Quand Elsie emménagea dans son nouvel appartement, elle enleva la Mezouza de la porte d’entrée. L’ancien étui s’était cassé tandis qu’elle avait ôté les clous ; le parchemin contenant les paragraphes du Chema avait jauni et s’émietta dans sa main. Elle l’emballa dans un petit sac plastique et le fourra dans sa boîte à couture. Puis elle se mit à nettoyer sa nouvelle cuisine. 
Shel son mari apprécia l’initiative. Il avait eu une dure journée et attendait avec impatience sa tasse de thé : «Enfin tu l’as fait ! Très bien !» approuva-t-il tout en remuant le sucre dans la tasse et en tournant les pages du journal du soir.
- J’avais dit que je le ferai ! remarqua-t-elle calmement.
- Mais que va dire ta mère ?
- C’est ma maison, elle ne dira rien !
Elsie avait raison. Quand Madame Klein rendit visite à sa fille dans son nouvel appartement, elle avait les bras chargés de jouets pour sa petite-fille de quatre ans. Elle remarqua immédiatement la place toute en longueur laissée vide sur le linteau de la porte. Elle se pinça les lèvres pour ne rien dire qui puisse choquer sa fille et son gendre et appela la petite Myriam pour lui remettre son cadeau de ‘Hanouccah, une adorable poupée aux cheveux roux.
Deux ans plus tôt, Elsie et son mari avaient adhéré au Parti. Madame Klein s’était alors aussi pincé les lèvres ; elle savait ce que cela signifierait pour sa fille : plus de bougies de Chabbat et de ‘Hanouccah, plus de Matsot à Pessa’h, plus de livres de prières en hébreu dans la maison… Madame Klein avait élevé sa fille dans une atmosphère pratiquante mais tout ce qu’elle avait voulu lui transmettre serait perdu pour la génération suivante. 
Elsie avait remarqué la peine sur le visage de sa mère et elle avait déclaré : «Nous sommes contre la religion ! C’est l’opium du peuple ! Nous sommes athées et nous ne croyons ni dans les mythes ni dans les miracles. Tu dois comprendre cela toi aussi !»
Bien sûr, Madame Klein avait compris. Elle se tenait au courant de l’actualité puisqu’elle lisait religieusement chaque jour Der Tog ainsi que le English Star. 
- Tes camarades du Parti ont aussi renoncé à leur religion ? demanda-t-elle en yiddish.
- Bien sûr ! Aucun d’entre eux ne va à l’église !
- Mais vous avez une fête le 25 décembre, j’ai vu la notice accrochée sur ton réfrigérateur !
- Ah mais cela, c’est une fête nationale, ce n’est plus une fête religieuse !
Madame Klein ne voyait pas la logique de cet argument mais, bien qu’elle fût profondément blessée, elle garda le silence. Elle avait vécu la faim et la guerre, la perte de sa famille et de ses amis, l’épidémie de typhus en Roumanie mais elle ne s’était jamais plainte, comme toutes les mamans juives.
- Écoute Maman, je sais que tu ne comprends pas les principes du Parti. Mais ce que nous souhaitons, c’est l’égalité, quelle que soit la race, la couleur ou la nationalité. La justice pour tous. Un jour, nous aurons un très beau monde, sans frontières, sans racisme. La religion et le nationalisme séparent les gens.
- Les Hindous feront partie de ce nouveau monde ?
- Bien sûr ! Pourquoi eux ?
- Mais que feront-ils de tous leurs temples ? (Madame Klein avait risqué une plaisanterie mais Elsie ne l’avait pas comprise).
- Maman ! Tu es vraiment trop démodée…
- Oui, je sais mais je t’aime, j’aime notre Myriam et jamais je ne te dirai comment agir. Dans notre Torah, la chose la plus importante, c’est le Chalom Bayit, la paix dans les foyers. Quant à la justice, c’est aussi dans le programme de notre Torah, tu l’avais appris à l’école juive…
Elsie hocha la tête avec impatience, sa mère ne comprenait rien…
- Au moins, ils viennent chez moi pour Chabbat et les fêtes et ils me laissent garder la petite quand ils ont leurs réunions du parti, même s’ils me supplient de ne pas lui raconter «mes histoires ridicules»… se consolait madame Klein. Et je continuerai de lui raconter la sortie d’Égypte et la mer qui s’est ouverte devant les Enfants d’Israël…
Les années passèrent et madame Klein succomba à la maladie. Elsie était restée à son chevet à l’hôpital et, par respect pour les autres membres de sa famille, avait observé les lois du deuil pendant les sept jours avec ses frères, sœur et tantes.
Le lendemain des Chiva, après que tous les visiteurs soient partis, Elsie s’était rendue au magasin de Judaïca et avait acheté une belle Mezouza dans un étui élégant fabriqué en Israël. Elle avait cloué la Mezouza en haut et en bas selon les instructions, avec la lettre Chine dorée à l’extérieur du parchemin. Elsie était contente de son œuvre.
- Mais qu’est-ce qui t’a pris ? demanda Shel, étonné.
- J’ai cloué une Mezouza. A l’intérieur le texte hébraïque est écrit sur du parchemin, c’est le Chema qui rappelle que D.ieu est Un.
- Mais pourquoi ? 
- C’est pourtant simple, déclara tranquillement Elsie d’un ton ferme : quand l’âme de Maman viendra nous rendre visite depuis le Ciel pour nous bénir, il y aura une Mezouza à la porte et elle se sentira chez elle…

Aviva Ravel – www.chabad.org
traduite par Feiga Lubecki

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