah, c’est un rêve d’homme, une réalisation de fête. Cela change-t-il quelque chose à un quotidien qui ne tarde pas ensuite à vouloir récupérer ses droits ? C’est justement là l’enjeu. Ce n’est plus un changement partiel ou imparfait que l’on recherche mais bien une transformation de fond. Quand l’année recommence, tout est possible. Nous détenons les forces acquises pendant tous les jours de Tichri. Déployons-en, à présent, la puissance. Elle n’est pas une menace, elle est une promesse. Bonne année à tous !

Etincelles de Machiah

 Une nouvelle Torah ?

Il nous est enseigné (Vayikra Rabba 13 : 3 paraphrasant Isaïe 51 : 4) qu’au temps de Machia’h « une nouvelle Torah sortira de Moi ». Il est pourtant clair que la Torah, Sagesse de D.ieu, ne changera jamais. Du reste, les textes soulignent : « Cette Torah-là ne sera jamais changée ». Dès lors, que signifie cette « nouvelle Torah » ?

Aujourd’hui, la Torah nous apparaît sous la forme de récits comme ceux de Lavan ou de Bilam. Lorsque le Machia’h viendra, les secrets cachés dans ces récits se dévoileront. Il se révèlera alors comment ce qui semble être de simples histoires parle profondément de D.ieu. C’est ce que signifie les mots « sortira de Moi » : il apparaîtra comment toute la Torah est une manière de dire la Divinité.

(d’après Kéter Chem Tov, sec. 84, 242)

Vivre avec la Paracha

 Souccot : Vivre dans un monde en pleine mutation

L’un des aspects peu connus en ce qui concerne la fête de Souccot est son lien profond avec l’eau.

Roch Hachana possède une prière toute particulière que l’on récite près d’un point d’eau (Tachli’h).

L’eau occupe une place importante lors de Yom Kippour. En effet, à l’époque du Temple, en ce jour saint, le Cohen s’immergeait cinq fois dans l’eau du Mikvé et de nos jours, nous nous purifions par l’eau avant le début de la fête.

Mais la fête de Souccot est encore plus profondément attachée à l’eau. Le Talmud nous enseigne que durant la fête de Souccot, le Tout Puissant décide de la répartition de l’eau qu’Il donnera au monde. Le huitième jour de la fête, lors du commencement de la dernière partie de la liturgie, l’on prononce une prière bien particulière dans laquelle nous implorons D.ieu pour qu’Il nous donne la pluie et suffisamment d’eau. Et de fait, prier pour l’eau fera, à partir de ce moment, partie intégrante de chacune de nos prières et ce, jusqu’à Pessa’h.

A la suite du jugement pour l’eau, à Souccot, nous enseigne le Talmud (Roch Hachana 16a), le Peuple juif devait se livrer à une libation d’eau sur l’autel du Temple, chacun des jours de Souccot. L’eau était puisée à la source de Chiloa’h, à Jérusalem, la nuit précédente et cette cérémonie s’accomplissait dans d’extraordinaires exultations et allégresses. C’était l’occasion de célébrations, de danses et de chants qui duraient tout au long de chacune des nuits de Souccot. Cette cérémonie, appelée « Beth Hachoévah », est qualifiée par le Talmud comme l’événement le plus joyeux ayant jamais existé : « Celui qui n’a pas connu la joie de Beth Hachoévah n’a jamais vu de joie véritable de toute sa vie ! »

Est-il possible que toutes ces manifestations festives soient suscitées par le jugement pour l’eau ? Et quelle est exactement la relation entre ce jugement et la fête de Souccot ?

Pour trouver la réponse à ces questions, observons la nature de l’eau.

L’eau présente une dichotomie intéressante. D’une part, elle est présente partout. Elle est dans pratiquement chacune de nos activités et nous ne pouvons survivre sans elle. Elle est essentielle à la vie. Et c’est pourquoi il est nécessaire qu’elle soit accessible à tout moment et partout où un être vivant peut se trouver. C’est donc la raison pour laquelle l’eau représente, par excellence, la stabilité et la permanence.

Cependant, l’eau est une commodité temporaire et instable. Elle fuit toujours. La goutte d’eau qui coule à l’instant même dans la rivière disparaît à jamais dans un temps si rapide qu’il est insaisissable. « L’eau qui coule sous les ponts » ne revient jamais.

Il semble donc que l’eau nous adresse un message : malgré l’apparente consistance et l’omniprésence que nous manifestons, nous sommes également des êtres qui changeons et évoluons constamment, jamais tranquilles. Et malgré ces changements perpétuels, nous continuons à être bien là.

La célébration de la fête de Souccot présente également ce double aspect.

D’un côté, la Soucca est désignée comme « un lieu de résidence ». La Torah commande au Peuple Juif : « dans des cabanes, vous résiderez » (Lévitique 23 :42). Cette injonction consiste à se livrer à toutes nos activités de « résidence » dans la Soucca. Elle doit être le lieu où nous mangeons, étudions voire habitons constamment, pendant les sept jours de la semaine.

Mais par ailleurs, toute cette structure n’est construite que pour durer sept jours. Vivre quelque part, y résider pendant une semaine ne ressemble guère à s’y installer ! De surcroît, le toit de cette habitation dans laquelle nous demeurons, partie la plus importante de cet habitacle, est fait de branches détachées, de feuillages et de brindilles. Ce toit précaire nous rappelle constamment avec quelle facilité la Soucca peut s’affaisser et ce qu’il risque d’arriver si la pluie, qui semble souvent présente à cette occasion, venait à se frayer un joyeux chemin dans notre habitation sophistiquée !

Parmi les nombreux messages et enseignements de la fête des Souccot, il en est un qui évoque la dualité du changement permanent. Nous venons de vivre la période des fêtes, très solennelle et pleine d’inspiration, un moment où chaque juif redécouvre souvent ou réintègre le phénomène le plus permanent qui soit : le lien le plus profond de son âme avec notre Père en Haut. Ce même Père encourage Son peuple à, tout de suite et sans transition, résider pendant une semaine entière dans une structure matérielle des plus temporelles et à s’y engager dans les activités les plus matérielles comme manger, boire et s’y reposer.

Il apparaît alors que Souccot, c’est la vraie vie. Bouillonner dans la vie comme l’eau qui coule et ne jamais rester en place. Constamment bouger et changer avec consistance.

Quand l’eau coule à Souccot, la fête de notre joie, nous réalisons à quel point nous sommes heureux et bénis de pouvoir célébrer la vie avec du sens et de l’enthousiasme et ne jamais être prisonniers de ses hauts et de ses bas.

Car, en dernier ressort, la vie est comparable à une grande roue : elle tourne. Parfois, la roue s’arrête de tourner mais elle ne reste jamais immobile longtemps. Ce qui arrive aujourd’hui ne sera plus d’actualité demain et ce qui surviendra demain durera plus ou moins longtemps mais jamais pour toujours.

S’inquiéter du présent ne nous mène nulle part. Nous sommes au meilleur de nous-mêmes lorsque nous nous rappelons de l’eau et de la cabane et comptons les bénédictions que nous possédons réellement. Concentrons-nous sur les bénédictions extraordinaires de la santé, des enfants, du toit qui est sur notre tête, des amis, de la communauté et de tout ce que nous possédons d’extraordinaire.

De plus, grâce à D.ieu, la roue est en train de se diriger vers le haut et de nous mener vers le prochain cycle de changement qui ne nous apportera que réjouissances et célébrations.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Souccot ?

« Dans des Souccot, vous habiterez durant sept jours… afin que vos générations sachent que c’est dans des Souccot que J’ai fait habiter les enfants d’Israël lorsque Je les ai fait sortir du pays d’Egypte ». (Lévitique 23 : 42)

Chaque Juif prend ses repas dans une Souccah, une cabane recouverte de branchages depuis dimanche soir 13 octobre 2019 jusqu’à Chemini Atséret inclus, c’est-à-dire lundi après-midi 21 octobre. On essaiera d’habituer les petits garçons à prendre aussi leur repas dans la Souccah. Les femmes ne sont pas astreintes à ce commandement. Il est recommandé d’avoir des invités dans la Souccah.

Avant d’y manger du pain ou du gâteau, ou d’y boire du vin, on dira la bénédiction adéquate suivie de la bénédiction : « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Léchève Bassouccah » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné de résider dans la Souccah ».

Dimanche soir 13 octobre, après avoir mis quelques pièces à la Tsedaka (charité), à Paris avant 18h47, les femmes mariées allument au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) ainsi qu’une bougie de 48 heures avec les bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Tov » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière de la fête ».

2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehiguianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre et exister et parvenir à cet instant ».

Lundi soir 14 octobre (à Paris après 19h51) elles allument les bougies avec les mêmes bénédictions à partir de la bougie de 48 heures allumée avant la fête.

Mardi soir 15 octobre, la fête se termine à 19h49 et on récite la Havdala dans la Souccah (sans bougie et sans épices odorantes).

A partir du lundi matin 14 octobre et jusqu’au dimanche 20 octobre inclus (excepté Chabbat), on récite chaque jour la bénédiction sur les « quatre espèces » (cédrat, branche de palmier, feuilles de myrte et feuilles de saule) :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al Netilat Loulav » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné de prendre le Loulav ».

La première fois, on ajoute : 2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehiguianou Lizmane Hazé ».

Vendredi 18 octobre (à Paris avant 18h37), les femmes et filles allument les bougies de Chabbat avec la bénédiction :

Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Chabbat Kodèch.

Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière du saint Chabbat.

Samedi soir 19 octobre, c’est Hochana Rabba – les hommes restent éveillés toute la nuit, lisent le livre de Devarim (Deutéronome) puis le livre de Tehilim (Psaumes). Dans certaines communautés, on mange dans la Souccah des pommes rouges trempées dans le miel.

Dimanche matin 20 octobre, Hochana Rabba, la prière est particulièrement longue.

On fait sept fois le tour de la « Bimah » au centre de la synagogue puis on frappe cinq fois le bouquet de 5 « Hochaanot » (branches de saule) par terre comme l’ont enseigné les Prophètes.

Dimanche soir 20 octobre, Chemini Atseret. Après avoir mis quelques pièces à la Tsedaka (charité), à Paris avant 18h34, les femmes mariées allument au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) plus une bougie de 48 heures avec les bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Tov » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière de la fête ».

2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehiguianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre et exister et parvenir à cet instant ».

On mange dans la Souccah, mais sans bénédiction.

Lundi matin 21 octobre, on récite la prière de Yizkor à la mémoire des parents disparus.

On mange dans la Souccah sans bénédiction.

Lundi soir 21 octobre, c’est Sim’hat Torah. A Paris après 19h38, les femmes mariées allument à partir de la bougie de 48 h au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) avec les bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Tov » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière de la fête ».

2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehiguianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre et exister et parvenir à cet instant ».

On danse joyeusement avec la Torah autour de la Bimah dans la synagogue. On ne mange plus dans la Souccah.

Tous les soirs de Souccot, on organise, si possible même dans la rue, une fête joyeuse, Sim’hat Beth Hachoéva.

Mardi soir 22 octobre, après 19h36, la fête se termine et on récite la Havdala sans bougie tressée et sans épices odorantes.

Le Recit de la Semaine

 La réponse était dans le sable

La guerre éclata durant la journée la plus sacrée du calendrier juif en 1973. Pris de court, les  réservistes furent réquisitionnés dans leurs synagogues pour se battre à toutes les frontières du petit pays d’Israël attaqué de toutes parts. Portant encore leur Talit (châle de prière) sur l’épaule, les jeunes gens et leurs pères montèrent sans un mot dans les camions qui les amèneraient sur le champ de bataille.

Arié Dov Schwartz était justement prêt : il aurait normalement dû se présenter le lendemain du jeûne pour accomplir sa période de réserve et il avait donc bien préparé sa valise personnelle et surtout son matériel de secouriste militaire qui devrait hélas s’avérer bien utile dans les semaines qui suivraient.

Il était né en Roumanie, à Klausenbourg en Transylvanie. Son père avait été colonel dans l’armée hongroise pendant la Première Guerre mondiale. Quand la Seconde Guerre mondiale avait éclaté, la famille Schwartz avait voulu monter en Eretz Israël mais les autorités soviétiques l’en avait empêchée. Ce n’est qu’à la fin de la guerre que toute la famille avait pu enfin accomplir son rêve : jouir d’une vie tranquille sur la terre des ancêtres – mais le rêve devait être de courte durée car le jeune Etat devait faire face à de nombreux ennemis.

La famille n’était pas vraiment pratiquante mais quand Arié approcha l’âge de la Bar Mitsva, ses parents l’envoyèrent prendre des cours auprès de Rav Naftali Roth à Jérusalem. Rav Roth est un éducateur exceptionnel et il sut parler à cet enfant, répondre calmement à ses questions tout en lui enseignant les fondements de la tradition.

Quand Arié effectua son service militaire, il se spécialisa dans les soins aux blessés et leur évacuation du champ de bataille. Ce jour de Kippour, il savait intuitivement que la guerre serait très dure, qu’il y avait sans doute déjà de lourdes pertes humaines et de nombreux blessés. Peut-être devrait-il évacuer des soldats d’un tank en feu ou ramper pour ramener un pilote dont l’avion serait tombé en terrain ennemi pour éviter qu’il ne soit fait prisonnier. Les sirènes hurlaient dans tout le pays : les prières de Yom Kippour étaient sur toutes les lèvres, même les Israéliens les plus endurcis avaient conscience que la sainteté du jour les protégerait.

Sa première mission devait être sur le plateau du Golan. Bien que largement minoritaires, les soldats israéliens se battirent avec courage.

- Il y a un tank dont le moteur a cessé de fonctionner ! entendit-il crier dans son poste de radio.

Le tank en question était cerné de toutes parts de véhicules de l’armée syrienne et leurs soldats se réjouissaient déjà d’une telle prise de guerre. A cet instant, Arié ressentit qu’il n’était pas seul. Pourtant son tank était ancien et il ne disposait pas de munitions quand il tenta de retrouver le tank en danger. Mais le Ciel était avec lui et il localisa rapidement l’engin. Il réussit même à remettre le moteur en état de marche. C’est alors qu’arriva la tragédie : alors que le commandant du tank s’apprêtait à reprendre la commande de son véhicule, il reçut une balle dans la tête et mourut sur le coup. Arié éclata en sanglots, lui qui croyait ne plus être capable de ressentir de telles émotions.

Mais il se reprit et tourna la tête en direction des tirs. Horrifié, il aperçut un tank syrien qui s’avançait vers lui, pointant son canon de façon menaçante. Les instants suivants lui parurent durer une éternité. Arié et le commandant syrien se faisaient face et s’observaient. En une fraction de seconde, Arié se souvint de chaque instant de sa vie comme dans un film : conscient que c’était là ses derniers instants, il prenait déjà congé en pensée de tous les siens et se préparait au pire. L’ennemi était maintenant si proche de lui qu’il n’y avait plus aucun espoir.

Mais soudain, le plus incroyable se produisit : le tank syrien recula. Sans raison. Et disparut comme il était venu !

Les pensées se bousculèrent dans l’esprit d’Arié : « Que s’est-il passé ? Pourquoi ai-je été épargné ? ». Ces questions existentielles restèrent sans réponse pendant quelques jours et ne cessaient de le tracasser.

Entretemps, il fut envoyé sur le front sud et, en route, son commando prit en stop un autre réserviste d’une quarantaine d’années. Mais durant tout le trajet, celui-ci resta silencieux et personne ne prêta réellement attention à lui.

Soudain, au milieu de nulle part, dans le sable du désert du Sinaï, au détour d’une route, les soldats aperçurent un « bâtiment » fragile, presque surréaliste et sorti d’une autre époque : une Souccah ! Incrédules, les soldats stoppèrent et un ‘Hassid barbu les invita joyeusement à entrer se rafraîchir dans la cabane recouverte de branchages, boire et accomplir la Mitsva de la Souccah et des Quatre Espèces. Heureux de se dégourdir les jambes tout en ayant la possibilité d’accomplir des Mitsvot, les soldats acceptèrent volontiers l’invitation. Tous sauf un : celui qui ne parlait pas et ne s’intéressait apparemment à rien. Arié insista, le tira par la manche mais celui-ci refusait obstinément d’accomplir un quelconque geste religieux, même en pleine guerre, même dans le désert où la Torah avait été donnée par D.ieu Lui-même à Moïse et au peuple juif tout entier. Malgré tous ses arguments, Arié ne parvenait pas à le persuader jusqu’à ce qu’il propose : « Au moins, fais-le pour moi puisque je t’ai rendu service en te prenant en stop ! ». L’homme ne pouvait plus refuser : il prit le Loulav qu’on lui tendait et répéta la bénédiction mot à mot. Mais ses mains tremblaient et il éclata soudain en sanglots incontrôlables puis s’évanouit !

On s’empressa de le ranimer, on lui fit boire de l’eau et il se reprit :

« Je n’étais qu’un enfant durant la Shoah et j’ai vécu les pires horreurs qu’on puisse imaginer. Toute ma famille a été massacrée devant mes yeux. Et moi, j’ai été « sélectionné » pour vivre, pour survivre à tout cela. Je n’ai pas compris alors pourquoi j’étais resté en vie : quel sens peut avoir une vie sans tous ceux qui m’étaient chers ? J’étais en colère contre le Créateur de ce monde absurde et j’ai décidé de rompre tout lien avec Lui. Aujourd’hui, c’est la première fois que j’ai accompli une Mitsva depuis plus de 35 ans, j’ai parlé au bon D.ieu et c’est pour cela que j’ai autant pleuré ! ».

Il se tut et tous ses compagnons se turent également, trop émus de vivre cet instant de vérité d’une intensité sans pareille, là, en pleine guerre, sous le soleil brûlant du Sinaï.

Quant à Arié, il avait enfin la réponse à ses questions : s’il avait été épargné par le conducteur syrien du tank ennemi, c’était pour qu’il parvienne à persuader un autre Juif de renouveler son lien avec son Créateur…

Sichat Hachavoua N° 1499

Traduit par Feiga Lubecki