Au début du 19ème siècle, les frères Chmouel Abba et Pin’has Shapiro furent faussement accusés de la mort d’un certain Lazer : celui-ci aurait soi-disant découvert que les deux frères publiaient de façon clandestine des livres suspects. Malgré le manque de preuves, les deux frères furent jetés en prison et soumis à de terribles tortures pour leur faire avouer leur crime. Le Tsar Nicolas lui-même s’intéressa à cette affaire. Cependant, les deux frères avaient décidé d’accepter tout ce qui leur arrivait comme la Volonté de D.ieu et restèrent fermes dans leur volonté de continuer à prier, étudier et garder confiance en D.ieu.

Le vendredi 29 Av 1839, les deux frères qui avaient déjà été affaiblis par trois années de détention furent condamnés à recevoir 1500 coups de fouet ! Pour cela, ils devaient marcher trois fois entre deux rangées de 250 soldats vigoureux et sans pitié qui leur assénaient ces coups de fouet ; s’ils survivaient, ils seraient envoyés en Sibérie. Les deux frères entonnèrent un chant exprimant leur fierté d’être juifs et leur complète confiance en D.ieu. Malgré la violence des coups, les deux hommes menottés continuèrent leur marche comme si des anges les protégeaient jusqu’à ce que Chmouel s’arrête : non, il ne tomba pas mais refusa de continuer à avancer tandis que les soldats, eux, continuaient de lui infliger des coups : c’est que sa Kippa venait de tomber et il n’était pas question pour lui de marcher sans Kippa, sans ressentir la Présence de D.ieu au-dessus de lui ! Impressionné, un officier la ramassa, la remit sur sa tête et la marche avec les coups reprit ! Évanouis mais miraculeusement vivants, les deux prisonniers souffraient de multiples blessures et fractures ; le récit de leur incroyable confiance en D.ieu et leur esprit de sacrifice inspira des générations de Juifs russes.

Après quelques mois de convalescence, les deux frères furent incarcérés dans diverses institutions à Moscou ; là ils purent inspirer par leur courage les Cantonistes, ces Juifs qui avaient été enrôlés depuis l’âge de douze ans (et même huit ans !) dans l’armée du Tsar où certains avaient résisté, au prix d’énormes souffrances, aux tentatives de les convertir. Au bout de 22 ans, à la mort du Tsar, les deux frères furent finalement libérés.

Durant cette incarcération, ils avaient été autorisés à détenir une coupe de Kiddouch et une boîte d’épices pour la Havdala. Mais ils auraient tant souhaité posséder un Séfer Torah ! Comment leur faire parvenir un tel objet ? Les Juifs de Moscou décidèrent alors de faire écrire des parchemins d’à peine 20 centimètres de haut en les faisant passer pour de longues lettres écrites par la famille. Chacun des feuillets avait 7 à 8 colonnes écrites sur 42 lignes ; on les fit parvenir un à un aux deux prisonniers. Les descendants de Rabbi Chmouel Schmelke de Nikolsbourg avaient fourni pour cela une encre spéciale, remarquable pour sa solidité puisque l’écriture de ce Séfer Torah est encore très lisible aujourd’hui. Au bout de quelques mois, les deux frères furent ainsi en possession de tous les parchemins et purent s’en inspirer pour étudier. A leur libération, ils les firent coudre de la manière traditionnelle pour constituer un véritable Séfer Torah connu comme « le Séfer Torah de Messirout Néfech », du dévouement ultime pour le Nom de D.ieu. Il manquait encore les Etz ‘Haïm, les deux bâtons en bois sur lesquels les parchemins sont cousus : ils reçurent alors deux Etz ‘Haïm qui provenaient de Rabbi Ye’hiel Michel de Zlotchov qui, sous inspiration divine des années auparavant, les avaient destinés à être offerts à de grands Tsadikim pour un Séfer Torah absolument unique.

Ce Séfer Torah demeura la possession des descendants du frère aîné, Rabbi Chmouel Abba Shapiro. Après bien des tribulations, un des arrières petits-fils, nommé lui aussi Chmouel Abba réussit à sortir de Russie soviétique en 1946 avec le Séfer Torah : d’après certains témoins, il l’aurait enveloppé autour de lui pendant le long voyage vers la Terre d’Israël. Il aurait voulu le remettre au précédent Rabbi de Loubavitch qui était un de ses lointains cousins et qui, lui aussi, avait énormément souffert des autorités russes mais ceci ne put se concrétiser.

S’il avait été vendu aux enchères, ce Séfer Torah aurait atteint un prix astronomique mais n’importe quel prix était trop faible par rapport à sa véritable valeur. Finalement, des ‘Hassidim décidèrent qu’il devait être offert au Rabbi de Loubavitch. Après bien des discussions (et le versement d’une forte somme destinée à dédommager Rav Chmouel Abba pour ses efforts), le Séfer Torah fut acheminé en 1954 jusqu’à New York, avec les autres objets des frères Shapiro : une Mezouza, l’assiette du verre de Kiddouch et la boîte d’épices en argent. Quand le ‘Hassid Rav Pin’has Althaus les disposa sur la table du Rabbi et annonça qu’ils avaient appartenu à ces deux Tsadikim, le Rabbi se leva et murmura : « Par quel mérite ai-je mérité de les recevoir ? ». Deux ans et demi plus tard, Rav Chmouel Abba offrit aussi au Rabbi une canne ayant appartenu à son ancêtre ainsi qu’un volume du ‘Hok LeIsraël dans lequel les deux frères avaient étudié.

Le Rabbi utilisa ce Séfer Torah pour la première fois le second jour de Roch Hachana. C’est avec ce Séfer Torah que le Rabbi dansait à Chemini Atséret et Sim’hat Torah, le Séfer Torah de Messirout Néfech !

Rav Sholom Dov Ber Avtzon – The Brothers of Slavita

Traduit par Feiga Lubecki

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