Etre en panne d’essence n’est pas mon passe-temps favori. Surtout le vendredi après-midi. Encore moins dans un quartier inconnu, le genre de quartier où je ne m’aventurerais même pas de jour, un endroit assez menaçant et sinistre.

J’avais pourtant imprimé le trajet et j’aurais dû arriver à bon port en temps voulu.

Oui mais voilà : l’homme propose et D.ieu rit, dit le proverbe. Le rendez-vous avait pris plus de temps que prévu et… la voiture s’arrêta en rase campagne. Même un aussi piètre mécanicien que moi comprenait facilement : panne d’essence. Quelqu’un s’était-il «servi» de mon réservoir pendant mon absence ? Toujours est-il qu’il fallait trouver – rapidement – une solution.

J’aperçus un policier. Tout en rajustant ma cravate, je m’approchai de lui : «Je vous en prie ! Je suis rabbin et notre Chabbat commence au coucher du soleil. La compagnie d’assurance prendra sans doute un certain temps avant de me dépanner. Pourriez-vous m’amener à la plus proche station-service ?»

«Non ! répondit-il sèchement. Vous n’avez qu’à vous y rendre à pied, à quelques rues non loin d’ici !»

Jamais je n’ai effectué une marche aussi longue, épuisante et angoissante. Je tentai de répéter mentalement quelques versets des Tehilim (Psaumes) et des paragraphes de Tanya afin de transformer cette «promenade» en projet éducatif.

Quand j’arrivai à la station-service, je cherchai un jerrican : la buvette proposait toutes sortes de boissons et friandises mais pas le moindre bidon. L’employé refusa de m’aider. Désespéré, je me suis mis à chercher dans la poubelle. Les clients de la station-service devaient trouver le spectacle assez surréaliste : un homme plus très jeune, à la longue barbe et au chapeau noir fouillant dans les ordures…

Mais «quelqu’un» m’aida de là-haut. J’aperçus enfin ce dont je rêvais désespérément à ce moment-là : une bouteille vide de jus d’orange de taille américaine que je me mis à remplir d’essence.

«Avez-vous besoin d’aide?» me demanda alors un automobiliste compatissant qui m’avait sans doute observé depuis un certain temps.

Je devais me décider rapidement : refaire la route à pied ou accepter de monter dans la voiture d’un étranger ? Je priai à toute vitesse puis répondis finalement : «Oh, comme ce serait gentil de votre part ! Ma voiture est tombée en panne à quelques rues d’ici !» Et je montai dans sa voiture.

Durant le trajet, j’engageai poliment la conversation : «Vous savez, vous accomplissez vraiment une bonne action !» dis-je.

«Vous voulez dire une Mitsva ! répondit-il. Etes-vous Loubavitch ?»

Interloqué, je l’observai un peu plus attentivement et lui demandai : «Vous êtes juif ?»

«Non, pas du tout, continua-t-il en souriant.»

«Alors comment connaissez-vous le mot Mitsva ? Et Loubavitch ?»

«Voilà ! A l’université, mon voisin de chambre était juif mais pas très pratiquant. Le samedi matin, le rabbin Loubavitch du campus, avec une longue barbe – comme vous – entrait dans la chambre et tentait de le réveiller pour qu’il complète le «Minyane». Mon ami n’était pas intéressé, il préférait dormir. J’étais désolé pour le rabbin et j’aurais voulu l’aider. Ce rabbin était très gentil et m’avait expliqué que je ne pouvais pas résoudre son problème de Minyane. Mais nous avons discuté et il m’avait dit que mon rôle était d’augmenter des actes de bonté, encore une Mitsva comme il disait.

Alors quand je vous ai vu désemparé à la station-service, j’ai repensé à ce rabbin et je me suis dit qu’il était temps de faire une Mitsva !»

Je ravalai ma salive. Nous arrivions devant ma voiture et je le remerciai.

«Un instant, Monsieur le rabbin. Comment allez-vous verser l’essence dans le réservoir sans entonnoir ?»

Je n’y avais pas pensé. Mais lui, il tenait à mener sa Mitsva jusqu’au bout et ne me quitta qu’une fois la tâche achevée. Il refusa poliment le billet que je lui tendais et me souhaita «Chabbat Chalom» !

Bien vite je pus conduire jusqu’à la prochaine station-service tout en repensant à ce non-Juif qui avait accompli encore un acte de bonté, encore une Mitsva.

Le Rabbi de Loubavitch nous a encouragés à contacter chaque Juif, quelles que soient son origine, son éducation, son occupation actuelle afin de lui donner l’occasion d’accomplir même une seule Mitsva. Parfois nous réussissons à persuader un étranger dans la rue à mettre les Téfilines, même une seule fois. Parfois une conversation amicale avec une voyageuse assise dans le même avion peut l’amener à nous promettre d’allumer les bougies de Chabbat le prochain vendredi soir. Et il nous arrive de douter : cela en vaut-il la peine ? Juste pour une fois ?

Mais nous avons appris que chaque bonne action a un effet infini, est divine, éternelle. De plus, une Mitsva est contagieuse, elle en entraîne une autre.

Et parfois la personne refuse : je fournis alors davantage d’efforts, je recours à toutes sortes d’arguments mais non, il n’est pas intéressé, il se dit athée, il n’a pas le temps et il nous renvoie avec un méprisant : «Occupez-vous d’autre chose !»

Nous avons alors l’impression de tomber en panne d’essence, d’être bloqué… Mais D.ieu nous envoie alors un «Mitsva-Man» qui nous rappelle que nous ne disposons pas de toutes les pièces du puzzle. Aucun effort n’est vain même si cela peut prendre un certain temps avant que tout se mette en place.

Ce vendredi soir, alors que mon épouse allumait calmement les bougies de Chabbat, nous avons remercié D.ieu pour Son infinie bonté. Impressionnés par la gentillesse de notre sauveur, ce non-Juif rencontré dans un quartier aussi inhospitalier, nous avons silencieusement prié pour notre confrère, ce rabbin Loubavitch quelque part sur un campus universitaire, pour qu’il ne désespère jamais de trouver un Minyane...

Rav Daniel Moscowitz – Chicago, Illinois (USA)

Chabad.org Magazine

traduit par Feiga Lubecki

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