Mes parents avaient survécu aux horreurs de la Shoah en Biélorussie ; moi-même, je suis né dans un camp de « personnes déplacées » juste après la guerre. Mes parents étaient pratiquants et ma langue maternelle fut le yiddish. En 1950, nous avons émigré aux États-Unis : j’étais pratiquant, observais le Chabbat et, à partir de ma Bar Mitsva, je mis les Téfiline chaque jour.
Mais après avoir remarqué des défauts chez les uns et les autres (nul n’est parfait…) et parfois un peu d’hypocrisie, je me suis posé des questions et, au milieu des années 60, j’ai tout rejeté en bloc. Etudiant en droit, je me suis intéressé à la musique avec succès puisque j’ai été remarqué par des vedettes. J’ai même accompagné le groupe des Rolling Stones dans leur tournée d’été en 1972 : cela m’a donné l’occasion d’observer en deux mois plus de conduite dépravée que la plupart des gens pourront en voir durant toute une vie. Tout ceci me dégoûta profondément.
A l’université de Buffalo, j’avais tissé des liens avec Rav Nathan Gurary, l’émissaire du Rabbi. Je lui posai mes questions en rafale et il conclut : « Il n’y a qu’une personne qui peut vous répondre : c’est le Rabbi ! ». Ce concept de Rabbi – quelqu’un qui comprend votre âme – m’était totalement étranger et pourtant, le même jour, je me rendis à l’adresse indiquée par Rav Gurary : 770 Eastern Parkway à Brooklyn. Je me souviens que c’était un jour glacial de janvier, en 1973.
On m’avait signalé que je pourrais m’approcher du Rabbi et lui parler brièvement quand il reviendrait de sa journée de prières au tombeau de son beau-père, le Rabbi précédent : il entrerait alors au 770 pour la prière de Min’ha. Je l’attendis donc dans le froid. Je portais des bottes en peau de serpent, un jean serré, une chemise en coton et une jaquette en cuir. Je suppose que je me suis fait remarquer avec ma tenue peu conventionnelle et mes cheveux hirsutes qui m’arrivaient aux épaules.
Une limousine s’arrêta et le Rabbi en sortit. Comme le yiddish était ma langue maternelle, je ressentis qu’il serait normal de m’adresser au Rabbi dans cette langue :
- Excusez-moi, vous êtes bien le Rabbi de Loubavitch ?
Nos yeux se croisèrent. De toute ma vie, je n’ai jamais vu des yeux pareils. Et soudain je me suis senti comme transporté dans une autre dimension, comme si rien d’autre n’existait autour de nous et que nous étions tous les deux seuls dans le vaste monde. Pour moi, ce fut une expérience spirituelle fabuleuse.
Il ne répondit pas : oui, je suis le Rabbi ou : non, ce n’est pas moi. Il répondit juste :
- Comment vous appelez-vous et d’où venez-vous ?
Je déclinai mon nom, expliquai de quelle ville je venais et d’où venaient mes parents.
- J’ai une question, continuai-je.
- Demandez !
- Où est D.ieu ?
- Partout, répondit-il.
- Je sais, mais où ? insistai-je.
- Partout, dans tout ! Dans chaque arbre, dans chaque pierre…
Devant ma moue peu satisfaite, le Rabbi continua :
- Il est dans votre cœur – si c’est cela que vous demandez…
Cette réponse me stupéfia. J’avais passé des années à l’école juive dans ma jeunesse mais je n’avais jamais appris que D.ieu pouvait se trouver dans mon cœur.
A ce stade, je demandai la permission de parler en anglais parce que je n’arriverais pas à exprimer en yiddish tout ce que j’avais besoin de comprendre. Il accepta.
- Quand nous disons le Chema : « Écoute Israël, l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est Un », cela signifie-t-il qu’il existe un seul D.ieu pour tous les êtres humains, qu’ils soient noirs, indiens ou juifs ?
- La mission de l’homme noir est d’être ce qu’il est : un homme noir ; et celle de l’Indien est d’être ce qu’il est : un Indien. Quant au Juif, il est lié à D.ieu par la Torah et ses commandements !
Pour moi, ces mots représentaient une véritable révolution.
En tout, nous avons dû parler une quinzaine de minutes sur les marches du 770, alors que le froid mordant de janvier était insupportable. A la fin de notre conversation, il me confia deux missions : étudier le Kitsour Choul’hane Arou’h (le Code de Lois Juives abrégé) en anglais et mettre chaque jour les Téfiline.
Je me cabrai : étant donné mon style de vie, j’estimai qu’il m’était impossible de m’engager à mettre régulièrement les Téfiline. Mais il persista :
- Vous le pouvez et vous le ferez !
Puis le Rabbi m’expliqua que si j’observais les lois de la Torah, ce serait pour moi une source de bénédictions ; sinon, ce serait différent, « cela vous amènera à être piétiné » comme il le formula.
Pendant tout ce temps, il avait continué de me regarder droit dans les yeux – comme si nos yeux étaient cadenassés et je fus le premier à détourner le regard. C’est alors que je réalisai que des dizaines de jeunes ‘Hassidim se tenaient autour de nous, ébahis, comme se demandant : « A qui le Rabbi parle-t-il si longtemps ? Et qui a l’audace de retenir le Rabbi dans un froid pareil ? ».
A ce point, je me mis à pleurer. Le Rabbi entra dans la synagogue pour la prière de Min’ha.
Je repartis de là en réalisant que je venais de rencontrer un homme poursuivant totalement la vérité, d’une sincérité absolue. Mais il me fallut un certain temps pour que ses paroles imprègnent tout mon être, environ trois mois. C’est alors que je me remis à mettre les Téfiline, ce que je n’avais pas fait depuis des années. Depuis, je peux affirmer que je n’ai jamais arrêté et, comme le dit la Michna : « Une Mitsva amène à une autre Mitsva ». Petit à petit, je repris l’habitude de prier puis un jour, je réfléchis : « Comment les lèvres qui prononcent des paroles sacrées, qui louent D.ieu, peuvent-elles manger des aliments interdits ? ». Petit à petit, je me remis donc à manger cachère. Puis j’étudiai le Kitsour Choul’hane Arou’h comme le Rabbi me l’avait demandé et, au fil des années, mon observance du judaïsme a progressé.
Aujourd’hui, j’ai quatre beaux enfants qui sont tous pratiquants.
Et tout ceci, c’est parce qu’un jour d’hiver glacial j’ai parlé avec le Rabbi. Grâce à lui, toute ma vie a changé ainsi que la vie de nombreuses personnes que j’ai pu influencer. Toutes pour le bien. Toutes pour la bénédiction.
Elliot Lasky (entrepreneur) – Monsey (New York) - JEM
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 18 mai 2021