Il y a quelque temps, j’attendais le bus pour rentrer à Jérusalem. Un ‘Hassid de Belz, venu de Belgique, s’assit à côté de moi et nous avons commencé à bavarder.

- Je vois que vous êtes un ‘Hassid du Rabbi de Loubavitch. Je voudrais vous raconter une histoire qui m’est arrivée personnellement !

(Son histoire était tellement digne du Baal Chem Tov qu’il ne manquait que le cocher et le carrosse…).

Il venait de Belgique ; ce qui lui était arrivé s’était passé il y a plus de trente ans mais pour lui, c’était comme si c’était arrivé la veille !

- En tant que responsable de la supervision rabbinique, je m’étais rendu à Cordoue en Espagne pour vérifier la production d’huile cachère pour Pessa’h. Je pris une chambre dans un hôtel situé près de l’ancien ghetto ; j’avais emporté des boîtes de conserves cachères.

Le premier soir, alors que je rentrai de l’usine, je remarquai qu’un homme que je pris pour un Arabe me regardait : j’ai l’habitude de cela car généralement, je ne passe pas inaperçu avec ma barbe et mes longues Péot. Mais il scrutait mon visage de plus en plus intensément et se mit à me suivre. J’avoue que je commençai à m’inquiéter : il y avait justement eu plusieurs attentats antisémites un peu partout dans le monde et son attitude était pour le moins troublante. Je me rendis rapidement dans ma chambre pour l’éviter.

Le lendemain matin, alors que je me préparai à sortir pour aller au travail à l’usine, j’attendais le taxi qui devait m’emmener mais je remarquai que l’homme en question se tenait encore près de moi et qu’il semblait vouloir s’approcher de moi. J’entrai prestement dans un magasin d’antiquités à côté de l’hôtel et fis semblant de m’intéresser aux objets en vente, parmi lesquels je remarquai immédiatement un parchemin un peu brûlé, de fait un morceau d’un Séfer Torah ! J’expliquai au propriétaire ce que cela représentait, que c’était un objet sacré et qu’il ne fallait pas le profaner davantage. Par chance, quand je sortis de la boutique, mon taxi était arrivé et j’étais donc à l’abri de cet homme étrange.

Quand je rentrai à l’hôtel ce soir-là, j’aperçus cet homme assis sur le canapé dans le lobby, comme s’il attendait quelqu’un. Quand j’entrai, il me dévisagea de nouveau avec insistance et j’en devins nerveux. Je ne pouvais pas faire grand-chose. Je ne parlai pas espagnol et il n’y avait dans tout l’hôtel qu’une seule personne qui parlait français mais je ne savais pas comment expliquer rationnellement mes craintes. Tout ce que je pouvais faire, c’était me cloîtrer dans ma chambre mais avant que j’aie eu le temps de monter dans ma chambre, l’homme fut soudain appelé au téléphone. Il se leva sans remarquer qu’il avait oublié son carnet d’adresses sur le canapé. Comme j’étais très inquiet, je n’eux pas de scrupules à ramasser ce carnet sans que personne me remarque et je montais innocemment dans ma chambre.

Nerveusement, je feuilletai le carnet et y trouvai plusieurs numéros de téléphone avec des adresses en Irak, en Turquie et au Kurdistan. Mais, à la dernière page, je vis quelque chose qui me laissa pantois : collée avec un scotch se trouvait une photo du Rabbi de Loubavitch !

Que faisait la photo du Rabbi à Cordoue, un endroit sans doute vide de Juifs ? Et qui était cet homme dont le carnet contenait la photo du Rabbi ? Pourquoi essayait-il de me suivre ? Et plus important : se pouvait-il que cet homme soit un Juif ?

En tous cas, je n’avais plus de raison d’être inquiet. Même s’il n’était pas juif, je me dis qu’un homme qui porte la photo du Rabbi dans sa poche ne devrait pas vouloir me tuer. Sans doute cet homme avait-il voulu me parler mais n’avait pas osé car, soupçonneux, j’avais gardé mes distances…

Le lendemain matin, avant que je ne parte pour l’usine, je le revis. Il semblait chercher quelque chose frénétiquement. Je savais bien ce qu’il cherchait mais j’étais en retard et je n’avais pas le temps de lui parler. Le soir, quand j’arrivais, il était toujours à la recherche de son carnet. Je me dirigeais droit vers lui et l’accostais en français :

- Vous cherchez quelque chose ?

Mais il répondit poliment que tout allait bien. J’insistai :

- Si vous me répondez, je pense qu’on pourra s’arranger…

- Que voulez-vous savoir ? demanda-t-il.

- Qui êtes-vous et d’où venez-vous ? Etes-vous un Arabe ou un Juif ? continuai-je, bien décidé à faire redescendre la tension de ces derniers jours.

Il n’avait pas très envie de me répondre, murmura qu’il avait beaucoup voyagé ces derniers temps… Je décidai d’aller droit au but :

- Je sais que, dans le carnet que vous avez perdu, il y a une photo du Rabbi de Loubavitch !

- Vous l’avez retrouvé ?

- D’abord vous me répondez : qui êtes-vous et que faites-vous ici !

- D’accord mais à condition que vous ne me demandez pas mon nom et je ne vous demanderai pas le vôtre ! Vous connaissez le Rabbi ?

- Oui, répondis-je, j’ai même déjà reçu deux billets d’un dollar de sa main et je suis en admiration devant lui !

- Bon. Voilà, je suis juif et j’ai servi en tant que vice-consul américain en Irak. Il y a deux ans, le Rabbi m’a convoqué pour une entrevue privée et m’a demandé d’utiliser mes liens diplomatiques pour remplir plusieurs missions dans des pays arabes. Et nous avons été en contact depuis pour un certain nombre de missions. Je vous donne un exemple : une fois, le Rabbi m’a donné un bout de papier où il avait dessiné la carte d’un certain endroit à la frontière entre l’Irak, la Turquie et le Kurdistan. Il me dit que là-bas se trouvait un Mikvé (bain rituel) qui présentait certains problèmes de Hala’ha qu’il détailla. Il me demanda de me rendre là-bas et de procéder aux réparations !

Or, je savais avec certitude que dans cette ville, il n’y avait absolument aucun Juif ! J’ai osé poser la question au Rabbi : «Pourquoi réparer le Mikvé alors qu’il n’y a aucune famille juive dans la région ?». Mais le Rabbi était déterminé : «Faites ce que je vous dis et si ce n’est pas exactement comme je vous ai dit, contactez-moi !».

J’y suis allé, j’ai trouvé le Mikvé et j’ai procédé aux réparations comme il l’avait recommandé. J’en avisai le Rabbi par la suite et il me remercia. Mais cela restait pour moi un mystère. Puis j’appris que le gouvernement d’un des pays voisins avait envoyé un groupe de familles juives exactement à l’endroit où se trouvait ce Mikvé absolument cachère – à leur disposition !

Le Rabbi de Loubavitch avait aussi utilisé ma valise diplomatique pour apporter des objets de culte aux Juifs de ces pays. Bien entendu, c’était très dangereux et, pour me protéger, je portais toujours cette photo du Rabbi sur moi. Au fait, savez-vous où se trouve mon carnet ?»

Reb Yinon HaKohen Roth - Jérusalem

Traduit par Feiga Lubecki

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