Lettre n° 9499
Par la grâce de D.ieu, veille du
Roch ‘Hodech du troisième mois 5728,
Brooklyn, New York,
Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu et se
consacre aux besoins communautaires, aux multiples
accomplissements, le Rav Nissan Waksman,
Tribunal rabbinique
33, boulevard du roi David
Tel Aviv,
Je vous salue et vous bénis,
J’ai bien reçu votre lettre du 23 des éléments cachés(1), qui m’est parvenue avec retard. Bien entendu, je me souviens de vous. Je ne me rappelle cependant pas si nous nous sommes rencontrés personnellement. Néanmoins, vous m’aviez adressé le Tomer Dévora(2) et cet ouvrage traite(3) également de l’importance d’aimer son prochain. Je ne dispose pas de la version que vous avez vous-même publiée, mais il me semble que vous aviez développé cette idée dans l’une de vos notes(4).
Pour revenir à votre lettre, j’ai constaté, avec satisfaction, que vous vous préoccupez du sort de nos frères, les enfants d’Israël exilés en Inde. Ceci me donne l’espoir que ces quelques lignes trouveront un écho positif dans votre cœur. En effet, depuis quelques temps déjà, je demande, j’exige, selon toutes les formulations possibles, des responsables de l’Alya, sans remettre en cause leur travail proprement dit et la manière de l’assumer, qu’ils ne conduisent pas les guides spirituels des communautés d’en abandonner leurs membres pour aller s’installer ailleurs, le cas échéant en Terre Sainte. Car si, de tout temps, la situation du Judaïsme, en chaque endroit, a dépendu des dirigeants de la communauté, en particulier de ses guides spirituels, combien plus en est-il ainsi, en cette génération orpheline !
Il est donc bien clair, encore plus évident, que l’on ne doit pas venir en aide à ces dirigeants quand ils désertent le front. A fortiori est-il interdit de mener campagne pour qu’ils le fassent. De la sorte, on livre à leur sort de nombreuses âmes juives précieuses. De fait de nos nombreuses fautes, il n’y a pas là une simple supposition, une crainte. On peut vérifier, dans la pratique, qu’il en est bien ainsi dès qu’un guide spirituel abandonne sa ville ou sa communauté.
Pour ce qui est des endroits dans lesquels il y a deux ou trois guides spirituels, nos Sages, tout d’abord, nous ont fait savoir(5) que l’on ne peut pas comparer une ville où se trouvent deux Justes à celle où il n’y en a qu’un, mais, bien plus, ils disent aussi, à ce propos(6) : “ Son éclat est perdu, sa splendeur est perdue ”. Les guides spirituels, de nos jours, même s’ils sont plusieurs dans un même endroit, ne parviennent pas à apporter toute la nourriture spirituelle nécessaire à l’ensemble des personnes qui les entourent, pas même dans une proportion minimale, pour des raisons diverses et variées et D.ieu fasse qu’ils atteignent au moins une part significative d’entre eux. Lorsque l’un d’entre eux s’en va, sans que personne le remplace, on comprend bien ce qui en découle. Ses amis sont affaiblis dans leur action, du fait de son départ et ils commencent à penser que, si tel guide spirituel déserte le front, c’est bien qu’il est permis de le faire.
Un dicton allusif de nos Sages(7), à ce propos, est bien connu : “ Voici la manière de procéder du mauvais penchant. Aujourd’hui, il dit : ‘fais ceci’, puis demain, il dit : ‘fais cela’ ”, comme le rapporte le traité Chabbat 105b. Dans un premier temps, le mauvais penchant ne réclamera donc que : “ceci” et il entérinera ainsi le reste du comportement que l’homme avait adopté avant son intervention, lequel était conforme à la Torah et aux Mitsvot. En d’autres termes, le mauvais penchant sait donner aux passions qu’il inspire l’apparence de la crainte de D.ieu. De fait, est-il une plus belle forme de cette apparence, à notre époque, que la Alya en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie ? Vous devez comprendre ce que je veux dire.
J’ai supplié plusieurs responsables de la Alya qui m’ont rendu visite de mener leur campagne parmi les élèves et non parmi les cadres. Ceux qui me l’ont promis, lors de notre discussion, se sont engagés, dès qu’ils ont franchi le pas de la porte, dans une campagne menée précisément auprès des Rabbanim et des responsables. Je leur ai demandé comment cela était possible et ils m’ont répondu que, de la sorte, on pouvait espérer que : “le corps suive la tête”(8). Quand la communauté saura que son Rav s’est installé en Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, tous ses membres le suivront !
Vous connaissez les jeunes et les familles, en général, aux Etats-Unis. Vous savez donc sûrement à quel point ce raisonnement est ridicule, dénué de tout fondement dans la pratique. Il en est de même également pour le Judaïsme d’Amérique du sud. Bien plus, de nombreuses familles du Maroc se sont installées en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie et l’on peut constater que celles-ci n’ont nullement été influencées par le fait d’avoir été précédées par leur Rav. En revanche, l’effet certain du départ du Rav ou de l’érudit a été une chute significative de la situation religieuse, dans la communauté, en général et au sein de la jeunesse, en particulier. Cela est établi et bien connu de tous ceux qui ont visité de tels pays au cours de ces dernières années. On a pu constater qu’une telle campagne, chaque fois qu’elle a été menée avec succès, a provoqué une baisse de la religion, au-delà de ce que l’on pourrait imaginer.
Pour l’heure, je ne vois personne se préoccuper d’améliorer cette situation, bien que l’on en ait les moyens, à l’évidence. Il est très douloureux d’en dire plus, d’autant que, comme je l’ai indiqué, les délégués adoptent cette manière de procéder, en tout cas dans tous les pays pour lesquels des informations me sont parvenues, concernant leur campagne. Il y a tout lieu de penser qu’il en a été de même en Inde, au moins dans les endroits les plus importants, comme cela a été le cas dans différentes villes du Maroc et d’Amérique du Sud.
Tout ce qui vient d’être dit est sans aucune commune mesure avec la gravité de la situation et l’effet destructeur de cette campagne, d’autant que cela est proprement incompréhensible. Si l’on investissait la même énergie dans l’action qui est menée auprès des familles, on aurait une réussite comparable et l’on ne lutterait pas contre la situation religieuse de ceux qui restent ou peut-être même contre leur moralité. Car, au final, il n’y a pas lieu de se battre contre les enfants d’Israël ne résidant pas en Terre Sainte, ce que l’on fait pourtant en les privant de leur guide spirituel.
Puisse D.ieu faire que chacun d’entre nous, au sein de tout Israël, prenne conscience de cette immense responsabilité, en particulier à notre époque, envers les Juifs se trouvant dans la proximité immédiate ou éloignée. On fera donc tout ce qui est en son pouvoir pour leur faciliter l’accès à l’étude de la Torah et à la pratique de ses Mitsvot, pour introduire la Torah et les Mitsvot en chaque endroit où cela est possible, en renforçant ceux qui s’y consacrent, les dirigeants de chaque endroit en lequel résident des enfants d’Israël.
Il faut leur expliquer la décision hala’hique de nos Sages(9), dont la mémoire est une bénédiction, selon laquelle : “ lorsqu’un disciple part pour l’exil, son maître est exilé avec lui ”. A fortiori est-il donc formellement et clairement interdit d’inciter le maître à abandonner l’élève et les membres de sa famille en exil, plus encore de lui venir en aide pour qu’il le fasse. Il y a là une responsabilité morale, une situation de danger affectant la vie éternelle, celle de la Torah et de ses Mitsvot. Or, s’il en est ainsi quand il y a le moindre doute d’un danger, a fortiori est-ce le cas en l’occurrence puisque, pour notre grande peine, il n’y a pas l’ombre d’un doute sur les conséquences qui peuvent en découler, en la matière, comme on l’a dit.
Mon propos n’est en aucune façon le contraire de la défense d’un Juif, qui qu’il soit, a fortiori des guides spirituels. Pour autant, il est absolument incompréhensible que quelqu’un reçoive une élévation morale ou simplement qu’il s’installe en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, sur le compte de la chute morale de nombre de ses disciples et de ceux qui reçoivent son influence.
Il semble que j’ai traité longuement de tout cela, mais ce qui a été dit est littéralement sans aucune commune mesure avec la gravité de la situation et le danger encouru par de nombreuses âmes juives précieuses. Or, une seule âme est bien considérée comme un monde entier(10). Quiconque lui confère l’existence véritable, celle de la Torah et des Mitsvot, a bien perpétué le monde. Et, d’une formulation positive, on déduit…(11).
Je vous adresse mes respects et ma bénédiction, selon la formule de mon beau-père, le Rabbi, afin de recevoir la Torah avec joie et d’une manière profonde. Puisse D.ieu m’accorder le mérite de recevoir une bonne nouvelle, celle de l’arrêt, par certains responsables, de la campagne qui est orientée de cette façon(12) et de l’incitation de leurs amis à en faire de même.
Notes
(1) Du compte de l’Omer, dans le mois d’Iyar.
(2) De Rabbi Moché Cordovero, paru à New York, en 5720, aux éditions Chochanim, avec des notes, index et additifs rédigés par le Rav Nissan Waksman, destinataire de la présente.
(3) Dans le chapitre 2, reproduit dans le Kountrass Ahavat Israël, page 7, dans la note 6.
(4) A la page 37, dans la note 19 de l’édition précédemment citée.
(5) Dans le Midrash Béréchit Rabba, chapitre 68, au paragraphe 6.
(6) A propos du départ de la ville d’un seul Juste.
(7) Voir, notamment, le Séfer Ha Maamarim Kountrassim, tome 1, à la page 37a. On consultera aussi, en particulier, la lettre n°1675 et le Torat Mena’hem, Itvaadouyot, tome 1, à la page 78.
(8) Traité Erouvin 41a. Voir aussi le traité Sotta 45b.
(9) Dans le traité Makot 10a. Voir le Rambam, lois du crime et de la préservation de l’intégrité physique, au début du chapitre 7, de même que le Likouteï Si’hot, tome 29, à la page 33.
(10) Selon le traité Sanhédrin 37a.
(11) Une formulation négative : celui qui ne sauve pas cette âme cause la perte du monde. Voir, notamment, le commentaire de Rachi sur le verset Choftim 17, 20.
(12) En tentant de convaincre, en premier lieu, les guides spirituels.