Je suis issu d’une famille de douze enfants. Mon père travaille dans l’industrie du diamant à Londres. Une fois par an, mon père emmenait l’un d’entre nous à New York pour y rencontrer le Rabbi. A l’âge de huit ans, ce fut mon tour.
Nous devions entrer en Ye’hidout, audience privée, à deux heures du matin. A cette heure-là, à mon âge, je pouvais devenir assez insupportable : «Je t’en supplie, expliqua mon père, cela ne prendra qu’une minute : essaie de bien te comporter au moins cette fois-ci!» J’acceptai de fournir un effort pour cette minute.
Quand nous sommes entrés, le Rabbi s’est mis à parler avec mon père en yiddish, une langue que nous ne parlions pas à la maison et que je ne connaissais pas. Une minute passa, deux, trois, cinq et je m’impatientais.
Je ne pouvais décemment pas demander à mon père : « Papa ! Dépêche-toi ! Cela suffit ! » Je commençai par lâcher sa main : il n’allait tout de même pas courir après moi devant le Rabbi !
J’observai attentivement le bureau du Rabbi à la recherche du coffre à jouets : certainement de nombreux enfants entraient ici et il devait y avoir des jouets quelque part.
Au bout de la pièce, il y avait une armoire : j’ouvris le tiroir du bas, à la recherche de jouets : il n’y avait que des papiers. J’ouvris le second tiroir, encore des papiers. Je ne parvenais pas à attraper le troisième tiroir alors je refermais avec fracas le second et montai sur le tas de papiers du premier tiroir pour ouvrir le troisième : quelle déception ! Encore des papiers. Dégoûté, je n’essayai pas de monter plus haut pour ouvrir le quatrième…
Je continuai mon inspection, rien que des livres. Vous pouvez imaginer ce qui se passait dans la tête de mon père, tentant de se concentrer sur ce que lui disait le Rabbi tout en se lamentant sans doute sur la honte que lui causait son fils, courant, sautant et semant la panique dans les papiers du Rabbi.
Donc rien d’intéressant dans le bureau du Rabbi mais à l’extérieur, il y avait des travaux. Qui dit travaux dit tracteurs, excavations, maçons, bruit, que sais-je.
Alors j’ouvris les volets et j’étais sur le point d’ouvrir la fenêtre quand le Rabbi m’appela par mon prénom : «Chimone!» Je m’empressai de refermer le volet, de remettre les tiroirs en place et je m’approchai de son bureau : «Oui Rabbi!»
Le Rabbi tenait un dollar dans sa main et il demanda à mon père : «Parle-t-il le yiddish?» Mon père répondit que je comprenais l’anglais.
Tout en tenant le dollar, le Rabbi me demanda : «Sais-tu ce que c’est?»
Je répondis que c’était la Tsedaka. Il sourit et demanda : «Et qu’est-ce que la Tsedaka ?» Je répondis «charité». Il sourit et demanda : «Et qu’est-ce que la charité ?» Je répondis : «La Tsedaka!» Cet échange se répéta plusieurs fois.
Il m’avait posé une question, j’avais répondu : j’estimai que j’avais droit à un bonbon !
Le Rabbi me regarda droit dans les yeux et expliqua : «Il existe deux sortes de charité : celle qu’on effectue avec l’argent et celle qu’on effectue avec son corps, en s’occupant des autres et en partageant avec eux. Je veux que tu saches que parfois partager avec les autres et s’occuper de ce qui leur manque peut être plus efficace que donner de l’argent à la Tsedaka!» Et le Rabbi me tendit ce dollar.
Normalement quand vous vous rendez chez un grand-père, il essaie de vous raconter des histoires pour capter votre attention. Là, la seule chose que le Rabbi trouva à dire à un enfant de huit ans était de partager et de s’occuper des autres.
Bien entendu, mon père m’a rappelé cette histoire de nombreuses fois par la suite et je répondis que j’en avais appris personnellement deux enseignements : d’abord que je ne serais sans doute jamais un très bon ramasseur de fonds mais surtout que je savais que je voulais devenir un Chalia’h, un émissaire du Rabbi pour m’occuper des autres. Telle serait ma mission dans la vie.
Et je décidai de me rendre dans un endroit où il n’y avait aucune infrastructure juive : je voulais tout construire depuis le début.

Rav Shimon Freundlich, émissaire du Rabbi à Beijing, Chine
www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki