C’est un entrefilet dans le grand journal juif américain Jewish Press qui attisa la curiosité de l’enfant Touvia Wertheim. Il avait douze ans. A l’âge d’un an, il avait perdu son père ; sa mère l’avait placé dans une famille d’accueil dans un village perdu, Leeds aux États-Unis dont la majorité des habitants étaient des Chrétiens fervents.

Ce fut justement le père adoptif, pourtant chrétien dévot, qui veilla à ce que l’enfant sache qu’il était juif : il lui fit lire la Bible et même l’envoya une fois par semaine étudier au Talmud Torah. Ce n’est que des années après sa mort que Touvia découvrit que la mère de ce père adoptif était juive et que donc, lui aussi était juif.

Dans le village, il y avait quelques Juifs âgés qui invitaient Touvia à manger dans leur Souccah pendant la fête. Par la suite, Touvia se rendit chaque Chabbat à la synagogue et s’efforça de respecter les quelques Mitsvot qu’il découvrait. Il savait qu’on mangeait dans la Souccah mais ignorait ce qu’étaient ces Quatre Espèces végétales qui étaient évoquées dans cet entrefilet. Il y était annoncé que le mouvement Loubavitch s’engageait à envoyer à toute personne qui en ferait la demande un set des Quatre Espèces contre une somme symbolique. Touvia n’avait pas d’argent. Mais, le cœur battant, il expédia une carte postale à l’adresse indiquée et y colla un billet d’un dollar. Il ne s’attendait vraiment pas à une réponse quelconque.

Pourtant, quelques jours, plus tard, il reçut un petit colis contenant les Quatre Espèces avec une notice expliquant comment procéder pour la bénédiction. Cet envoi l’émut tellement et il en fut si heureux que ces Quatre Espèces ne le quittèrent pas durant toute la fête. Depuis lors, tous les ans, il reçut à son adresse dans ce village perdu les Quatre Espèces à l’approche de la fête de Souccot ainsi qu’une boîte de Matsot Chmourot avant la fête de Pessa’h.

Plus tard, Touvia grandit et fut enrôlé dans l’armée. C’était dans les années 60, l’époque de la guerre du Vietnam. Dans la base en Caroline du Nord où il devait s’entraîner, on ne voyait pas d’un bon œil son entêtement à respecter le judaïsme mais Touvia exigea de rencontrer un aumônier Loubavitch qui lui procura à chaque fois les Quatre Espèces, les Matsot, la nourriture cachère et différents objets de culte. Il reçut une permission spéciale de pouvoir porter un Talit Katane avec des Tsitsit sous son uniforme ainsi que le droit de se laisser pousser la barbe. Après une courte période d’entraînement, il fut envoyé au front et chargé de missions dangereuses comme la libération de prisonniers américains pour éviter qu’ils ne soient transférés aux mains de l’armée soviétique : « Lors de ces missions, nous étions vingt-cinq à y participer mais seuls cinq d’entre nous revenaient vivants… » rappelait-il avec amertume. Il réussit à sauver un jour un pilote, le lieutenant-colonel Kenon Bad qui avait été détenu et torturé durant trois ans dans des conditions abominables. Cet homme était si faible que Touvia avait dû le porter sur son dos pendant soixante jours, dans des chemins tortueux.

Malgré l’immensité de la tâche, Touvia veilla à ne manger pendant cette opération que des aliments cachères, à porter les Tsitsit et à mettre chaque jour les Téfilines. Finalement ils parvinrent à Bangkok en Thaïlande et là, Touvia confia le pilote à l’ambassade américaine puis continua sa vie.

Quand éclata la Guerre de Kippour en 1973, Touvia ressentit qu’il devait agir pour protéger la Terre Sainte. Durant Souccot, il attendit avec impatience la réouverture des vols vers Israël et bâtit une grande Souccah dans la cour de l’université où il étudiait. C’est là qu’il rencontra Paula qu’il épousa et, un an plus tard, ils montèrent en Israël et y fondèrent une grande famille, d’abord à Jérusalem puis à Beth Chemech pour se rapprocher de leurs enfants mariés.

Un Chabbat, il se rendit avec son fils à une grande réunion ‘hassidique dans un autre quartier de la ville. Autour de la table bien garnie, chacun fut invité à se présenter et on demanda à Touvia d’où il connaissait le mouvement ‘Habad. Il raconta alors cette toute première fois où on lui avait envoyé les Quatre Espèces puis les Matsot Chmourot et poursuivit avec ses souvenirs d’ancien combattant au Vietnam.

C’est alors que se leva un des participants et tous comprirent en le regardant qu’il était très ému.

- Votre code d’identification dans l’armée américaine était-il bien tel et tel ? demanda-t-il à Touvia.

- Oui ! s’exclama Touvia. Comment le savez-vous ?

- Le père de mon ami qui est assis à côté de moi, dit-il en désignant son voisin de table qui ne pouvait s’empêcher de pleurer, était le pilote que vous avez sauvé ! Mon ami est trop ému pour pouvoir parler car c’est absolument incroyable que nous puissions vous rencontrer après tant d’années. Nous étions voisins aux États-Unis et très souvent, son père me racontait comment un soldat juif pratiquant l’avait sauvé au péril de sa vie et dans des conditions extrêmes. Pendant deux mois, il l’avait porté sur son dos. Ce dévouement avait poussé le pilote à s’intéresser au judaïsme, au peuple juif et à ses valeurs. Finalement, mon ami et moi-même nous avons décidé de tout mettre en œuvre pour aider ce peuple si dévoué en toutes circonstances et c’est pourquoi nous sommes montés nous aussi en Israël ! Comme nous sommes heureux de vous avoir enfin retrouvé !

Touvia Wertheim – Sichat Hachavoua N° 1605

Traduit par Feiga Lubecki

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