Durant notre voyage en Europe, nous avions une liste d’adresses à visiter en Belgique. L’une d’entre elles était celle d’un homme riche qui n’était pas Loubavitch ; nous avions peu d’espoir qu’il nous reçoive de façon chaleureuse ou même courtoise. Mais, à notre grande surprise, l’homme semblait très heureux de nous accueillir : «C’est un honneur pour moi que de recevoir des émissaires du Rabbi de Loubavitch !», dit-il.

Quand nous lui avons demandé quels étaient ses liens avec le Rabbi et le mouvement Loubavitch, il nous invita à nous asseoir confortablement et nous raconta son histoire :

Durant la guerre, il avait été étudiant de Yechiva dans un ghetto en Pologne. Il s’était caché à l’intérieur d’un bunker et, toute la journée, il restait penché sur les grands volumes de Guemara tandis qu’un homme les protégeait et cherchait pour eux de la nourriture à l’extérieur. Cet homme aimait visiblement étudier les textes sacrés. Quand les étudiants de Yechiva lui demandaient quelles étaient les nouvelles de la guerre ou du ghetto, il répondait invariablement : «Ce n’est pas important ! Tout ce qui compte, c’est que vous étudiez la Torah !».

Tel était leur emploi du temps quotidien jusqu’à ce qu’arrive un jour sombre : leur cachette avait été découverte, les soldats nazis firent irruption dans leur bunker et ils furent tous déportés dans des trains en partance pour Auschwitz. L’homme qui leur avait procuré du pain en restant aux aguets à l’extérieur fut assassiné sur place.

Un jour, alors que notre étudiant de Yechiva avec un de ses compagnons d’étude – devenu maintenant compagnon d’infortune – travaillaient dans le camp, ils formèrent des plans pour s’échapper de cet enfer. Tout à coup, ils s’aperçurent avec horreur qu’un gardien allemand avait suivi toute leur conversation.

Celui-ci leva lentement son fusil.

Terrifiés, les deux Juifs tentèrent de changer de sujet de conversation mais le gardien n’en avait cure :

- Ne tentez pas de me faire croire à autre chose que des projets d’évasion. Mais… Si vous parvenez à répondre à ma question, je vous laisserai tranquilles. Sinon…

Il les tenait en joue, prêt à tirer.

- Comment se fait-il que tous les livres juifs regorgent de louanges pour les Juifs par rapport aux autres nations alors que, maintenant, j’ai la possibilité de vous tuer si j’en ai envie ? Votre vie dépend de moi, qui ne suis pas juif !

Le futur philanthrope se tut, que pouvait-il répondre à cette question des questions ? Mais son ami répondit :

- Le Tout Puissant a créé le monde et il existe une Terre Sainte avec une Ville sainte ; sur une montagne sainte de cette ville, le Temple a été construit.

Il continua en décrivant de façon vivante et enflammée, sur un ton presqu’enthousiaste, les sacrifices quotidiens, le faste du Temple mais aussi la mauvaise conduite de certains rois juifs, la destruction et le long exil si amer et si dur.

Il conclut : «Ceux qui étaient justes et pieux sont morts immédiatement ; les autres restèrent en vie et souffrirent !».

D’où avait-il inventé pareille réponse ? Nul ne le saura jamais puisqu’il n’existe aucune réponse et que nous ne devons pas chercher de réponse à ce décret terrible qu’est l’exil avec ses souffrances intolérables.

Toujours est-il qu’interloqué et même impressionné par cette réponse prononcée sur le ton de l’évidence et avec une telle conviction, le Nazi baissa lentement son fusil. De sa poche, il tira un morceau de pain qu’il leur lança. Ce morceau de pain reçu de façon totalement inattendue et inespérée leur sauva la vie.

Après la guerre, les deux survivants retournèrent dans leur pays, la Pologne qui, bien que vidée de ses Juifs, était encore violemment antisémite et l’accueil qu’ils reçurent leur fit comprendre qu’ils devaient bien vite partir ailleurs. Mais où ? Où qu’ils aillent, ils étaient indésirables et on leur faisait comprendre qu’on ne voulait pas d’eux. Désespérés, ils envisageaient sérieusement de mettre fin à leurs jours.

- C’est alors, conclut le philanthrope, que nous avons trouvé un journal avec une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch. Une lettre destinée à nous, les survivants de l’horreur. Quand nous avons compris que cet homme extraordinaire pensait à nous, nous avons décidé que la vie valait la peine d’être vécue !

Rav Zalman Posner – Avner Institute

Traduit par Feiga Lubecki