צָמְאָה לְךָ נַפְשִׁי
כָּמַהּ לְךָ בְשָׂרִי
(תהילים סג, ב)
עֵך, טִי דוּרין מַרקוֹ, שטָֹא טִי יֶדִיש נאַ י֪רמַרקוֹ, ניֵע קופְּלַיֵיֶש, ניֵע פרוֹדַיֶיש, טָאלקַא רוֹבִּישׁ סוַוארקָא.
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« Mon âme a soif de Toi, ô combien mon corps Te languit. »
(Tehilim 63, 2-3)
« Eh, toi, stupide Marc, pourquoi te trouves-tu au marché ?
Tu ne vends rien, tu n’achètes rien : tu ne fais que semer la discorde ! »
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« Tsama Le'ha Nafchi, Kama Le'ha Bessari »
(Tehilim 63, 2)
« E’h, Ti, Dourine Marko Tchto Ti Yédièch Na Yarmarko ?
Niè Koplayèch, Niè Prodayèch : Tolka Robich Svarko ! »
« Ce chant est un ancien nigoun ‘Habad. Sa première partie est chantée avec les mots du verset : « Tsama Le’ha Nafchi, Kama Le’ha Bessari », et la seconde partie est chantée en Russe. Le contenu de cette dernière partie est le suivant : le « Yetser Hara », le penchant au mal, ainsi que l’âme animale, sont comparés à un villageois stupide, qui s’en va au marché. L’homme lui demande alors pour quelle raison il se rend à cette foire, puisqu’il ne vend rien, et n’achète rien : il n’est là que pour semer la discorde. Dans la relation à D.ieu, ce nigoun représente l’aspiration constante de l’Homme envers la Divinité. »
(Sefer Hanigounim, tome 2, page 17, Nigoun 196)
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La nuit de Sim’hat Torah 5718 (1957), vers cinq heures et demie du matin, le Rabbi sortit de son bureau, et se mit, comme chaque année, à distribuer de la vodka à ceux qui avaient pris la décision de fixer un temps supplémentaire pour l’étude de la ‘Hassidout. C’est là qu’il enseigna une version du nigoun « Tsama Le’ha Nafchi », qui n’était pas connue jusqu’alors.
Le Rabbi expliqua les paroles du chant : « Il s’agit de ce que l’on dit au « Yetser Hara », c’est-à-dire qu’il n’achète ni ne vend : toute son intention n’est que de semer la discorde entre les Enfants d’Israël et notre Père qui est aux Cieux. »
Un des présents raconte : « Ce nigoun avait une saveur particulière qu’on ne saurait définir. Chacun passa devant le Rabbi, comme devant un berger fidèle, et à certains, le Rabbi ajoutait quelques mots supplémentaires. La distribution dura une demie heure, et par la suite le Rabbi s’en alla. »
Quelques mois plus tard, le 11 Chevat, on chanta ce nigoun avec enthousiasme, et le Rabbi en profita alors pour expliquer le contenu profond des paroles de ce chant. Ce qui suit est l’extrait de la si’ha telle qu’elle est imprimée :
« Chacun connaît le sens général des paroles de ce chant. On parle ici du « Yetser Hara », le « roi vieux et stupide » qui est appelé « Dourine » (en Russe – ndt)), ce qui signifie stupide. Il se rend au marché : la ‘Hassidout explique, en effet, que ce monde-ci est comparé à un grand marché, où l’on vient acheter de la marchandise pour s’enrichir.
Cette parabole représente la descente de l’âme dans le monde. Elle provient du Trône de Gloire, et même d’un niveau encore plus haut que celui-ci, ainsi que l’explique l’Admour Hazaken dans le Tanya : elle est une partie de D.ieu Lui-même. Cette âme descend ici-bas, et s’habille dans une âme animale et dans un corps, afin de s’occuper de choses matérielles.
Cette descente n’a pour but que d’obtenir une élévation. Ainsi, il ne suffit pas que « ta sortie de ce monde soit comme ton entrée », mais il faut bien que l’élévation atteigne un niveau supérieur à celui qui précédait la descente.
En d’autres mots : l’âme, en elle-même, telle qu’elle prend sa source sous le Trône de Gloire, n’est qu’une partie de D.ieu. En revanche, grâce à sa descente ici-bas, elle perçoit ce que décrit la Michna : « Une heure de Techouva et de bonnes actions dans ce monde-ci est préférable [à toute la vie du monde futur] ». En effet, par le fait qu’en descendant dans ce monde elle accomplit l’ordre et la Volonté Divines, elle se lie et s’unit avec Celui qui a donné la Torah, qui a ordonné cette Mitsva, pour ainsi « se fondre dans le corps du Roi », et parvenir à ce qui est dit : « Israël et D.ieu ne font qu’Un ».
C’est là le sens de ce qu’ont dit nos Sages, dont la mémoire est une bénédiction : « Les Tsadikim, les Justes, seront un jour nommés du Nom de D.ieu » (et encore plus que cela, cette parole s’applique à chaque Juif, car « Tout Ton Peuple est composé de Tsadikim »). Il s’agit là de l’union de la créature avec Le Créateur, ainsi qu’il est dit : « Vous êtes liés à L’Eternel, votre D.ieu. »
Il se trouve ainsi que, par la Techouva et les bonnes actions dans ce monde-ci, l’on s’enrichit au « marché », d’un bénéfice beaucoup plus important, sans limite : l’on obtient l’union avec D.ieu Lui-même, à un niveau au-delà de toute mesure.
Ainsi, afin d’atteindre cette richesse avec plaisir et délectation, D.ieu veut que tout ceci ne soit pas fait à la manière du « pain de la honte », c’est-à-dire à la manière de quelqu’un qui reçoit quelque chose sans avoir fait d’effort. C’est pour cette raison qu’il y a besoin de quelqu’un qui séduise l’homme afin de l’empêcher de réaliser son travail (en effet, s’il n’y avait que du bien, il n’y aurait pas la notion d’effort). Il s’agit du « Yetser Hara » qui détourne l’homme, afin qu’il trouve en lui les forces de ne pas lui obéir. Ainsi, malgré ses arguments, il choisira le droit chemin, celui de l’étude de la Torah et de l’accomplissement des Mitsvot.
Mais quelle est donc l’intention du « Yetser Hara ? Il est expliqué à ce sujet, dans la ‘Hassidout, qu’il désire lui-même qu’on ne lui obéisse pas. Il connaît l’objectif pour lequel il a été créé : dévoiler le niveau spirituel du Juif, et mettre en évidence le fait que, malgré les difficultés, il accomplit l’ordre de D.ieu. Par cela, il reçoit sa récompense, car grâce à lui, le Juif a accompli son service de D.ieu par son effort, et non à la manière du « pain de la honte ».
Tout ce qui vient d’être dit s’applique à un Juif qui n’écoute pas le mauvais penchant. Mais celui qui l’a suivi, et a transgressé le chemin de D.ieu, cause un double dommage : tout d’abord, lui-même n’a pas accompli l’ordre de D.ieu, et a suivi le chemin inverse, mais même le « Yetser Hara » n’est pas satisfait ! Non seulement il ne recevra pas de récompense, mais bien au contraire, il méritera un châtiment, tout comme chaque chose qui amène de la destruction dans le monde (à la manière d’un animal que l’on tue à cause de relations qu’il a eues avec un être humain), puisqu’à cause de lui, un Juif a trébuché !
Et c’est là le sens de cette argumentation avec le penchant au mal. On comprend parfaitement ses actions lorsqu’il séduit l’homme, mais qu’il n’est pas écouté. Cependant, lorsque ce dernier le suit, non seulement il ne va pas s’enrichir dans ce « marché » (en plus du fait que l’homme non plus ne va rien y gagner), mais il recevra, de plus, une punition pour avoir amené de la destruction dans le monde.
Ainsi, voici donc le sens de ce nigoun : l’objectif final du mauvais penchant est de faire en sorte que le Juif ressente une soif intense envers D.ieu, « Tsama Le’ha Nafchi », puisqu’il se trouve au milieu d’une « terre aride et sèche, sans eau ». Et comme il est expliqué dans le Tanya, c’est la raison pour laquelle « ses fautes sont transformées en mérites ». En effet, « c’est grâce à cela [ses fautes ndt], qu’il arrive à cet amour immense », de sorte que son âme éprouve une soif comme s’il se trouvait sur une terre aride. Ainsi, après que le Juif soit parvenu à cette soif intense, le « Dourine », le stupide n’a plus de quoi s’en mêler, puisqu’il a fait son travail. A ce moment-là, il n’a plus d’autre utilité que de causer de la discorde entre Israël et leur Père Céleste.
Mais alors pour quelle raison le « Yetser Hara » agit-il donc ainsi ? Dans la prière de Yom Kippour nous récitons le passage suivant : « Pour les fautes que nous avons commises devant Toi à cause du « Yetser Hara » ». En effet, la question est connue : toutes les fautes sont commises à cause du penchant au mal ! Quelle est donc la particularité de ces fautes-ci ? La réponse est la suivante.
Il arrive que, lors de certaines fautes, le mauvais penchant lui-même ne veut pas que l’on trébuche en fautant. Il a déjà fait son travail, mais l’homme continue de le stimuler, D.ieu nous en garde, encore plus que le « Yetser Hara » ne le veut lui-même ! … C’est là ce que l’on observe : lorsqu’un homme trébuche et succombe à une faute, après avoir assouvi son désir de fauter, il ne ressent pas de « satiété », son désir n’est pas apaisé, puisque même le mauvais penchant n’a pas voulu qu’il en arrive là (ainsi qu’il est écrit dans certains livres, la manière de distinguer une Mitsva ou une faute est le sentiment que l’action procure à l’homme après qu’il l’ait accomplie. Après avoir fait une Mitsva on est « rassasié », et c’est l’inverse pour une faute).
C’est pour cette raison que l’on argumente avec joie, en chantant : puisque nous sommes déjà parvenus à la soif de D.ieu, alors l’obscurité devrait déjà être transformée en lumière ! Ainsi qu’il est écrit : « Tu aimeras l’Eternel ton D.ieu de tout ton cœur », c’est-à-dire « avec tes deux penchants ». Non seulement le mauvais penchant n’accomplira pas de choses négatives, mais au contraire, il deviendra une aide pour progresser dans l’amour de D.ieu, ce qui permet d’observer les Mitsvot négatives. Ainsi, même le « Yetser Hara » aidera à accomplir les 613 Mitsvot, y compris la Mitsva de se sanctifier dans ce qui est permis, et l’ensemble du service de D.ieu correspondant au verset : « Dans toutes tes voies, connais-Le ».
C’est ainsi que l’on méritera de vivre la suite du verset : « Ainsi je Te verrai dans le Sanctuaire », comme l’explique le Baal Chem Tov : « Pourvu que je Te voie dans le Sanctuaire ». De la même manière que j’avais soif de Toi me trouvant sur une terre aride, j’aurai la même volonté, et la même soif une fois dans le Sanctuaire, c’est-à-dire lorsque s’accomplira la promesse : « Je retirerai l’esprit d’impureté de la Terre », et « La Terre sera emplie de la connaissance de D.ieu ».
A ce moment-là, nous posséderons cette volonté de s’élever de niveau en niveau, « de force en force », dans la sainteté. En effet, même dans la sainteté elle-même, il existe des niveaux sans aucune commune mesure entre eux. C’est pour cela qu’il est nécessaire de posséder cette soif intense qui permet de sortir de ses limites, comme il est expliqué au sujet du verset : « de tous tes moyens », c’est-à-dire tes propres moyens, ceux qui sont les tiens à ce moment-là.
Et cette puissante volonté sera exprimée, par la suite, dans l’action concrète, pour faire de ce monde une demeure pour D.ieu. »
Lors du farbrenguen du Chabat Parachat Matot-Massei 5748 (1988), le Rabbi ajouta une explication concernant l’enseignement particulier que nous apprenons de ce chant :
« Comme nous l’avons vu auparavant, en ce qui concerne l’action de chaque Juif dans le monde, même le fait de repousser quelque chose d’indésirable est accompli par le fait de dévoiler la sainteté qui se trouve au sein de la matérialité du monde. On comprend ainsi qu’il en va de même, à fortiori, en ce qui concerne l’action du Peuple Juif. Même celui dont la situation spirituelle, de manière dévoilée et superficielle, est mauvaise, D.ieu préserve, ne doit pas quitter sa situation indésirable en s’occupant de choses négatives, mais au contraire, en dévoilant la sainteté qui se trouve en lui, c’est-à-dire sa véritable existence.
(En effet, les choses indésirables ne proviennent pas de sa véritable existence, mais du mauvais penchant dont il est prisonnier. Comme le mentionne le chant ‘hassidique connu (en Ukraine) : « le stupide (« Dourine ») », le « Yetser Hara » stupide qui ne fait que semer la discorde au sein du Peuple Juif, et ainsi, entre Israël et D.ieu, ce qui correspond à la force du mal qui provient de Midyan). Comme nous l’avons dit, c’est par le fait d’ajouter de la lumière que l’obscurité sera repoussée automatiquement ».
Cette causerie fut la conclusion de la réunion ‘hassidique, et par la suite, le Rabbi distribua de la vodka à ceux qui s’étaient occupés de certaines activités à cette période. Une fois la distribution terminée, l’on chanta le nigoun « Tsama Le’ha… E’h Ti » avec une ferveur intense, comme le raconte l’un des présents :
« Après la distribution, le Rabbi entonna, comme à son habitude, le chant « Vaharikoti La’hem Bra’ha », et après ce chant, il lança le nigoun « Tsama… E’h Ti ». L’assemblée écouta silencieusement le Rabbi chanter chaque strophe, puis reprit en chœur avec une joie enflammée. Le Rabbi, de ses deux mains, encouragea alors la foule à continuer le chant.
Les présents chantèrent en boucle le second passage de ce chant, puis le Rabbi, avec un large sourire, indiqua que l’on devait chanter également la première partie, qui commençait par le verset « Tsama Le’ha Nafchi ». L’assemblée obéit alors, et le Rabbi encouragea le nigoun pendant de longues minutes. Il entonna ensuite un troisième chant, celui de « Chéyibané Beth Hamikdach », et souhaita « Lé’haïm », afin que chacun puisse avoir de longues et bonnes années, et que l’on puisse vivre éternellement grâce à la venue de la Délivrance véritable par notre Juste Machia’h ».
Dans une lettre datée du 25 Tévet 5718 (1958), le Rabbi écrivit :
« J’espère fortement que vous prendrez conscience que le découragement vient du « rusé » [le « Yetser Hara » – ndt], et non de la chose elle-même, D.ieu préserve. Il faut donc se battre contre cela avec toute la force nécessaire, puisqu’il ne s’agit que du « Dourine », « le stupide » dont le but n’est que de semer la discorde, comme le dit le nigoun connu chez les ‘Hassidim ».
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