Samedi, 8 mai 2021

  • Behar - Be’houkotaï
Editorial

 L’œuvre ultime et infinie

On sent comme une tension grandissante dans l’atmosphère spirituelle. Comment pourrait-il en être autrement alors que, sur la route du temps, nous voyons presque la fête de Chavouot en perspective ? L’heure est donc à la grande question : serons-nous prêts pour le Don de la Torah, le grand rendez-vous avec D.ieu, annoncé dès avant la sortie d’Egypte ? Alors que les jours passent avec le compte de l’Omer, en cette ultime période, ne reste-t-il pas une grande œuvre à mener à bien ?

Le texte de la Torah nous l’indique : lorsque les Hébreux arrivèrent au pied du mont Sinaï, ils campèrent au pied de la montagne. La formulation décrivant l’événement emploie curieusement l’expression « il campa » alors que c’est de plusieurs millions de personnes qu’il s’agit ! Ce passage du pluriel logique à un singulier surprenant est en soi l’affirmation d’une nécessité : l’unité. Ils campèrent « comme un seul homme avec un seul cœur » précisent les commentateurs. Comme pour dire qu’il y a là une étape incontournable avant la révélation Divine.

De fait, l’unité à réaliser est un authentique effort. Nous vivons dans un monde – et une société – qui, de façon croissante, valorise l’individualisme. Bien souvent, sous la pression constante, celui-ci tourne en une sorte de déclinaison du « chacun pour soi ». Ainsi donc, chacun veillera à ses propres intérêts, à la satisfaction de ses désirs sans considérer qu’il existe une idée qui dépasse sa seule personne. Car le peuple juif est comparable à un grand corps, certes constitué d’éléments très nombreux et divers mais entité unique et indivisible.

Et cette unité est très précieuse. D’abord parce qu’elle révèle une réalité fondamentale : l’autre n’est jamais plus loin de soi qu’une partie de soi-même. De plus, cette unité, en son sens le plus fort, est indispensable. Nous le proclamons dans la liturgie quotidienne : « Bénis-nous, notre D.ieu, tous comme un... » La phrase porte loin : la bénédiction Divine est liée au fait que nous soyons « tous comme un ». En cette époque où on peut être amené à s’interroger sur l’avenir, il y a ici une leçon essentielle.

C’est ainsi que le chemin qui nous conduit au Don de la Torah est comme plus lumineux. L’unité nous l’ouvre, l’amour de l’autre nous accompagne. Et nous savons qu’au bout de la route – à présent si proche – c’est un nouveau monde qui apparaîtra.

Etincelles de Machiah

 Une prière sereine

Un jour, à l’époque de Rabbi Chalom Dov Ber, le cinquième Rabbi de Loubavitch, des vieux ‘Hassidim étaient réunis et parlaient de la venue de Machia’h. Et la discussion se focalisa sur une question : que se passera-t-il en ces nouveaux temps ?

Il y avait, parmi les participants, un ‘Hassid très âgé qui avait connu les deux prédécesseurs de Rabbi Chalom Dov Ber et dont chaque mot était un enseignement. Il déclara : « Lorsque Machia’h viendra, on se lèvera le matin, on se mettra à prier et la prière s’élèvera d’elle-même, sans effort ni difficulté. »

(D’après la tradition ‘hassidique)

Vivre avec la Paracha

 Behar Be’houkotaï

Behar

Sur la montagne de Sinaï, D.ieu communique à Moché les lois de l’année chabbatique : toutes les septièmes années, tout travail sur la terre doit être interrompu et ses produits rendus accessibles à tous, hommes et animaux.

Sept cycles chabbatiques sont suivis d’une cinquantième année : l’année du Jubilée au cours de laquelle, tout travail de la terre cesse, tous les serviteurs liés par contrat sont libérés et tous les états ancestraux de la Terre Sainte, qui ont été vendus, reviennent à leurs propriétaires originels.

Behar contient également des lois supplémentaires concernant la vente de terres et les interdictions de fraude et d’usure.

Be’houkotaï

D.ieu promet que si le Peuple d’Israël observe Ses commandements, il jouira de prospérité matérielle et résidera en paix dans sa patrie. Mais Il donne également un avertissement sévère et le menace de l’exil, de la persécution et d’autres maux qui s’abattront sur lui s’il abandonne son alliance avec Lui.

Toutefois, « même quand ils seront sur la terre de leurs ennemis, Je ne les rejetterai pas, pas plus que Je ne les haïrai, ne les détruirai ou ne briserai Mon alliance avec eux. Car Je suis l’Eternel, leur D.ieu ».

La Paracha se conclut avec les lois concernant la manière de calculer la valeur des différents types d’engagements pris pour D.ieu et la Mitsva de prélever un dixième des produits agricoles et du bétail.

 

Ce Chabbat, nous lisons deux Parachiot : Behar et Be’houkotaï. C’est pourquoi, nous pouvons tirer un enseignement de chacune d’elle et un troisième enseignement du fait qu‘elles sont liées.

Behar, « la montagne », se réfère au Mont Sinaï. Parfois, il est appelé « Mont Sinaï », comme dans notre Paracha, parfois « Sinaï », comme dans la Michna qui ouvre les Pirké Avot (« Maximes de nos Pères »), ou encore « la montagne », comme cela apparaît dans le titre de la Paracha. Chacune de ces trois dénominations évoque un niveau différent. Le Midrach explique que D.ieu choisit le Mont Sinaï parce que c’était la moins élevée des montagnes. « Le Mont Sinaï » fait donc allusion à l’idée de mêler l’humilité (« la plus basse ») à la fierté (« des montagnes »). Quand le terme « Sinaï » est utilisé seul, l’accent est mis sur l’humilité et quand c’est « Behar », il s’agit alors de la fierté.

Chacun de ces trois niveaux s’applique à des moments différents. D’une manière générale, notre service doit inclure ces deux qualités. Alors que l’humilité est nécessaire, nous devons également posséder « un huitième d’un huitième d’orgueil », pour garantir que nous soyons traités par nos congénères, avec l’estime qui nous est due. En d’autres circonstances, il faut insister sur l’humilité. Par exemple, pour recevoir la Torah, l’annulation totale absolue était nécessaire. Dans la même veine, on dit de Moché qu’il était « l’homme le plus humble sur la surface de la terre. »

En revanche, dans certaines occasions, notre approche doit mettre l’accent sur la fierté. Bien que le Talmud écrive à propos d’un homme orgueilleux : « D.ieu dit : ‘Moi et lui ne pouvons résider dans le même monde’ » l’orgueil est parfois indiqué. Le Talmud déclare que « tous les enfants d’Israël sont des enfants de Rois ». Le Zohar s’y réfère également comme à des « Rois ». Or, si un roi ne peut passer outre l’honneur qui lui est dû, « nos Rois, nos Sages (et tout le Peuple juif) » ne peuvent non plus l’ignorer.

Ce principe s’applique dans nos relations avec les nations du monde. Bien qu’il soit dit : « ne provoque pas même un petit Gentil » et que « la loi du pays est la loi », ces affirmations ne sont valides que lorsqu’elles n’entrent pas en contradiction avec la Torah et les Mitsvot. Le cas échéant, nous devons être bien conscients que « notre âme n’est jamais partie en exil », à nous de rester fermes, le plus puissamment possible, pour être sûrs que nous ne ferons aucune concession. Quand un Juif est défié par quelque chose qui pourrait affaiblir son lien avec le Judaïsme et avec D.ieu, « les plus frivoles et les pécheurs d’Israël eux-mêmes » sacrifieront leur vie, démontrant ainsi leur force et leur fierté d’être Juifs.

Ce type d’orgueil ne va pas à l’encontre de l’humilité. Le roi n’avait pas le droit d’honorer quiconque en public mais en privé, il convenait qu’il honore les Sages. Le Rambam fait la louange du roi Yehoshaphat qui se levait de son trône quand un Sage pénétrait dans ses appartements privés, l’embrassait et l’appelait : « Mon Maître, mon enseignant ».

Passons à l’enseignement que nous pouvons tirer de Be’houkotaï : on s’y réfère aux Mitsvot appelées ‘Houkim, « les statuts ». On se rappelle qu’il existe trois catégories de Mitsvot : les Michpatim, « les jugements », qui nous sont intellectuellement compréhensibles, les Édot, « les témoignages » commémorant certains miracles ou événements historiques. Ils dépassent notre intellect mais nous pouvons saisir leur raison d’être en tant qu’expression de notre gratitude. Enfin les ‘Houkim, ces Mitsvot dont il est dit : « vous n’avez pas la permission d’y réfléchir », ces Mitsvot étant complètement insaisissables par la raison humaine.

Cette description soulève un problème : juste après la phrase : « si vous marchez selon Mes ‘Houkim », D.ieu promet des bénédictions matérielles : « la terre donnera son produit » et spirituelles : « Je serai votre D.ieu et vous serez Mon peuple. » Comment ces promesses peuvent-elles aller de pair avec la nature irrationnelle des ‘Houkim ? Il semblerait ici que la raison avancée pour les accomplir soit la récompense.

En fait, il nous faut appliquer le même engagement pour les Édot et les Michpatim que pour les ‘Houkim. Nous devons les accomplir simplement parce que D.ieu nous les a commandés, quelle que soit la récompense, qu’elle soit matérielle ou spirituelle, dans le seul but d’accomplir la Volonté divine.

Chaque Mitsva établit un lien entre le Juif et D.ieu. Mais en fait, notre relation inhérente avec D.ieu ne peut jamais être brisée. Be’houkotaï nous montre alors le chemin d’un engagement encore plus profond : celui d’accomplir simplement la Volonté de D.ieu.

Et c’est par ce service que nous avancerons de force en force et mériterons d’entrer en Erets Israël, lors de la Rédemption future, rapidement de nos jours.

Enfin, une leçon se dégage de la jonction de Behar et Be’houkotaï. Apparemment, leurs concepts semblent opposés par nature. Behar évoque l’importance d’être fier, Be’houkotaï, l’importance de la soumission absolue.

Mais en réalité, chacun de ces comportements est approprié à des situations différentes. Avant de prier, nous devons méditer sur « l’humilité de l’homme ». Après avoir prié, nous devons nous diriger « de la synagogue à la maison d’étude ». Dans cet environnement, « l’humble n’étudie pas ». Bien que l’humilité soit considérée comme l’un des attributs du Peuple juif, il faut s’en départir quand il s’agit de mener « les guerres de la Torah » et adopter une position de force.

La combinaison de ces deux qualités s’applique dans nos relations humaines. Nous devons aimer chaque Juif « comme nous-mêmes » mais en même temps, veiller à « l’attirer à la Torah », c’est-à-dire à maintenir une attitude ferme et ne pas « rabaisser » la Torah vers lui.

En aimant son prochain, en le ramenant vers la Torah, et tout cela avec une joie véritable, nous avancerons vers la Rédemption messianique.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Birkat Cohanim ?

Les Cohanim (descendants de Aharon, le Grand-Prêtre) ont la Mitsva de bénir les Enfants d’Israël (Bamidbar – Nombres 6 : 22 à 27) : « Ainsi vous bénirez les Enfants d’Israël, qu’ils disent : Que D.ieu te bénisse et te protège. Que D.ieu éclaire Sa face vers toi et t’accorde Sa grâce. Que D.ieu élève Sa face vers toi et t’accorde la paix ».

En Israël, les Cohanim bénissent les fidèles tous les jours. En Diaspora, cette cérémonie de Birkat Cohanim ne s’effectue que les jours de fête.

On ne regarde pas les Cohanim quand ils élèvent leurs mains pour bénir les fidèles car la Che’hina (la Présence Divine) réside sur leurs mains : c’est pour cela qu’ils se couvrent le visage et les mains avec leur Talit (châle de prière). Cependant, le fidèle doit se trouver face au Cohen et non derrière lui. Il est d’usage que les fidèles aussi se couvrent le visage avec leur Talit : celui qui n’a pas de Talit se place sous le Talit de quelqu’un d’autre. Le père de famille prend ses enfants – même nourrissons – sous son Talit pendant la bénédiction des Cohanim. Ainsi chacun peut se concentrer sur chacun des mots prononcés par le Cohen.

L’officiant lit chaque mot des bénédictions et les Cohanim les répètent, mot à mot. L’assemblée écoute attentivement et répond Amen à la fin de chacune des trois bénédictions.

Quand les Cohanim entonnent les trois derniers mots, les fidèles murmurent une prière pour demander que tous les rêves soient de bons présages ; cependant, il faut écouter attentivement les mots prononcés par les Cohanim.

(d’après Pinat Hahala’ha - Rav Yossef S. Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 L’audace d’une sœur…

J’ai grandi en Russie dans une famille Loubavitch, très proche de celle du Rabbi. Rav Chnéour Zalman Vilenkin, mon grand-père, était très ami avec le père du Rabbi et, de plus, avait eu l’honneur d’être le professeur particulier du Rabbi dans sa jeunesse.

Notre famille était très pratiquante, à une époque où l’attachement au judaïsme était considéré comme un crime en Union Soviétique. Ma mère couvrait les fenêtres de la maison afin que personne ne la voit allumer des bougies avant Chabbat.

Après la fin de la guerre, nous avons pu quitter ce pays avec d’autres Juifs porteurs de (faux) passeports polonais ; nous avons passé quelques mois dans des camps de Personnes Déplacées en Allemagne puis avons rejoint la France et, enfin, les États-Unis. La Société d’Aide aux Immigrants Juifs (HIAS) nous a assigné un appartement à Cleveland mais, en route, nous avons obtenu une audience privée avec le Rabbi à New York. C’était en 1953, j’avais treize ans. Mon grand-père avait du mal à marcher mais, dès qu’il entra, le Rabbi se leva et vint à notre rencontre ; il demanda plusieurs fois à mon grand-père de s’asseoir mais celui-ci refusa par respect. Puisqu’il ne voulut pas s’asseoir, le Rabbi resta lui aussi debout, conformément aux lois du respect des professeurs.

Après quelques années passées à Cleveland où ma mère ne se sentait pas à l’aise, toute la famille s’installa à New York. Même si la vie dans le quartier ‘hassidique de Crown Heights était plus facile et plus agréable, ma mère ne cessait de pleurer car ses deux frères, Yossef et Chalom Eliahou Vilenkin étaient restés coincés en Russie, sans permission de quitter le pays. Elle priait constamment pour leur libération et, chaque fois que le Rabbi prononçait un discours aux Congrès de femmes Loubavitch et bénissait chacune des participantes, elle suppliait le Rabbi de promettre que ses frères pourraient eux aussi jouir de la liberté. Mais, pour une raison mystérieuse, le Rabbi lui accordait toutes sortes de bénédictions - sans mentionner ses frères.

Une fois - je crois que c’était en 1970 - je l’ai accompagnée. Alors que nous attendions dans la queue, ma mère me demanda à voix basse mais d’un ton ferme : « C’est peut-être de la ‘Houtspa (audace) de ma part mais je ne sortirai pas d’ici tant que le Rabbi ne m’aura pas accordé sa bénédiction pour mes frères ! ».

Cependant, une fois de plus, le Rabbi la bénit sans mentionner ses frères. Elle prit une profonde inspiration et supplia : « Rabbi ! Une bénédiction pour mes frères ! »

Le visage du Rabbi devint très sérieux et il regarda par terre pendant un long moment. Puis il releva la tête et, avec un large sourire, annonça que D.ieu aiderait ses frères à sortir de Russie la même année et qu’elle les reverrait très bientôt !

Il faut savoir qu’en Russie, de leur côté, mes deux oncles avaient chaque année déposé une demande de sortie qui avait, à chaque fois, été refusée. Découragés, ils comprirent que cela ne servait à rien de demander et qu’ils étaient condamnés à passer le reste de leur vie en Union Soviétique. Ils décidèrent cependant de tenter leur chance encore une dernière fois. C’était juste après que ma mère avait eu la ‘Houtspa d’implorer la bénédiction du Rabbi mais ils ne le savaient pas. Miraculeusement cette fois-là, ils reçurent la permission tant rêvée, sans aucune explication !

Quand ils quittèrent la Russie, Yossef s’installa à Crown Heights (New York) afin d’être proche du Rabbi. Chalom Eliahou s’installa en Israël mais le Rabbi lui envoya un billet d’avion pour qu’il vienne passer les fêtes de Tichri à Crown Heights.

Quand il entra en audience privée, le Rabbi remarqua : « Vous avez de la chance que votre sœur vous a littéralement extirpés de Russie ! ».

Par ces mots, le Rabbi confirmait qu’il était bien conscient des supplications de ma mère durant toutes ces années. Et je suppose qu’il avait été nécessaire qu’elle prie et supplie aussi longtemps pour que la bénédiction lui soit accordée.

Mme Aidel Springer - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

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