Ma carrière de bactériologiste débuta il y a des années alors qu’éclata une épidémie due à des staphylocoques résistant à la pénicilline. J’effectuai à cette époque de nombreuses recherches, je trouvai des microbes sur les murs des hôpitaux, dans les conduits d’air des buanderies et des salles d’opération. Je réussissais très bien dans mon travail, me forgeais une réputation nationale puis internationale dans le domaine du contrôle des infections, de la désinfection, de la stérilisation et de la quarantaine.

En 1969, je rencontrai des épidémiologistes anglais qui me proposèrent de prendre un congé de l’université du Minnesota - où j’enseignai et où j’avais obtenu un diplôme de bactériologie médicale - afin de passer quelques mois à Londres pour observer comment les maladies se propageaient dans les hôpitaux et comment leurs techniques pouvaient empêcher ce phénomène inquiétant.

Les gens vont à l’hôpital pour guérir et c’est bien là toute la mission des structures hospitalières. Malheureusement, trop souvent, les gens vont à l’hôpital et se retrouvent infectés. C’est très insidieux mais pourquoi cela arrive-t-il ? Le fait est que des gens malades s’y rencontrent et certains sont porteurs d’infections transmissibles ; il est difficile de déterminer un système qui permettrait d’isoler les cas les plus dangereux.

Les épidémiologistes de Londres cherchaient à cerner le cycle des infections à l’intérieur de leurs structures hospitalières et, quand ils m’invitèrent à étudier leurs techniques, je demandai au Rabbi sa bénédiction. J’avais eu l’occasion depuis plusieurs années de correspondre avec le Rabbi et de constater combien son opinion était précieuse dans tous les domaines.

J’étais très fier d’avoir été invité par ces spécialistes de l’hôpital St Bartholomew qui étaient à l’époque les leaders de l’étude épidémiologique sur les bactéries résistantes aux antibiotiques (l’un d’entre eux a, depuis, été décoré comme knight par la reine d’Angleterre). Quand je mentionnai tout cela au Rabbi, il me demanda de lui envoyer une copie du protocole de recherche que j’avais l’intention de mener.

Bien sûr, je le lui envoyai parce que, je l’avoue honnêtement, je voulais que le Rabbi soit impressionné par mes performances.

Le Rabbi lut mon protocole et remarqua : « C’est très, très bien ! Bien sûr, je n’ai pas compris la majorité de ce qui est écrit mais c’est vous qui êtes le spécialiste dans ce domaine, donc je vous souhaite beaucoup de succès. Mais si vous demandez mon opinion, il serait peut-être plus judicieux de vous intéresser à un autre domaine ».

J’étais stupéfait d’entendre cela. Comment pourrais-je abandonner ce projet et m’intéresser à un autre domaine alors que je venais d’obtenir une opportunité en or pour étudier cela ?

Mais le Rabbi s’expliqua : « Pourquoi n’essayez-vous pas d’étudier d’abord pourquoi ces bactéries deviennent résistantes ? Si un microbe est sensible à la pénicilline puis devient résistant, comment cela se fait-il ? ».

Oye oye, pensais-je intérieurement !

J’étais si fier de ce que j’allais étudier mais la suggestion du Rabbi impliquait que je bouleverse complètement mon plan de carrière. Je devrais retourner en arrière, étudier beaucoup de biologie moléculaire et de génétique - ce qui ne m’intéressait pas outre mesure. Moi, ce qui me passionnait, c’était le déroulement de l’épidémiologie et l’étude de la transmission des maladies.

De fait, j’ose affirmer que tous les épidémiologistes adorent l’idée de résoudre des mystères. C’est fascinant de briser une chaîne d’infection - le genre de scénario dont le cinéma raffole. Les producteurs de films ne sont pas intéressés par les progrès pas à pas des généticiens que seuls les tenants de la biologie moléculaire comprennent.

Mais d’une certaine manière, le Rabbi avait compris que ces investigations apporteraient des solutions bien plus constructives. Dans une lettre qu’il m’adressa le 5 mai 1969, il s’expliqua plus en détail :

« D’habitude je me retiens d’exprimer une opinion sur un sujet qui ne relève pas de mon champ de compétences. Cependant, après avoir jeté un coup d’œil sur le programme détaillé de recherche que vous aviez inclus dans votre lettre, j’ai décidé d’émettre une observation.

Je ne parviens pas à trouver dans votre sujet un aspect qui, à mon humble avis, devrait éveiller un intérêt particulier. Je veux parler ici de la reconnaissance que certains microbes et infections sont spécifiques dans les hôpitaux - et, à mon avis, ce point soulève un certain intérêt dans la littérature concernée… Il est donc très possible que les méthodes de contrôle des infections qui sont productives ailleurs puissent perdre de leur effet… parce que l’environnement de l’hôpital aurait produit certains traits dans certaines bactéries - ce qui les aurait immunisées dans cet environnement spécifique.

Je ne sais pas si l’omission de cet aspect dans votre projet est dû au fait qu’une période d’étude de trois mois ne serait pas suffisante pour inclure une investigation dans ce domaine. Sans aucun doute, cela impliquerait qu’il faille distinguer les bactéries « immunisées » de celles qui ne le sont pas etc. Il faudrait aussi changer les méthodes de stérilisation, de contrôle des infections et d’observation clinique etc. Peut-être, simplement, cette question ne fait pas partie de la mission qui vous est impartie. Cependant, elle me semble être d’une importance évidente… ».

La direction que le Rabbi aurait voulu que je prenne alors est devenue depuis la question scientifique numéro un. Si vous regardez la liste des Prix Nobel attribués pour les récentes découvertes en médecine et en physiologie, vous constaterez que le domaine de prédilection est la biologie moléculaire qui permet de mieux comprendre la résistance aux antibiotiques.

Il y a quarante ans, le Rabbi était conscient de cela ! Il m’avait indiqué : « Velvel, si vous me demandez mon avis, il serait plus judicieux d’explorer ce domaine… ».

Il avait donné son avis avec une telle modestie, en précisant : « Vous êtes le spécialiste, je ne comprends pas ce domaine… J’ai sans doute tort… ».

Mais il avait parfaitement raison.

Bien que je n’aie pas suivi son conseil, en rétrospective je ne peux qu’être stupéfait de la vision du Rabbi. Il n’avait aucune qualification en bactériologie ou biologie moléculaire mais il avait anticipé - avec au moins quatre décades d’avance - ces développements de la science moderne. J’en ressens des frissons dans le dos quand j’y pense maintenant : j’aurais certainement dû suivre son conseil.

A l’époque, le Rabbi m’avait donné sa bénédiction pour le succès de mes études. Je suis parti en Angleterre et j’y ai appris beaucoup de choses. Nous avons résolu certaines épidémies mais nous n’avons pas trouvé la réponse à la question de base qu’avait posée le Rabbi.

Dr Velvel Greene (1928 - 2011) fut un bactériologiste, enseignant à l’université du Minnesota et l’Université Ben Gurion à Beersheva en Israël. Il avait travaillé pour la NASA, dans un programme chargé de trouver des traces de vie sur la planète Mars.

JEM

Traduit par Feiga Lubecki