En Lituanie, se trouvaient trois écoles de sciences, privées, sous la tutelle de différents princes. Les professeurs de ces académies étaient recrutés en France pour leur haut niveau de connaissances.
Dans la propriété du Prince Sheksinski, près de Vitebsk, se dressait un grand palais avec une attraction célèbre dans tout le pays : un cadran solaire disposé dans le jardin de la cour. Depuis deux ans, ce cadran solaire ne fonctionnait pas bien entre 14 heures et 17 heures. Le prince avait déjà sollicité les explications de grands experts, scientifiques et professeurs mais nul ne comprenait la raison de ce phénomène. Finalement, le prince se résigna à demander l’avis de celui qu’on présentait comme un génie dans tous les domaines des sciences profanes, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi.
Au début, le Rabbi refusa de se rendre à la cour du prince car il n’était pas intéressé à se mêler aux grands de ce monde dont les Sages recommandent de ne pas rechercher la proximité. Une fois qu’on l’eut assuré qu’il ne perdrait pas de temps inutilement là-bas, il accepta finalement d’aller chez le prince. Bien que le Rabbi ait parfaitement su s’exprimer en polonais, il préféra parler en yiddish et ce fut son beau-père qui servit de traducteur. Après avoir examiné plusieurs fois le cadran durant les heures problématiques, Rabbi Chnéor Zalman affirma : «Il est écrit dans le Talmud que le soleil se trouve directement au zénith au milieu de la journée ; rien ne peut interférer entre la lumière du soleil et la terre à cette heure-là - à part les nuages. Cependant, l’après-midi, quand le soleil commence à baisser, divers objets peuvent s’interposer entre le soleil et la terre. A mon avis, il se trouve une montagne au sud de l’endroit où nous sommes, à une distance de 30 à 40 kilomètres. Apparemment, des arbres ont poussé au sommet de cette montagne et ce sont eux qui interceptent les rayons du soleil qui ne peuvent donc plus activer le cadran entre deux et cinq heures de l’après-midi. Quand le soleil se couche un peu plus, les arbres ne sont plus un obstacle et le cadran se remet à fonctionner correctement !»
Le prince fut émerveillé devant la sagesse de Rabbi Chnéor Zalman et envoya un émissaire spécial pour vérifier la justesse du raisonnement du Rabbi.
Mais le recteur de l’académie, un certain professeur Marseilles, estima que ce raisonnement était ridicule : «Les Juifs s’imaginent que toute la sagesse du monde se trouve consignée dans leur Talmud : Zélig le docteur y aurait appris la médecine, Barou’h le jardinier y aurait appris à s’occuper des plantes et Zanvil le commerçant y a appris comment rouler ses clients ! Et ce rabbin s’imagine que les rayons du soleil n’atteignent la terre que selon les heures fixées par le Talmud !» Impassible, Rabbi Chnéor Zalman répondit : «La vérité empirique est la hache qui s’abat sur ceux qui sont arrogants et s’imaginent que la science seule est vraie !»
- Cela aussi, vous l’avez trouvé dans votre Talmud ? s’esclaffa le professeur.
- Non, répondit Rabbi Chnéor Zalman en le regardant droit dans les yeux. Ce proverbe est attribué au grand Galilée qui dut lui aussi souffrir de ceux qui étaient arrogants…
Certains antisémites avaient entendu le diagnostic posé par le Rabbi. Avant que le prince ne puisse envoyer des émissaires vérifier la justesse des allégations de Rabbi Chnéor Zalman, ils s’empressèrent de couper les arbres qui obstruaient les rayons du soleil, espérant ainsi discréditer le Rabbi.
Quelques jours plus tard, les jardiniers du prince rapportèrent que le cadran fonctionnait maintenant à la perfection, le prince fut très surpris mais il attribua cela à une des bizarreries de la technologie.
Il s’étonnait néanmoins que la théorie de Rabbi Chnéor Zalman ne se soit pas révélée exacte alors qu’elle semblait très plausible.
Par la suite, le beau-père de Rabbi Chnéor Zalman eut vent de la rumeur concernant les arbres qui avaient été coupés en secret ; il retrouva les coupables, les traîna devant le prince et ils furent obligés d’admettre leur méfait. C’est ainsi que la sagesse de Rabbi Chnéor Zalman fut confirmée et l’étendue de sa science fut reconnue et admirée dans toutes les académies de Pologne et Lituanie.

L’Chaim n°1253
Traduit par Feiga Lubecki

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