Semaine 6

  • Michpatim
Editorial

Norme indépassable

On dit souvent que le texte de la Torah parle à notre temps, qu’il n’est pas un enseignement ancien mais, au contraire, un message d’une éternelle actualité. Parfois, une telle idée surprend : un texte vieux de plusieurs millénaires aurait des accents contemporains ? Alors que l’époque est si fière de sa modernité, il y a là, sans doute, de quoi surprendre. Pourtant, voici justement que, dans le cycle hebdomadaire de lecture de la Torah, c’est une partie qui porte un nom bien ambitieux que nous lisons cette semaine : Michpatim – les lois, les statuts. C’est ainsi que, juste après le Don de la Torah au Sinaï, sujet central de la lecture de la semaine passée, c’est la notion de norme qui apparaît – faut-il dire enfin ? – au grand jour. Il est vrai que l’existence d’une norme à laquelle tous se réfèrent – qui dépasse les intérêts particuliers, les clivages de toutes sortes, même légitimes – est l’élément fondateur de toute société organisée et, finalement, de toute civilisation. Pouvoir dire le permis et l’interdit, le juste et l’erroné, le bon et le mauvais : c’est à cela que se reconnaît le monde des hommes. C’est dire qu’il existe des idées essentielles sur lesquelles reposent toutes nos belles constructions intellectuelles et sociales. La loi des hommes n’en est, d’une certaine façon, que la traduction ; elle se constitue en écho d’une sagesse, d’une vision du monde qui ont traversé les âges. Remettre en cause de tels équilibres, par nature précieux et fragiles, est loin d’être une entreprise anodine ou sans conséquences, comme une simple mise à jour de conceptions vieillies. Le risque est réel de faire trembler des édifices qui sont le cadre même de notre vie, collective et individuelle. La loi devrait-elle donc rester immuable parce que la norme, transmise de siècle en siècle, retentit avec toujours autant de grandeur ? N’y aurait-il pas de place pour l’évolution des sociétés et des modes de vie ? Il est clair que nul ne peut confondre éternité et immuabilité, transmission et immobilisme. Certes le monde bouge et les hommes avec lui. Mais si les adaptations, même nécessaires, aboutissent à sortir des cadres qui, justement, définissent la civilisation, vers quoi nous dirigent-elles ? L’être humain est, heureusement, changeant et c’est pourquoi il doit avoir des points d’ancrage forts : une certaine sagesse…
 
Haim Nisenbaum

Etincelles de Machiah

L’éducation juive et la venue de Machia’h

Décrivant le temps de Machia’h, D.ieu dit (Isaïe 44:3) : « Je déverserai Mon esprit sur ta descendance et Ma bénédiction sur tes générations ». Dès la première lecture du verset, il est clair que sont ici désignés les enfants. Or, on connaît le principe selon lequel toutes les révélations de ces temps futurs dépendent de nos actions et de notre effort d’aujourd’hui (Tanya chap. 37). C’est dire à quel point l’éducation juive assurée aux enfants est un impératif pour chacun. (d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch Chabbat Parchat Vayikra 5740) H.N.

Vivre avec la Paracha

Michpatim : Servir le Maître

Les lois de la Torah sont fondamentalement différentes des lois qui régissent la société séculière. Pour qu’elles restent d’actualité, les lois de la vie moderne doivent être constamment remaniées, puisqu’elles reflètent les mœurs en vogue. Les exemples d’amendements, de projets de lois, de lois, faisant écho aux goûts du jour, prolifèrent. Mais la Torah est éternelle. Parce qu’elles émanent de la Sagesse de D.ieu, les injonctions énumérées ne peuvent changer. La sagesse de D.ieu est illimitée et s’applique à toutes les situations, à tous les environnements. Que se passe-t-il donc quand nous étudions des lois qui paraissent aujourd’hui obsolètes ? Les Juifs pratiquants n’ont aucun souci à être convaincus qu’elles sont toujours pertinentes. Mais il faut bien reconnaître que pour de nombreuses personnes, cela ne suffit pas. L’étude de la ‘Hassidout jette la lumière sur la signification que ces lois prennent pour chacun d’entre nous, dans le monde contemporain et démontre concrètement l’éternité de la Torah. La Sidra de cette semaine, qui enseigne de nombreux commandements, nous en apporte un exemple remarquable. Choisissons-en un qui pourrait paraître complètement dépassé et émerveillons-nous devant la profondeur de la sagesse du système législatif de la Torah. Il s’agit des lois de l’esclavage. Qu’est-ce qui pourrait paraître plus hors de propos dans notre société égalitaire ? Comment l’étude de ces lois peut-elle apporter du sens à la vie d’un être évolué, appartenant au vingt-et-unième siècle ? La Torah distingue quatre catégories d’esclaves. L’un d’entre eux est le évèd canaani, un esclave non-juif acheté par un Juif ou acquis lors d’une conquête. Le sort de cet esclave l’oblige à rester dans la maison du Juif, privé à tout jamais de liberté. Sa femme et ses enfants sont la propriété du maître, tout comme ses possessions. Cependant un évèd canaani jouit de confort. Il n’a aucun souci pour être nourri et logé. Plus encore, les lois régissant les responsabilités du maître à son égard sont telles qu’une sentence dans le Talmud affirme que celui qui a acquis un évèd canaani s’est littéralement pris un maître. S’il n’y a qu’un coussin dans la maison, le maître doit s’en priver et le lui donner. En toutes circonstances, si le maître peut pourvoir aux besoins de deux personnes, alors il y en a assez pour deux. Mais dans le cas contraire, l’esclave passe avant, le maître après. L’esclave mange même avant son maître. Le second type d’esclave est le évèd ivri. Il s’agit d’un Juif, acquis parce qu’il a commis un délit, comme par exemple un voleur. La Loi de la Torah donne des règles complexes pour calculer les dédommagements dans les délits contre les gens ou les propriétés. Les dédommagements peuvent être évalués jusqu’à quatre fois la valeur de l’injure. Si le coupable ne peut payer, il n’est pas emprisonné. Il deviendrait alors un poids pour les finances publiques et risquerait de réitérer ses méfaits, à sa libération. Il est donc mis au service d’un maître pour lequel il travaillera pour purger sa dette. Après six ans de travail, il est libéré. S’il s’est marié à une femme juive, avant ou après son service, il est libéré avec cette femme juive et leurs enfants, juifs eux-aussi. En quoi sommes-nous concernés par toutes ces lois ? Les étudier ne renforce-t-il pas la certitude, à D.ieu ne plaise, que d’une certaine mesure, la Torah est dépassée ? La vérité est qu’ici, ce que nous apprenons concerne notre relation avec le Tout-Puissant Lui-même. Le sujet des esclaves concerne en réalité la relation entre D.ieu, le Maître, et les différents types d’esclaves qui constituent, bien entendu, le Peuple Juif. Le Rabbi explique qu’il existe une différence dans la avoda (service de D.ieu) d’un évèd ivri et celle d’un évèd canaani. Le comportement du évèd canaani qui a été acheté ou capturé doit être celui de l’obéissance. Sa motivation est la crainte du bâton. S’il fait son travail, c’est qu’il a la perspective de la récompense ou de la punition qui lui seront données. Il n’a pas d’intérêt réel pour le maître, pas plus qu’il n’est concerné par la qualité de son travail, sinon en termes de rétribution. Par contre, un évèd ivri, dont la perspective est de gagner la liberté, veut plaire à son maître. Il veut bien accomplir son travail et voit de l’intérêt dans le bénéfice que cela lui procurera. Il en va de même pour un fils qui travaille pour son père. Il le fera différemment que s’il travaillait pour un étranger. Car pour le fils, il est important que les affaires aillent bien : il est intéressé dans l’affaire et il aime le père. Le évèd ivri est motivé par l’amour. Le évèd canaani est motivé par la crainte. Dans les deux cas, toutefois, qu’il soit d’amour ou de crainte, le service requiert l’obéissance. C’est une exigence très profonde et très importante. Il en va ainsi pour nous. D’abord et avant tout, notre service de D.ieu doit être emprunt d’obéissance. Avant même tout questionnement sur la raison des mitsvot, nous devons nous engager à les pratiquer parce qu’elles sont la volonté de D.ieu. On peut s’y soumettre par amour ou par crainte. Mais on doit s’y soumettre. Le évèd ivri est une personne qui, d’une part, obéit, parce qu’elle est esclave, mais par ailleurs, son service se fait dans la vitalité, l’enthousiasme et l’énergie parce qu’il s’accomplit par amour. Le évèd canaani , à un niveau inférieur, obéit par crainte. Où toutes ces réflexions nous mènent-elles ? A la profonde prise de conscience que chaque Juif se trouve, par intermittence, dans les deux situations. Nous servons D.ieu, comme un évèd canaani, par obéissance et par crainte. Mais bien que cela soit essentiel, ce n’est pas suffisant. Notre véritable statut, en tant que Juifs, est celui du évèd ivri, qui, en outre, sert son maître par amour. Nous savons que D.ieu observe Lui-même la Torah qu’Il a donnée au Peuple Juif. Ainsi, tout comme chacun peut tirer des enseignements du statut d’esclave, peut-il également le faire de celui du Maître. Quand nous nous acquittons correctement de notre travail pour D.ieu, lorsque nous obéissons, Il est obligé de pourvoir à tous nos besoins, et de la meilleure façon. La façon pour le Juif d’obtenir ce dont il a besoin est de vivre comme un Juif. Etre servi, dans une obéissance totale, oblige le Maître à une bonté absolue. La Sidra Michpatim met donc en lumière le fait que chaque Juif doit servir son maître, comme un fils aimant, avec joie et enthousiasme, sûr que cela lui apportera la plus grande et l’ultime liberté.

Le Coin de la Halacha

Nos Sages ont institué de lire, en plus de la Sidra hebdomadaire, une «Paracha» supplémentaire durant les semaines qui précèdent Pourim et Pessa’h.

• La première s’appelle «Chekalim». Elle rappelle la nécessité pour chacun de donner chaque année un demi-chékel pour l’entretien du Temple et l’achat des sacrifices communautaires. Cette Paracha (Exode 30 – 11 à 16) est lue le Chabbat qui précède Roch ‘Hodech Adar (cette année le Chabbat 9 février 2013). On sortira donc deux rouleaux de la Torah : - un pour la Sidra de la Semaine : Michpatim (sept montées) - un pour la Paracha Chekalim (un appelé qui lira aussi la Haftara tirée du livre des Rois (11. 17 pour les Séfaradim ou les ‘Habad ou 12. 1 à 17 pour les Achkenazim). Cette année, le Chabbat Michpatim tombant la veille de Roch ‘Hodech, on lira également le premier et le dernier verset de la Haftara “Ma’har ‘Hodech”. • La seconde s’appelle «Za’hor» et rappelle la nécessité de se souvenir d’Amalek. Elle est lue le Chabbat précédant Pourim, cette année Chabbat Tetsavé, 23 février 2013. • La troisième s’appelle «Para» et rappelle la nécessité de se purifier avant la fête de Pessa’h. Elle est lue Chabbat Ki Tissa, 2 mars 2013. • La quatrième s’appelle «Ha’hodech» et rappelle l’importance du mois de Nissan et le sacrifice pascal. Elle est lue le Chabbat Vayakhel Pekoudé, le 9 mars 2013. F. L.

De Recit de la Semaine

Le voleur

Les milliers de Juifs du ghetto de Lodz furent «sélectionnés» pour être envoyés au camp d’extermination : dès leur entrée, ils devaient se déshabiller et revêtir l’uniforme des prisonniers - le pyjama rayé - et se séparer pour toujours de tous ceux qui leur étaient chers ainsi que de leurs objets personnels. Tous les objets étaient jetés dans un grand trou à l’entrée du camp ; par la suite, les gardiens effectuaient un tri, gardaient ce qui leur semblait d’une utilité ou d’une valeur quelconques et brûlaient le reste. Mon beau-père, le regretté Rav Dov Berish Rosenberg zatsal, ne possédait presque rien mais, silencieusement, il priait pour que les Nazis ne remarquent pas ce qui lui était le plus précieux : ses Téfilines. Quand arriva le tour de mon beau-père, le Nazi remarqua ses Téfilines qu’il tentait de cacher dans ses vêtements ; il s’en empara sans ménagements et les jeta de façon méprisante dans le trou. Mon beau-père qui ne pouvait supporter pareil traitement pour ce qui lui était si cher ne réfléchit pas deux fois : il sauta dans le trou et en retira ses Téfilines ! La réaction des Nazis ne se fit pas attendre : ils le rouèrent de coups jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Ils ne prirent pas la peine de «gaspiller» une balle pour l’achever et il resta en vie, bien que grièvement blessé. Tel fut l’accueil qu’il dut subir à son arrivée dans cet enfer. Ses amis le traînèrent jusqu’à une baraque où ils l’étendirent sur une planche et lui donnèrent un peu à boire bien que même l’eau leur fût accordée avec parcimonie. Un peu plus tard, entra dans la baraque celui qu’on appelait le légendaire voleur de chevaux de Lodz. C’était un Juif de haute stature, violent et qui avait depuis longtemps abandonné toute pratique religieuse. Il s’approcha de mon beau-père et lui tendit des Téfilines : «Petit ‘Hassid ! J’ai vu que tu en avais très besoin, je suis entré dans le trou et je les ai volés pour toi !». En entendant ces mots, mon beau-père se réveilla, revint à la vie et embrassa les Téfilines tout en remerciant abondamment le voleur de chevaux. Le lendemain matin, alors que les détenus étaient réveillés bien avant l’aube par leurs gardiens, mon beau-père remarqua dans un coin de la baraque un Juif apparemment de très bonne famille ‘hassidique qui n’était autre que le petit-fils de Rabbi ‘Haïm de Tsanz : il pleurait. Mon beau-père lui demanda la raison de sa détresse et il répondit que, toute sa vie, il avait gardé précieusement les Téfilines de son grand-père, l’auteur du «Divré ‘Haïm» mais ceux-ci lui avaient été arrachés lors de la «sélection» : maintenant, il ne pouvait plus prier ! Mon beau-père s’empressa de retourner à son «lit» et prit les Téfilines qu’il y avait cachés. C’est alors qu’il remarqua sur la pochette en velours le nom Halberstam ! C’était donc les Téfilines de ce Juif que le «voleur» avait rapportés sans le savoir. Le même soir, le voleur de chevaux réapparut et il chercha mon beau-père. Celui-ci lui raconta qu’il avait rendu les Téfilines à leur juste propriétaire. Impressionné, le voleur décida : «Je vais chercher tes Téfilines!». Cet homme n’avait peur de rien, même dans le camp. Durant la nuit, il revint avec deux paires de Téfilines : Rachi et Rabbénou Tam ! Mon beau-père affirma par la suite que ces deux paires de Téfilines le maintinrent en vie durant toutes les épreuves de la Shoah. * * * Les années passèrent. Mon beau-père survécut et se remaria en Israël. Lors d’un voyage à l’étranger, il rencontra un Juif pratiquant avec qui il entama une conversation animée : il s’avéra que tous les deux étaient originaires de Lodz et ils étaient heureux de pouvoir échanger des souvenirs de leur ville natale. C’est alors que l’homme qui avait reconnu mon beau-père avoua : «C’est moi le voleur de chevaux ! Quelque chose s’est brisé en moi quand j’ai compris de quoi vous étiez capables, vous les Juifs religieux, prêts à vous jeter au feu pour récupérer vos Téfilines, même aux pires moments de la guerre. J’ai alors décidé que moi aussi, je serais prêt à me sacrifier et ce fut le dernier vol que j’ai effectué ! Depuis, je suis revenu à une pratique religieuse complète!» Rav Yitzchak David Grossman – Rav de Migdal HaEmek – Shturem.net Traduit par Feiga Lubecki