Samedi, 11 juin 2022

  • Nasso
Editorial

 Chavouot, et après ?

Nous venons de recevoir la Torah une nouvelle fois avec la fête de Chavouot. Sans doute chacun a-t-il vécu la célébration avec le sentiment indispensable d’une éternelle actualité se déroulant sous nos yeux. Et, avec la même certitude, cette expérience ne peut nous avoir laissé inchangés. Une phrase a marqué ces jours de fête : « les enfants seront nos garants. » Ce fut historiquement la proclamation des Juifs assemblés au pied du mont Sinaï lorsque D.ieu leur demanda une garantie de leur fidélité à la Torah pour les temps à venir. Ils eurent d’abord d’autres propositions à avancer, toutes belles, bonnes et légitimes – les anciens, les prophètes… – mais seule cette dernière fut acceptée. L’idée est certes bien grande, elle fonde toute l’attention portée par le peuple juif aux enfants et à leur éducation au fil des générations. Mais nous voici au lendemain de Chavouot et ce « nos enfants seront nos garants », malgré toute sa noblesse, pourrait rester au niveau de la devise symbolique ou de l’objectif inaccessible. C’est justement ce défi qu’il nous appartient de relever aujourd’hui.

Ne nous méprenons pas : nous vivons en un temps où l’enjeu est essentiel. De fait, notre existence se passe dans des sociétés ouvertes dont l’idéal est souvent de réaliser une grise uniformité, plus facile à vivre collectivement, pense-t-on, que le paisible chatoiement des cultures diverses. Nous vivons en un monde qui présente ses propres modèles comme des références et, puisqu’ils ont déjà conquis la planète, invite chacun à s’y conformer. La question qui nous est ainsi posée est, dès lors, la suivante : voulons-nous que notre avenir s’enracine dans notre longue histoire ou acceptons-nous l’oubli ? Voulons-nous que nos descendants continuent le chemin tracé par nos ancêtres et nous-mêmes et qui remonte jusqu’au mont Sinaï ? Nombreux sont les peuples qui, après un temps de grandeur, n’ont laissé de souvenirs qu’à l’état de ruines admirables. Le peuple juif a une autre volonté. Sa mémoire est vivante et c’est dans les jours qui passent qu’il construit ses plus beaux édifices, intellectuels, moraux et spirituels.

« Les enfants seront nos garants » : cette affirmation a une grande valeur pourvu qu’on en assume la portée. Donner aux enfants, par l’enseignement et par l’exemple, une éducation juive réelle, c’est faire que le monde de demain connaisse enfin la paix et l’harmonie, pour chaque homme. C’est enfin faire œuvre de Lumière.

Etincelles de Machiah

 Parachever l’œuvre

En notre temps, après toutes les épreuves traversées, ce temps qui est celui de la génération des « talons de Machia’h », selon le mot du Rabbi Précédent, Machia’h « se tient derrière notre mur » et n’attend que l’achèvement de l’œuvre confiée à notre génération.

Si on la compare à celle des générations qui nous ont précédés, cette œuvre est relativement facile. Il appartient donc à chacun de réaliser concrètement les termes du verset : « Le faible dira ‘je suis fort’ ». La seule décision ferme dans ce domaine fait apparaître les forces les plus profondes. Chacun peut donc agir bien plus qu’en des temps ou dans des conditions plus ordinaires.

(d’après les Iguerot Kodech du Rabbi de Loubavitch, vol. VIII, p. 353)

Vivre avec la Paracha

 Nasso

En complément du recensement des Enfants d’Israël effectué dans le désert du Sinaï, un total de 8 580 Lévites, hommes entre 30 et 50 ans, est compté, pour récapituler le nombre de ceux qui se livreront effectivement à la tâche de transporter le Tabernacle.

D.ieu communique à Moché la loi de la Sotta, la femme suspectée d’infidélité envers son mari. Sont également données les lois du Nazir qui renonce à la consommation de vin, laisse pousser ses cheveux et ne peut se rendre impur par le contact avec un corps sans vie.

L’un des thèmes principaux du Chabbat est qu’il participe de l’achèvement et de l’élévation des six jours précédents. C’est ce que la Torah implique quand elle déclare : « Vayekhoulou : [le ciel et la terre] …furent parachevés ». Cela évoque également le sentiment de pleine satisfaction qui survient après être parvenu à cet accomplissement.

Par le même biais, pour pouvoir se nourrir le Chabbat, nous devons procéder aux préparatifs avant ce jour saint. Ainsi, dans cette perspective également, le fait de manger le Chabbat constitue-il l’achèvement et l’élévation des étapes préparatoires qui ont eu lieu la semaine précédente.

C’est la raison pour laquelle le Chabbat qui suit Chavouot possède la qualité particulière de réaliser l’achèvement le plus élevé du « Temps du Don de notre Torah ». Il lui apporte une ascension inestimable qui le fait parvenir au niveau du délice.

Bien que cette symbiose se produise le Chabbat qui suit chacune des fêtes de notre calendrier, le Talmud déclare que tout le monde est d’accord sur le fait que la Torah a été donnée un Chabbat et qu’il existe donc un lien très particulier entre Matane Torah (Don de la Torah) et le Chabbat.

Chavouot présente un aspect unique de réjouissance, comme cela s’avère par le fait qu’on ne peut pas jeûner à Chavouot, ce que statut Rabbi Chnéor Zalman dans son Choul'han Arou’h : « il est interdit de jeûner à cause d’un [mauvais] rêve, à Chavouot, parce que c’est le jour où a été donnée la Torah et que nous devons manger et nous réjouir pour manifester du plaisir et de la satisfaction qu’apporte ce jour au Peuple juif. Il diffère des autres fêtes et du Chabbat où jeûner pour un rêve était permis. » (Choul’han Arou’h HaRav, Lois de Pessa’h 494 :18)

Cela signifie que par le Don de la Torah, plus de sainteté encore sera apportée dans le monde matériel par les simples actes de manger et de boire qui ne pourront être interrompus ou remplacés par un jeûne. Et cela s’applique même maintenant, en temps d’exil.

Cela est un point commun avec le Chabbat que l’on doit apprécier par des repas festifs.

Ainsi, le Chabbat qui suit complète et élève les jours précédents, ceux de la fête de Chavouot, est-il, et devrait-il, présenter un progrès dans tous ces domaines. Puisque D.ieu ne nous demande rien qui ne soit dans notre aptitude, quand vient un jour spécial, comportant de plus grandes attentes, il est sûr que D.ieu nous donne des forces supplémentaires pour accomplir Sa demande et Ses missions.

Il nous faut donc utiliser toutes nos forces, exploiter leur plus grand potentiel pour ne laisser passer aucune occasion.

Parmi les Mitsvot, il est des pratiques que nous sommes obligés de chercher à faire et celles que nous n’accomplissons que lorsque l’opportunité s’en présente. L’on peut en donner une illustration par le commandement de construire un parapet sur le toit d’une maison. Cela ne s’applique que si nous construisons une maison.

Une autre application en est le fait de placer une Mezouza sur le linteau de la porte. Cela n’est une injonction que si l’on vit dans une véritable maison avec de vraies portes (et pas dans une tente, par exemple).

Cependant ici, nous parlons de pratiques connectées à Matane Torah et il est évident qu’elles sont essentielles et centrales dans le service Divin de tout un chacun. Il faut rechercher chaque opportunité pour montrer combien la Torah est bonne et agréable.

Cela devrait être identique avec la Mitsva des Tsitsit (« franges »), évoquée à Chavouot et à propos de laquelle le Rambam (Maïmonide) statut que bien que la loi veuille que les Tsitsit ne soient placés sur les quatre coins des vêtements que si l’on possède de tels vêtements, néanmoins :

« Toute personne pieuse aspirera à s’envelopper d’un habit qui a besoin de franges afin d’accomplir cette Mitsva. » (Lois des Tsitsit 3 :11)

Puisque l’habit frangé entoure la personne, il est analogue au corps général de la Torah et des Mitsvot qui enveloppent la personne pieuse. Ainsi, tout comme l’on doit aspirer à accomplir la Mitsva des Tsitsit, il nous faut également chercher à observer tous les aspects du « Temps du Don de notre Torah » et en imprégner toute l’année.

Ce Chabbat, qui suit Chavouot, nous devons entreprendre tous les efforts pour atteindre ces niveaux élevés et dévoiler le plaisir intense de Chabbat et de Matane Torah, et également aspirer à révéler le plaisir de D.ieu : « J’ai commandé et Ma volonté a été exécutée ».

Transformons ces mots en action !

Alors, nous mériterons l’action véritable, par l’intermédiaire de notre Juste Machia’h et D.ieu nous sortira de l’exil, « un par un ».

Puis l’Unité de D.ieu se révélera et le monde entier aspirera à connaître D.ieu, comme il est dit : « Car le monde sera empli de la connaissance de D.ieu, comme les eaux couvrent la mer » (Yichayahou 119)

Que cela se produise rapidement et véritablement sans délai, maintenant !

Le Coin de la Halacha

 Pourquoi se lave-t-on les mains rituellement avant de manger du pain ?

Cet usage n’est pas mentionné explicitement dans la Torah. Cependant, la Torah indique clairement que les Sages ont la capacité de fixer des décrets que nous sommes tenus de respecter. En effet, il est écrit : « Tu ne te détourneras pas de ce qu’ils te demanderont, ni à droite ni à gauche ». Ainsi, quand nous obéissons à leurs injonctions et que nous nous lavons les mains avant de manger du pain, nous accomplissons de fait un ordre de D.ieu et nous prononçons la bénédiction : « Béni Sois-Tu Éternel notre D.ieu qui nous a ordonné concernant le lavage des mains ».

A l’origine, seuls les Cohanim (descendants du grand-prêtre Aharon) devaient se laver les mains avant de manger la Terouma – la dîme des récoltes (qui devait être consommée dans la pureté). Cette exigence a été ensuite étendue par les Sages au reste du Peuple juif.

Le récipient avec lequel on verse l’eau sur les mains doit contenir au moins 86 cm3 d’eau. Il doit être en bon état, sans trou, fente ou autre dommage. L’eau doit être versée par l’action d’un être humain (et non se rincer les mains directement sous le robinet).

(d’après « Assadère Lisseoudata »)

Le Recit de la Semaine

 La reine du judaïsme new-yorkais

C’était une figure familière du quartier Baté Hungarim de l’enclave de Meah Shearim à Jérusalem. Cette veuve âgée vivait seule et on la connaissait pour sa piété : chaque matin, elle se levait tôt pour ouvrir les portes de la petite synagogue ‘hassidique où elle priait dans la galerie des dames. Elle s’y rendait aussi régulièrement pour les prières de Min’ha et Maariv.

Elle s’appelait Dvora Myriam Queen et était née en 1873 à Dvinsk (Lettonie). Elle perdit son père alors qu’elle était encore toute petite et sa mère resta seule avec des enfants en bas-âge. Le frère du défunt père (son oncle) s’occupa des orphelins et de tous leurs besoins. C’est ainsi que Dvora Myriam grandit dans une atmosphère pieuse et positive et, en 1893, épousa son cousin.

Les années passèrent ; le couple menait une vie simple, pratiquante et hospitalière mais n’avait pas encore connu la bénédiction qu’ils espéraient : au bout de dix ans, ils n’avaient toujours pas d’enfants. Devaient-ils divorcer et refaire leur vie chacun de son côté ?

Ils décidèrent d’aller présenter leur dilemme au Rav des ‘Hassidim de leur ville, le célèbre Gaon de Rogatchov, Rabbi Yossef Rosen, celui qu’on considérait comme un génie de l’érudition talmudique, un des plus grands esprits de Torah du 20ème siècle, auteur du livre Tsofnat Panéa’h. Il écouta attentivement et, comme à son habitude, analysa la situation sous tous ses angles : « Si vous demandez est-ce que vous avez le droit de divorcer, la réponse est oui. Mais quant à savoir si vous devez le faire, il ne faut pas poser la question au Rav que je suis mais à un Rabbi ! ».

La famille de Dvora Myriam était attachée à la ‘hassidout ‘Habad et le couple se rendit donc de Dvinsk à Loubavitch. Là, le secrétaire de Rabbi Chalom Dov Ber (le Rabbi Rachab) les informa qu’à son grand regret, il ne pouvait pas leur garantir une entrevue avec le Rabbi car il y avait déjà une longue queue qui attendait. Il leur conseilla cependant d’attendre près de la porte de son bureau…

Effectivement, quand le Rabbi sortit, il remarqua ces visiteurs venus de loin et les fit entrer dans son bureau. Avant même qu’ils aient prononcé un mot, il leur déclara : « Le conseil de divorcer qu’on vous a donné est incorrect. Moi je vous demande d’agir selon la volonté de nos Sages : Celui qui change d’endroit change de Mazal (chance) pour le bien et la bénédiction. Allez en Amérique ! Là vous aurez des enfants et connaitrez de nombreuses bénédictions ! ».

Tous deux sortirent de là très émus, bouleversés même par l’esprit prophétique dont le Rabbi avait fait preuve en adressant directement leur problème sans même qu’ils l’aient évoqué. De plus, le conseil qu’ils avaient reçu n’était pas évident : le voyage vers les États-Unis - le « pays en or » chanté dans la littérature yiddish - à cette époque n’était pas habituel. S’y installer équivalait par ailleurs à un plongeon dans une vie sans Torah, sans les infrastructures de base de la vie juive : nombreux étaient ceux qui, avec la traversée de l’océan, avaient fini par se fondre dans le rêve américain de l’intégration à tout prix en jetant par-dessus bord les valeurs de la Torah.

Mais, confiants dans les bénédictions du Gaon de Rogatchov et du Rabbi Chalom Dov Ber de Loubavitch, ils se mirent immédiatement à l’œuvre pour obtenir les documents administratifs nécessaires à leur immigration et commencèrent à préparer leurs bagages. Quelques mois plus tard, ils étaient en Amérique, tentant de s’adopter à ce pays si étranger à leurs coutumes mais fermement résolus à préserver leur mode de vie traditionnel.

Bien vite, les Queen devinrent le centre de la vie juive fidèle à la Torah à New York. Entre autres, ils fondèrent une école élémentaire juive orthodoxe qui, par la suite, devint le premier maillon d’un réseau appelé « Torah Vedaat ». Ils mirent aussi au point la Che’hita (abattage rituel) dans la ville ainsi que d’autres institutions nécessaires (ce qui explique qu’on appela Dvora Myriam Queen la « reine » de la vie juive de New York).

Et la bénédiction de Rabbi Chalom Dov Ber se réalisa : le couple mit au monde huit enfants. Tous méritèrent de vivre longtemps et de rester fidèles aux traditions transmises par leurs parents. Ils vivaient à Williamsburg (Brooklyn) et fréquentaient la synagogue Tséma’h Tsédek. Quand pour diverses raisons, cette synagogue fut vendue, l’argent de la transaction fut transféré à la synagogue Loubavitch du même nom dans l’ancienne ville de Jérusalem (une des seules synagogues qui ne fut pas détruite lors de l’occupation jordanienne de la ville entre 1948 et 1967).

Dvora Myriam perdit son mari en 1926 et resta aux États-Unis jusqu’à l’âge de 80 ans. Elle décida alors de monter en Israël et de s’installer dans la ville sainte de Jérusalem. Même à un âge avancé, elle ne cessa de prier et de répandre le bien autour d’elle. Un jour, un de ses fils lui rendit visite et lui offrit un cadeau extraordinaire, rare pour l’époque : un réfrigérateur ! L’année suivante, il s’étonna que le réfrigérateur ait disparu. Elle expliqua en toute simplicité : « Je l’ai donné à une jeune fille qui allait se marier ! ». Son fils en acheta alors un nouveau en posant une condition : « Ce réfrigérateur m’appartient ! Je te permets de l’utiliser mais pas de le donner à quelqu’un d’autre ! ».

Cette femme de valeur décéda en 1984, à l’âge incroyable de 111 ans.

Aujourd’hui, son arrière-petit-fils, Rav Daniel Cohen, est le dynamique émissaire du Rabbi à Hébron où il s’occupe, en particulier du bien-être des soldats stationnés dans la ville des patriarches. Il y a quelques années, il a entrepris la restauration de la maison Beth Romano à Hébron, une villa achetée à l’époque par Rabbi Chalom Dov Ber. Il l’a transformée en un phare de Torah et de ‘Hassidout. Pour lui, c’était une façon de rendre hommage à celui qui avait béni ses arrières grands-parents d’une descendance nombreuse et attachée à la Torah.

Si’hat Hachavoua N° 1577 - AscentOfSafed.com

Traduit par Feiga Lubecki

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