Il était plutôt tard, ce soir-là, quand le téléphone sonna au domicile de Rav Yosef Yits’hak Belinov à Bnei Brak. Quand il reçoit un appel à une heure aussi tardive, c’est le signal d’une urgence. Jamais Rav Belinov ne s’était attendu à entendre l’histoire qu’on allait lui raconter…
On était au mois d’Elloul, le dernier mois de l’année, celui où on a l’habitude de faire vérifier Téfiline et Mezouzot. En tant que Rav du Ma’hone Stam, Rav Belinov étudie toutes les questions relatives à ce sujet et décide de la cacherout – ou non – de ces objets de culte.
Un jour, un jeune ‘Hassid de Sanz se présenta : un Sofer (scribe) avait détecté un problème avec la lettre «Tsadik» de l’un des parchemins de ses Téfiline de Rabbénou Tam. Rav Belinov prit le parchemin, l’étudia soigneusement : il fut enclin à le déclarer non-cachère.
Cependant, comme il s’agissait d’un problème religieux complexe, il ne désirait pas en décider d’emblée et indiqua plutôt qu’il était tout à fait déconseillé de continuer à porter ce parchemin en l’état. Le jeune homme en ressentit une grande souffrance morale et demanda s’il lui était possible de porter plainte contre le Sofer qui avait écrit ce parchemin. Rav Belinov le regarda encore une fois attentivement et suggéra de prendre conseil auprès d’un certain spécialiste en la matière afin d’établir avec certitude que le défaut datait bien du moment de l’écriture (et non de l’usage ultérieur ou de la pliure) et seulement après avoir effectué cette vérification, il serait possible d’adresser des reproches au Sofer.
Très triste à l’idée que, jusqu’à présent, il avait sans doute mis des Téfiline «problématiques» et non de la meilleure qualité, le jeune homme remercia Rav Belinov et partit.
Cette nuit, à une heure aussi tardive qu’inhabituelle, ce jeune homme rappela Rav Belinov à son domicile. Il se présenta, rappela qu’il était venu dans la journée au Ma’hone Stam, s’excusa de téléphoner si tard mais sa voix bouleversée par l’émotion indiquait qu’il avait quelque chose d’important à déclarer : «Comme vous êtes un ‘Hassid de Loubavitch, je dois le reconnaître : votre Rabbi était au courant de tout !»
Intrigué, Rav Belinov tendit l’oreille et écouta attentivement : «Je vous parle maintenant de la maison de mon père : je suis venu spécialement chez lui pour lui rapporter la nouvelle déplaisante que les Téfiline de Rabbénou Tam qu’il m’avait offertes n’étaient pas valables. Quand je lui ai expliqué que le défaut était probablement un «Le’hat’hila», un problème qui datait déjà du moment de l’écriture du parchemin, je remarquai qu’il pâlissait. Pendant un instant, il resta silencieux, apparemment bouleversé par ce qu’il entendait de ma bouche. Il ferma longuement les yeux puis déclara d’une voix empreinte d’émotion : «Oye ! Le Rabbi de Loubavitch m’avait pourtant averti de les vérifier !» « Que veux-tu dire ? » demandai-je, choqué et essayant de comprendre ce qui arrivait.
Mon père raconta alors qu’en 1990, peu avant ma Bar Mitsva, il avait eu le privilège de se rendre à la synagogue du 770 Eastern Parkway, quand le Rabbi distribuait, le dimanche matin, des dollars à remettre à la Tsedaka (charité). Quand il passa devant le Rabbi, il demanda une bénédiction pour notre famille et, en particulier, pour moi puisque j’allais bientôt célébrer ma Bar Mitsva.
Le Rabbi m’adressa un large sourire et précisa : «Assurez-vous de bien faire vérifier ses Téfiline de Rabbénou Tam !»
Mon père fut un peu déstabilisé : il ne comprenait pas le sens des paroles du Rabbi puisque, dans notre communauté, la coutume des ‘Hassidim de Sanz est de ne mettre les Téfiline de Rabbénou Tam qu’après le mariage. C’est ce qu’il se permit de répondre au Rabbi qui continua alors : «Dans ce cas, vérifiez à ce moment-là ses Téfiline de Rabbénou Tam !»
Ce fut les derniers mots que mon père entendit de la bouche du Rabbi car il fut bien vite poussé vers la sortie par la foule des gens qui faisaient la queue derrière lui.
Les années passèrent et je me suis marié. Mon père avait complètement oublié toute l’affaire. Quand je suis venu ce soir lui raconter que mes Téfiline de Rabbénou Tam étaient problématiques pour ne pas dire pire et que ceci datait probablement du moment-même de l’écriture, cela lui a fait l’effet d’un coup de tonnerre en plein soleil : il se revit clairement devant le Rabbi de Loubavitch lui annonçant de façon quasi-prophétique seize ans auparavant : «Vérifiez à ce moment-là ses Téfilinesde Rabbénou Tam !»
«Maintenant je comprends tout !» reconnut mon père tout en exprimant sa grande peine et ses profonds regrets.
Mais ce qui nous étonnait le plus était cette question lancinante : «Comment le Rabbi savait-il que les Téfiline seraient problématiques seize ans avant même qu’ils ne soient écrits ? C’est absolument incroyable, ne trouvez-vous pas ?» conclut-il d’une voix émue. « C’est vrai ! Le Rabbi voyait vraiment très loin, dans l’espace et dans le temps !»

Michoel Leib Dobry
traduit par Feiga Lubecki

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