Les chemins de la liberté
En ces jours d’hiver où la température extérieure conduit comme naturellement à se concentrer en soi-même, le temps est bien venu de revenir aux grandes questions qui taraudent la conscience de tout humain depuis toujours. Ainsi, en se considérant avec une simple attention, on constate sans peine que nous détenons une qualité que nul autre ne possède. Etres humains, nous disposons d’un champ de liberté que seuls nos capacités personnelles, ou nos choix, peuvent restreindre. Les autres créatures de D.ieu avec qui nous partageons ce monde, les animaux etc., n’ont guère de libre choix de vie. Contraintes par leur nature propre, elles se développent dans un cadre limité. A l’inverse, le Créateur nous a gratifiés d’un éventail infini de possibles au point, d’ailleurs, que nous pouvons même accomplir des actes qu’on appellera justement « contre nature ». Pour le meilleur ou pour le pire.
Il y a bien ici l’expression d’une véritable grandeur. Comme le Créateur est libre, par définition, dans l’absolu, l’homme, Sa créature couronnement de Sa création, l’est ici-bas. Mais cette liberté toute-puissante est, de ce fait même, le lieu d’une immense responsabilité. Si l’homme, par essence, peut choisir sa vie et son chemin, s’il peut dépasser les contraintes, négliger les limites, encore faut-il que cela fasse sens. Celui qui y verrait le droit de nuire à autrui par exemple, quelle qu’en soit la raison, cesserait d’être libre. Il aurait troqué la merveille contre l’illusion, s’enchaînant lui-même en proclamant sa pseudo-liberté.
C’est en général à ce point de la réflexion qu’une certaine angoisse commence à sourdre. Que faire de cette liberté ? Comment en jouir pleinement ? Souvenons-nous : l’homme n’est libre que s’il vit en conscience et en cohérence avec ce qu’il est profondément. Il est clair que l’oubli de soi, que le renoncement à ce qui fait la noblesse de l’homme est en soi une régression et, par conséquent, un rejet de la liberté réelle. Reste à définir ce que l’on est et sans doute est-ce, pour chacun, l’œuvre d’une vie… En cet instant de retour à soi, la petite musique que l’on entend n’est-elle pas celle de l’âme et ne nous montre-t-elle pas une voie qui s’ouvre ?
Plus grand que Moïse
Machia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Au début du texte de la Torah (Genèse 1 : 2), il est dit : « Et l’esprit de D.ieu planait… ». A ce sujet, les Sages enseignent (Berechit Rabba 2 : 4) : « Ceci fait allusion à l’esprit de Machia’h ». Puis le verset continue : « …sur la face des eaux » ; ceci dénote un degré plus élevé que celui de Moïse qui reçut ce nom car « je t’ai tiré des eaux ».
C’est la raison pour laquelle cet exil est si long – pour que ce niveau si élevé soit enfin atteint.
(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchiot, p.237)
Chemot
Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis il ordonne aux sages-femmes juives, Chifra et Poua, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil. Amram et Yo’héved, la fille de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miryam surveille de loin et voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant, le prend. Elle va l’élever comme son fils et le nommer Moché.
Moché, devenu un jeune homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midian. Il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elles, Tsipora et devient le berger de son beau-père.
La fabrique de briques
« Ils rendirent leur vie amère par des travaux forcés, avec du mortier et des briques. » (Chemot : 1 :14)
Afin qu’ils deviennent un peuple choisi par D.ieu pour être Sa « lumière parmi les nations », les Enfants d’Israël devaient d’abord passer par le creuset de l’Égypte. Pendant cent vingt ans, ils furent « des résidents provisoires dans une terre qui n’était pas la leur ». Durant les quatre-vingt-six dernières années, ils furent asservis par les Égyptiens à de durs labeurs, essentiellement dans des fabriques de briques.
Pourquoi des briques ? Rien n’est fortuit dans le monde de D.ieu, et tout particulièrement dans l’histoire de Son peuple. Si nous fumes forgés en une nation dans les fours à briques de l’Égypte, c’est que la brique joue un rôle significatif dans notre mission de la vie.
La brique par rapport à la pierre
L’être humain est un bâtisseur. Certains construisent des édifices matériels : des maisons, des villes, des routes, des machines et un nombre infini d’autres structures. D’autres s’engagent dans des constructions plus subtiles, structurant des mondes, des couleurs ou des sons pour y abriter leurs sensations ou leurs sentiments. Mais nous construisons tous notre vie, empruntant le matériau dans notre environnement, notre société ou notre propre psychisme et le forgeant en un édifice qui remplit une certaine fonction et vise un certain but.
Chacun d’entre nous ayant été doté par notre Créateur du libre-arbitre, nous pouvons attribuer à ce matériau un dessein matériel ou spirituel, égocentrique ou altruiste, positif ou négatif. Ou bien, nous pouvons l’utiliser dans le but ultime, celui de « construire une résidence pour D.ieu », en consacrant notre vie à l’accomplissement de la volonté de D.ieu comme elle se révèle dans la Torah.
Le matériau que nous utilisons entre dans deux catégories principales : l’une donnée par D.ieu et l’autre faite par l’homme.
Une grande partie de la « matière » que nous utilisons pour construire notre vie était déjà présente quand nous sommes entrés en scène, prête à être utilisée ou contenant le potentiel pour que nous puissions le faire, attendant d’être découvert et réalisé.
Mais D.ieu nous a dotés de bien plus que de la simple capacité à développer Son monde. Désirant que nous soyons de véritables « partenaires dans la création », le Créateur nous a imparti la possibilité de créer du potentiel là où il ne s’en trouve aucun.
C’est là la signification profonde des briques que nous modelâmes et fîmes chauffer alors que nous étions en plein processus de maturation pour devenir un peuple.
Dans le onzième chapitre de Béréchit, la Torah décrit l’invention de la brique. A l’origine, les survivants du Déluge habitaient des régions montagneuses et extrayaient de la pierre pour s’en servir comme matériau de construction. Mais par la suite, ils s’installèrent dans la vallée de Chinar (qui allait devenir Babylone) où ils furent pris du désir de construire « une ville et une tour dont la tête allait atteindre les cieux ». Où allaient-ils trouver un matériau suffisamment solide pour soutenir une structure aussi massive ?
« Ils se dirent entre eux : ‘Façonnons des briques et cuisons-les dans le feu’. Et la brique leur servit de pierre et la glaise leur servit de mortier. »
« La pierre » représente ces matériaux dont D.ieu nous pourvoit pour construire notre vie. Cela ne veut pas dire pour autant que nous n’ayons pas à fournir d’efforts : la pierre doit être extraite de la carrière, transformée, taillée et encastrée dans de nombreuses autres pierres afin que la structure puisse être montée. Mais la pierre est là, solide, convenant à la tâche et attendant qu’on l’exploite.
Dans notre propre vie existent certains éléments naturellement qualifiés pour servir dans la construction d’une demeure pour D.ieu et prêts à se livrer à cette tâche : les traits positifs de notre caractère, les temps et lieux sacrés dans la création (par exemple les vingt-quatre heures du Chabbat ou la Terre Sainte), les objets destinés à l’accomplissement d’une Mitsva (comme un rouleau de la Torah ou une paire de Tefiline).
Mais il y a également ces éléments qualifiés de matériaux de construction bruts : nos instincts égocentriques et animaux et un monde matériel et matérialiste qui obscurcit la vérité de son Créateur. Ce sont ces éléments qui, par nature, ne sont pas conducteurs voire sont même opposés à tout ce qui est bon et divin. Pour les inclure dans la « résidence de D.ieu » que nous faisons de notre vie, nous devons façonner des « briques ». Nous devons les malaxer et leur donner une forme qu’elles n’ont jamais connue, les chauffer dans le four du sacrifice de soi et de l’amour de D.ieu jusqu’à ce qu’elles deviennent assez solides pour soutenir notre édifice comme des « pierres » saintes.
Qu’est-ce que Mareït ‘Ayine (veiller à ne pas induire en erreur) ?
Certaines actions sont interdites par la Torah ou les Rabbanim. D’autres actions sont interdites de peur qu’on puisse croire qu’on transgresse un commandement.
Par exemple, on n’entrera pas dans un restaurant non-cachère de peur qu’un passant imagine qu’on aille y manger – même si on y entre uniquement pour s’abriter de la pluie ou pour s’y laver les mains.
De même : si on cuisine de la viande avec du lait de soja ou de coco, on laissera la bouteille bien en évidence – de peur que quelqu’un s’imagine qu’on a cuisiné la viande avec du lait. De même, on évitera de donner à des aliments par ailleurs cachères la forme d’un animal non cachère.
Même quand on est seul, on doit veiller à ne pas agir d’une manière qui pourrait être mal comprise : de même qu’un acteur s’identifie parfois complètement avec le caractère qu’il interprète, de même une personne est affectée par ses actions et pourrait prendre plaisir à passer à l’acte. Nul n’est insensible à son environnement et chaque action nous influence.
(d’après Rav Aaron Moss - Chabad.org)
Sauver un ami
Ils étaient tous deux prisonniers dans un camp soviétique en Sibérie. Quel avait donc été leur « crime » ? Ils avaient tout simplement voulu continuer à vivre leur judaïsme même sous le régime communiste.
Un Chabbat, le commandant du camp convoqua Guedalia Moché dans son bureau :
- Voici trois papiers pour te rendre la liberté. Si tu les signes, tu seras libre et pourras rentrer chez toi.
- Mais c’est Chabbat ! rétorqua Guedalia Moché. Je ne peux pas et je ne veux pas signer Chabbat !
- Si tu ne signes pas, hurla le commandant (qui savait très bien que Guedalia Moché ne serait pas prêt à signer le jour du Chabbat), tu resteras ici encore huit ans ! Tu entends ?
- Peu importe ! Je n’écrirai pas le jour du Chabbat !
- Si c’est ainsi, susurra le commandant, tu resteras en prison encore huit ans et on verra bien comment ton D.ieu t’en fera sortir !
- Si mon D.ieu veut m’aider, Il le fera sans votre aide, camarade Commandant. Et s’Il veut que je reste dans cette prison encore huit ans, j’y resterai même si vous voulez me laisser partir ! répliqua calmement Guedalia Moché. Ce n’est pas vous qui décidez !
Enragé, le commandant sortit son pistolet de sa ceinture, le pointa sur le cœur de ce prisonnier entêté et éructa :
- On verra bien qui va t’aider maintenant…
C’est justement à ce moment que sa fille entra dans le bureau. Elle vit son père pointer son arme vers Guedalia Moché et, d’un ton ennuyé, remarqua :
- Papa ! C’est dommage de gâcher une balle…
Lentement, le commandant baissa son pistolet :
- Ne t’imagine pas que c’est ton D.ieu qui t’a sauvé, siffla-t-il entre ses dents. Si ce n’était pour ma fille, tu ne serais plus qu’un tas de viande par terre maintenant…
Il se tourna vers son aide de camp et ordonna :
- Fais entrer l’autre Juif qui nous donne du fil à retordre, ce ‘Haïm Chaoul…
Quelques instants plus tard, ‘Haïm Chaoul entra et le commandant lui proposa le même marché qu’à Guedalia Moché :
- Signe ces papiers et tu pourras sortir d’ici !
- Pas question ! C’est Chabbat aujourd’hui et je ne signerai aucun papier !
- Alors tu resteras ici encore huit ans ! tonna le commandant.
- Tant pis, je ne transgresserai pas le Chabbat !
Soudain Guedalia Moché qui s’était tenu à l’écart pendant cette confrontation s’approcha et, à la surprise générale, demanda :
- Donnez-moi ses papiers, je signerai pour lui !
Le commandant était stupéfait :
- Comment ? Je ne vous comprendrai jamais, vous les Juifs ! Tu viens d’affirmer que tu ne signeras pas le jour de Chabbat ! Bien que tu saches qu’à cause de cela, tu resteras encore huit ans en Sibérie… Et maintenant tu veux signer pour lui ?
- Bien sûr, je ne signerai pas pour ma propre liberté, affirma Guedalia Moché. Mais ma situation est différente. Je suis plus vigoureux que lui et je peux supporter les conditions de l’emprisonnement en Sibérie. Mais mon ami, c’est différent : ‘Haïm Chaoul est plus faible que moi et lui ne pourra pas survivre un instant de plus ici. A plus forte raison huit années supplémentaires ! Donnez-moi les papiers, je signerai pour lui (selon le principe qu'il est permis de transgresser le Chabbat pour sauver la vie d'un autre juif) !
Quelques jours plus tard, la Providence divine fit en sorte que les deux amis étaient libérés…
Car, après tout, ce n’était pas le commandant qui pouvait décider de tout mais bien Celui qui avait donné le Chabbat à Son peuple…
Par la suite, Guedalia Moché Goldman devint le Grand Rabbin de la ville de Zvhil tandis que ‘Haïm Chaoul Bruk devint Machpia (conseiller spirituel) à la Yechiva de Kfar ‘Habad.
Chaya Sarah Silberberg - chabad.org
Traduite par Feiga Lubecki