Samedi, 20 mai 2017

  • Behar - Be’houkotaï
Editorial

 Un livre pour aujourd’hui

Alors que le monde retentit de mille bruits, qu’il bruisse de mille rumeurs, que tout affirme qu’il entend occuper sa pleine place, la nature même semble se mettre à l’unisson de cette revendication. Tandis qu’elle était comme assoupie pendant les longs mois d’hiver, voici qu’elle ressurgit avec force. Sa vigueur est impressionnante et, d’une certaine façon, rassurante par sa régularité. Cependant, il faut garder à l’esprit que cette résurgence implique aussi la montée en puissance de tout ce qu’elle contient. Chaque jour plus présente, elle fait sentir tout son poids sur les créatures. Les arbres ont reverdi mais l’élan spirituel des hommes s’en ressent également. La chaleur du dehors devient ainsi une expression extérieure de celle du dedans. L’attrait de la matérialité se fait plus grand. C’est ainsi qu’une question essentielle se pose : comment maintenir un lien profond et vivant avec le spirituel quand tout appelle à l’inverse ?

Le peuple juif possède un chemin éternel. Depuis toujours, il nous a donné le moyen de surmonter les épreuves spirituelles ou matérielles du temps. Et il porte un nom, il s’appelle étude, réflexion, compréhension. Dans cette période qui suit la fête de Pessa’h et nous conduit au cœur de l’été, nos Sages ont instauré, chaque Chabbat, l’étude des Pirkei Avot – les maximes des pères. C’est un texte rare en notre époque. De fait, voici un livre qui décrit une vision du monde, un mode de comportement, une voie du lien avec D.ieu. L’ambition est si grande qu’elle semble avoir disparu de l’horizon des hommes. Pourtant cette somme de sagesse est mise à notre portée et elle nous fait entrer dans un autre univers.

A travers elle, des siècles de méditation sobre et de recherche spirituelle nous sont transmis. Ils nous donnent à vivre en un temps oublieux. Alors, c’est tout le tumulte du monde qui s’apaise. Il fait place à une sorte de sérénité venue de l’intérieur de chacun qui, par vagues, s’étend autour de nous jusqu’à faire de tout ce que nous voyons un lieu de bonheur et de paix. Et tout cela par un livre et une étude ? Justement, c’est là le secret largement partagé que nous avons en héritage. Le sort des hommes dépend sans doute de tels acquis. Il n’est que temps de s’en saisir. Certains diront peut-être que c’est là donner bien grand pouvoir à la réflexion et que, malheureusement, notre société ne s’en embarrasse pas autant qu’il faudrait. Les Pirkei Avot nous donnent aussi à le comprendre : tout peut être transformé. Grandeur de l’homme, puissance du livre.

Etincelles de Machiah

 Le statut de Moïse

Le Ari Zal nous enseigne (Likoutei Torah) qu’au temps de Machia’h, les Léviim deviendront des Cohanim. Il en résulte que Moïse, lui-même un Lévi, connaîtra alors une élévation similaire et sera le Cohen Gadol.

(d’après Or Hatorah, Chemot, p. 1586) 

Vivre avec la Paracha

 Behar Be’houkkotaï 

Behar

Sur le mont Sinaï, D.ieu communique à Moché les lois de l’année chabbatique : toutes les septièmes années, tout travail sur la terre doit être interrompu et ses produits rendus accessibles à tous, hommes et animaux.

Sept cycles chabbatiques sont suivis d’une cinquantième année : l’année du Jubilée au cours de laquelle tout travail de la terre cesse, tous les serviteurs liés par contrat sont libérés et tous les états ancestraux de la Terre Sainte, qui ont été vendus, reviennent à leurs propriétaires originels.

Behar contient également des lois supplémentaires concernant la vente de terres et les interdictions de fraude et d’usure.

Be’houkotaï

D.ieu promet que si le Peuple d’Israël observe Ses commandements, il jouira de prospérité matérielle et résidera en paix sur sa terre. Mais Il donne également un avertissement sévère et le menace de l’exil, de la persécution et d’autres maux qui s’abattront sur lui s’il abandonne son alliance avec Lui.

Toutefois, « même quand ils seront sur la terre de leurs ennemis, Je ne les rejetterai pas, pas plus que Je ne les haïrai, ne les détruirai ou ne briserai Mon alliance avec eux. Car Je suis l’Eternel, leur D.ieu ».

La Paracha se conclut avec les lois concernant la manière de calculer la valeur des différents types d’engagements pris pour D.ieu et la Mitsva de prélever un dixième des produits agricoles et du bétail.

Behar

Le fait que cette année nous lisions ces deux Parachiot, souvent séparées, nous incite à conclure qu’une leçon importante doit être tirée de chacune d’entre elles et de la combinaison des deux.

Trois termes sont utilisés pour évoquer le mont Sinaï. Il s’agit soit du « mont Sinaï », soit de « Sinaï », ou encore de « Behar », comme dans notre Paracha. Chacun évoque un niveau différent. Le Midrach indique que D.ieu choisit le mont Sinaï, pour donner la Torah, car c’était la moins élevée des montagnes. Il est donc ici question de mêler humilité (« la moins élevée ») et fierté (« des montagnes »). Le terme « Sinaï », quant à lui, met l’accent sur l’humilité et « Behar » insiste sur la fierté.

Chacun de ces trois niveaux s’applique à des moments différents. Généralement, il nous faut faire preuve des deux éléments. L’humilité est indispensable, ce qui ne signifie pas pour autant que nous ne devions pas manifester de la fierté, « un huitième de huitième de fierté », pour nous assurer que l’on nous traite avec l’estime que nous méritons. A d’autres moments, c’est sur l’humilité qu’il nous faut insister. Pour recevoir la Torah, il était absolument nécessaire que nous manifestions un effacement absolu de notre personne et l’on sait bien que Moché était « le plus humble des hommes sur la surface de la terre ».

Cependant, parfois, notre approche doit également souligner notre fierté. Bien qu’à propos de celui qui est orgueilleux le Talmud proclame : « D.ieu dit : ‘lui et Moi ne pouvons résider dans le même monde’ », à des occasions très spécifiques, il faut savoir faire preuve de fierté. Le Talmud déclare que « tous les enfants d’Israël sont des enfants de rois ». Un roi ne peut renoncer à l’honneur qui lui est dû.

Ce principe s’applique dans nos relations avec les nations du monde. Bien qu’il nous soit dit de ne pas être provocateurs et que « la loi du pays est la loi », cela ne s’applique que lorsque ces principes n’entrent en aucune façon en contradiction avec la Torah et les Mitsvot. Le cas échéant, nous devons prendre conscience du fait que « nos âmes ne sont jamais parties en exil », rester fermes, de toutes nos forces, et ne céder à aucune concession. Quand un Juif se trouve confronté à quelque chose qui pourrait affaiblir sa relation avec le Judaïsme et avec D.ieu, « les plus légers et les pécheurs d’Israël sacrifieront leur vie, montrant de la force et de la fierté dans le Judaïsme ».

Ce type de fierté n’entre pas en contradiction avec l’humilité. Un roi n’avait pas le droit d’honorer quiconque en public mais en privé, il convenait qu’il honore les Sages. Le Rambam loue le roi Yehochaphat qui se levait de son trône lorsqu’un Sage pénétrait son espace privé, l’embrassait, l’appelant : « mon Maître, mon professeur ».

Be’houkotaï

Be’houkotaï décrit les mitsvot que l’on appelle ‘houkim, « décrets ». Ce sont les lois irrationnelles dont il est dit : « Tu n’as pas la permission d’y réfléchir ». Elles dépassent totalement tout entendement humain.

Ce qui est étonnant est le fait que juste après la phrase « si tu observes Mes décrets… », D.ieu promet des bénédictions matérielles et des bénédictions spirituelles. Comment ces promesses peuvent-elles être en accord avec la nature irrationnelle des ‘Houkim ? Il semblerait que ces bénédictions constituent elles-mêmes une raison de les accomplir : celle de recevoir ces récompenses !

En fait, cet engagement que D.ieu nous demande à l’égard des ‘Houkim doit s’étendre à toutes les catégories de lois, celles qui sont d’emblée logiques (ne pas tuer, par exemple) ou celles que D.ieu rend rationnelles (le Chabbat ou les Fêtes). Il nous faut toutes les accomplir non parce que nous les comprenons mais parce que « D.ieu nous a sanctifiés par Ses commandements et nous (les) a ordonnés ».

Quand bien même nous réalisons que nous serons récompensés si nous les accomplissons, et l’inverse, le cas échéant, notre véritable intention doit être exclusivement d’accomplir la volonté de D.ieu. Chaque Mitsva établit un lien entre le Juif et D.ieu mais notre implication doit aller encore au-delà : il s’agit d’unir notre âme divine à D.ieu. C’est là la leçon de Be’houkotaï : accomplir les Mitsvot parce qu’elles émanent de la volonté Divine.

Behar-Be’houkotaï

Apparemment, ces deux Parachiot semblent, par nature, contradictoires. Behar met l’accent sur la fierté alors que Be’houkotaï insiste sur l’effacement de soi devant la transcendance de D.ieu.

Mais en fait, chacune de ces attitudes est nécessaire au moment opportun. Avant de prier, il nous faut méditer sur « l’humilité de l’homme », c’est le service de Be’houkotaï. Après la prière, l’on étudie la Torah. Et bien que l’humilité soit une caractéristique qui doit définir le Peuple juif, lorsqu’il s’agit des « guerres de la Torah », il nous faut adopter une position de force, le service de Behar.

La combinaison de ces deux services peut trouver une application dans nos relations à l’égard de notre prochain. Nous devons aimer notre prochain « comme nous-mêmes » mais en même temps, veiller à le « rapprocher de la Torah », c’est-à-dire, adopter une position forte et ne pas abaisser la Torah à son niveau.

C’est en aimant notre prochain, en le rapprochant de la Torah, avec une joie véritable, que nous nous avançons vers l’Ere Messianique.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Birkat Cohanim ?

Les Cohanim (descendants de Aharon, le Grand-Prêtre) ont la Mitsva de bénir les Enfants d’Israël (Bamidbar – Nombres 6 : 22 à 27) : « Ainsi vous bénirez les Enfants d’Israël, qu’ils disent : Que D.ieu te bénisse et te protège. Que D.ieu éclaire Sa face vers toi et t’accorde Sa grâce. Que D.ieu élève Sa face vers toi et t’accorde la paix ».

En Israël, les Cohanim bénissent les fidèles tous les jours. En Diaspora, cette cérémonie de Birkat Cohanim ne s’effectue que les jours de fête.

On ne regarde pas les Cohanim quand ils élèvent leurs mains pour bénir les fidèles car la Che’hina (la Présence Divine) réside sur leurs mains : c’est pour cela qu’ils se couvrent le visage et les mains avec leur Talit (châle de prière). Cependant, le fidèle doit se trouver face au Cohen et non derrière lui. Il est d’usage que les fidèles aussi se couvrent le visage avec leur Talit : celui qui n’a pas de Talit se place sous le Talit de quelqu’un d’autre. Le père de famille prend ses enfants – même nourrissons - sous son Talit pendant la bénédiction des Cohanim. Ainsi, chacun peut se concentrer sur chacun des mots prononcés par le Cohen.

L’officiant lit chaque mot des bénédictions et les Cohanim les répètent, mot à mot. L’assemblée écoute attentivement et répond Amen à la fin de chacune des trois bénédictions.

Quand les Cohanim entonnent les trois derniers mots, les fidèles murmurent une prière pour demander que tous les rêves soient de bons présages ; cependant, il faut écouter attentivement les mots prononcés par les Cohanim.

(d’après Pinat Hahala’ha - Rav Yossef S. Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Juste au bon moment

(Suite du récit de la semaine dernière. Résumons : après avoir découvert qu’elle avait été adoptée, Malka (nom d’emprunt) a du mal à admettre son judaïsme. Le Rabbi lui apprend qu’elle n’a pas été abandonnée mais que ses vrais parents étaient décédés dans un accident de voiture ; il lui indique même le cimetière où ils sont enterrés. Fâchée avec la communauté juive, Malka part s’installer dans un village où n’habite aucun Juif).

Presque chaque année, je respectai ma promesse faite au Rabbi et j’allais lui rendre visite à New-York. A chaque fois, il me demandait d’ajouter quelque chose à mon observance des lois de base du judaïsme. Ainsi, une fois, il me demanda de respecter aussi les jours de fêtes juives. Je protestai : « Vous m’aviez demandé de respecter le Chabbat mais pas les jours de fête ! ». Il sourit et précisa : « La Torah appelle aussi les jours de fêtes du nom de Chabbat ! ». Je trouvai qu’il exagérait un peu pour ainsi dire et marchandai : « Depuis quand ? ». Il répondit : « Nous commençons à compter l’Omer ‘le lendemain de Chabbat’. Or, nos Sages affirment qu’il s’agit du lendemain de la fête de Pessa’h qui est appelé Chabbat même si c’est un jour de semaine ! Donc vous devez étendre votre promesse et n’effectuer aucun travail interdit également les jours de fêtes ! ». Le Rabbi insista gentiment mais fermement. Bien que je sois entêtée, j’ai dû accepter : il n’y avait pas de compromis possible avec le Rabbi, il sortait toujours vainqueur de nos discussions…

Environ dix ans après la mort de mes parents adoptifs, alors que j’avais décidé de fuir aussi loin que possible, un jeune rabbin sonna à ma porte et me demanda si j’étais juive. J’étais absolument abasourdie car je pensais que jamais personne ne me retrouverait ici, dans ce village perdu mais, après un moment d’étonnement, je répondis par l’affirmative. Et, évidemment je lui demandai à mon tour : « Comment le savez-vous ? ».

Il expliqua que le Rabbi lui avait demandé d’apporter une boîte de Matsot dans ce village et de la remettre au (seul) Juif qui y habitait. On ne lui avait donné aucun nom, adresse ou autre renseignement mais, comme il était un émissaire loyal du Rabbi, il s’était mis en route, bien décidé à remplir sa mission.

Arrivé dans le village, il avait demandé aux gens qu’il rencontrait s’il s’y trouvait un Juif. Chacun répondit en hochant la tête : non personne n’était au courant de la présence d’un Juif quelconque. Et pour cause : je m’étais bien gardée de signaler à qui que ce soit que j’étais juive. Finalement, quelqu’un réfléchit et suggéra que, peut-être, j’étais juive puisque j’étais la seule personne du village à ne jamais fréquenter l’église.

Effectivement, on m’avait souvent invitée à me joindre à mes voisins et à assister aux offices religieux. La pression sociale se faisait de plus en plus insistante et j’avais décidé que, le dimanche suivant, je me joindrais aux paroissiens. Après tout, me disais-je, ce n’était pas très important : j’étais juive et le resterais quoi qu’il arrive. Fréquenter l’église une fois de temps en temps me permettrait de me fondre dans la population ambiante et ne devait pas être interprété comme un acte religieux.

Et c’était exactement la semaine où j’allais céder à la pression, une ou deux semaines avant la fête de Pessa’h, que ce jeune rabbin avait sonné à ma porte !

Cela me fit longuement réfléchir : le seul signe qui lui avait permis de me trouver, de savoir que, peut-être, j’étais juive, était le fait que je ne me rendais pas, jamais, à l’église ! Et ce fut la seule fois où je recevais quelque chose du Rabbi : il savait que j’en avais besoin justement maintenant et il m’envoyait comme un message, m’indiquant qu’il continuait à veiller sur moi.

La « stratégie » qu’il avait employée était « imparable » si je peux m’exprimer ainsi : s’il avait demandé à son émissaire de m’apporter ces Matsot en lui donnant mon nom, je n’aurais jamais compris que cela signifiait que je devais éviter d’aller à l’église. J’aurais été heureuse qu’il m’envoie des Matsot mais je n’aurais peut-être pas fait le rapprochement avec ma décision de céder à la pression du village. Il me l’avait fait comprendre par moi-même, sans m’y obliger directement. Ainsi, je pris de moi-même la décision de ne pas entrer dans ce bâtiment et je m’y tiens encore maintenant, des dizaines d’années après.

Un récit sans message positif représente une occasion manquée. J’entends (ou plutôt je lis) des réactions de jeunes gens qui sont en colère, qui sont déçus par ce qu’ils ont perçu comme des injustices à leur encontre. Parfois, ces jeunes gens de familles pratiquantes choisissent de se rebeller contre leurs parents, contre le judaïsme, contre la communauté ; ils se tournent vers des modes de vie qui s’apparentent à du suicide spirituel ou même physique avec des conduites destructrices visant à gâcher leurs corps et leurs âmes. Écoutez bien mon message : je suis passée par là et je m’y suis adonnée moi aussi.

Si quelqu’un peut être en colère contre D.ieu, c’est moi. Orpheline deux fois – de mes parents biologiques que je n’ai jamais connus et de mes parents adoptifs que j’aimais. Je n’avais qu’un point d’attache au judaïsme et c’était le Rabbi. Je continue de respecter le Chabbat et la cacherout comme il me l’avait demandé : j’ai même construit un Érouv autour de ma propriété afin de pouvoir passer le Chabbat dans mon jardin avec un livre et mon repas.

J’aurais le droit d’être en colère – comme certains d’entre vous le ressentent. J’ai une tendance à me rebeller ! Mais je reste une enfant de D.ieu et le Rabbi m’a affirmé que D.ieu m’aime, même si je suis en colère contre Lui. J’honore la promesse que j’avais faite il y a si longtemps. Un jour peut-être, je comprendrai. Ou peut-être jamais. Mais, ainsi qu’on me l’a appris à l’école juive qu’enfant, j’ai fréquentée, ma vie ne concerne pas uniquement moi : « Si je ne vis que pour moi, que suis-je ? ». Par moi-même, je suis insignifiante. Mais en nous connectant à quelque chose de plus haut que nous, vous et moi atteindront des niveaux très hauts. C’est pourquoi je vous conseille et plus encore, je vous supplie : même si maintenant vous vous sentez d’humeur rebelle, restez attaché à plus haut que votre personne !

Moi, la fille rebelle, je demande à vous, les fils et filles rebelles (parce qu’aucun Juif ne peut être qualifié de « méchant ») d’apprécier ce que vous avez, quelle que soit votre famille, quoi que vous puissiez lui reprocher. Car quoi qu’il arrive, nous ferons toujours partie du peuple juif.

Malka (nom d’emprunt)

Rav Chalom Avtzon - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki

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