L’empereur des Juifs. C’est ainsi qu’on appelait Rav Chimchone Wertheimer qui était devenu le ministre des finances de l’empereur Léopold 1er d’Autriche-Hongrie, il y a plus de 300 ans. Il avait aussi été nommé Grand-Rabbin de ces deux pays. Ce fut un peu l’âge d’or pour les Juifs de cette région car il n’épargnait aucun effort pour les protéger.
Son amitié avec l’empereur incita celui-ci à s’intéresser aux Juifs. Un jour, il demanda à Rav Chimchone : «Si vraiment vous êtes le peuple élu et que vous constituez un exemple pour toutes les nations, pourquoi souffrez-vous d’un exil si oppressant, avec expulsions, pogromes et massacres ? Pourquoi semblez-vous condamnés à errer d’un exil à l’autre ?»
Tandis que Rav Wertheimer réfléchissait à une réponse appropriée, l’empereur déclara d’un ton ferme : «J’exige la véritable réponse et non pas des arguments de pacotille !»
Rav Chimchone Wertheimer n’avait pas le choix : «Il n’existe qu’une seule cause à la longueur de cet exil !»
- Et quelle est-elle ? s’impatienta l’empereur.
- La haine gratuite ! répondit Rav Chimchone avec amertume.
- Je ne vous crois pas ! Je vous donne trois jours pour me donner une meilleure réponse !
Rav Chimchone était un Kabbaliste qui savait se servir de certains Noms divins. Constatant que l’empereur n’avait pas apprécié sa réponse, il supplia le Ciel de lui permettre de trouver une autre réponse mais on lui indiqua qu’il n’avait pas à s’inquiéter car sa réponse était la bonne et l’empereur ne tarderait pas à s’en rendre compte.
L’air était frais et l’empereur décida de partir à la chasse avec d’autres aristocrates, à cheval et avec des chiens. Entraîné par sa passion, il poursuivit un cerf, s’éloigna de ses amis et s’enfonça dans la forêt. Ce n’est qu’avec la tombée de la nuit qu’il réalisa qu’il s’était perdu. Affolé, il tenta de retrouver sa route mais se réjouit quand il aperçut au loin une lueur. Cependant, il lui fallait traverser un cours d’eau pour y parvenir. Il n’avait pas le choix, il laissa là son vaillant cheval et se lança à la nage malgré le froid et la faim. Il n’avait gardé sur lui que les vêtements absolument nécessaires et c’est ainsi qu’il atteignit l’autre rive et se dirigea vers les maisons. Les villageois hongrois, soupçonneux, refusèrent d’ouvrir la porte à un étranger, tremblant de froid et s’exprimant mal dans leur langue. Epuisé, l’empereur se dirigea vers l’auberge locale. L’aubergiste juif lui ouvrit la porte : l’empereur avait décidé de ne pas dévoiler son identité et affirma simplement qu’il avait échappé à la noyade et était maintenant affamé et fatigué. L’aubergiste lui offrit une boisson chaude et un repas revigorant ; de plus, il lui trouva des vêtements chauds à sa taille. Prêtant l’oreille, l’empereur entendit la femme de l’aubergiste qui lui recommandait de se méfier de l’étranger qui n’était peut-être qu’un vagabond ou un voleur. Mais l’aubergiste affirma que sauver une vie humaine était plus important que tout. L’empereur était vraiment émerveillé de la noblesse d’âme du peuple juif en comparaison avec la rudesse des villageois qui lui avaient refusé l’hospitalité.
Le lendemain, l’empereur demanda à son hôte de l’aider à regagner la capitale : là, il pourrait lui rembourser tous les frais qu’il avait engagés pour le sauver. Encore une fois, l’épouse de l’aubergiste l’avertit que c’était peut-être un piège mais il répliqua qu’il avait confiance et qu’il fallait aider les étrangers.
Quand ils arrivèrent devant le palais royal, l’étranger demanda à ce qu’ils s’arrêtent et, devant l’aubergiste étonné, il entra et disparut à l’intérieur. Quelques instants plus tard, des gardes s’approchèrent du Juif et lui demandèrent de les suivre. L’aubergiste tentait de comprendre quel délit il avait pu commettre mais déjà, il se tenait debout devant l’empereur en personne, revêtu de ses habits d’apparat.
Tremblant de frayeur, l’aubergiste n’osait regarder l’empereur en face. Mais celui-ci s’adressa à lui avec compassion : «Ne me reconnais-tu pas ?» Le Juif répondit qu’il n’avait jamais eu l’honneur de voir l’empereur en chair et en os.
- Mais si ! Pas plus tard qu’hier et ce matin ! C’est moi que tu as hébergé si gentiment ! Demande-moi ce que tu désires, je te le donnerai !
- Majesté ! Finit par murmurer l’aubergiste. D.ieu m’a accordé de quoi gagner ma vie de façon honorable et je n’ai besoin ni d’or ni d’argent. Mais une seule chose me cause des soucis : dans le village voisin, habite un colporteur juif qui propose à la vente les mêmes aliments que moi à mes clients. Il s’agit d’une concurrence néfaste. Votre Majesté pourrait-elle lui interdire l’entrée dans mon village ?
L’empereur tenta de cacher sa consternation devant cette demande si mesquine. Il ordonna à son majordome de donner une forte somme à l’aubergiste soulagé de la tournure des événements. Il quitta le palais, chargé de cadeaux.
L’empereur fit alors appeler Rav Chimchone Wertheimer et reconnut que la réponse qu’il lui avait donnée trois jours auparavant était justifiée : «Comme il est regrettable que cette haine gratuite enlaidisse les nobles qualités que j’ai pu observer dans votre peuple !» soupira l’empereur.
Et Rav Wertheimer ne put qu’acquiescer…

(Durant les trois semaines entre le 17 Tamouz et le 9 Av, le peuple juif pleure la destruction du Temple de Jérusalem qui fut détruit, selon la tradition, par la faute de la haine gratuite. Il sera reconstruit grâce à l’amour gratuit et à l’entraide entre tous les Juifs).

Sichat Hachavoua n°1324
Traduit par Feiga Lubecki