Lettre n° 6876

Par la grâce de D.ieu,
25 Iyar 5719,
Brooklyn,

A monsieur Its’hak Damyel(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre, à laquelle était jointe une question posée par un groupe de jeunes. Vous voudrez bien leur demander de m’excuser pour le retard avec lequel ma réponse leur est donnée, du fait de mes nombreuses activités, en particulier pendant les jours et les semaines qui ont précédé et qui ont suivi la fête de Pessa’h. S’agissant de la question proprement dite, il est impossible d’y répondre d’une manière exhaustive dans le cadre épistolaire. Je me vois donc contraint de limiter ma réponse à quelques points essentiels, mais j’espère que vous pourrez leur ajouter vos propres explications, qui seront basées sur ce que dit notre Torah, en particulier dans les livres de la ‘Hassidout. En outre, cela va sans dire, si vous trouvez quelques passages ou quelques idées, dans ma lettre, qui ne sont pas totalement clairs, je suis toujours prêt à recevoir d’autres questions, ou même des objections, des contradictions. Je m’efforcerai d’y répondre, dans toute la mesure de mes connaissances.

J’en viens à la question posée(2) : “ Y a-t-il un moyen pour que nous, sceptiques, puissions admettre l’existence de D.ieu d’une manière claire, sans l’ombre d’un doute, sans qu’il soit possible de la contester ? ”.

Certaines questions semblent être simples, porter sur des sujets évidents, être formulées dans des termes ordinaires et courants. De telles questions exigent, précisément, une grande prudence. Car, chaque expression que l’on emploie doit être précise. Combien plus est-ce le cas quand il s’agit d’une question sur laquelle on se penche depuis des centaines, des milliers d’années, dans les milieux les plus différents et les plus larges. En pareil cas, il est inconcevable que tous lui donnent un contenu similaire, jusque dans le moindre détail. En conséquence, il est légitime, quand on introduit une telle interrogation, d’être précis et de définir tous les mots que l’on utilise. Il en est bien ainsi, pour votre question. Vous me demandez une preuve de l’existence de D.ieu. Or, l’existence, de même que la preuve de ce qui existe sont des concepts vagues, parce que trop largement utilisés, par le petit enfant comme par le chercheur, qui se doit d’être particulièrement précis, en chacune de ses démarches. En l’occurrence, vous n’expliquez pas clairement ce que vous voulez dire.

Je préciserai mon propos. Certains considèrent que, pour un petit enfant, l’existence et ce qui la prouve sont uniquement ce qu’il peut toucher de ses mains. Pour un aveugle, par exemple, les couleurs n’existent pas et il doit s’en remettre, en la matière, à ce que les autres lui disent. A un stade plus bas, “ tous ” s’accordent pour reconnaître, sans ambiguïté, que chaque action doit nécessairement avoir une origine. En conséquence, quand on observe une action, on a bien la preuve qu’il existe une force l’ayant provoquée, même si celle-ci n’est pas une preuve “ directe ” et qu’en conséquence, elle laisse la place au doute. Un exemple probant de cela est l’énergie électrique. Un homme possède des sens. Sa vision lui certifie l’existence de couleurs et son audition, celle du son. Il considère qu’il y a bien là des preuves tranchées et directes. Pour autant, aucun sens ne lui permet de “ voir ” l’énergie électrique. Il observe, en revanche, son action, le fil qui devient incandescent, la vibration d’un compteur électrique. Et, il en déduit l’existence de cette force que l’on appelle électricité, que l’on ne verra jamais et qui est pourtant bien à l’origine des actions précédemment décrites. Malgré cela, il y a bien là une preuve probante. Il en est de même également pour la force magnétique, mais j’ai choisi l’exemple de l’électricité, parce que celle-ci est très répandue et acceptée par tous, sans l’ombre d’un doute.

Plus encore, à un stade de niveau inférieur. La règle selon laquelle toute action a une cause est désormais incontestée. Et, on l’accepte même quand elle heurte la logique. C’est le cas de la pesanteur, dont on vérifie l’existence par le mouvement des objets matériels. Or, ce mouvement n’a pas d’explication logique. On accepte donc la pesanteur comme un fait établi, bien que cette force agisse à distance, sans aucun intermédiaire. Pourtant, la logique n’admet rien de tout cela, mais l’on est habitué à cette notion, depuis son enfance. Elle est, sans cesse, répétée dans les livres, au point d’être devenue une évidence, au-delà des doutes et des remises en cause. Quant à la tentative qui a été faite d’expliquer la pesanteur par l’existence d’une matière raffinée, qui serait appelée éther, celle-ci devrait avoir tant de caractères opposés et contradictoires que son existence est encore moins évidente que l’éventualité d’une action menée à distance, sans aucun intermédiaire, dans la mesure où l’on peut concevoir une situation encore plus absurde que celle-ci.

Je ne sais pas à quelle discipline scientifique se consacrent les jeunes qui ont posé cette question. S’agit-il de ce qu’il est convenu d’appeler les sciences exactes ? De fait, précisément dans ce domaine, a été dernièrement mis en évidence un concept qui est totalement incompréhensible, selon le bon sens immédiat. Malgré cela, il est accepté, comme un fait indubitable, par tous ceux qui s’intéressent à ces sciences exactes et, pratiquement, par le grand public également. Il est pourtant totalement irrationnel. C’est le suivant. La matière ne serait qu’une forme particulière d’énergie. En conséquence, il est possible de transformer la matière en énergie et l’énergie en matière, ce qui est parfaitement inconcevable. En fait, on observe des actions que l’on est absolument incapable d’expliquer et l’on constate qu’en acceptant ce principe, on aurait un moyen de les interpréter. On considère alors que cela est une preuve scientifique, acceptée pratiquement en tout endroit comme une preuve claire, sans l’ombre d’un doute, sans même qu’il soit possible de la contester, pour reprendre la formulation de la question. Pourtant, d’un point de vue intellectuel, une telle idée est totalement absurde.

* * *

Dans la formulation de leur question, ces jeunes ne précisent donc pas ce qu’ils accepteront comme preuve de l’existence de D.ieu, sans l’ombre d’un doute, sans qu’il soit possible de le contester. Je présume donc qu’ils admettront une preuve comparable à celles qu’ils estiment suffisantes, dans leur existence quotidienne. Si l’on admet cette idée, il est clair que l’on peut démontrer l’existence de D.ieu, bien plus, que l’on peut en citer plusieurs preuves. Comme on l’a dit, le fait que cette preuve ne puisse être saisie logiquement ou même qu’elle heurte la logique ne pose pas de problème. Nous avons vu, en effet, que tout homme qui réfléchit et médite à ce qui se passe autour de lui ne peut “ expliquer ” certains événements que par ce que l’intellect ne saisit en aucune façon. Le moyen de prouver ou bien la preuve elle-même seront donc comparables à ce qui est pris pour référence dans toutes les sciences exactes ou même aux preuves liées à l’existence quotidienne de chacun d’entre nous.

Quiconque observe sa propre manière d’agir, quand il se trouve chez lui ou bien quand il avance sur le chemin, quand il se couche ou bien quand il se lève, n’aura pas honte de reconnaître qu’il n’exige pas de lui-même un examen du fondement de chaque acte qu’il accomplit ou de chaque comportement qu’il adopte. Il accepte le témoignage d’autres personnes ayant déjà effectué un tel examen et il recherchera d’autres témoins uniquement s’il suspecte que ce témoignage ait été falsifié ou que le témoin était mû par certaines motivations, internes ou externes, ou encore qu’il n’était pas sain d’esprit et qu’il a donc eu une observation déformée. Plus est important le nombre des témoins, issus de situation diverses et de différents milieux, afin de réduire le risque d’erreur ou de connivence, plus la preuve sera considérée comme scientifique et absolue. Et, sur la base de cet unique principe, on se conforme à des situations, à des actions, de façon systématique, avec la certitude absolue que cela est vrai et exact. C’est bien le cas, en l’occurrence.

Le don de la Torah, sur le mont Sinaï, fut confirmé, d’une génération à l’autre, en tant qu’événement qui se déroula en présence de six cent mille hommes adultes et il y avait également des enfants. Si l’on compte, en outre, les femmes et les hommes âgés de plus de soixante ans, il y avait là plusieurs millions de personnes, ayant quitté l’Egypte, qui avaient personnellement été les témoins de ce qui s’était passé. Il n’y a donc nullement là une révélation réduite à un prophète, à un homme ayant des visions ou même à un petit groupe de personnes. Puis, ce témoignage s’est transmis, de père en fils, d’une génération à l’autre. Et, tous reconnaissent que la chaîne de cette transmission n’a pas été interrompue, depuis lors et jusqu’à notre époque. Le nombre des témoins n’a jamais été inférieur à six cent mille, parmi lesquels il y avait des personnalités très différentes. Même après que ces hommes aient été disséminés aux quatre coins du monde, les différentes versions qui nous sont parvenus de cet événement historique restent concordantes en tout point. Y a-t-il une preuve plus fidèle et plus précise que celle-là ?

Une seconde démonstration peut être basée sur le même principe selon lequel l’observation d’actions et d’événements est significative, même quand on peut craindre qu’un tort en résulte. C’est la suivante. Quand on considère un ensemble dont les parties sont en ordre parfait, se correspondent et se coordonnent avec précision, bien que chacune soit indépendante, on en déduit, avec une certitude absolue, qu’il existe une force extérieure à cet ensemble, en réunissant et en rassemblant toutes les parties. En constatant que cette force est capable de le faire, on doit en déduire qu’elle est plus grande et plus puissante que cet ensemble, puisqu’elle le dirige. On peut citer, à ce propos, l’exemple suivant. Si l’on pénètre dans une usine totalement automatisée, dans laquelle on ne voit aucun homme, nul ne parviendra à la conclusion certaine qu’il n’y a pas, quelque part, un technicien maîtrisant, dans son esprit, toutes ces machines, avec leurs différentes composantes. Cet homme les connaît et il est à l’origine de la coordination des machines entre elles, de même que de ces machines avec le centre de l’action. Bien plus, plus la présence d’hommes dans l’usine est réduite et plus l’automatisation est grande, plus la qualité du technicien s’en trouve clairement établie.

Or, s’il en est ainsi pour une usine, qui compte des centaines, des milliers ou même des dizaines de milliers de composantes, combien plus est-ce également le cas quand on observe notre monde, un billot de bois, une pierre, un végétal, un animal. Et, il va sans dire qu’il en est ainsi pour la constitution du corps humain car, selon les termes du verset : “ J’observe, de ma chair ”. Bien plus la science contemporaine explique que toute chose est constituée par des milliards d’atomes et chaque atome est constitué d’un grand nombre d’infimes particules. Celles-ci auraient donc dû se mélanger, se trouver dans un immense désordre. Or, on peut constater qu’elles sont ordonnées de façon parfaite, qu’elle se coordonnent merveilleusement, les petites, les grandes et les immenses. De même, les parties du petit monde, du microcosme, correspondent à celles du grand monde, le macrocosme. Il est donc bien clair, au-delà du moindre doute, qu’il existe un “ Technicien ” responsable de tout cela.

Bien entendu, je n’ignore pas l’explication habituellement donnée selon laquelle tout cela est régi par “ les lois de la nature ”, mais il est, je pense, inutile de rappeler que cette expression n’apporte pas la moindre explication. Elle n’est qu’une description commode de la situation constatée, du fait que les phénomènes naturels répondent à certaines lois. En revanche, il serait totalement absurde de prétendre que ces lois naturelles ont une existence indépendante, qu’elles dirigent la création et qu’il en est plusieurs milliers, en fonction des différentes situations. Aucun scientifique, se consacrant à tout cela, ne prétend pareille chose. Cette expression est donc bien, comme je le disais, une formule commode et concise pour décrire la situation, afin qu’il ne soit pas nécessaire de répéter, à chaque pas, une longue description des phénomènes considérés comme les plus évidents. Mais, il est bien clair que cela n’explique absolument rien.

* * *

Sur le fait même, je suppose, comme je l’ai dit, qu’ils demandent une preuve qui pourrait être l’une de celles qu’ils appliqueraient à leur comportement, de manière concrète. Or, la preuve que je viens de mentionner est bien plus forte que toutes celles qui sont à la base de l’existence quotidienne. En effet, est-il un fait plus simple que le suivant ? Quand on va dormir, la nuit, on prépare tout ce qui sera nécessaire pour le lever du lendemain matin. Or, rien n’atteste, d’un point de vue logique, que le soleil se lèvera encore une fois le lendemain et que les événements naturels se reproduiront à l’identique, comme ce fut le cas hier et avant-hier. En fait, le monde se comporte de la même façon depuis de nombreux jours, depuis de nombreuses années et l’on en déduit donc que les mêmes “ lois ” s’appliqueront encore demain et après-demain et c’est ainsi que, sur la base de cette “ certitude ”, on fait des efforts, on prend des initiatives, afin de tout préparer pour le comportement que l’on adoptera demain matin, bien que cette attitude ne soit nullement “ logique ”, sauf si l’on admet que ce monde à un Maître.

Comme je l’ai dit, cette analyse pourrait être largement développée et l’on pourrait encore en élaborer certains aspects, mais j’espère que ce qui a été dit suffit, apporte suffisamment matière à réflexion et permet une conclusion. Ceux qui prétendent que l’on doit encore trouver une preuve que D.ieu existe, mais qu’en revanche, l’existence de la création est une évidence ne faisant pas l’ombre d’un doute, commettent une erreur. C’est, en fait, l’inverse qui est vrai. D’après les toutes dernières conclusions de la science sur l’existence du monde et la manière de la “ décrire ”, on peut effectivement avoir les plus grands doutes. Bien plus, dernièrement, les conclusions de la science se contredisent de plus en plus, dans différents domaines. Et, il y a, en outre, le doute scientifique le plus grand, le plus essentiel, le plus fondamental : “ Comment puis-je être certain que ce que je perçois par mes yeux, par mes oreilles, par mon cerveau a un rapport avec la réalité extérieure à mes sens et à mon intellect ? ”. Il n’en est pas de même pour le Créateur ou, en d’autres termes, pour la Force Qui est à l’origine de la création et la met en ordre. Peu importe donc s’il y a une autre existence ou même une apparence d’existence. En effet, l’idée première d’un homme censé, sur laquelle il se maintient, pendant toute sa vie, est qu’une existence, dans son monde, dont il a connaissance, a nécessairement une cause qui lui permet d’être, de l’intérieur et l’extérieur.

Je dois ajouter un autre point, qui est le suivant. En fonction de la nature humaine, il n’est pas rare que l’on accepte difficilement une preuve “ évidente ”, précisément du fait de son évidence. Mais, j’espère que ce ne sera pas le cas pour ceux qui ont posé cette question, car une telle hésitation ne serait pas logique et elle ne modifierait pas le comportement, d’une manière concrète, comme on peut le vérifier dans la pratique. L’une des bases de notre foi en le Créateur du monde, Qui le dirige, en la révélation du mont Sinaï, en la réception de la Torah et de Ses Mitsvot, est bien la suprématie de l’action concrète. Je serai satisfait de recevoir des réactions de tout cela et, comme le dit la lettre jointe à celle-ci, j’espère que vous vous sentirez pleinement libres d’exprimer votre avis, chaque fois que vous ne serez pas d’accord avec ce qui est exposé ici. Avec mes respects et ma bénédiction,

Notes

(1) Voir, à son sujet, la lettre n°6539.
(2) Voir, sur le même sujet, les lettres n°6898, 6959 et 6969.


Allumages 5774