Lettre n° 9323
[28 Iyar 5727]
Vous m’écrivez(1) à propos de la Shoa(2) et vous me posez une question effroyable, comment la comprendre, comment l’admettre ? Il est vrai que du point de vue de l’homme de chair et de sang, ce qui s’est passé est exceptionnel et appelle donc une question exceptionnelle. Toutefois, si l’on médite, même sommairement(3), au contenu de cette question, qui revient à demander : “ Celui Qui juge la terre entière ne serait-Il pas équitable ? ”(4), on se dira qu’il n’y a absolument aucune(3) différence entre la Shoa la plus massive et l’injustice la plus réduite qui n’en est pas moins, selon l’expression de nos Sages(5), “ une souffrance sans qu’une faute ait été commise ”, qu’elle atteigne un seul individu ou bien une immense communauté, ce qu’à D.ieu ne plaise.
C’est, en effet, l’alternative suivante qui se présente. S’il n’y a “ pas de jugement et pas de juge ”(6), à quoi bon poser cette question ou rechercher la “ logique ”, la justice et l’ordre dans cet événement, alors que le désordre est total(3) ? C’est donc que cet endroit a un Maître, au plein sens du terme, de la façon la plus parfaite et, dès lors, il est bien évident(3) que le moindre détail le concernant est précis, est totalement conforme à la justice et à la droiture, qu’une injustice multipliée par six millions n’est qu’un changement quantitatif, mais non(3) qualitatif.
Il est bien évident également que ce qui vient d’être dit n’est nullement une réponse(3) à la question qui a été posée. Je veux seulement expliquer que ceux qui justifient leur “ révolte ” contre le Maître des mondes, ce qu’à D.ieu ne plaise, en citant la Shoa font un raisonnement dénué du moindre(3) fondement, de toute logique et de toute rationalité, comme je viens de le montrer. “ Pourquoi la voie des impies est-elle fructueuse ? ”(7) est une question très ancienne, datant de l’époque de Moché, notre maître(8), qui(9) “ reçut la Torah sur le mont Sinaï et la transmit(3) ” jusqu’à la fin de toutes les générations. De ce fait, cette question se posait déjà avant la Shoa et si, pour une quelconque raison, on n’était pas troublé, à l’époque, par le succès des impies, si l’on vivait sa vie selon les enseignements de la Torah, donnée par le Saint béni soit-Il, il n’y aucune raison, aucune justification de changer d’attitude après la Shoa, même si l’ange Mi’haël, protecteur d’Israël(10), trouvera des circonstances atténuantes en avançant qu’après la Shoa, “ l’homme qui souffre n’est plus réellement lui-même ”(11), puisque sa famille a été touchée et que le nombre de victimes est effroyable, même si l’aspect qualitatif reste strictement(3) identique.
J’ajoute que la destruction du premier Temple fut comparable à la Shoa, que celle du second fut même encore plus forte et que le moyen âge surpassa tout cela. Lors des croisades, les Juifs, selon les voies naturelles, n’avaient aucune issue. Or, il est surprenant de constater, précisément en ces trois périodes, le développement(3) que connut la Loi orale, en ses différentes phases. Ainsi, non seulement la pratique de la Torah et des Mitsvot n’en fut pas allégée, ce qu’à D.ieu ne plaise, mais, bien au contraire, la devise était alors, selon l’expression des membres de la Grande Assemblée(10) : “ faites une barrière(3) autour de la Torah ”. Encore une fois, comme je l’ai dit, ceci ne répond pas à la question suscitée par la douleur d’un cœur brisé mais, comme je l’ai maintes fois souligné, il n’est pas rationnel qu’une créature s’interroge sur l’attitude du Créateur, car il n’y a, entre eux, aucune commune mesure, pas plus qu’entre la logique créée et celle du Créateur(12). On peut le déduire de l’attitude d’un enfant, dont on n’admettrait pas qu’il pose une question sur le comportement d’un grand sage, ayant déjà atteint un certain âge, même si, au préalable, ce sage avait lui-même été un petit enfant, même si cet enfant pourrait, à son tour devenir un grand sage, le moment venu, peut-être encore plus grand que celui sur lequel il s’interroge. A fortiori en est-il ainsi pour ce qui fait l’objet de notre propos, c’est bien évident.
Vous me demandez où vous devez vous installer à l’avenir. Il est clair que le confort et la possibilité de l’obtenir quand on atteint un certain âge sont plus courants, plus systématiques, plus tranquilles aux Etats-Unis que dans d’autres pays. Si vous recherchez l’entourage d’hommes cultivés, bien que la culture par elle-même(3), considérée de manière “ indépendante ”, soit un malheur, comme la Shoa en fait la preuve, en même temps qu’une atmosphère de Torah, il n’y a pas beaucoup d’autres alternatives que New York, où résident deux millions et demi de nos frères, les enfants d’Israël, puisse D.ieu les multiplier. Néanmoins, en tout endroit(3), un effort de recherche est nécessaire et c’est le cas également ici.
Notes
(1) Cette lettre est adressée à une femme. Voir le Likouteï Si’hot, tome 33, à la page 260.
(2) Voir, notamment, à ce sujet, la lettre n°8969, les causeries de Sim’hat Torah 5731 et du 11 Nissan 5733, Emouna Ou Mada, à partir de la page 115 et le Likouteï Si’hot, tome 21, à partir de la page 397.
(3) Le Rabbi souligne les mots : “sommairement”, “aucune”, “le désordre est total”, “il est bien évident”, “mais non”, “réponse”, “moindre”, “transmit”, “strictement”, “développement”, “barrière”, “par elle-même” et “en tout endroit”.
(4) Vayéra 18, 25.
(5) Dans le traité Chabbat 55a.
(6) Selon l’expression du Midrash Vaykra Rabba, au début du chapitre 28.
(7) Yermyahou 12, 1.
(8) Selon le traité Bera’hot 7a.
(9) Selon le traité Avot, au début du chapitre 1.
(10) Voir la Pessikta Rabbati, chapitre 45, au paragraphe 10 et le Midrash Chemot Rabba, chapitre 18, au paragraphe 5.
(11) Selon le traité Baba Batra 16b.
(12) Voir, à ce sujet, la lettre n°9124.