Samedi, 10 février 2018

  • Michpatim
Editorial

 22 Chevat : plus qu’un message

Les grandes dates interrogent toujours de la même façon : revenant d’année en année, offrent-elles d’autres perspectives que mémorielles et commémoratives ? Il est vrai que, bien souvent, elles sont seulement l’occasion de célébrations obligées, officielles et incontournables. Voici pourtant que, cette semaine, revient le 22 Chevat, l’anniversaire du décès de la Rabbanite ‘Haya Mouchka, la femme du Rabbi de Loubavitch. Elle quitta ce monde en 5748-1988 et l’événement retentit encore, non seulement dans le cœur de ceux qui la connurent mais, plus largement, comme instaurant un jour porteur d’enseignement, d’action et d’espoir.

Ce n’est évidemment pas par hasard que le 22 Chevat se tient à New York le congrès international des Chlou’hot, ces femmes envoyées dans tous les pays du monde avec leur mari et qui assument la tâche de transformer les endroits où elles vivent, à la fois enseignantes, directrices d’institutions etc. Chargées de tout cela par le Rabbi, elles savent conduire ceux qu’elles rencontrent vers un temps meilleur. Et si elles ont choisi cette date pour se retrouver chaque année, c’est qu’elle recèle une puissance particulière.

La vie de la Rabbanite en est une expression à valeur d’exemple. Elle connut les plus grands bouleversements de l’histoire : l’oppression stalinienne en URSS, les tragédies de la guerre et l’invasion allemande en France. Elle resta cependant fidèle à ce qu’elle était, sans jamais reculer ou renoncer. Son nom en porte témoignage : ‘Haya Mouchka. « ‘Haya » signifie « vivante », comme pour dire que cette vie est si intense et si profonde qu’elle ne connaît jamais d’interruption au-delà même de la disparition physique. « Mouchka », le musc, un parfum à la fois précieux et subtil. Le parfum, disent les commentateurs, a le pouvoir de réconforter l’âme malgré son caractère presque immatériel. Il s’attache à celui qui en est porteur.

« Vie » et « parfum », c’est en soi un programme, une manière de vivre. Nous vivons un temps où ces notions si essentielles manquent bien souvent. Perclus par la pesanteur des choses, l’homme en vient à oublier ce qui l’entraîne au-delà de lui-même et lui confère toute la noblesse de l’humain. La Rabbanite, par sa vie, nous montre le chemin. Tout est possible. Le monde peut changer et l’avenir retrouver ses couleurs. Demain chantera. A New York, les Chlou’hot réunies l’affirment. Plus qu’un message, le 22 Chevat est la date de naissance d’une action.

Etincelles de Machiah

 Chaque prière est un progrès

Pour la Délivrance du peuple juif, une Délivrance éternelle qui ne sera suivie d’aucun autre exil, nous devons augmenter nos prières, les premières et les dernières générations. Les prières des premières générations aideront celles des dernières générations.

Ce sera plus facile pour les dernières générations qui sont plus proches de la Délivrance finale. Leurs prières seront plus acceptées que celles des premières générations. Puisque le sujet est si important, il doit y avoir une abondance de prières, génération après génération, afin que les prières pour la Délivrance soient acceptées.

(d’après Beth Elokim LéHamabit, Porte de la prière, chap. 17)

Vivre avec la Paracha

 Michpatim

A la suite de la révélation au Sinaï, D.ieu donne une série de lois pour le Peuple juif. Elles incluent les lois concernant le serviteur contractuel, les compensations en cas de meurtre, d’enlèvement, d’assaut et de vol, les lois civiles pour rembourser les dommages, les prêts et les responsabilités des « quatre gardiens », enfin les lois dirigeant la conduite des cours de justice.

On y lit également les lois interdisant les mauvais traitements à l’égard des étrangers, l’observance des fêtes saisonnières, les dons agricoles à apporter au Temple de Jérusalem, l’interdiction de cuire ensemble le lait et la viande et la Mitsva de la prière. La Paracha Michpatim comporte en tout 53 Mitsvot : 23 commandements positifs et 30 commandements négatifs.

D.ieu promet de conduire le Peuple d’Israël en Terre Sainte et le met en garde contre les pratiques païennes de ses habitants.

Le Peuple d’Israël proclame « Nous ferons et nous entendrons tout ce que D.ieu nous a ordonné ». Laissant Aharon et Hour en charge du camp, Moché monte sur le mont Sinaï pour recevoir la Torah de D.ieu et y reste quarante jours et quarante nuits.

La Paracha de cette semaine, Michpatim, est la première qui suit le Don de la Torah, lu la semaine dernière, dans la Paracha Yitro.

Le mot Michpatim ou « statuts » ne désigne pas tous les commandements de la Torah mais plutôt ceux que l’intellect humain peut appréhender, ceux que même sans la Torah les hommes observeraient d’eux-mêmes.

Rabbi Chalom Dov Ber, cinquième Rabbi de Loubavitch, avait l’habitude de citer nos Sages qui affirmaient que même si la Torah ne nous avait pas été donnée, à D.ieu ne plaise, nous aurions appris la discrétion d’un chat, etc.

Ces comportements émanent de l’intellect humain.

Cependant, dans la Paracha sont évoqués non seulement les Michpatim, lois que l’on comprend intellectuellement et rationnellement, mais également les ‘Houkim, ces lois à l’autre extrême, qui dépassent complètement l’entendement humain, qui n’ont aucune explication rationnelle, comme peut l’être l’interdiction de consommer ensemble du lait et de la viande.

Pourquoi devrions-nous inclure ces ‘Houkim, qui sont des lois sans fondement rationnel, dans une Paracha qui s’appelle Michpatim, évoquant des lois qui ont toutes une explication rationnelle ?

La ‘Hassidout explique que la façon dont sont accomplis les Michpatim présente un avantage.

Quand on comprend intellectuellement une Mitsva, on l’accomplit avec un plus grand enthousiasme, avec plus de plaisir et plus d’énergie. En effet, dans l’exécution de cette Mitsva sont impliqués tous les aspects de notre être, y compris notre intellect. On ne l’accomplit pas seulement parce qu’on doit le faire, parce que c’est notre devoir, mais étant donné que l’on saisit la grandeur de la Mitsva, son projet, on s’y implique avec davantage d’énergie.

La pensée ‘hassidique nous explique un concept très important : toutes les Mitsvot, quelles qu’elles soient, possèdent en elles-mêmes cet aspect des Michpatim. Elles ont toutes, dans une certaine mesure, un lien avec la compréhension rationnelle.

Comment cela peut-il être possible alors que les ‘Houkim, comme nous l’avons vu, sont complètement irrationnels ?

Il est expliqué que, s’il est vrai que le contenu de ces lois est totalement inaccessible à l’entendement humain, nous ne pouvons ainsi saisir pourquoi la consommation simultanée du lait et de la viande n’est pas autorisée, nous pouvons toutefois comprendre en quoi consiste leur accomplissement concret et quel est l’effet de la Mitsva.

Le mot Mitsva, qui signifie littéralement « commandement », possède la même racine que le mot Tsavta qui veut dire « connexion », « lien ». Cela implique que l’accomplissement d’une Mitsva a des effets prodigieux.

En effet, par essence, il serait absolument impensable qu’un être humain fini, doté d’une personnalité et d’un intellect limités, puisse nouer un lien quelconque avec un Créateur infini. Cela paraît totalement impossible.

Et pourtant c’est là l’accomplissement de la Mitsva, dans le sens de Tsavta. La Mitsva rend possible le lien entre un être humain fini et D.ieu infini.

Par nous-mêmes, nous ne pourrions pas imaginer qu’il existe une manière de nous lier avec l’Infini mais quand cet Etre Infini nous donne le moyen de nous lier à Lui, cela devient possible.

C’est la raison pour laquelle lorsque nous accomplissons un ‘Hok, une Mitsva qui ne s’appuie sur aucune explication rationnelle, nous ne pouvons impliquer notre intellect et peut-être manquons-nous d’enthousiasme en ce qui concerne le contenu de la Mitsva. Mais l’effet que produit cet accomplissement, le fait que nous accomplissions un acte qui n’a pas d’explication rationnelle, auquel nous ne comprenons rien, cela, nous sommes à même de le saisir. En accomplissant ce ‘Hok, cet acte irrationnel, nous nous lions à notre Source Infinie, dans une unité merveilleuse que l’on ne peut trouver nulle part ailleurs dans l’univers.

Et c’est là la source de la joie et de l’enthousiasme que nous devons ressentir dans l’accomplissement de ce type de Mitsva.

Nous pouvons dès lors l’accomplir comme les Michpatim, comme les lois que nous comprenons, dans ce cas précis, non parce que nous en comprenons le sens mais parce que nous avons réalisé quelle était l’idée de la Mitsva, l’accomplissement et l’effet de la Mitsva qui nous permet de nous attacher à la source Infinie de toute vie et de toutes les bénédictions.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que les « quatre Parachiot » ?

Nos Sages ont institué de lire, en plus de la Sidra hebdomadaire, une « Paracha » supplémentaire durant les semaines qui précèdent Pourim et Pessa’h.

  • • La première s’appelle « Chekalim ». Elle rappelle la nécessité pour chacun de donner chaque année un demi-Chékel pour l’entretien du Temple et l’achat des sacrifices communautaires. Cette Paracha (Exode 30 – 11 à 16) est lue le Chabbat qui précède Roch ‘Hodech Adar (cette année le Chabbat Michpatim 10 février 2018). On sortira donc deux rouleaux de la Torah :

- un pour la Paracha de la semaine : Michpatim (sept montées)

- un pour la Paracha Chekalim (un appelé qui lira aussi la Haftara tirée du livre des Rois (11. 17 pour les Séfaradim ou 12. 1 à 17 pour les Achkenazim).

  • • La seconde s’appelle Za’hor et rappelle la nécessité de se souvenir d’Amalek (Devarim - Deutéronome 25. 17 à 19). Elle est lue le Chabbat précédant Pourim, cette année Chabbat Tetsavé, le 24 février 2018. La Haftara relate le combat du roi Chaoul contre Amalek (Samuel I – 15 1 à 34).
  • • La troisième s’appelle Para (Bamidbar – Nombres 19. 1 à 16) et rappelle la nécessité de se purifier avant la fête de Pessa’h. Elle est lue Chabbat Vayakhel-Pekoudé, 10 mars 2018. La Haftara rappelle la pureté du Temple (Ezékiel. 16 à 38).
  • • La quatrième s’appelle Ha’hodech (Chemot – Exode 12. 1 à 20) et rappelle l’importance du mois de Nissan et le sacrifice pascal. Elle est lue le Chabbat Vayikra, Roch Hodech Nissan, le 17 mars 2018. Ce Chabbat, on sortira 3 rouleaux de la Torah : pour Chabbat, pour Roch ‘Hodech et pour la Paracha Ha’hodech. On lira la Haftara dans Ezékiel de 45. 15 à 46.18.
Le Recit de la Semaine

 Le fils du pharmacien

Bien que mon père fréquentât la synagogue chaque matin, on ne pouvait pas le qualifier de pratiquant : il ne portait pas la Kippa et sa pharmacie restait ouverte sept jours sur sept. A l’époque (fin des années 50, début des années 60), les pharmacies ne ressemblaient pas à celles de maintenant. Les médicaments n’étaient pas vendus en boîtes toutes prêtes, il fallait concasser les ingrédients à la main et calculer les doses exactes pour chaque client. De fait, mon père servait pratiquement de docteur pour les clients qui lui demandaient conseil. On peut dire qu’il vivait dans ce magasin et ma mère l’y aidait souvent.

Nous n’étions pas Loubavitch mais, avec le temps, mon père développa une certaine relation avec le Rabbi et ma mère avec la Rabbanit ‘Haya Mouchka. Celle-ci venait souvent à la pharmacie pour acheter des médicaments – pas spécialement pour elle-même ou le Rabbi mais pour d’autres personnes. Elle emmenait parfois ma mère dans sa voiture pour faire des courses dans le quartier. Souvent elles m’emmenaient.

Mon père avait de grandes discussions avec le Rabbi. Parfois il me prenait avec lui mais j’étais jeune et leurs conversations philosophiques ou économiques ne m’intéressaient pas. Je restais dehors et jouais au ballon. Mais à partir du jour où j’ai brisé une fenêtre, on ne me laissa plus venir…

Le Rabbi tentait de convaincre mon père de fermer le magasin Chabbat. Mon père prétendait que les gens dépendaient de lui et qu’en préparant des médicaments, il contribuait à sauver des vies. Mais le Rabbi insistait : « Vous pouvez fermer Chabbat ! Les gens qui viennent à la pharmacie ne sont pas en danger de mort ! C’est important pour votre âme juive de fermer le Chabbat et vous irez mieux sur le plan spirituel ! ».

Mais bien sûr, le samedi était surtout le jour le plus rentable pour un pharmacien. Les gens ne travaillaient pas et en profitaient pour faire leurs courses. Donc mon père ne fermait pas le magasin et le Rabbi continuait à argumenter avec lui à ce sujet.

Puis un Italien ouvrit une pharmacie non loin de là et le Rabbi en profita pour faire réaliser à mon père que les gens ne dépendaient plus de lui : l’autre pharmacie était ouverte 24 heures sur 24, sept jours sur sept et quelqu’un d’autre pouvait donc « sauver des vies ».

Acculé, mon père protesta cependant : « Mais qu’en sera-t-il de ma Parnassa ? Le samedi est le jour qui me procure plus de rentrées que tous les autres jours de la semaine ! ».

Le Rabbi répondit par une lettre :

« A propos de la question de la Parnassa et l’effet immédiat que la fermeture Chabbat et les jours de fêtes juives aurait sur vos affaires, il est important de réaliser… que ce qui compte vraiment, ce n’est pas tant la quantité d’argent qui est gagnée mais la façon dont cet argent sera utilisé. Toute personne sensée préférera gagner moins mais utiliser ses gains pour des dépenses saines et agréables plutôt que gagner davantage et dépenser cet argent chez le docteur entre autres : car alors, il y a non seulement les dépenses mais aussi le trouble et la douleur que cela implique, D.ieu préserve ! A y bien réfléchir cependant, on doit garder à l’esprit que l’argent gagné d’une façon contraire à la Loi Divine ne peut pas servir à des buts utiles ; le gain apparent n’est qu’illusoire et même pire ! Donc, de quelque point de vue qu’on se place (religieux, moral ou économique), il n’existe aucune justification pour garder votre magasin ouvert Chabbat et les jours de fêtes juives et cela ne présente aucun intérêt pour vous. Par contre, obéir à la Loi Divine vous apportera d’autres bénédictions, pour une bonne santé et la prospérité, aussi bien matérielle que spirituelle ». Le Rabbi concluait sa lettre avec des bénédictions pour la fête de Pessa’h qui approchait avec ces mots : « Puisse la saison de notre liberté vous apporter à vous ainsi qu’aux vôtres, une pleine mesure de libération de tous doutes et anxiétés et la véritable libération dans le plein sens du terme… ».

C’est ce qui convainquit mon père de fermer la pharmacie le Chabbat.

Quant à moi, je commençai assez jeune à graviter autour des Loubavitch. Quand j’étais un adolescent, de nombreux Juifs quittèrent le quartier de Crown Heights ; la synagogue de mon père qui avait compté parfois jusqu’à 500 fidèles n’en abritait plus qu’une trentaine. Mais les Loubavitch étaient de plus en plus nombreux. J’y allais le Chabbat matin, leur synagogue du 770 Eastern Parkway était remplie avec peut-être mille ou deux mille personnes, une mer de gens. Ils portaient tous des costumes sombres et des chapeaux noirs et je détonnais avec mes tee-shirts rouges ou mes vestons à carreaux. Je me souviens que le Rabbi me regardait et me reconnaissait.

A cette époque, le Rabbi et la Rabbanit étaient aisément accessibles et on pouvait facilement les approcher. Je me souviens de la chaleur qui émanait d’eux et qui faisait que même un enfant comme moi se sentait à l’aise.

Et je constate que cette chaleur est présente dans toutes les communautés Loubavitch dans le monde entier. Quand j’ai fait mon Aliya et que je me suis installé en Israël, j’ai fini par adhérer à la communauté Loubavitch de Tékoa parce que je m’y suis senti bien accueilli – quelle que soit la façon dont je suis habillé. Et cet accueil chaleureux est pour moi la marque de fabrique du Rabbi.

Harvey Milstein - JEM

Traduit par Feiga Lubecki