Le soutien de la vie

     Depuis quelques jours déjà, j’ai envie d’écrire quelque chose, mais je me retiens de le faire. J’aurais voulu et, à n’en pas douter, j’aurais dû, pour mon fils, auquel D.ieu accordera de longs jours et de bonnes années, adopter une formulation moins déprimée, mais que faire ? Pour l’heure, je n’ai pas l’impression d’en être capable.

     Cela fait neuf ans que je suis arrivée ici. Je remercie D.ieu pour mon fils, qui multiplie les accomplissements positifs, ces dernières années. Il possède, que D.ieu le garde, les forces, l’érudition, de grandes connaissances, au-delà de ce que l’on rencontre couramment. A ceci, s’ajoute la grandeur et la sainteté de son âme, de sorte que chacune de ses actions est réalisée dans la vérité absolue. Tous en ont conscience et l’apprécient.

     L’abnégation des jeunes est indescriptible. Ils l’aiment, littéralement et ils le considèrent comme un homme de D.ieu. J’observe tout cela, je le comprends et je l’apprécie. Mon fils, que D.ieu lui accorde de longs jours et de bonnes années, peut me dire, à juste titre :

« Pour toi, je suis préférable à dix enfants »(380).

     Certains « acquièrent le monde futur en un seul instant »(381). Lui l’acquiert pendant les dix minutes durant lesquelles il me rend visite, chaque jour. Ce sont ces visites qui me permettent de tenir. Je suis seule depuis douze ans. Je remercie D.ieu pour tout le bien de ma situation actuelle. Mon fils, auquel D.ieu accordera de longs jours et de bonnes années, est le soutien de ma vie.

*   *  *

A l’issue du saint Chabbat, veille du 14 Kislev 5717(379)

Des forces considérables, sans la moindre ostentation

     C’est aujourd’hui l’anniversaire de mariage de mon fils, auquel D.ieu accordera de longs jours et de bonnes années. Que D.ieu, béni soit-Il, lui accorde une longue vie, bonne et heureuse, avec son épouse. Que l’un et l’autre soient satisfaits de leur existence. Vingt-huit années se sont écoulées, depuis lors.

     D.ieu merci, mon fils a multiplié les accomplissements positifs, au cours de cette période. Il a publié de nombreux ouvrages. Sa profonde humilité le conduit à faire tout cela sans la moindre ostentation, mais tous le savent déjà et l’apprécient.

     Il possède des forces considérables. Depuis son plus jeune âge, il n’est jamais resté une minute sans rien faire. Son temps est pleinement utilisé et que D.ieu fasse qu’il soit en parfaite santé, que tout se passe dans des conditions bonnes et agréables.

     Que l’on ait donc une bonne semaine ! J’espère que mon fils va venir et que nous pourrons nous souhaiter mutuellement une bonne semaine, que tout aille toujours pour le mieux.

Adar Chéni 5717(382),

     Quelques mois se sont écoulés et, pendant toute cette période, je n’ai rien écrit. A quoi bon le faire ? Il y a toujours des montagnes d’événements qui se produisent, suscitant des états d’esprit divers et variés. Bien souvent, je désire, de toutes mes forces, exprimer l’un d’eux.

3 Mena’hem Av 5717(382),

Perpétuer la mémoire de mon mari, le Rav

     Mon fils, qu’il ait une longue vie et soit en parfaite santé, vient de repartir. Il a passé dix minutes ici, des minutes qui sont, pour lui, particulièrement difficiles à trouver.

     Lorsque les nuages de mon cœur deviennent très sombres, au point qu’il soit pratiquement possible de les couper au couteau, je vois mon fils et, aussitôt, ils se dissipent. J’ai donc bon espoir que je pourrais écrire ce qui suit sans amertume, au-delà de la mesure.

     Quand on vieillit, on doit admettre que la situation, dans ce domaine, ne s’améliorera pas. D.ieu fasse qu’elle ne s’empire pas. J’aurais réellement voulu que soit perpétuée la mémoire de mon mari, puisse-t-il reposer en paix, en écrivant à son propos, ou bien en publiant une partie de son œuvre, de ce qu’il a écrit et étudié jusqu’au dernier instant de sa vie. Peut-être le moment viendra-t-il pour cela, de mon vivant ou bien par la suite(383). Je pense réellement qu’il le mérite, à titre personnel, par son érudition comme par les immenses forces qui l’animaient.

     Il n’y a même pas une photographie de lui. J’en possédais une qui lui avait été remise, lors de sa libération, après les terribles années qu’il a vécues. Son visage, sur cette photographie, ne ressemblait pas du tout à ce qu’il était, à l’origine. Je n’ai pas voulu que notre fils le voit, dans cet état et, en tout état de cause, je ne pouvais pas lui faire passer la frontière(384).

     En outre, je pensais trouver ici une photographie que nous avions envoyée de Russie, mais D.ieu n’a pas décidé qu’il en soit ainsi et elle a donc été perdue également. Celle qui se trouvait ici était une photographie familiale, sur laquelle il y avait tous les membres de la famille, ensemble.

     Je dois donc oublier tout cela. Je remercie D.ieu pour ceux qui vivent avec nous. Puisse-t-Il faire qu’ils connaissent la réussite dans tous les domaines.

11 Tichri 5718(382),

Yom Kippour et Soukkot dans le plaisir

     C’est donc déjà le 11 Tichri, D.ieu merci et Yom Kippour est passé. Tout s’est déroulé comme il convient. Il(385) a tout dirigé avec une telle hauteur ! J’ai eu beaucoup de plaisir à voir tout cela. Désormais, c’est la fête de Soukkot qui s’approche.

     Cette fois-ci, voilà pourquoi j’écris. C’est actuellement une période de prière. Je demande donc à D.ieu de me sentir bien dans les conditions dont j’ai besoin. Je suis incapable de les améliorer. Le plus grand plaisir, pour moi, est d’entendre et de voir de quelle manière mon fils dirige une réunion ‘hassidique. J’ai plaisir à entendre sa voix et je suis très intéressée par le contenu de ses propos, dans la mesure de ma compréhension.

     Des pensées sur la construction d’une Soukka me viennent actuellement à l’esprit, non pas par crainte de D.ieu(386), mais par l’habitude acquise pendant toutes ces années.

Troisième jour de ‘Hol Ha Moéd 5718(382),

     Je m’empresse d’exprimer par écrit le plaisir que j’ai éprouvé hier. A ce moment-là, j’ai oublié ma propre existence. C’était comme chaque année. A l’occasion de Sim’hat Beth Ha Choéva(387), les enfants des Messibot Chabbat(388) et de Beth Rivka sont venus, avec de nombreux parents. Il y avait une large assemblée, pour la plupart des enfants, bien entendu. Ceux-ci avaient une apparence de fête sur le visage et les organisateurs leur ont donné du bon temps, d’une façon très satisfaisante.

     Cette activité est comparable à celle de Lag Ba Omer(389). Les enfants se sont réunis dans la rue et c’est là que mon fils, auquel D.ieu accordera de longs jours et de bonnes années, s’est adressé à eux. Je ne peux pas décrire l’amour que l’on a pu observer sur leurs visages. Cet amour a explosé dans la joie et dans les danses, avec un immense enthousiasme. Quand il s’agit d’enfants, tout est très vrai et très pur, au point que cela ait également une influence sur les parents. C’est, en tout cas, ce qu’il me semble. Plus de vingt-quatre heures sont passées, depuis lors, mais je ressens encore profondément tout  cela.

     Par la suite, dans la soirée, il y a également eu une réunion ‘hassidique, là encore comme chaque année, pour les élèves des Yechivot(390). Je suis restée assise, là-bas, pendant une heure et demie. Ce fut une nuit de Torah. Durant le moment que j’y ai passé, ses causeries ont porté uniquement sur la partie révélée de la Torah. Les présents sont restés jusqu’à très tard. Ils étaient beaucoup plus nombreux que les années précédentes.

     Mon fils, que D.ieu le garde, a beaucoup parlé. Tous étaient très intéressés par ses propos et l’écoutaient très attentivement. Entre les causeries, il y avait des chants joyeux, auxquels se joignaient toutes les voix, au point que l’on puisse dire, à ce propos, que : « celui qui n’a pas assisté à Sim’hat Beth Ha Choéva n’a jamais vu la joie de sa vie »(391).

     Pour moi, à titre personnel, ce fut une satisfaction et un plaisir moral. Que D.ieu, béni soit-Il, lui accorde de longs jours et tout le bien.

*  *   *

8 Tévet 5718(382),

     Je prends ce papier dans ma main comme s’il était un ami proche, afin d’exprimer, au moins quelque peu, ce que j’ai sur le cœur, malgré l’heure tardive. Je n’écrirai donc pas longuement. Que D.ieu, béni soit-Il, fasse que tous soient en bonne santé.

Notes

(379) 1956.

(380) Chmouel 1, 8.

(381) Selon l’expression du traité Avoda Zara 10b.

(382) 1957.

(383) Les écrits de Rabbi Lévi Its’hak furent effectivement publiés par la suite, comme on l’a indiqué ci-dessus. En outre, une biographie de Rabbi Lévi Its’hak parut également, intitulée Toledot Lévi Its’hak, sous la plume de Rav Naphtali Tsvi Gottlieb, qui fut fortement encouragé par le Rabbi, dans ses travaux de recherche. Une première édition en fut publiée en 1976, puis une édition révisée en 1984 et, enfin, une édition en trois volumes, en 1995.

(384) La frontière soviétique. En quittant ce pays, il était nécessaire d’éviter tous les documents compromettants. Par la suite, on retrouva effectivement cette photographie, « vraisemblablement prise à l’époque de l’exil à Chiili ». La Rabbanit elle-même la remit à son fils, le Rabbi, qui nota : « Est-ce réellement mon père, dont la mémoire est une bénédiction ? ».

(385) Le Rabbi.

(386) En effet, seuls les hommes sont tenus de prendre les repas dans la Soukka, pendant la fête. Néanmoins, les femmes qui le désirent peuvent le faire également.

(387) Les célébrations de la fête de Soukkot, perpétuant celles du Temple, durant lesquelles on puisait l’eau des libations.