Les temps étaient durs pour Rav Yaakov Levi, l’émissaire du Rabbi à Sunshine en Floride. Malgré le nom éclatant de sa ville gorgée de soleil, Rav Levi avait de sérieux problèmes avec sa banque qui menaçait de saisir sa maison, sa voiture et même sa synagogue dont il ne parvenait plus à payer le loyer. La solution ? C’était Michael Fein, le Juif le plus riche de la ville. Chaque année, il donnait 100.000 dollars, en un seul chèque. Mais cette année, il avait posé une condition : qu’il y ait un Minyane ce vendredi soir, les dix Juifs nécessaires pour qu’il puisse réciter le Kaddich, à la mémoire de sa mère. Sinon… Non, Rav Levi ne voulait pas envisager le pire !
On était une heure avant Chabbat et il n’y avait que neuf hommes disponibles, lui compris. Il regarda encore une fois la liste des fidèles mais il avait déjà appelé chacun d’entre eux : on était justement le week-end du 4 juillet, jour de l’indépendance américaine et tous étaient partis à la campagne.
Puis il se souvint de celui qui n’était pas sur la liste : Yussie Yablonski. Mais oui ! Bien sûr ! Lui n’était certainement pas parti en week-end, il n’avait pas de voiture. Il serait le dixième! Mais son téléphone ne répondait pas : traduction : il n’avait pas payé sa facture.
Il restait quarante minutes. Rav Levi se précipita vers l’appartement de Yussie et sonna 
frénétiquement.
Pas de réponse.
Il frappa de toutes ses forces, encore et encore. Finalement Yussie ouvrit. Les cheveux ébouriffés, sentant la sueur et même la saleté, il regarda le rabbin qui lui demanda : 
- Yussie ! Comment va ?
- C’est la question à ne pas poser, rabbin !
- Mais si ! C’est mon métier !
L’appartement était sens dessus dessous : une pile de vaisselle dans un évier crasseux, la poubelle qui débordait, des vêtements sales qui traînaient partout et une odeur à l’avenant.
- Alors Yussie, qu’est-ce qui ne va pas ?
- Tout ! Toute ma vie ne va pas ! Voulez-vous du vin, rabbin ?
- Non merci, je ne bois pas de vin avant Chabbat !
- Chabbat ! C’est déjà Chabbat ? Vous savez, je n’ai plus la notion du temps qui passe…
- Yussie ! Dans 20 minutes, c’est Chabbat. Et j’ai promis à Michael Fein que nous aurions Minyane. Yussie ! Vous aurez l’honneur d’être le dixième !
- Non merci !
- Comment ?
- Je ne vais plus à la synagogue parce que… je ne crois plus en D.ieu !
- Allons, allons, nous en discuterons en route !
- Rabbin ! Les gens se moquent de moi dans la rue ! «C’est le clochard !» qu’ils disent !
- Yussie ! Vous êtes quelqu’un de bien !
- Bien pour quoi ? Je n’ai pas été gâté à ma naissance, ma tête ne fonctionne pas trop bien, je n’ai ni femme ni enfant, et ma famille me tient à distance, de peur que je n’essaye de leur emprunter de l’argent… Je n’existe pas ! Chaque année, c’est pire !
- Yussie ! Vous vous dévalorisez inutilement ! 
- Même D.ieu n’a que faire de moi. Je refuse de croire en Lui parce qu’Il refuse de croire en moi! 
Quinze minutes avant Chabbat.
- Non, Rabbin, je n’irai pas à la synagogue.
- Allons Yussie, dit Rav Levi en lui passant la main sur l’épaule. J’ai besoin d’un dixième maintenant ! Ensemble nous demanderons à D.ieu des bénédictions pour vous !
- Pensez-vous ! Il rit toujours de mes prières ! Partez, rabbin, occupez-vous de votre Michael Fein, trouvez quelqu’un d’autre qui croit en D.ieu pour son Minyane !
Rav Levi se dirigea vers la porte, courut vers sa voiture et fonça en direction de la synagogue mais, en route, il se posa des questions : «Comment puis-je l’aider ? J’ai une femme et deux enfants et des gens de ma communauté qui apprécient mes efforts. Mon unique problème maintenant, c’est de trouver un Minyane pour Michael Fein. Mais qui est-il ? Est-il D.ieu? Même s’il arrête de me subventionner, je continuerai ! Et je ne sais pas comment aider mon ami Yussie».
C’est alors que Rav Levi se surprit lui-même. Il oublia Michael Fein, il oublia le Minyane, il oublia ses factures impayées et fit demi-tour, 
arrivant juste quelques minutes avant Chabbat chez Yussie. Il frappa à la porte.
Pas de réponse.
Il frappa encore, de ses deux poings. Puis se résolut à forcer la porte d’un coup d’épaules.
- Yussie ! Où êtes-vous ?
Pas de réponse. Pas de lumière. Sans doute encore une facture «oubliée»… Mais Yussie n’était ni dans la cuisine, ni dans la chambre à coucher. Rav Levi avait un très fort pressentiment.
Oui, Yussie était dans la salle de bain, devant le miroir, avec à la main un tube de médicaments…
- Rabbin ! Partez ! Michael Fein a besoin de vous ! 
- Non Yussie, c’est vous qui avez besoin de moi!
- Rabbin ! Plus personne ne s’occupe de moi ! Combien de temps peut-on vivre ainsi ?
- Je ne sais pas, admit Rav Levi après un long silence. Puis il passa son bras sur l’épaule de Yussie et réussit à l’entrainer dans la cuisine.
- Yussie ! Chaque fois que je rencontre une situation injuste, je suis obligé de constater : «Seul D.ieu sait pourquoi !» Mais si j’étais un meilleur rabbin, j’aurais trouvé les mots justes. Vous Yussie, vous avez foi en D.ieu depuis bien plus longtemps que n’importe qui, certainement que moi ! Et je suis le rabbin ! Peut-être que D.ieu envoie Ses bénédictions à ceux qui sont faibles et réserve les épreuves à ceux qui sont forts. Il est heureux que ses meilleures créatures aient besoin de si peu de sa part !
D’ailleurs, Yussie, je vous vous confier un secret: parfois, quand je prie, je demande à D.ieu de ne pas m’éprouver comme Il vous éprouve ! Parce que je ne tiendrai pas le coup ! 
- Vous voulez dire que je suis plus fort que vous, rabbin ?
- Absolument. Et je le pense sincèrement.
- Même plus fort que Michael Fein ?
- Beaucoup plus fort que lui !
Yussie s’essuya les yeux et fouilla dans ses vêtements. Il dénicha une chemise à peu près blanche, trouva même une cravate : Rav Levi n’en croyait pas ses yeux. Yussie se tenait bien droit, il s’était coiffé et rectifiait sa cravate devant le miroir. Il respirait l’assurance.
Tous deux, ils marchèrent tranquillement les trois kilomètres qui les séparaient de la synagogue, sous une pluie battante.
- C’est sympa de la part de D.ieu de me procurer une douche avant Chabbat, n’est-ce pas rabbin ?
Tous deux pouffèrent de rire.
Quarante minutes plus tard, trempés jusqu’aux os mais plus heureux qu’on ne peut le désirer, ils arrivèrent à la synagogue. Huit hommes les regardèrent, les yeux écarquillés. Le huitième, Michael Fein, semblait en colère.
- Il n’a pas l’air content ! murmura Yussie à l’oreille de Rav Levi.
- A nous de prier pour lui, répondit Rav Levi à voix basse.
Il se dirigea vers le pupitre, exigea que Yussie se tienne à ses côtés et entama la prière d’accueil du Chabbat.
Pour la première fois depuis longtemps, le jeune rabbin ressentit que D.ieu était vraiment content de lui.

Zalman Velvel
www.chabad.org/Toldot
traduit par Feiga Lubecki

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