Il y a quelques années, la Grèce était en proie à toutes sortes de grèves et d’émeutes. Excédés, les chômeurs envahissaient les rues, détruisaient voitures et équipements urbains, allumaient des incendies et affrontaient les forces de l’ordre. Les touristes potentiels avaient annulé leurs réservations et Rav Yoel Kaplan, l’émissaire du Rabbi à Salonique, n’accueillait aucun visiteur puisque chacun évitait de sortir si ce n’était pas absolument nécessaire.
Même après la fin des émeutes, la tension demeurait palpable. Mais Rav Kaplan ne pouvait rester inactif plus longtemps: il devait s’occuper des Juifs locaux et des affaires courantes comme par exemple se rendre au bureau de poste. Celui-ci était située dans un quartier qui abritait des jeunes gens désœuvrés au mieux, délinquants au pire. D’ordinaire, pour s’y rendre, Rav Kaplan utilisait des chemins détournés et une entrée par l’arrière du bâtiment.
Or ce jour-là, il n’avait pas de temps à perdre et oublia ses précautions habituelles. Il se dirigea directement vers le bureau de poste mais, immédiatement, il se mit à le regretter. Un groupe d’une dizaine de jeunes, certains d’entre eux tatoués, l’observaient en ricanant, les yeux remplis de haine. Sa barbe fournie, son long manteau noir et son chapeau agissaient comme un drapeau rouge devant un taureau agressif pour ces jeunes gens imbibés d’alcool et de préjugés.
Rav Kaplan aurait pu précipitamment rebrousser chemin mais quelque chose lui disait qu’il devait continuer à marcher fièrement. Déjà il entendait des injures, formulées d’abord en grec puis en anglais puisqu’ils savaient qu’il était américain d’origine. Quelle que soit la langue, le contenu était violemment antisémite.
Il avait déjà expérimenté l’antisémitisme : d’habitude il l’ignorait mais cette fois-ci, allez savoir pourquoi, il leva une main en signe d’amitié et tout en avançant, il s’écria aussi cordialement que possible : «Bonjour !»
- A qui parles-tu ? demanda le plus grand d’entre eux.
Soudain Rav Kaplan réalisa que, comme Avraham, 4000 ans avant lui, il se trouvait seul face à un monde hostile auquel il était chargé de donner un sens. Comme Avraham, il était certain que D.ieu l’accompagnait et l’aidait.
En souriant, il répondit : «Vous ne me parlez peut-être pas à moi mais vous parliez certainement de mon peuple !»
- Exact, Juif ! ricana le gaillard avec une bordée d’injures. Oui, nous parlions de votre peuple de voleurs, menteurs et brigands. Et nous continuerons à en parler tant que vous ne serez pas tous exterminés etc…
Rav Kaplan ne se départit pas de son sourire et répliqua calmement : «Vous avez l’air intelligents ! Vous n’avez aucune raison de me détester ou d’ailleurs de haïr aucun autre Juif. D’ailleurs si vous étiez mieux informés, je suis sûr que vous ne parleriez pas ainsi !»
C’en était trop pour le chef de la bande. Très en colère, il brandit un poing devant le visage de Rav Kaplan et susurra : «Je suis diplômé de boxe! Si tu ne veux pas de démonstration, tu ferais mieux de déguerpir au plus vite et de ne pas revenir !»
Rav Kaplan réalisait que la situation lui échappait ; il se tourna calmement vers les autres, leur souhaita chaleureusement une bonne journée et continua son chemin vers le bureau de poste. Une fois qu’il eut réglé ses transactions, il décida de ne pas se laisser intimider et de reprendre le même chemin. Après tout, il se trouvait à Salonique pour répandre le bien et le même D.ieu d’Abraham qui l’avait déjà protégé viendrait à son aide cette fois encore.
Il se passa alors quelque chose d’inhabituel: «Ils» étaient calmes. Encore une fois, il leur souhaita une bonne journée et ils répondirent – tous sans exception – «Pour vous aussi !»
Il continua et le «boxeur» qui l’avait menacé auparavant lui tendit la main : «Je tiens à m’excuser pour ce que nous avons prétendu tout à l’heure. Nous en avons discuté et décidé que vous aviez raison. C’est vrai, nous ignorons tout du judaïsme, nous sommes sans doute influencés par ce que racontent les média ou ce que prétendent les gens…»
Rav Kaplan lui serra la main, sourit et déclara : «J’accepte vos excuses ! Le fait est qu’il ne faut jamais juger quelqu’un avant de le connaître et il est évident qu’on ne doit pas haïr quelqu’un juste à cause de ses opinions. Tenez, voici ma carte de visite, appelez-moi si vous avez le temps, on en discutera en prenant un café…»
S’il avait eu des doutes au début, il était maintenant convaincu d’avoir bien agi, d’avoir pu dissiper un peu de la haine dans les rues, d’avoir peut-être convaincu ces jeunes de mieux gérer leurs vies…
Quelques jours plus tard, il reçut un coup de téléphone :
- Hé, Monsieur le rabbin, je suis Alexandros ! Vous vous souvenez de moi ? Vous m’aviez donné votre carte l’autre jour ! Je peux passer?
Rav Kaplan était agréablement surpris et fut ravi de présenter Alexandros à son épouse et ses enfants.
Puis ils s’assirent pour discuter, Alexandros avait de bonnes questions mais quand, après la troisième ou quatrième tasse de café, le sujet «Qui est Juif» fut abordé, et que Rav Kaplan expliqua qu’est Juif celui qui est né d’une mère juive ou qui se convertit sérieusement, Alexandros devint très sérieux et se livra à des calculs.
Il annonça que sa grand-mère maternelle lui avait raconté qu’elle avait un jour été… juive !
De fait, elle avait elle-même été une juive pratiquante mais son mari et ses enfants avaient été tués pendant la Shoah. Elle s’était cachée dans les montagnes et, à la fin de la guerre, avait abandonné le judaïsme et s’était mariée avec un non-Juif. Alexandros estimait que si elle avait quitté le judaïsme, elle n’était plus juive.
Mais Rav Kaplan le remit sur les rails.
Donc la grand-mère avait donné naissance à une fille qui s’était mariée avec un Grec orthodoxe et avait elle-même donné naissance à un garçon, Alexandros. C’est ainsi qu’il découvrit qu’il était lui-même juif.
Il emmena même Rav Kaplan rendre visite à sa vieille grand-mère qui accepta de faire poser une Mezouza à sa porte. Et Alexandros s’engagea à mettre les Téfilines chaque jour.
Ceci s’est passé il y a quelques mois et l’histoire n’est sans doute pas terminée…
Rav Tuvia Bolton Yechiva Ohr Tmimim
traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 28 novembre 2020