Samedi, 20 mai 2017 & Chavouot

  • Bamidbar
Editorial

 En un jour d’Eternité

Les mots ont décidément toujours un sens et un poids propres. Lorsque revient la fête de Chavouot et que, au plus profond de la conscience, retentit l’appel « Don de la Torah ! », c’est un univers nouveau qui pénètre notre horizon, comme si l’infini faisait brutalement irruption au cœur même de nos limites. C’est ici le moment et le lieu d’en prendre la pleine mesure. Le Don de la Torah arrive et plus rien ne sera pareil.

Bien sûr, une telle ouverture peut paraître un peu grandiloquente. Après tout, il ne s’agit que d’une fête du calendrier juif, même si c’est l’une des plus grandes. Alors, prenons le temps d’y réfléchir à nouveau. Lorsque, au mont Sinaï, D.ieu donne la Torah comme Il l’avait annoncé à Moïse avant même la sortie d’Egypte, c’est une véritable révolution qui se produit. Révolution spirituelle d’abord puisque, à partir de ce moment, le matériel et le spirituel cessent d’être des domaines hermétiquement séparés pour s’interpénétrer et ainsi donner un sens à l’histoire. Révolution intellectuelle et morale aussi car, enfin, une Loi qui s’impose à tous apparaît dans notre monde. Alors que, jusque-là, elle n’était que la volonté des puissants, toujours changeante au gré de leurs caprices, voici qu’elle revêt la puissance de la nécessité et de l’évidence. C’est à présent une Loi d’Absolu, créatrice de civilisation.

Quand, en notre temps, nous écoutons retentir dans nos synagogues, le premier jour de Chavouot, la voix éternelle des Dix Commandements, nous nous rattachons certes à cet héritage. Mais, plus encore, nous vivons, une nouvelle fois, l’événement et, de cette façon refondons la société des hommes. En temps d’incertitude, nous trouvons notre point d’ancrage et aucune tempête ne pourra l’affaiblir. A nous de nous y attacher. 

Etincelles de Machiah

 La soumission aux nations

Le Talmud (Bra’hot 34b) enseigne : « Il n’y a aucune différence entre l’époque actuelle et le temps de Machia’h sauf (notre émancipation) de la soumission aux nations ».

Le Baal Chem Tov donne une explication plus profonde de cette phrase : celui qui ne croit pas que la Providence Divine pénètre chaque aspect du monde est asservi par l’impureté qui dissimule la réalité de la création. C’est le sens de la « soumission aux nations ». Mais, au temps de Machia’h, l’esprit d’impureté sera chassé de la terre. Alors la Providence Divine deviendra manifeste et chacun verra que tout provient de D.ieu.

(d’après Keter Chem Tov, sec. 607) 

Vivre avec la Paracha

 Chavouot

Un sommeil profond

Le Midrach indique que les Juifs dormirent toute la nuit précédant la Don de la Torah, « parce que dormir à Chavouot est agréable et la nuit est courte… Pas même un moustique ne les piqua ». Quand D.ieu arriva pour leur donner la Torah, Il trouva les Juifs profondément endormis et dut les réveiller. C’est pour réparer le sommeil du peuple juif, en cette veille du Don de la Torah, que nous avons la coutume de rester éveillés la première nuit de Chavouot et d’étudier la Torah.

Tout ce qui est relaté dans la Torah nous sert d’enseignement dans notre service Divin. Dans le cas présent, il semble évident que ce récit a pour but de nous indiquer qu’il nous faut veiller toute la nuit de Chavouot. Cependant, pour nous transmettre cet enseignement, il aurait été suffisant de résumer l’histoire. Le fait que nos Sages aient ajouté « dormir à Chavouot est agréable et la nuit est courte… Pas même un moustique ne les piqua » indique que ces détails contiennent aussi une leçon plus profonde.

Une attente impatiente

Il est bien connu que la promesse qu’ils recevraient la Torah cinquante jours après la sortie d’Egypte éveilla un désir profond dans le cœur des Juifs. C’est avec une grande impatience qu’ils comptèrent chaque jour les menant à ce moment. C’est d’ailleurs la source de la Mitsva du décompte du Omer.

Ainsi donc, si déjà depuis sept semaines, les Juifs attendaient ce moment, on peut présumer que leur désir ne faisait que croître à l’approche de la date prévue. Ils savaient que D.ieu allait leur donner la Torah le lendemain. Comment leur fut-il possible de dormir ?

Mais cela va encore plus loin. Leur décompte des quarante-neuf jours les avait préparés au plus grand cadeau de D.ieu. Au cours de chacun de ces quarante-neuf jours, ils s’étaient hissés vers les cinquante portes de la compréhension. C’est ainsi qu’au quarante-neuvième jour, ils avaient atteint quarante-neuf portes, le maximum possible par le service Divin des mortels, la cinquantième devant être ouverte par D.ieu au Mont Sinaï.

Si l’on tient compte du fait que les Juifs étaient animés d’un désir ardent de recevoir la Torah, alors même qu’ils étaient encore sous l’influence des quarante-neuf portes de l’Impureté de l’Egypte, l’on peut aisément comprendre l’intensité de ce désir au moment où ils avaient atteint un tel niveau d’élévation et de mérite.

Le fait qu’ils dormirent, et si profondément, a-t-il donc un sens ?

Force nous est de conclure que même pendant qu’ils dormaient, leur esprit ne quitta pas l’événement tant attendu. En fait, ils allèrent dormir pour s’y préparer.

Cela est également indiqué par le fait qu’aucun moustique ne les piqua. Si en allant se reposer, ils s’étaient éloignés de la Torah, D.ieu n’aurait pas suscité un miracle qui leur permit de dormir si tranquillement. Le miracle lui-même indique également qu’il s’agissait d’une préparation.

Atteindre le sublime

En fait, quand quelqu’un dort, son âme quitte, à un certain degré, son corps et « monte » dans les royaumes spirituels, ne laissant en lui que certaines traces de vitalité. C’est ainsi que l’âme du dormeur peut saisir un plus haut niveau de Divinité que lorsque la personne est éveillée.

C’est pour cela que les Juifs dormirent la veille du Don de la Torah. Ils voulaient que leur âme se détache du domaine de l’expérience corporelle et soit véritablement capable d’atteindre des hauteurs spirituelles sublimes. Ils seraient, pensaient-ils, encore mieux préparés aux révélations du Don de la Torah.

Là est le sens des paroles du Midrach : « dormir à Chavouot est agréable et la nuit est courte… ». Après le travail des quarante-neuf jours, la « nuit » était courte, il ne restait qu’un peu d’obscurité dans le monde. Tout le travail préparatoire avait été accompli et la grande Révélation était imminente. « Le sommeil était donc plaisant » car il pouvait permettre d’atteindre des niveaux spirituels exceptionnels.

Les élévations spirituelles de cette nuit furent telles qu’elles affectèrent même l’environnement au point qu’aucune créature vivante ne vint perturber leur sommeil.

Le but du Don de la Torah

Mais D.ieu n’en fut pas content. Ce n’était pas la manière adéquate de se préparer.

Il a été souvent dit que le Don de la Torah apporta une nouvelle dimension à l’observance des Mitsvot, par rapport à celle de nos Patriarches. Désormais, elles allaient avoir un effet durable sur les matières physiques, concrètes, avec lesquelles elles étaient accomplies, les imprégnant de sainteté.

Pour atteindre le summum de notre service Divin, il ne s’agit pas d’abandonner le corps mais de l’utiliser. C’est par ce type d’efforts que le lien est établi avec l’essence de D.ieu et non par une âme immatérielle.

Le Don de la Torah avait pour but de mettre l’accent sur l’avantage d’un service Divin accompli par une âme habillée dans un corps. La préparation à cet événement devait aller dans le même sens : non dormir pour s’élever au-dessus du corps mais travailler avec son corps.

Nul ne peut rester une île

Certains demandent : « Pourquoi serais-je concerné par l’obscurité du monde ? Pourquoi devrais-je m’impliquer dans la matérialité ? Il est préférable que je me coupe de tout cela et que je me consacre à étudier la Torah et à améliorer mon service Divin, sans être dérangé par quiconque ! »

Ceux-là disent qu’ils ont atteint le niveau de Chavouot où la « nuit », l’obscurité de notre monde, est courte. Ils veulent atteindre les plus hauts niveaux (« le sommeil de Chavouot est agréable ») et ne pas être dérangés par les moustiques qui les entourent. Ils doivent savoir qu’avant même que la Torah ne soit donnée, en fait, même le jour où elle fut donnée, une telle approche était contraire à l’intention Divine.

Voilà pourquoi nous ne dormons pas à Chavouot, la nuit qui précède le Don de la Torah. Il ne s’agit pas simplement de réparer l’erreur de nos ancêtres mais le fait de rester éveillés est en soi une préparation au Don de la Torah.

L’approche adéquate veut que nous nous impliquions avec le corps, l’âme animale et notre part du monde. Ainsi nous préparons-nous à recevoir la Torah avec une joie qui se déploiera tout au long de l’année.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Chavouot ?

On a coutume de se couper les cheveux la veille de Chavouot, donc cette année le mardi 30 mai 2017.  On allumera une bougie de quarante-huit heures pour pouvoir allumer les bougies du second soir de Chavouot.

Après avoir mis quelques pièces à la Tsedaka mardi soir 30 mai (à Paris avant 21h 26) et mercredi soir 31 mai (après 22h 44), les femmes allumeront les deux bougies de la fête (les jeunes filles et les petites filles allumeront une bougie), avec les bénédictions :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Yom Tov » 

 2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé ».

Il est de coutume de lire le "Tikoune de Chavouot" la première nuit de Chavouot jusqu'à l'aube, donc la nuit du mardi 30 au mercredi 31 mai.

Tous, hommes, femmes et enfants, même les nourrissons, se rendront à la synagogue mercredi matin 31 mai pour écouter la lecture des Dix Commandements. On marque ainsi l’unité du peuple juif autour de la Torah, et on renouvelle l’engagement d’observer ses préceptes.

On a l’habitude de prendre un repas lacté avant le vrai repas de viande mercredi midi.

Jeudi 1er juin, on récite, pendant l’office du matin, la prière de Yizkor en souvenir des disparus : on donnera de l’argent à la Tsedaka pour leur mérite après la fête.

La fête se termine jeudi soir 1er juin après 22h 50 (heure de Paris) avec la prière de la Havdala. Rappelons qu’on ne récite pas la prière de Tahanoun (supplications) depuis Roch ‘Hodech Sivan (vendredi 26 mai) jusqu’au 12 Sivan (mardi 6 juin).

Le Recit de la Semaine

 Est-ce vraiment arrivé ?

La fête de Chavouot marque la Hilloula du Baal Chem Tov

On sait que plus un homme est grand spirituellement, plus son mauvais penchant peut l’être également - comme le prouve le récit suivant…

Un des disciples du Baal Chem Tov (qu’on appelait Reb Morde’haï) entretenait, malgré (ou peut-être à cause de) sa grandeur spirituelle, le désir secret de devenir… sorcier !

Bien sûr, il savait que la Torah interdit littéralement ce genre d’occupation mais son désir devenait une passion et cette passion l’aveuglait. Il était déterminé : ce Chabbat serait le dernier qu’il passerait auprès de son Rabbi. Dès le dimanche matin, il s’en irait très loin et entamerait un nouveau chapitre dans sa vie. Il avait déjà soigneusement préparé une liste de contacts potentiels et son plan était parfaitement au point.

Ce vendredi soir, il se conduisit comme à l’accoutumée. Après la prière, il s’assit à la table de Chabbat, chanta les mélodies traditionnelles, goûta à tous les plats, écouta les paroles de Torah du Baal Chem Tov puis de ses ‘Hassidim. Mais son esprit était ailleurs, très loin. Il ne se sentait plus très à l’aise, d’ailleurs il avait très chaud, trop chaud : il enleva son chapeau de fourrure, puis sa redingote de Chabbat. Cela ne suffisait pas, il lui fallait sortir de là ! Jamais il n’avait fait aussi chaud ! Pourtant, dehors, il voyait combien le vent soufflait, la neige tombait à gros flocons, nul n’osait s’aventurer dans ce froid glacial ! Et lui, il suait à grosses gouttes ! Il allait s’évanouir de chaleur !

- Puis-je sortir quelques minutes ? demanda-t-il au Baal Chem Tov. J’ai besoin d’air frais !

- Oui mais uniquement pour quelques minutes, répondit le maître. Reviens vite car c’est dangereux dehors !

Morde’haï sortit, soulagé de pouvoir enfin respirer, même s’il faisait effectivement très froid. Mais il sentit bien vite la chaleur l’envahir à nouveau. Sans réfléchir davantage, il ouvrit les boutons de son manteau puis de sa chemise et se frotta la peau avec de la neige. La sensation de froid s’atténua pourtant encore et, pour chasser cette chaleur, il se mit à courir : le vent qui fouettait son visage lui était si agréable que, bien qu’il tombât plusieurs fois, il s’enfonça dans la forêt. Le monde basculait autour de lui : la chaleur, la forêt, la neige, les arbres, les étoiles et il s’évanouit dans la neige.

Il se réveilla dans une pièce inconnue ; il était alité, un vieux paysan et sa femme veillaient sur lui.

- Nous avons pensé qu’on t’avait tué quand on t’a trouvé étendu dans la neige ! Cela fait déjà une semaine que tu dors ! Comment te sens-tu ? Veux-tu un peu de soupe chaude ? D’où viens-tu ?

Non, Morde’haï ne se souvenait de rien. Le bol de soupe lui rendit des forces et ses nouveaux « parents » le surnommèrent Vladimir. Au bout de quelques jours, il se sentait mieux et se mit à apprendre comment se rendre utile dans la ferme, comment conduire une charrue… Il réussit tant et si bien qu’il comprit qu’il fallait agrandir la ferme. Il acheta le terrain d’un voisin, embaucha du personnel et, en cinq ans, sa ferme était devenue une immense propriété.

Un jour, le vieux propriétaire revint d’une promenade avec un morceau de journal et commenta avec un grand sourire : « On recherche de nouveaux colonels pour l’armée. Je pense que tu devrais tenter ta chance et devenir quelqu’un de vraiment important !

Regarde tout ce que tu as déjà accompli de merveilleux ici : tu es quelqu’un de spécial ! Ne perds pas ton temps et tes capacités à vivoter dans cette ferme ! Cela fait déjà assez de temps que tu végètes ici ! ».

« Vladimir » (encore sous l’emprise de l’amnésie) se lança dans l’aventure de l’armée et franchit toutes les étapes à une vitesse stupéfiante et, lors de la guerre entre son pays et la Pologne, il dirigea les cavaliers du roi. Il faudrait encore de nombreux chapitres pour décrire tous ses exploits, tous les combats auxquels il participa victorieusement, le nombre de fois où il frôla la mort de justesse… Lors d’un de ces féroces combats, tous ses supérieurs avaient été tués et il dut prendre la place du général : il remporta la bataille contre tous les pronostics.

Soudain, les souvenirs remontèrent à son esprit. Il se souvint de cette soirée dix ans auparavant, quand il avait quitté la table du Baal Chem Tov ! Il s’arrêta quelques instants, contemplant tout ce qui lui était arrivé depuis cet instant crucial. Il ordonna alors à ses soldats : « Descendez ! Retournez dans votre campement et préparez-vous ! Dans une heure, nous partons pour une marche de trois jours ! ». Effectivement, au bout de trois jours de marche, le bataillon arriva dans la forêt qui encerclait la petite maison d’étude du Baal Chem Tov. On était en plein hiver, exactement comme dix ans auparavant. « Vladimir » intima à ses soldats l’ordre d’allumer des torches puis de dégainer leurs épées : la lumière était maintenant aveuglante, le bruit des épées assourdissant puis un lourd silence s’installa. Le général descendit de son cheval, s’approcha de la cabane en bois et frappa la porte du manche de son épée.

- Ouvrez au nom du roi ! Voyez ce qui arrive au ‘Hassid qui quitte son Rabbi ! Ouvrez à l’armée de dix mille hommes !

Lentement, la porte s’ouvrit. Le Baal Chem Tov sortit la tête par la fenêtre :

- Morde’haï ! Tu es encore là ? Cela fait déjà plus de cinq minutes que tu te trouves dehors ! Tu veux devenir malade ? Rentre vite !

- Cinq minutes ? s’esclaffa le vaillant général. Regardez tous mes glorieux soldats et vous ne parlerez plus de cinq minutes ! ajouta-t-il avec un grand geste orgueilleux.

Il se retourna… et il n’y avait rien ni personne ! Même son propre cheval avait disparu ! Et son épée dont il était si fier ! Le vent soufflait dans les arbres et la neige recouvrait toute la végétation et il portait les mêmes habits qu’il y a dix ans… Ce n’était donc qu’un rêve ?

Il comprit alors que le Baal Chem Tov avait lu dans ses pensées depuis bien longtemps et, humblement reprit sa place auprès de son Rabbi, sa véritable place…

Rav Touvia Bolton – Kfar Chabad

Traduit par Feiga Lubecki

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