Un jour, en 1982, je reçus un coup de téléphone du secrétariat du Rabbi. Rav Hodakov me demandait – au nom du Rabbi – s’il m’était possible d’aller donner des conférences en Russie Soviétique. C’était à l’époque de Brejnev quand le rideau de fer isolait encore l’Union Soviétique et que les Juifs n’avaient aucune possibilité d’y obtenir un minimum d’éducation juive.
Pourquoi le Rabbi souhaitait-il me faire voyager en Russie ? Je ne parle même pas le russe ! La réponse me stupéfia : «Trois professeurs là-bas – deux à Moscou et un à Leningrad – entretiennent des relations clandestines avec les ‘Hassidim de Loubavitch qui y habitent encore. Ils souhaitent se rapprocher du judaïsme mais ils butent sur une question qui les empêche d’avancer sur la bonne voie : et ce n’est rien d’autre que la soi-disant contradiction entre la Torah et la science !»
Et c’était pour les aider à surmonter leurs doutes que le Rabbi désirait menvoyer en Russie !
Le Rabbi de Loubavitch qui habitait à Brooklyn me contactait au Minnesota pour que trois savants juifs russes progressent dans leur pratique des Mitsvot ! J’ignore quel effet nos discussions eurent à l’époque mais je sais qu’ils sont tous les trois installés maintenant en Israël avec leurs familles et que tous sont devenus pratiquants… Je crois que le fait même que le Rabbi m’avait choisi pour répondre à leurs questions les avait impressionnés, bien plus que mes arguments…
Ce fut un voyage mémorable. Il fallait d’abord trouver un prétexte pour mes conférences. Ensuite, le Rabbi insista pour que mon épouse m’accompagne. (Je dois souligner que le Rabbi couvrit toutes les dépenses).
Nous avons effectué une étape importante à Londres pour y rencontrer Rav Shmuel Lew qui devait nous «préparer» à cette mission bien particulière : lui-même avait déjà effectué ce genre de voyages auparavant.
D’abord il nous montra un album de photos, avec les visages de Juifs que nous serions amenés à rencontrer : il pointa du doigt ceux sur lesquels on pouvait compter puis ceux dont il fallait se méfier… Nous devions, ma femme et moi, tout enregistrer dans la tête, retenir tous ces noms par cœur !
Quelques heures avant notre départ pour Moscou, il nous rendit visite dans notre chambre d’hôtel et nous demanda d’ouvrir nos valises. A notre consternation, il les vida complètement et ne permit à mon épouse d’emporter que deux tenues – une pour la semaine et une pour Chabbat ! Moi aussi, je n’eus le droit de garder qu’un seul set de vêtements de rechange ! Et pourquoi ? Parce qu’il avait besoin de chaque centimètre carré de nos bagages…
Il se mit à remplir nos valises de tout ce dont les Juifs de Russie avaient besoin : des livres sur le judaïsme, un dictionnaire hébreu-anglais, des aliments à base de lait «Chamour» (surveillé depuis la traite par un Juif), de la charcuterie glatt cachère, de la nourriture pour bébés strictement cachère. Il me confia même un «Guet», un acte de divorce que je devais remettre à une certaine femme juive qui était revenue à une vie de Torah mais dont le mari s’était séparé avant de s’enfuir à l’étranger.
Rav Lew ouvrit même la trousse de maquillage de mon épouse. Il vida les flacons de parfum et les remplit… d’encre pour écrire les parchemins de Téfilines et Mezouzot. Nous avons alors refermé les valises et les avons entourés de lanières bien spéciales : sept mètres de lanières en cuir noir, parfaites pour confectionner des Téfilines !
Pour couronner le tout, Rav Lew me confia quatre paires de Téfilines. Je refusais de les introduire dans mes bagages à main mais Rav Lew eut un sourire désarmant : «Non, ne les emportez pas dans votre sac, mettez-les !» N’y tenant plus, je m’insurgeai : «Vous êtes complètement fou ! Les Téfilines se feront remarquer, j’apparaîtrai comme quelqu’un d’obèse, rempli de bourrelets…! On va me fouiller intégralement ! Ils verront bien que je n’ai pas l’air normal !»
Et Rav Lew de rétorquer : «Vous croyez que même une seule paire ne se fera pas remarquer ?»
Docilement, j’ai fait confiance à sa longue expérience et c’est ainsi que j’ai porté sur mon corps quatre paires de Téfilines depuis Londres jusqu’à Moscou.
Seul le Rabbi qui se souciait comme un berger fidèle des Juifs de Russie avait pu décider de m’envoyer là-bas pour trois Juifs isolés ! Le Rabbi n’était pas intéressé par des colloques à propos des cent cinquante prochaines années à venir. Il désirait que j’aille convaincre trois professeurs que ce qui les gênait dans leur perception de la Torah n’était pas conforme à la réalité et ne devait pas les empêcher d’adhérer strictement au judaïsme. Maintenant.
Je devais leur permettre de goûter à la joie de la Mitsva. Je devais inviter des étudiants à ressentir la beauté de leur tradition. Je ne devais pas me laisser impressionner par de soi-disant géants et par la jeune génération ! Le Rabbi me prouvait qu’il était possible – actuellement – d’effectuer des changements et de façon bien plus rapide que je ne l’aurais cru possible.

Professeur Velvel Green (zal)
traduit par Feiga Lubecki

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