Peut-on imaginer une plus grande élévation que celle de l’homme qui fut appelé à « monter vers D.ieu » ? Qui demeura quarante jours et quarante nuits sur le Sinaï ? Est-ce que pour lui, pour Moïse, parvenu à l’apogée de ce que peut-être une vie d’homme, jusqu’au contact de l’Absolu même, la mission assumée au jour le jour n’est pas une constante et terrible épreuve ? Un fardeau matériel insupportable pour un homme arrivé au faîte de la spiritualité ?

Franchement, pareil Maître devrait-il accorder autant de temps, autant d’efforts à répondre à un dangereux mégalomane nommé Pharaon ? Et autant d’énergie à ces récriminations, ces demandes, ces revendications, parfois si triviales des enfants d’Israël ?

N’y a t-il pas contradiction absolue entre la dimension de l’homme Moïse et les problèmes qu’on lui donne à « gérer » au quotidien ?

Moïse est un Tsadik parfait, le Juste de sa génération, un de ces êtres de lumière qui, comme l’explique le Tanya, a non seulement supprimé tout mal en lui mais, bien plus, l’a transformé en bien par la puissance de son amour pour D.ieu. Un amour si grand que la Cabbale l’appelle « ahava betaanouguim », « l’amour dans les délices ».

Il semble aller de soi que pareil homme n’ait pas d’autre désir que de demeurer dans cet état quasi fusionnel avec le divin plutôt que de s’affronter à un monde par rapport à lui si sombre, un monde dans lequel l’obscurité projetée par un personnage tel que Pharaon semble porter si loin.

Mais en fait, un Juste de cette dimension, précisément, n’éprouve plus la séparation entre le Ciel et la Terre, entre spiritualité et matérialité. Il peut prier devant l’Eternel et s’adresser à l’homme le plus simple avec la même vérité, dans l’unité absolue de sa personnalité. Unité qui s’exprime également chez lui par l’absence radicale de tout ego, la perte entière de tout sentiment de vivre en tant qu’existence séparée. Un tel Juste, si l’on peut dire, est toujours dans l’action : son être tout entier, à tout moment, accomplit la Volonté divine.

C’est la dimension même de Moïse qui lui permet de traiter avec un Pharaon borné, d’entendre les exigences immatures d’un peuple en formation : Moïse et sa mission ne font qu’un !

B. Ziegelman

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