Du saumon, des harengs marinés sur un lit de salade verte, des petits pains au chocolat, des croissants et des œufs durs puis des gâteaux à la crème… un repas typique pour une Brit Mila, une circoncision. Puis, selon la taille de la réception, quelques bouteilles de vodka et de vin… Mais que servir quand il s’agit de votre propre Brit Mila ?
Lors de cet étouffant été 1976, un bébé naquit à Paris, d’une mère juive américaine et d’un père français. A cause d’une maladie et d’un manque de liens avec toute communauté juive, il n’y eut ni saumon ni petits pains au chocolat le huitième jour de sa vie. Ni Brit Mila.
Maintenant que j’ai trente ans, j’ai eu tout le temps nécessaire pour réfléchir et entendre les arguments – laïcs et religieux – pour ou contre la circoncision. Traditionnellement, la Brit Mila est effectuée à la maison ou à la synagogue, par un «Mohel», quand le bébé est âgé de huit jours et qu’il est tendrement tenu dans les bras de son grand-père, ému et honoré. Ce lien indélébile est particulier au peuple juif et cette pratique est somme toute irrationnelle en bien des aspects : couper une partie de sa chair ? Et à un âge si tendre ? Tenter de l’expliquer à quelqu’un ou même à soi-même est difficile. Certains prétendent que ceci fut effectué pour des raisons d’hygiène, lors du long périple de quarante ans de notre peuple dans le désert. La médecine moderne affirme que c’est bénéfique pour éviter la propagation de maladies infectieuses. Mais de fait, comme beaucoup d’autres lois du judaïsme, nous n’en connaissons pas la véritable raison. Et nous, les Juifs, nous agissons d’abord selon la volonté de D.ieu puis nous posons des questions.
Alors que j’écris ces lignes, je me suis complètement remis de l’opération qui m’a fait entrer dans l’alliance d’Avraham, D.ieu merci. En comparaison avec Avraham – qui s’est opéré lui-même à l’âge de quatre-vingt dix-neuf ans avec seulement l’aide de D.ieu – je peux déclarer que j’ai été bien entouré. Le Mohel, Rav Shohet était calme, c’est un excellent praticien qui a su me réconforter avant et après. Rav Loschak et Rav Kudan m’ont enseigné les principes fondamentaux du judaïsme et m’ont accompagné tout au long de cette expérience. Je suis certain que, sans leur présence, j’aurais fait demi-tour sur la route m’emmenant vers le Mohel.
J’étais prêt. Je savais que plus j’attendais, plus j’allais retarder ma Brit Mila, moins il y avait de chances que je l’effectue. Alors nous avons fixé la date : le dimanche avant Pourim. Puis nous avons remarqué que c’était un jour très favorable : l’anniversaire de la naissance mais aussi de la mort de Moché Rabbenou, Moïse notre maître. Je décidai alors d’honorer pleinement Moché en choisissant Moché comme mon nouveau prénom hébraïque.
Mon Mohel avait été invité à m’opérer dans la luxueuse maison d’un entrepreneur d’origine russe, M. Kruper.
Sa salle à manger était de style classique européen et, au mur, pendaient un tableau figurant la Volga en hiver mais aussi un poster aux couleurs un peu fanées, représentant le propriétaire des lieux face au Rabbi de Loubavitch. Le cadre était élégant mais abritait une véritable maison juive, ouverte et chaleureuse. Tandis que nous nous installions, Mme Kruper se trouvait dans la cuisine et épluchait une montagne de pommes de terre.
Sans entrer dans des détails inutiles, disons que nous avons mis les Téfilines, prié, chanté et raconté des histoires. En quelques minutes, tout fut terminé et, grâce à D.ieu, je fais maintenant partie intégrante de la communauté. Un grand poids a été ôté de mes épaules car j’ai enfin accompli cette Mitsva qui m’attendait depuis trente ans. Une Mitsva, ce n’est pas juste une bonne action mais c’est une obligation qui permet au Juif de se rapprocher sans cesse davantage de D.ieu aussi bien spirituellement que physiquement. Peut-être ma prochaine Mitsva me conduira-t-elle sous la ‘Houppa, le dais nuptial ?
Alors pourquoi ai-je choisi de me faire enfin circoncire ? Au niveau intellectuel, disons que je l’ai effectuée pour aider à la libération des trois soldats israéliens kidnappés, pour faire réfléchir mes amis qui ont contracté des mariages mixtes et qui prévoient des repas d’anniversaire pour le saint jour de Yom Kippour, pour mes grands-parents qui se parlaient en yiddish quand ils ne voulaient pas que les enfants les comprennent, pour mon grand-oncle français et non-juif qui survécut à dix-huit mois de déportation à Auschwitz, pour la mémoire du reporter juif américain Daniel Pearl, pour ma mère qui déplore le fait que j’adhère à une secte, pour les émissaires du Rabbi qui répandent le message et la joie de la Torah, pour le dément dictateur iranien qui nie la Shoah, pour des siècles de tradition, pour les autres Français et Russes qui devraient aussi fixer un rendez-vous avec le Mohel, pour la venue du Machia’h (puisse-t-il se révéler encore aujourd’hui), pour ma future femme qui allumera les bougies de Chabbat, pour le D.ieu de nos ancêtres Avraham, Its’hak et Yaakov…
Mais une telle décision entraînant une expérience aussi cruciale ne peut se comprendre qu’au niveau spirituel. Croyez-moi ! Je suis passé par là !
Je vous en prie, venez ce Chabbat à la synagogue ! C’est moi qui offrirai le Kiddouch, le petit repas qui suit l’office. Et il y aura plein de petits-fours, de saumon et de champagne !
Elie Fouere – capitaine dans l’US Army
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 25 octobre 2017