Le sens de l’histoire

Cette semaine, nous vivons un jour qui semble plus difficile que les autres : le 10 Tévet, date du début du siège de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor venues de Babylone. Alors que la fête de ‘Hanoucca s’est achevée il n’y a guère plus d’une semaine et que nous sommes encore, de manière sensible, emplis de sa lumière, la perspective est de celles qui donnent une sorte de vertige. Il est facile d’imaginer le déferlement des hordes babyloniennes sur le monde du temps, comme une tempête qui balaierait des pays entiers, naturellement impuissants devant l’ampleur des forces déchainées. On peut aussi se représenter sans grande peine tant l’espoir que la désespérance et, dominant l’ensemble, l’héroïsme des défenseurs. Et la Présence de D.ieu…

Car les Sages, qui décrivent l’événement, nous donnent quelques pistes pour en comprendre la portée et le développement. Le terme hébraïque employé pour décrire le début du siège – « Sama’h » – se traduit littéralement par « il s’approcha » ou bien par « il soutint ». Dans cette deuxième lecture, l’envahisseur serait donc venu « soutenir » ! Le propos peut sembler étonnant au regard des tragédies qui allaient arriver. Pourtant, c’est ainsi que nous sommes invités à le considérer. L’histoire n’est pas aveugle. Elle n’est pas le simple résultat de conditions socio-économiques ou le produit de l’affrontement des volontés humaines de puissance. Tout cela, pour le peuple juif, est largement illusion. Il sait que, pour ce qui le concerne, les vrais ressorts sont ailleurs, sur un plan plus élevé. C’est ainsi que le commentaire souligne, s’appuyant sur l’ambivalence du mot « Sama’h » : Nabuchodonosor venait pour « soutenir » ou pour « assiéger ». Ce sont les actes du peuple juif qui devaient en décider et, malheureusement, la conclusion ne fut pas positive. A terme, la destruction du Temple et l’exil en découlèrent.

Est-ce là une simple réflexion sur un épisode lointain de notre passé ? Pas seulement. Parfois le peuple juif, dans tous ses lieux de résidence, quels qu’ils soient, se ressent, à son tour, comme assiégé. Aujourd’hui encore, il lui arrive de ne pas savoir de quoi sera fait l’avenir. Quelquefois même, la rue gronde et les regards qu’il rencontre ne sont pas toujours amicaux. N’a-t-il pas trop souvent le sentiment de servir de champ d’expression à la frustration de trop nombreuses sociétés ? Ne se sent-il pas aussi comme abandonné par beaucoup face à la déferlante de la haine ? Toujours valeureux, il garde pourtant la forteresse de ses valeurs. Il la défend et les furieux assauts du dehors ne parviennent même pas à l’ébranler. C’est alors qu’il importe de le redécouvrir : le monde peut « soutenir » autant qu’ « assiéger ». A nous de faire en sorte qu’il en soit ainsi.


 « Pleine de rire »

Evoquant le temps de Machia’h, les Psaumes (126 : 2) annoncent : « Alors, notre bouche sera pleine de rire ». Il faut souligner que ce rire-là a un sens et une motivation profondes.

En effet, la valeur numérique du mot « rire » en hébreu est de 414. C’est aussi celle des mots « Or Ein Sof » qui signifient « Lumière Infinie » et font référence à l’Essence Divine. Cette équivalence indique que la signification véritable de ce « rire » est la révélation de D.ieu.

(d’après Likoutei Torah, Bamidbar, p. 19d)


 Vaye’hi

Yaakov passe les dix-sept dernières années de sa vie en Egypte. Avant de mourir, il demande à Yossef d’être enterré en Terre Sainte. Il bénit les deux fils de Yossef, Ménaché et Ephraïm, les élevant au même statut que ses propres fils : fondateurs des tribus de la nation d’Israël.

Il désire révéler la fin des temps à ses enfants mais il ne peut le faire.

Yaakov bénit ses fils, assignant à chacun son rôle en tant que tribu : Yehouda donnera naissance à des chefs, des législateurs et des rois. Les prêtres descendront de Lévi, des érudits d’Issa’har, des marins de Zevouloun, des enseignants de Chimon, des soldats de Gad, des juges de Dan, des producteurs d’olives d’Acher, etc.

Réouven est réprimandé pour avoir « dérangé la couche maritale de son père », Chimon et Lévi pour le massacre de Che’hem et le complot contre Yossef. A Naphtali est attribuée la rapidité d’un cerf, à Binyamin la férocité d’un loup et Yossef est béni de beauté et de fertilité.

Une grande procession, faite des descendants de Yaakov, des ministres du Pharaon, des notables d’Egypte et de la cavalerie égyptienne, accompagne Yaakov dans son dernier voyage vers la Terre sainte où il est enseveli, à ‘Hévron, dans la grotte de Ma’hpéla.

Yossef meurt, lui aussi en Egypte, à l’âge de 110 ans. Il a également donné des instructions pour être enterré en Terre sainte, mais cela ne se produira que bien longtemps après, lors de l’Exode des Juifs d’Egypte. Avant de mourir, Yossef confie aux Enfants d’Israël le testament d’où ils tireront espoir et foi, pendant les difficiles années à venir : « Il est sûr que D.ieu Se rappellera de vous et vous sortira de cette terre (pour vous mener) vers la terre qu’Il a jurée, à Avraham, Its’hak et Yaakov». (Beréchit 47 :2 !- 50 :26)

Les Patriarches dans notre vie

« Mon nom sera perpétué par eux ainsi que les noms de mes pères Avraham et Its’hak. » (Béréchit 48 :16)

Le Peuple Juif possède trois « pères » : Avraham, Its’hak et Yaakov parce qu’il existe trois modèles de perfection qui embrassent notre mission dans la vie.

Avraham : la croissance

La grandeur d’Avraham réside dans le fait qu’il bâtit sa vie, pièce par pièce, s’épanouissant, d’un commencement dépourvu de spiritualité, en un statut emprunt de sainteté.

Maïmonide décrit la vie d’Avraham : le premier Juif naquit dans une société païenne et dépravée.

« Il n’avait pas de maître ou de guide pour l’instruire mais il était englouti parmi les idolâtres déments d’Our Kasdim. Son père, sa mère et toute la société adoraient les idoles et il le faisait avec eux. Mais son cœur était dans la quête et la réflexion au point que, par sa profonde sagesse, il comprit le véritable chemin et sut qu’il n’y avait qu’un seul D.ieu...

Il en vint à reconnaître que le monde entier se trompait… »

Avec courage, Avraham résolut de faire face au monde entier et il commença à enseigner à ses prochains la vérité d’un D.ieu Unique, Omnipotent et Infini, le code de lois approprié et moral et l’approche de la vie qu’implique cette vérité.

(L’un des sens de la dénomination « Ivri » « l’Hébreu » (littéralement : « de l’autre côté »), attachée au nom d’Avraham, est que « le monde entier était d’un côté et Avraham était de l’autre côté »).

Its’hak : la pureté

La vie de Its’hak est en contraste radical avec l’histoire spirituelle d’Avraham, qui évolua de la pauvreté à la richesse.

Its’hak est le premier à être né Juif.

Its’hak ne représente pas une perfection gagnée par des décennies de lutte contre l’imperfection. C’est une ligne droite de spiritualité, depuis sa naissance jusqu’à son dernier jour. Alors qu’Avraham fut circoncis à quatre-vingt-dix-neuf ans, devenant finalement « complet » à cet âge avancé de sa vie, Its’hak fut circoncis au huitième jour de la sienne.

Quand il envisagea de s’aventurer temporairement en dehors de la Terre Sainte, D.ieu lui dit : « Ne descends pas en Egypte. Réside sur la terre dont Je t’ai parlé ». Les Sages expliquent que D.ieu voulait ainsi dire à Its’hak : « Tu es ‘une offrande parfaite’ et la terre qui se trouve en dehors de la Terre sainte ne te convient pas ».

Its’hak ne rencontra aucune adversité. Il voyait tout dans son aspect lumineux le plus profond, ne se liait qu’au bien essentiel. Il est caractéristique d’observer que même dans son fils corrompu, Essav, il ne vit que le bien.

Le mal ne faisait tout simplement pas partie de son monde.

Yaakov : la vérité

L’ultime marque de perfection, cependant, ne consiste pas à éviter la faute mais de réussir à affronter tout ce que l’existence peut présenter, y compris le déficient et le négatif. Selon les mots de Rabbi Chalom Dov Ber de Loubavitch :

« Un individu entier et intègre est celui qui, concrètement, rejette le mal et fait le bien avec une perfection absolue qui n’est jamais sujette aux changements ou aux fluctuations. Les conditions du temps et du lieu ne l’atteignent pas grâce à la force et l’intégrité de ses convictions… Ces facteurs ne constituent pas même une « épreuve » pour lui parce que, pour lui, il n’y a pas d’autre option… » (BeChaah CheHikdimou 5672, vol.I, section 82)

Le troisième de nos Patriarches, Yaakov était l’exemple parfait de cette constance inébranlable dans la vie. Yaakov était né dans la sainteté et passa la première partie de sa vie en étant « un homme complet, résidant dans les tentes de l’étude ». Cependant, à l’opposé d’Its’hak, il dut par la suite s’aventurer au-delà des frontières du parfait et du saint. Au cours de sa vie, Yaakov dut affronter Essav, le meurtrier, Lavan, le voleur et les sociétés idolâtres de ‘Haran et de l’Egypte. Et pourtant, il en émergea spirituellement intègre et indemne. Où qu’il aille, il surmontait toutes les épreuves que lui présentait le monde, quelles qu’elles soient, exploitant le bien dans les circonstances les plus défavorables, sans jamais compromettre l’intégrité de sa propre pureté.

C’est la raison pour laquelle Yaakov est identifié à l’attribut de « vérité ». La vérité implique la constance. Une chose est vraie quand l’on y décèle une réalité objective, quand sa validité n’est pas affectée par les influences et les conditions extérieures. L’héritage de Yaakov est la perfection qui n’a nul besoin d’établir des frontières pour maintenir son intégrité mais qui transcende et transforme les imperfections qu’elle rencontre.

Trois défis

Les différentes personnalités caractérisées par les vies d’Avraham, Its’hak et Yaakov sont toutes trois présentes dans notre vie en tant que Juifs.

Chacun d’entre nous est appelé à œuvrer pour construire, à partir de prémisses imparfaites, pour devenir un être meilleur.

Nous ressentons tous le besoin de nous prémunir pour conserver la pureté intérieure que nous possédons.

Et nous nous trouvons tous devant le défi d’interagir avec le monde dans sa globalité et pas seulement de conserver notre propre morale et notre intégrité spirituelle. Il nous faut également la partager avec notre environnement.


 Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet (cette année jeudi 28 décembre 2017) ?

En ce jour funeste commença le siège de la ville sainte de Jérusalem par l’armée babylonienne, sous les ordres du cruel Nabuchodonosor en 3336 (425 ans avant le début de l’ère commune).

A cause de sa gravité – puisqu’il marque le début de la destruction et de l’exil – il ne peut être repoussé à une date ultérieure (comme les jeûnes du 17 Tamouz et du 9 Av) ou avancé à une date précédente (comme le jeûne d’Esther). C’est le seul jeûne qui peut tomber un vendredi – donc veille de Chabbat. Du fait de sa gravité, il aura d’ailleurs une place de choix quand les jours de jeûne seront transformés en jours de joie (avec la venue de Machia’h).

Le but du jeûne est que même le corps physique ressente « la diminution de la graisse et du sang ». On ne mange pas et on ne boit pas. On ne se rince pas la bouche. Mais on peut se laver sans restriction.

Les enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de la Bar ou Bat Mitsva (les filles dès 12 ans et les garçons dès 13 ans) ne jeûnent pas. Les personnes fragiles, les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ou qui allaitent ne jeûnent pas. Même ceux qui ont la permission de manger s’abstiendront de manger des friandises.

Le jeûne commence à l’aube, jeudi 28 décembre 2017 (7h00 heure de Paris) et se termine à la tombée de la nuit (17h46 heure de Paris).

Dans la prière du matin, on récite les Seli’hot spéciales de ce jour après le Ta’hanoun ainsi que « le grand Avinou Malkénou ». Puis on lit dans la Torah le passage Vaya’hel (Chemot - Exode 32 : 11 jusqu’à 34 : 1). Seul celui qui a jeûné peut être appelé à la Torah.

Durant la prière de Min’ha (l’après-midi), on lit dans le rouleau de la Torah le chapitre Vaya’hel. Dans la Amida, on ajoute le passage Anénou (« Réponds-nous, Éternel au jour de notre jeûne car nous sommes dans une grande peine… »).

On récite le Ta’hanoun et « le grand Avinou Malkénou ».

Comme tous les jours de jeûne, on procédera à un examen de conscience approfondi et on évitera de se mettre en colère. On augmentera les dons à la Tsedaka (charité). Rabbi Chnéour Zalman (l’Admour Hazaken) explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme ce jeûne du 10 Tévet est particulièrement important, on comprend que la Techouva (retour à D.ieu) procurée par ce jeûne est aussi d’un niveau plus élevé.

Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est associé au souvenir des martyrs de la Shoah.

(d’après Rav Yossef Ginsburgh)


 Le roi du Chabbat

Les temps étaient durs pour Rav Yaakov Levi, l’émissaire du Rabbi à Sunshine en Floride. Malgré le nom éclatant de sa ville gorgée de soleil, Rav Levi avait de sérieux problèmes avec sa banque qui menaçait de saisir sa maison, sa voiture et même sa synagogue dont il ne parvenait plus à payer le loyer. La solution ? C’était Michael Fein, le Juif le plus riche de la ville. Chaque année, il donnait 100.000 dollars, en un seul chèque. Mais cette année, il avait posé une condition : qu’il y ait un Minyane ce vendredi soir, les dix Juifs nécessaires pour qu’il puisse réciter le Kaddich, à la mémoire de sa mère. Sinon… Non, Rav Levi ne voulait pas envisager le pire !

On était une heure avant Chabbat et il n’y avait que neuf hommes disponibles, lui compris. Il regarda encore une fois la liste des fidèles mais il avait déjà appelé chacun d’entre eux : on était justement le week-end du 4 juillet, jour de l’indépendance aux Etats Unis et tous étaient partis à la campagne.

Puis il se souvint de celui qui n’était pas sur la liste :  Yussie Yablonski. Mais oui ! Bien sûr ! Lui n’était certainement pas parti en week-end, il n’avait pas de voiture. Il serait le dixième! Mais son téléphone ne répondait pas : traduction : il n’avait pas payé sa facture.

Il restait quarante minutes. Rav Levi se précipita vers l’appartement de Yussie et sonna

frénétiquement.

Pas de réponse.

Il frappa de toutes ses forces, encore et encore. Finalement Yussie ouvrit. Les cheveux ébouriffés, sentant la sueur et même la saleté, il regarda le rabbin qui lui demanda :

- Yussie ! Comment va ?

- C’est la question à ne pas poser, rabbin !

- Mais si ! C’est mon métier !

L’appartement était sens dessus dessous : une pile de vaisselle dans un évier crasseux, la poubelle qui débordait, des vêtements sales qui traînaient partout et une odeur à l’avenant.

- Alors Yussie, qu’est-ce qui ne va pas ?

- Tout ! Toute ma vie ne va pas ! Voulez-vous du vin, rabbin ?

- Non merci, je ne bois pas de vin avant Chabbat !

- Chabbat ! C’est déjà Chabbat ? Vous savez, je n’ai plus la notion du temps qui passe…

- Yussie ! Dans 20 minutes, c’est Chabbat. Et j’ai promis à Michael Fein que nous aurions Minyane. Yussie ! Vous aurez l’honneur d’être le dixième !

- Non merci !

- Comment ?

- Je ne vais plus à la synagogue parce que… je ne crois plus en D.ieu !

- Allons, allons, nous en discuterons en route !

- Rabbin ! Les gens se moquent de moi dans la rue ! « C’est le clochard ! » qu’ils disent !

- Yussie ! Vous êtes quelqu’un de bien !

- Bien pour quoi ? Je n’ai pas été gâté à ma naissance, ma tête ne fonctionne pas trop bien, je n’ai ni femme ni enfant, et ma famille me tient à distance, de peur que je n’essaye de leur emprunter de l’argent… Je n’existe pas ! Chaque année, c’est pire !

- Yussie ! Vous vous dévalorisez inutilement !

- Même D.ieu n’a que faire de moi. Je refuse de croire en Lui parce qu’Il refuse de croire en moi !

Quinze minutes avant Chabbat.

- Non, Rabbin, je n’irai pas à la synagogue.

- Allons Yussie, dit Rav Levi en lui passant la main sur l’épaule. J’ai besoin d’un dixième maintenant ! Ensemble nous demanderons à D.ieu des bénédictions pour vous !

- Pensez-vous ! Il rit toujours de mes prières ! Partez, rabbin, occupez-vous de votre Michael Fein, trouvez quelqu’un d’autre qui croit en D.ieu pour son Minyane !

Rav Levi se dirigea vers la porte, courut vers sa voiture et fonça en direction de la synagogue mais, en route, il se posa des questions : « Comment puis-je l’aider ? J’ai une femme et deux enfants et des gens de ma communauté qui apprécient mes efforts. Mon unique problème maintenant, c’est de trouver un Minyane pour Michael Fein. Mais qui est-il ? Est-il D.ieu ? Même s’il arrête de me subventionner, je continuerai ! Et je ne sais pas comment aider mon ami Yussie ».

C’est alors que Rav Levi se surprit lui-même. Il oublia Michael Fein, il oublia le Minyane, il oublia ses factures impayées et fit demi-tour, arrivant juste quelques minutes avant Chabbat chez Yussie. Il frappa à la porte.

Pas de réponse.

Il frappa encore, de ses deux poings. Puis se résolut à forcer la porte d’un coup d’épaules.

- Yussie ! Où êtes-vous ?

Pas de réponse. Pas de lumière. Sans doute encore une facture « oubliée »… Mais Yussie n’était ni dans la cuisine, ni dans la chambre à coucher. Rav Levi avait un très fort pressentiment.

Oui, Yussie était dans la salle de bain, devant le miroir, avec à la main un tube de médicaments…

- Rabbin ! Partez ! Michael Fein a besoin de vous !

- Non Yussie, c’est vous qui avez besoin de moi !

- Rabbin ! Plus personne ne s’occupe de moi ! Combien de temps peut-on vivre ainsi ?

- Je ne sais pas, admit Rav Levi après un long silence. Puis il passa son bras sur l’épaule de Yussie et réussit à l’entraîner dans la cuisine.

- Yussie ! Chaque fois que je rencontre une situation injuste, je suis obligé de constater : « Seul D.ieu sait pourquoi ! » Mais si j’étais un meilleur rabbin, j’aurais trouvé les mots justes. Vous Yussie, vous avez foi en D.ieu depuis bien plus longtemps que n’importe qui, certainement que moi ! Et je suis le rabbin ! Peut-être que D.ieu envoie Ses bénédictions à ceux qui sont faibles et réserve les épreuves à ceux qui sont forts. Il est heureux que ses meilleures créatures aient besoin de si peu de sa part !

D’ailleurs, Yussie, je vous vous confier un secret : parfois, quand je prie, je demande à D.ieu de ne pas m’éprouver comme Il vous éprouve ! Parce que je ne tiendrai pas le coup !

- Vous voulez dire que je suis plus fort que vous, rabbin ?

- Absolument. Et je le pense sincèrement.

- Même plus fort que Michael Fein ?

- Beaucoup plus fort que lui !

Yussie s’essuya les yeux et fouilla dans ses vêtements. Il dénicha une chemise à peu près blanche, trouva même une cravate : Rav Levi n’en croyait pas ses yeux. Yussie se tenait bien droit, il s’était coiffé et rectifiait sa cravate devant le miroir. Il respirait l’assurance.

Tous deux, ils marchèrent tranquillement les trois kilomètres qui les séparaient de la synagogue, sous une pluie battante.

- C’est sympa de la part de D.ieu de me procurer une douche avant Chabbat, n’est-ce pas rabbin ?

Tous deux pouffèrent de rire.

Quarante minutes plus tard, trempés jusqu’aux os mais plus heureux qu’on ne peut le désirer, ils arrivèrent à la synagogue. Huit hommes les regardèrent, les yeux écarquillés. Le huitième, Michael Fein, semblait en colère.

- Il n’a pas l’air content ! murmura Yussie à l’oreille de Rav Levi.

- A nous de prier pour lui, répondit Rav Levi à voix basse.

Il se dirigea vers le pupitre, exigea que Yussie se tienne à ses côtés et entama la prière d’accueil du Chabbat.

Pour la première fois depuis longtemps, le jeune rabbin ressentit que D.ieu était vraiment content de lui.

Zalman Velvel

www.chabad.org/Toldot

traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017

 Des livres et des âmes

Dans un livre, il y a tant de choses : une pensée, une sagesse mais aussi toute une vie, comme une lumière. Ce Chabbat, nous célèbrons le 5 Tévèt, la si bien nommée « fête de la libération des livres ». Les faits sont connus : des livres précieux dérobés, pourtant transmis par le précédent Rabbi de Loubavitch pour qu’ils continuent d’agir sur le monde par leur seule présence et sur les hommes par l’accès à la connaissance qu’ils offrent. Un vol qui révolte la conscience et qui, en ce jour, trouve enfin sa conclusion : la justice passe et les ouvrages sont restitués en leur lieu légitime, la bibliothèque du Rabbi.

Il faut souligner cette fête car c’est bien d’âme qu’elle nous parle, tant au niveau collectif qu’individuel. Patiemment amassés, préservés dans les pires circonstances et au prix de tous les dangers, ces livres avaient traversé la moitié du monde pour arriver jusqu’à cette bibliothèque à New York. C’est là que le forfait fut commis. Il ne s’agit pas ici uniquement de la contestation d’une propriété historique, c’est l’esprit que l’on voulait détruire. Tentative ancienne qui a connu tant de précédents dans l’histoire mais que le peuple juif, pour qui le Livre est d’abord saint, a toujours su déjouer.

De fait, c’est donc une bien belle victoire. La petite volonté d’enrichissement matériel personnel a cédé devant la grandeur spirituelle et la justesse morale. Célébrer l’événement n’est donc pas une affaire de commémoration rituelle, comme le rappel nostalgique de faits glorieux. C’est un jour qui concerne chacun. A telle enseigne que ce jour est devenu, au sens le plus général, la « fête des livres » et que, à la demande du Rabbi, la coutume s’est instaurée d’acheter, à cette occasion, un livre juif supplémentaire. Un livre de plus, c’est si peu et tant à la fois. Il est clair qu’en première analyse, un seul ouvrage ne tient pas beaucoup de place. Pourtant, il peut changer ce que nous sommes et, de cette façon, la face du monde.

Aussi, cette histoire nous accompagne et, avec elle, les livres auxquels elle donne ainsi accès. D’année en année, que grandisse la soif éprouvée devant eux. Que grandisse, à travers elle, la largeur de la connaissance, la hauteur de l’esprit et la profondeur de la sagesse. Tout cela fait à présent partie de notre âme. Avec le 5 Tévèt, c’est d’elle qu’il nous appartient de nous montrer dignes.


 Sur le mont des Oliviers

Le prophète Zacharie (14 : 4), parlant de la venue de Machia’h, déclare : « Et Ses pieds se tiendront en ce jour sur le mont des Oliviers ». « L’huile », qui signifie généralement « huile d’olive », représente traditionnellement la sagesse. Cela fait référence au service de D.ieu fondé sur l’intellect et renforcé par le plaisir qui découle de la compréhension. Les « pieds », inversement, font allusion au service divin fondé sur la soumission à D.ieu. Ainsi le verset cité, « les pieds se tiendront… sur le mont des Oliviers », manifeste la supériorité du service de D.ieu fondé sur la soumission, le don de soi sur celui qui a la compréhension pour base. En effet, le premier est infini alors que le deuxième est limité à la portée de l’intellect humain, aussi grand soit-il. Au temps de Machia’h, l’infini montre sa grandeur.

(D’après Likoutei Si’hot, vol. I, p. 103)


 Vayigach

 Yehouda s’approche de Yossef pour le supplier de libérer Binyamin, offrant sa propre personne comme esclave à la place de son jeune frère. Devant la loyauté qui anime ses frères les uns à l’égard des autres, Yossef leur révèle son identité. « Je suis Yossef, déclare-t-il. Mon père est-il toujours vivant ? ».

Les frères sont envahis de honte et de remords mais Yossef les console. « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, leur dit-il, mais D.ieu. Tout a été ordonné d’En-Haut pour nous sauver de la famine ainsi que toute la région ».

Les frères se précipitent à Canaan avec les nouvelles. Yaakov vient en Egypte avec ses fils et leurs familles, soixante-dix âmes en tout, et retrouve son fils bien-aimé après vingt-deux ans de séparation. En chemin, il reçoit la promesse divine : « Ne crains pas de descendre en Egypte ; car Je ferai de toi une grande nation. Je descendrai avec toi en Egypte et il est sûr que Je vous ferai remonter ».

Yossef amasse de la richesse pour l’Egypte en vendant de la nourriture et des grains de blé durant la famine. Le Pharaon donne à la famille de Yaakov la fertile région de Gochen pour qu’elle s’y installe et les Enfants d’Israël prospèrent dans leur exil égyptien.

 Le veau de Yossef

Ils lui dirent tous les mots que Yossef leur avait dits, et il vit les charrettes que Yossef avait envoyées pour le transporter ; et l’esprit de leur père Yaakov fut ravivé. (Beréchit 45 :27)

(Yossef) leur donna un signe, indiquant dans quel sujet (Yaakov et Yossef) étaient engagés quand ils avaient été séparés l’un de l’autre : le sujet de « Egla Aroufa » (une génisse à la nuque brisée). C’est là le sens de ce qui est dit : « et il vit les charrettes que Yossef avaient envoyées… » (Rachi)

La Torah (Beréchit 45 :25- 46 :1) relate que lorsque les frères de Yossef revinrent d’Egypte et dirent à leur père que Yossef était vivant et dirigeait l’Egypte, le cœur de Yaakov « rejeta (la nouvelle) car il n’arrivait pas à les croire. » Ce n’est que « lorsqu’ils lui dirent tous les mots que Yossef leur avait dits » et qu’ils lui montrèrent « les Agalot (charrettes) que Yossef avaient envoyées » que « l’esprit de Yaakov… fut ravivé ». « Mon fils Yossef est toujours en vie ! » s’écria Yaakov, « je vais aller le voir avant de mourir ! »

Quels étaient ces « mots que Yossef leur avait dits » ? Et qu’étaient ces charrettes qu’il avait envoyées ? Le mot Agalot signifie littéralement « charrettes ». Mais les charrettes pour transporter Yaakov et sa famille en Egypte avaient été envoyées par le Pharaon et non par Yossef. Et pourquoi la vue de quelques charrettes put-elle raviver l’esprit de Yaakov ?

Les Agalot, expliquent nos Sages, sont une allusion à la Egla Aroufa, la loi de la « génisse à la nuque brisée ». Yossef rappelait ainsi à son père la dernière loi de la Torah qu’ils avaient étudiée ensemble, avant d’être séparés pendant les vingt-deux années au cours desquelles Yaakov allait être endeuillé par la perte de son fils bien-aimé, et Yossef allait vivre les épreuves et les triomphes de la vie, en tant qu’esclave, prisonnier et dirigeant.

Oui, dit Yaakov, à la vue des Agalot, le vice-roi d’Egypte est bien mon fils perdu depuis si longtemps et il n’a pas oublié la Torah qu’il a étudiée dans la maison de son père !

Dehors, dans le champ

En quoi consiste la loi de Egla Aroufa ? Et que signifie le fait que c’est précisément cette loi, que Yaakov et Yossef étudiaient au moment de la séparation, qui indiqua à Yaakov que son fils « était toujours en vie » ?

La loi apparaît dans la Torah (Devarim 21 :1-8).

Si l’on trouve… un corps mort dans un champ et que l’on ignore qui l’a abattu… la ville la plus proche du corps (étant déterminée), les anciens de cette ville prendront une génisse qui n’a jamais été mise au travail, qui n’a jamais porté le joug. Les anciens de cette ville feront descendre cette génisse dans un ravin sauvage qui n’a jamais été labouré ou semé ; et ils briseront la nuque de cette génisse, là dans le ravin… Et ils proclameront : « Nos mains n’ont pas répandu ce sang ; nos yeux n’ont pas vu. Ô D.ieu, pardonne à Ton peuple Israël que Tu as racheté… que le sang leur soit pardonné. »

Nous assumons tous la responsabilité pour les choses qui sont sous notre autorité ou que nous contrôlons. Mais qu’en est-il de ce qui est en dehors de notre domaine ? Les choses sur lesquelles nous n’exerçons aucune autorité ou n’avons que peu d’influence ?

Là est la leçon de Egla Aroufa. Les anciens de la ville la plus proche du meurtre doivent assurer que « nos mains n’ont pas répandu ce sang ».

Que signifie cette déclaration ?

Le Talmud explique : quiconque imaginerait-il que les anciens du tribunal soient des verseurs de sang ? Mais (les anciens doivent affirmer que) « nous ne l’avons pas envoyé sans provisions…nous ne l’avons pas envoyé sans escorte ». (Talmud, Sotah 38b)

Les anciens de la ville sont bien évidemment responsables de tout ce qui se passe dans leur juridiction. Mais ce meurtre a eu lieu « dehors, dans le champ », en dehors du domaine de toutes les villes environnantes. Néanmoins, les anciens doivent proclamer leur innocence et puis chercher l’expiation et le pardon pour le crime.

Tel est le sens profond du message qu’envoya Yossef à Yaakov. Père, disait-il, je n’ai pas oublié les lois de Egla Aroufa. Il est vrai que j’ai été exilé de l’environnement saint de ta maison vers l’Egypte dépravée. Mais je n’ai pas envoyé mon âme dans ce désert spirituel, sans provisions et sans escorte. Je ne l’ai pas abandonnée à la mort spirituelle, sous prétexte que puisque c’est « en dehors de mon domaine, cela ne me concerne absolument pas ». Après vingt-deux ans d’esclavage, d’emprisonnement et de pouvoir politique, je suis ce même Yossef qui a quitté ta maison, le jour où nous étudiions les lois de Egla Aroufa.

Voilà le message qui fit revivre l’esprit de Yaakov et le rassura que son fils « Yossef est toujours en vie », pas simplement au sens matériel mais également au sens spirituel, ayant conservé sa droiture et son intégrité, en dépit de toutes les vicissitudes qu’il avait traversées.


 Qu’est-ce qu’une « maison pleine de livres » ?

Afin de se souvenir constamment de l’importance des Mitsvot (commandements), il convient non seulement d’étudier mais de posséder des livres les évoquant. Ainsi, le Juif se souvient des Mitsvot et D.ieu Lui-même se souvient non seulement du mérite des pères mais bien de celui du Juif qui a étudié dans ces livres : ceci « crée une révolution dans tous les mondes » selon les paroles du Rabbi.

Ainsi, chacun devra posséder au moins un ‘Houmach (les Cinq Livres de la Torah), un livre de Tehilim (Psaumes), un Sidour (livre de prières) et un Tanya (de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi). Par ailleurs, on acquerra des livres concernant la Hala’ha (loi juive) afin de pouvoir se renseigner régulièrement sur comment agir dans la vie de tous les jours.

De même, les maisons communautaires seront munies de nombreux livres, au service de tous ceux qui les fréquentent : le fait de disposer de livres encourage chacun à les étudier.

De même qu’à l’époque de la destruction du Temple, Rabbi Yo’hanane ben Zakaï demanda aux autorités romaines la permission de préserver la ville de Yavné avec ses Sages, de même il convient aujourd’hui de construire un nombre important de Yechivot et écoles juives où ces livres seront étudiés.

On respecte énormément les livres de Torah. On ne les pose pas dans un endroit où ils pourraient tomber ou être dégradés et abîmés. On veille à ce qu’aucune miette ou goutte de liquide ne tombe entre les pages. On les recouvre pour les protéger ; on les pose dans une belle bibliothèque et on les protège de la poussière. On évite de poser un livre sur une chaise ou un lit ; sinon, on évite de s’asseoir à côté. On n’utilise pas un livre pour se protéger de la lumière, du soleil ou de la fumée. On ne s’en sert pas pour garder un papier important ou de l’argent.

Chaque enfant juif devra posséder – si possible dès la naissance – les principaux livres : ‘Houmach, Tehilim, Tanya, Sidour, Hagada, Ma’hzor.

(d’après Hamitsvaïm Kehil’hatam - Rav Shmuel Bistritzky)


 Le Tanya imprimé au Liban

En 1978, le Rabbi de Loubavitch lança une campagne internationale en direction de ses nombreux émissaires : il fallait imprimer le Tanya (l’œuvre maitresse de la philosophie ‘Habad, rédigée par Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi au début du 19ème siècle) dans toutes les villes où vivaient des Juifs. Cette campagne, qui se poursuit encore de nos jours, eut comme résultat qu’il existe aujourd’hui plus de 6000 éditions du Tanya – ce qui en fait le livre juif le plus édité au monde.

Quand éclata la guerre du Liban, le Rabbi demanda au regretté Rav Leibel Kaplan, son émissaire principal à Safed, d’aller faire imprimer le Tanya au Liban. Ceci devait s’effectuer dans au moins trois villes où avaient vécu de grandes communautés juives et qui étaient maintenant provisoirement conquises par l’armée israélienne.

Nous avons acquis assez facilement le matériel nécessaire pour cette entreprise mais il restait à obtenir les permissions de l’armée. A cet effet, le secrétariat du Rabbi à New York nous contacta plusieurs fois pour avoir des nouvelles mais, malgré de nombreuses promesses de la part de certains officiels, le fait était que nous n’avions encore rien reçu de concret.

Rav Kaplan suggéra que nous nous rendions jusqu’à la frontière et, sur place, que nous tentions d’entrer au Liban même sans permission officielle.

Chacun d’entre nous se mit fiévreusement à préparer, qui les Téfiline, qui les prospectus d’inscription dans le Séfer Torah, qui la nourriture. Pendant ce temps, je continuai à œuvrer pour obtenir enfin les permis promis mais, au bout de six heures d’appels téléphoniques à droite et à gauche, nous n’avions toujours rien.

Nous nous sommes donc mis en route vers le QG des forces israéliennes du nord. Nous avons expliqué notre mission au commandant. Il répondit qu’il savait tout du Rabbi et nous conseilla de revenir le lendemain : l’aumônier général de Tsahal devait rendre visite aux troupes basées sur place et lui pourrait peut-être nous aider.

Cette nuit, je fus incapable de dormir : nous avions reçu une mission urgente à remplir de la part du Rabbi et, depuis plusieurs jours, rien n’avait encore bougé !

Je m’habillai en toute hâte et me précipitai dans la maison d’un de mes collègues. Il finit par m’ouvrir la porte : « Dépêche-toi ! Nous retournons dans le nord pour rencontrer le commandant et exiger de sa part la permission ! ». Ahuri, il bredouilla : « Il est plus de minuit ! Retourne dormir ! ». Mais j’étais décidé : « Moi j’y vais ! Si tu veux accomplir la volonté du Rabbi, alors viens avec moi. Sinon, j’y vais tout seul ! ».

Nous avons pris la voiture et sommes arrivés bien vite à la base. Je criai au garde de service qui se tenait à la frontière :

- Où est le commandant ?

Mon ton décidé eut raison de sa vigilance et il dut comprendre qu’il s’agissait vraiment d’une urgence et – miracle des miracles – il nous ouvrit la porte. Nous avons foncé vers le bureau du commandant et j’expliquai à la secrétaire que nous devions lui parler au plus vite : « Nous venons de la part du Rabbi de Loubavitch et nous devons lui parler de quelque chose de très important ! ». Mais elle ne voulut rien entendre. J’insistai : « C’est un sujet de la plus extrême urgence, quelque chose dont peut dépendre l’issue de la guerre ! Ce n’est pas à vous de m’empêcher de contacter le commandant ! ». En entendant ces paroles prononcées avec force et détermination, elle accepta d’aller le réveiller. Quand celui-ci entra dans la pièce, je remarquai qu’il n’avait pas du tout l’air content d’avoir été réveillé à cette heure indue…

La secrétaire demanda si elle pouvait assister à la conversation. Avec humour, je répondis que mon message était classé secret défense. Quand le commandant entendit cela, il éclata de rire sans pouvoir s’arrêter et il lui fallut plusieurs minutes pour se remettre. Mais cela avait eu le mérite de le mettre de bien meilleure humeur.

- J’ai une requête à vous présenter de la part du Rabbi et je pressens que cela affectera favorablement l’issue de la guerre. Le Rabbi, qui est le chef de notre génération, a demandé expressément que le Tanya soit imprimé au Liban. Pourquoi ? Je l’ignore, je ne suis pas le Rabbi ! Mais ce que je sais, c’est que le Tanya est l’œuvre fondamentale de la ‘Hassidout ‘Habad et que le Rabbi a demandé depuis quelques temps que le Tanya soit imprimé dans le monde entier. S’il a demandé que cela le soit particulièrement au Liban, c’est certainement de la plus haute importance pour tout le peuple juif !

- Bon, répliqua le commandant après mon discours de quinze minutes, en quoi puis-je t’être utile ?

- Très simple : la permission d’entrer au Liban avec notre matériel !

- Pas de problème ! conclut-il en décrochant son téléphone pour demander à son interlocuteur de signer un permis pour notre entrée dans le pays.

J’entendis l’officier à l’autre bout du fil demander des précisions : « Dans quelles villes ?

Suite aux demandes du Rabbi, je répondis avec assurance : « Tyr, Sidon et Beyrouth ! ». A mon grand soulagement (mais j’étais déjà persuadé de la réussite de notre mission…), le commandant accepta : « OK ! Laissez-les aller jusqu’à Tyr ! ».

Je le remerciai et lui demandai son prénom ainsi que celui de sa mère pour solliciter une bénédiction du Rabbi en sa faveur. Il réfléchit et déclara que nous devions juste prévenir le Rabbi que le commandant de la région nord avait donné sa permission.

Je me dirigeai vers un bâtiment voisin pour récupérer le papier tant attendu. Un jeune officier ouvrit la porte et m’informa que nous ne pourrions entrer qu’après quatre heures du matin. Cela me convenait parfaitement car cela me permettrait d’aller réveiller tous mes collègues pour qu’ils m’accompagnent au Liban. L’officier me demanda si nous portions des armes mais, bien sûr, nous n’en avions pas.

- Ok, pas de problème ! Je vais préparer une escorte de quatre soldats armés pour vous accompagner en jeep militaire.

Et il me tendit le permis.

Je fonçai vers Safed pour contacter tous mes compagnons. Quand je les réveillai et leur annonçai la nouvelle, ils pensèrent que j’avais perdu la tête et que je divaguais. Mais ils ne pouvaient pas nier que le permis était bien réel ! Bien vite, nous sommes retournés vers la frontière.

Notre groupe pénétra au Liban et parvint à imprimer des copies du Tanya dans plusieurs villes – selon la volonté du Rabbi. Cette première mission réussie nous permit par la suite d’effectuer d’autres actions au service du Rabbi – au service de la toute petite communauté juive qui subsistait dans ce pays.

Rav Aharon Eliezer Ceitlin (zal)

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017

 Lumières sur la ville !

En ces jours d’hiver aux journées si courtes, nous éprouvons sans doute tous le besoin de lumière, comme une aspiration profonde à une illumination qui changerait les hommes et le monde. Entraîné par cette frénésie si particulière que donne une certaine forme de la modernité si présente dans les rues de nos villes, l’homme désire, avec plus ou moins de conscience mais toujours ardemment, la sérénité du jour. C’est là une bien antique leçon que même les lueurs criardes des néons urbains ne parviennent pas à effacer : les hommes se regroupent toujours autour de la lumière.

Nous voici donc au cœur de ‘Hanouccah et, jour après jour, le chandelier de la fête voit se multiplier les flammes à son sommet. Chaque soir, elles augmentent et renforcent leur message éternel : l’obscurité ne saurait vaincre. Car celle-ci pèse sur l’horizon, elle semble avoir acquis un pouvoir de prégnance inaccoutumé. Et chacun d’être tenté de reculer devant son épaisseur presque tangible. Soudain, le chandelier s’allume. Ce sont de modestes flammèches qui s’élancent depuis son sommet mais elles sont comme le souffle de la victoire au moment où on ne s’y attend plus. Elles dansent au vent avec humilité mais chacun de leur mouvement est porteur de cet enthousiasme qui autorise tous les espoirs et, demain, toutes les conquêtes. Car, ici, l’enjeu est fort : laisserons-nous les forces de la nuit régner sans partage dans des cités sans âme ou saurons-nous donner la place qu’il mérite à l’humain ?

Huit lumières vont donc briller comme pour nous dire qu’il y a un au-delà du cycle hebdomadaire et de sa routine, finalement un au-delà du temps. Dans la vibration des flammes, n’y a-t-il pas ainsi un mouvement d’infini ? Et cela nous est précieux. Nous vivons dans une société qui paraît avoir aujourd’hui quelque peine à voir que l’uniformité, si elle est un temps rassurante, finit par ne produire qu’une grisaille étouffante. Il est vrai que l’obscurité interdit de considérer autre chose que la montée des ombres. Mais justement, les lumières de ‘Hanouccah ont cette puissance. Elles peuvent dire que l’harmonie ne se conçoit que dans la fidélité à soi-même et que, sans souvenir du passé, l’avenir n’a pas de sens. Elles savent montrer que demain sera lumineux et qu’à la nuit des âmes succède toujours le matin triomphant. A chacun donc d’en être le porteur. Pour le partage, la diffusion, la transmission. Pour le bonheur !


 L’éternité de nos actes

Parmi les descriptions et les promesses qui sont faites au sujet de la venue de Machia’h, nous trouvons (Isaïe 66 :22) : “Car, comme les cieux nouveaux et la terre nouvelle que Je ferai, dit D.ieu, resteront devant Moi, ainsi ta descendance et ton nom resteront”. S’il semble que l’assurance d’une certaine forme d’éternité soit ainsi donnée, il convient d’en comprendre profondément les termes.

En premier lieu, il faut préciser que “les cieux nouveaux et la terre nouvelle” ne font pas référence à une disparition et une apparition éventuelles d’un nouveau monde matériel. Les deux termes désignent ici deux degrés différents de la Lumière Divine qui se manifeste alors de façon dévoilée. Plus spécifiquement, “les cieux nouveaux” désignent une “Lumière infinie”, transcendant la création tandis que “la terre nouvelle” symbolise une “Lumière” immanente, qui pénètre le monde et reste à sa mesure.

Ainsi, précise le texte, malgré l’ampleur de cette révélation, “ta descendance et ton nom resteront”, c’est-à-dire que l’œuvre accomplie pendant le temps de l’exil, qui aura conduit à la venue de Machia’h, gardera toute sa valeur.

(D’après Likouteï Torah sur Chir Hachirim)


 Mikets

L’emprisonnement de Yossef s’achève enfin quand le Pharaon rêve de sept vaches grasses avalées par sept vaches maigres et de sept épis de blé pleins de grains avalés par sept épis rabougris. Yossef interprète ces rêves comme annonçant que sept années de richesse seront suivies de sept années de famine. Il conseille au Pharaon d’emmagasiner du grain pendant les années d’abondance. Le Pharaon nomme Yossef gouverneur d’Egypte. Yossef se marie avec Asnat, la fille de Poutiphar et a deux fils, Menaché et Ephraïm.

La famine se répand dans la région et seule l’Egypte dispose de nourriture. Dix des frères de Yossef s’y rendent pour y acheter du grain. Le plus jeune, Binyamin, reste à la maison car Yaakov a peur pour lui. Yossef reconnaît ses frères mais eux ne le reconnaissent pas. Il les accuse d’espionnage, insiste pour qu’ils fassent venir Binyamin, afin de prouver leur honnêteté, et garde Chimon en otage. Ils découvriront plus tard que l’argent qu’ils ont payé leur a été mystérieusement restitué.

Yaakov n’accepte d’envoyer Binyamin qu’après que Yehouda a pris la responsabilité de le ramener. Cette fois-ci, ils sont cordialement reçus par Yossef qui libère Chimon et les convie à dîner chez lui. Il cache un gobelet d’argent, aux pouvoirs exceptionnels, dans le sac de Binyamin. Le lendemain matin, alors que les frères s’apprêtent à prendre le chemin du retour, ils sont poursuivis, fouillés et arrêtés lorsque le gobelet est découvert. Yossef offre de les libérer à condition de garder Binyamin comme esclave.

Les bergers se prosternent

« Yossef était le dirigeant du pays, c’était lui qui fournissait la nourriture à tout son peuple ; et les frères de Yossef vinrent (en Egypte) et se prosternèrent devant lui… Et Yossef se souvint des rêves qu’il avait rêvés à leur propos… » (Beréchit 42 : 6-9)

Environ vingt-deux ans plus tôt, Yossef avait fait deux rêves dans lesquels il avait la prémonition des événements de ce jour.

« Nous faisions des gerbes dans le champ. Et voici que ma gerbe se leva et se tint debout ; et voici que vos gerbes se tenaient tout autour et s’inclinaient devant ma gerbe » (Beréchit 37 :7).

Dans le second rêve, Yossef avait dit avoir vu que « le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi » (ibid. verset 9).

Les frères de Yossef, déjà jaloux de l’affection toute particulière de leur père pour lui, « le haïrent encore plus pour ses rêves et ses paroles ». Mais Yaakov « garda la chose en tête » et « attendait et avait prévu son accomplissement ».

Pour que cela se produise, il fallait que se passent vingt-deux années, durant lesquelles Yaakov pleurerait la perte de son fils bien-aimé, où Yossef subirait l’esclavage et l’incarcération et les frères connaîtraient l’angoisse et le remords. Vingt-deux années douloureuses pour que les fils de Yaakov puissent se prosterner devant le vice-roi d’Egypte, qui était, sans qu’ils ne s’en doutent, ce rêveur lui-même qu’ils avaient autrefois vendu comme esclave.

Pourquoi était-il si important que cette prosternation ait lieu ? Pourquoi Yaakov « attendait et avait prévu l’accomplissement » des rêves de Yossef, malgré le fait qu’il eût conscience de la terrible animosité qu’ils avaient provoqué chez ses enfants ?

Le nouveau Juif

Avraham, Its’hak et Yaakov étaient des bergers, tout comme les fils de Yaakov. Ils choisirent cette vocation parce qu’ils trouvaient que la vie de berger était une vie d’isolement, de communion avec la nature, bien loin du tumulte et des vanités de la société, une vie propice à leurs quêtes spirituelles. Tout en veillant à leurs troupeaux, dans les vallées et les collines de Canaan, ils pouvaient tourner le dos aux préoccupations matérialistes des hommes et s’adonner à la contemplation du Créateur, Le servir avec un esprit clair et un cœur tranquille.

Yossef était différent. C’était un homme du monde, « un homme dynamique » qui réussissait dans le commerce et dans la politique. Jeté en prison, il allait bientôt devenir un personnage de haut rang dans l’administration pénitentiaire. Il finit par devenir vice-roi d’Egypte, second personnage, après le Pharaon, de la nation la plus puissante de la terre et seul fournisseur de nourriture pour toute la région.

Et pourtant, rien de tout cela ne l’affecta. Il resta Yossef Hatsadik, « le Juste Yossef », qui avait étudié la Torah aux pieds de son père. Esclave, prisonnier, dirigeant de millions d’hommes, contrôleur de la richesse de tout un empire, tout cela ne faisait pour lui aucune différence : le même Yossef, qui avait médité dans les collines et les vallées de Canaan, parcourait maintenant les rues de l’Egypte dépravée. Sa moralité et sa spiritualité émanaient de son moi profond et il était totalement imperméable à la société, l’environnement dans lesquels il évoluait ou à l’occupation pour laquelle il disait s’impliquer vingt-quatre heures par jour.

Le conflit entre Yossef et ses frères avait ses racines bien plus profondément que dans un vêtement multicolore ou dans le rôle de fils favori dans l’affection du père. Il s’agissait d’un conflit entre une tradition spirituelle et une nouvelle mondanité, entre une communauté de bergers et un politicien. Les frères ne pouvaient accepter qu’une personne puisse mener une existence matérielle sans devenir matérialiste, qu’une personne puisse rester unie avec D.ieu tout en habitant dans les palais et les salles de conseil de l’Egypte païenne.

C’est là la raison profonde pour laquelle quand les frères se retrouvèrent en Egypte, « Yossef reconnut ses frères mais ils ne le reconnurent pas ». Les fils de Yaakov étaient incapables de percevoir un « frère » (c’est-à-dire quelqu’un de leur niveau spirituel) chez quelqu’un qui s’impliquait dans le monde matériel.

Cela ne veut pas dire que Yossef représentait une approche plus matérialiste de la vie alors que les frères et les patriarches étaient plus transcendants dans leur attitude vis à vis de la matérialité. Bien au contraire, le fait même que les bergers aient ressenti le besoin d’échapper à la société des hommes et à ses poursuites matérialistes, de peur qu’elles ne les distraient de leur lien avec D.ieu et abaisse leur service divin, est bien la preuve que la matérialité était bien réelle pour eux et leur posait un réel défi.

Par contre, Yossef, transcendait si complètement la réalité physique qu’il pouvait s’y plonger pleinement, tout en restant complètement lié à D.ieu. Parce que les « vêtements » physiques qui revêtent la présence divine, dans le monde, étaient complètement transparents pour lui, et n’avaient aucune prise dans sa relation avec D.ieu.

Pendant les trois premières générations de l’histoire juive, le credo du berger maintint sa suprématie. Mais Yaakov savait que si ses descendants devaient survivre à l’exil de l’Egypte et aux millénaires des autres exils : économiques, religieux et culturels, que l’histoire avait en réserve pour eux, sa propre approche devait se soumettre à celle de Yossef.

Si les Enfants d’Israël devaient traverser chaque convulsion sociale et culturelle des quatre mille ans à venir, et persévérer en tant que Peuple de D.ieu, ils devaient devenir les sujets de Yossef, intérioriser la vision de Yossef et son approche de la vie dans le monde matériel.


 Comment allume-t-on les 4 lumières de ‘Hanouccah

le vendredi après-midi 15 décembre 2017 ?

Il convient, avant l’allumage, de procéder à la prière de Min’ha. On peut allumer à partir de 16h 02 et jusqu’à 16h36 (horaire de Paris).

Le maître de maison, et éventuellement tous les garçons de la maison, prononceront d’abord les deux bénédictions :

(1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner ‘Hanouccah ».

Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, Roi de l’univers qui nous a sanctifiés par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer les lumières de ‘Hanouccah.

(2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéassa Nissim Laavoténou Bayamim Hahème, Bizmane Hazé ».

Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, Roi de l’univers qui a fait des miracles pour nos pères en ces jours-là, en ce temps-ci.

On allumera d’abord la mèche ou la bougie située le plus à gauche puis celle qui la précède, etc… à l’aide de la bougie appelée « Chamach ».

On aura pris soin de mettre assez d’huile dans les 4 godets (ou d’avoir prévu 4 bougies assez longues) pour durer jusqu’à 30 minutes après la tombée de la nuit, soit 18h 19 (heure de Paris). Après l’allumage, on récite « Hanérot Halalou ». On n’a pas le droit de déplacer la ‘Hanoukia après l’avoir allumée.

Ensuite, les jeunes filles et les petites filles allumeront leur bougie de Chabbat (après avoir mis quelques pièces dans la boîte de Tsédaka (charité) ; les femmes mariées allumeront au moins deux bougies.

Puis, en se couvrant les yeux de leurs mains, elles réciteront la bénédiction :

« Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chel Chabbat Kodech ».

Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, Roi de l’univers qui nous a sanctifiés par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière du saint Chabbat.

Tout ceci devra être terminé avant 16h36 (heure de Paris) le vendredi 15 décembre.

Une jeune fille (ou une femme) qui habite seule devra elle aussi procéder d’abord à l’allumage des lumières de ‘Hanouccah puis des bougies de Chabbat, avec les bénédictions appropriées.

A la sortie de Chabbat, à la maison, on fait d’abord la Havdala et on allume ensuite la ‘Hanoukia.


 Merci Monsieur le Maire !

Quand j’ai entendu à la radio que l’ancien maire de New York, Ed Koch, avait quitté ce monde, je me suis souvenu qu’un reporter lui avait un jour demandé ce qu’il aimerait voir écrit sur sa pierre tombale. Sans fioriture, il avait répondu : « Il était farouchement fier de sa religion juive et il aimait passionnément New York ». Cela m’avait beaucoup impressionné. C’était là un rappel touchant de ce qu’est l’identité juive, cette foi innée qui demeure en chaque Juif, quelles que soient ses convictions ou ses actions par ailleurs. De plus, je trouvais absolument remarquable qu’Ed Koch ait mentionné sa fierté d’être juif avant même son amour légendaire pour sa ville.

Je me suis souvenu aussi comment, il y a plus de trente ans, Ed Koch avait aidé les Juifs de ma ville – que D.ieu les protège – à apprendre une leçon importante. Lui-même n’était probablement même pas conscient de cela et je n’ai jamais eu l’occasion de l’en remercier : je vous raconte donc cette histoire en guise d’oraison funèbre pour ce grand visionnaire que fut ce maire.

J’étais jeune, idéaliste et inexpérimenté quand, envoyé par le Rabbi de Loubavitch, je me suis installé à S. Louis, dans l’état du Missouri, avec mon épouse Shiffy pour m’occuper de cette communauté juive d’environ 50 000 âmes, au centre des États-Unis. Notre premier projet consistait à ériger une grande Menorah sur la Place centrale du gouverneur de la région. Le conseil régional approuva sans réserve cette initiative et plusieurs de ses membres assistèrent à la belle cérémonie d’allumage. La télévision avait envoyé des reporters et retransmit l’événement avec force commentaires élogieux. Nous avons aussi reçu de nombreux témoignages enthousiastes du public, juif et non-juif : chacun remarquait combien la Menorah fièrement érigée sur la place publique exprimait paisiblement le judaïsme dans la joie et servait la diversité religieuse qui fut un des principes essentiels des pères fondateurs de ce beau pays.

Cependant, à notre grande et amère surprise, la Menorah engendra aussi une féroce controverse qui émanait surtout de certaines organisations juives locales ! Des notables sans doute bien intentionnés craignaient que cette façon ostensible de manifester son judaïsme ne contredise l’amendement de la constitution américaine affirmant la séparation de l’état et de la religion. Il était hélas aussi évident que cela gênait certains Juifs bien intégrés de cette ville bourgeoise et conservatrice du Middle-West, encore peu habitués à ces manifestations de fierté juive. Ces gens voyaient en nous des étrangers, « importés de Brooklyn » comme ils nous décrivaient dans le courrier des lecteurs des journaux locaux. On nous soupçonnait de vouloir apporter la révolution en brisant le consensus communautaire. Le conseil régional – et c’est tout à son honneur – maintint son appui à notre initiative tandis que toute la communauté ne parlait que de cela. Les journaux locaux évoquèrent en Une cette controverse qui agitait la communauté juive et cette situation était vraiment désagréable pour parler poliment.

C’était le dernier jour de ‘Hanouccah et il se trouve qu’Ed Koch, le maire juif de la grande métropole qu’est New York, devait justement être l’invité d’honneur du Congrès annuel des fédérations juives locales, dans un grand hôtel de la ville. Plusieurs centaines de notables y assistaient, y compris justement les opposants les plus décidés à notre Menorah. Ed Koch prononça un discours qui n’avait évidemment aucun rapport avec nous et demanda, à la fin, s’il y avait des questions. Un des participants lui demanda alors ce qu’il pensait – en tant que maire juif – des symboles religieux dans les endroits publics et, spécifiquement, de la cérémonie de ‘Hanouccah avec une grande Menorah dans la rue.

L’audience retenait son souffle : quelqu’un avait osé mentionner devant cet invité de marque « le » problème qui agitait toute la communauté depuis des semaines. Certainement, le maire de New York irait dans leur sens ! Tous se turent quand Ed Koch, avec le franc-parler qui le caractérisa toute sa vie, répondit sans aucune gêne : « Je n’ai absolument aucun problème avec cette manifestation de ‘Hanouccah sur la place publique. Je trouve cela extraordinaire ! Je suis fier d’annoncer que nous avons la plus grande Menorah au monde qui se dresse chaque année au carrefour de la 5ème Avenue et Central Park, tous les soirs de ‘Hanouccah ».

Et comme s’il n’avait pas assez parlé comme cela (laissant sans le savoir toute l’assemblée éberluée), il ajouta sur le ton de la confidence : « D’ailleurs je vais vous raconter comment, en plus, la municipalité de New York participe à cette grande manifestation. La Menorah se dresse à Manhattan. Les Loubavitch qui l’allument habitent à Brooklyn. Quand ils allument la Menorah vendredi après-midi, à peine une demi-heure avant Chabbat, nous leur fournissons un hélicoptère pour les ramener à Brooklyn sans qu’ils soient bloqués dans les embouteillages afin qu’ils soient de retour chez eux avant Chabbat pour allumer leur propre Menorah ! ».

Il n’avait pas besoin d’en dire davantage. Par ces mots prononcés sur le ton de l’évidence, il avait mis fin au problème. Non seulement il avait enterré la controverse à propos de la séparation de la religion et de l’état mais surtout, il avait impressionné mes concitoyens en leur rappelant qu’il n’y avait pas de raison de cacher son appartenance au peuple juif dans ce grand pays et que ce n’était pas du tout contraire aux valeurs de la démocratie.

Tout a changé depuis dans notre ville. Nous sommes devenus de très bons amis avec les notables qui s’opposaient à notre façon de revitaliser le judaïsme et nous entretenons des relations amicales et fructueuses : on peut assister maintenant à des allumages publics de la Menorah dans bien d’autres quartiers de la ville comme d’ailleurs dans le monde entier.

Et pour cela, je vous serais éternellement reconnaissant, M. Ed Koch !

Rav Yossef Landa - S. Louis (Missouri)

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017

 

 


 Dans la lumière

Tout le monde s’accorde à dire que le mois en cours – Kislev – est un mois de lumière. La formule figurera sans doute dans la majorité des publications communautaires de la période. Bien sûr, l’imminence de ‘Hanouccah n’y est pas étrangère et il conviendra de parler encore de la brillance de l’événement, de l’illumination – hors guirlandes – qu’il incarne. Mais, dès à présent, il faut se garder d’oublier que cette lumière n’est pas uniquement matérielle. Elle porte en elle une richesse spirituelle incomparable.

Il est vrai que la tradition juive utilise souvent l’image de la lumière pour décrire ce que le Créateur donne à la création. Là encore un tel terme n’implique pas l’existence d’une espèce de faisceau d’énergie physique. Il constitue bien davantage une métaphore utile qui permet à l’intellect humain, par nature limité, de comprendre un processus indicible. Ainsi, comme la lumière émane d’une source, ce que nous recevons provient du Créateur. Comme l’essence de la source se retrouve dans le rayonnement, c’est ainsi que nous recevons l’influx Divin. Egalement, la lumière descend jusqu’au plus bas degré et seul un obstacle artificiel peut en gêner l’expansion.

De la même façon, la lumière de l’âme s’étend avec force et vigueur. Elle apporte toutes les bénédictions de la clairvoyance et le réconfort de la connaissance. Cette lumière est multiple. Présente à ‘Hanouccah, elle est déjà parmi nous le 19 Kislev, lorsque se révèle pour ne plus jamais disparaître l’enseignement de Rabbi Chnéor Zalman, la ‘Hassidout. Une fois de plus, le concept de lumière trouve ici sa pleine application. C’est que le monde peut être essentiellement obscur. La matérialité qui le constitue, le rythme incessant du quotidien qui bien souvent interdit de regarder au-delà des apparences, font qu’il joue le rôle de voile devant la Divinité. C’est cet obstacle qu’il faut percer et, pour cela, la ‘Hassidout détient une clé.

En ce moment qui est finalement de toute lumière, il faut saisir toute la puissance du temps qui passe et ne plus jamais la laisser s’échapper. De 19 Kislev en ‘Hanouccah, elle nous accompagne. Elle donne à vaincre toutes les formes de l’obscurité et permet de ne plus avancer à tâtons. Les chemins du progrès sont définitivement ouverts, il suffit de s’y engager.


 La place des portes

A propos du verset « ses portes s’enfoncèrent dans la terre » (Lamentations 2 : 9), les Sages enseignent (Midrach Ei’ha Rabba sur ce verset) que les portes s’enfoncèrent et furent ainsi cachées. Ainsi, quand Machia’h viendra et que le troisième Temple « descendra du ciel », les portes réapparaîtront et seront remises à leur place. L’idée est surprenante : comme le Temple lui-même descendra du ciel, des portes auraient pu déjà s’y trouver ?

Mais, comme l’enseigne le Talmud (Baba Métsia 53b), « L’homme préfère un ‘Kav’ en propre (de son travail) plutôt que neuf ‘Kav’ appartenant à son prochain ». Aussi, dans Sa grande bonté, D.ieu laisse à l’homme une part dans l’œuvre d’édification du troisième Temple : les portes qu’il aura à mettre en place.

(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parcaht Terouma 5744)


 Vayéchev

Yaakov s’établit à ‘Hévron avec ses douze fils. Yaakov montre de la préférence pour Yossef, son fils de dix-sept ans, en lui réservant un traitement de faveur, comme le don d’un manteau multicolore, suscitant la jalousie de ses autres fils. Yossef raconte à ses frères deux de ses rêves qui prédisent qu’il est destiné à les diriger. Cela accroît encore leur jalousie et leur haine à son égard.

Chimon et Lévi complotent de le tuer mais Réouven suggère de plutôt le jeter dans un puits. Il a l’intention de revenir le sauver. Alors que Yossef est dans le puits, Yehouda le vend à des voyageurs ismaélites. Les frères font croire à leur père Yaakov que Yossef a été dévoré par un animal sauvage.

Yehouda se marie et a trois enfants. L’aîné, Er, meurt jeune et sans enfant et sa femme est mariée, en lévirat, à son second fils, Onan. Onan pêche et lui aussi est frappé par une mort prématurée. Yehouda se refuse à lui donner son troisième fils. Mais Tamar, déterminée à avoir un enfant de la famille de Yehouda se déguise et attire Yehouda lui-même. Quand Yehouda apprend qu’elle est enceinte, il la condamne à être exécutée mais devant les preuves, il réalise et reconnaît qu’il est le père. Tamar donne naissance à deux fils jumeaux : Pérets (ancêtre du Roi David) et Zéra’h.

En Egypte, Yossef est vendu à Potiphar, ministre du Pharaon. D.ieu bénit toutes ses entreprises chez Potiphar mais la femme de ce dernier le convoite et, devant son refus, le fait emprisonner. En prison, il gagne la faveur de l’administration pénitentiaire. Il rencontre le maître échanson et le maître panetier du Pharaon. Il interprète correctement leurs rêves et demande au maître échanson, qui sera libéré, d’intercéder en sa faveur auprès du Pharaon. Ce qui est oublié.

La demande non agréée

« Yaakov s’établit dans la terre où avait vécu son père » (Beréchit 37,1).

« Yaakov aspira à s’établir dans la tranquillité mais le souci de Yossef s’abattit sur lui. Quand le Juste cherche la tranquillité, D.ieu dit : ‘Ne suffit-il pas aux Justes ce qui est préparé pour eux dans le Monde futur pour qu’ils recherchent également la tranquillité dans ce monde ?’ » (Rachi).

La plupart d’entre nous avons des aspirations raisonnables : développer notre esprit, joindre les deux bouts, vivre en paix avec nos voisins. Mais de temps à autre, nous rencontrons certains individus, rares, qui ne peuvent apprécier leur repas sachant que quelqu’un, quelque part, a faim. Des individus qui, s’il y a de l’ignorance dans le monde, estiment que leur propre connaissance est défectueuse. Des individus qui, sachant que la discorde règne dans l’univers, ne peuvent être en paix avec eux-mêmes.

Yaakov était un homme de ce type. Des trois Patriarches fondateurs du peuple juif, seuls les noms de Yaakov (« Yaakov » et « Israël ») sont synonymes de « peuple juif ». Cela tient au fait que Yaakov ne menait pas une vie individuelle pas plus que ne lui appartenaient, à lui personnellement, ses combats et ses aspirations. Sa vie et ses actes sur terre ne constituaient que les prémices de la saga de trente-cinq siècles du peuple d’Israël.

Un désir et le refus

Cela explique un commentaire plutôt curieux de nos Sages. Le verset décrit comment, après des décennies d’exil et de combats (Yaakov aux prises avec Lavan, sa confrontation avec Essav, l’abus de Dina et la mort de son épouse bien-aimée, Ra’hel), Yaakov aspirait à s’installer dans la tranquillité en Terre sainte. Et pourtant, cela ne devait pas être puisque, peu après, « le souci de Yossef s’abattit sur lui ». « Quand les Justes aspirent à la tranquillité, dit le Midrach, D.ieu dit : ne suffit-il pas aux Justes ce qui leur est préparé dans le Monde futur pour qu’ils recherchent également la tranquillité dans ce monde ? »

Pourquoi donc les aspirations de Yaakov ne furent-elles pas exaucées ? Yaakov avait atteint l’âge avancé de 99 ans. Il était sorti intact, dans son intégrité et dans sa droiture, de toutes ses épreuves. Ne méritait-il pas du répit ?

Et pourquoi le désir de tranquillité « dans ce monde » empêche-t-il « ce qui est préparé (aux Justes) dans le Monde futur ?

Mais pour Yaakov une tranquillité personnelle était inséparable d’un état d’harmonie universelle, dans le monde de D.ieu. Yaakov n’était pas en quête de paix et de tranquillité dans sa vie personnelle mais de la paix ultime : l’union de l’esprit et de la matière, la pénétration d’un sens dans la matérialité. Pour Yaakov, « s’installer » n’était rien de moins que la Rédemption ultime avec Machia’h.

Agréer immédiatement et d’emblée la requête de Yaakov aurait résulté en une harmonie limitée dans son étendue et dans sa profondeur. Seuls les événements douloureux de la vente de Yossef et de l’exil du peuple juif qui suivit furent nécessaires. Une installation tranquille en Terre d’Israël aurait confiné l’harmonie dans l’environnement le plus immédiat de Yaakov. Tout ce qui était à l’extérieur serait resté exclu, hostile et ne se serait pas développé.

C’est pourquoi « le souci de Yossef » qui accabla Yaakov constituait l’étape suivante vers la paix à laquelle il aspirait. La descente de Yossef en Egypte, la culture la plus pervertie, et son ascension jusqu’à devenir le dirigeant et le maître du pays, permirent à Yaakov et à sa famille d’étendre leur influence jusqu’aux confins de l’environnement le plus corrompu.

Dans un sens plus universel, la descente de Yossef en Egypte amorça l’exil égyptien, le prototype et le précurseur de tous les exils d’Israël.

« Peu nombreuses et déficientes »

Cela explique également le sens qui se cache derrière les paroles qu’adressera Yaakov au Pharaon, vingt-deux ans après la vente de Yossef, une fois que Yaakov et Yossef auront été réunis en Egypte et que Yossef lui présentera son père.

Pharaon demanda à Yaakov : « quel est le nombre des années de ta vie ? »

Yaakov répondit à Pharaon : « Les années de mon séjour sont de cent et trente. Peu nombreuses et déficientes ont été les années de ma vie, et elles n’ont pas atteint les jours de la vie de mes pères… »

Des siècles plus tôt, D.ieu avait établi les années de la vie humaine à « cent et vingt ans ». Et pourtant, Yaakov décrit ses 130 années, pleines d’accomplissements, comme « peu nombreuses et déficientes ». Bien qu’importantes en nombre, veut dire Yaakov, elles sont déficientes en contenu car leurs efforts attendent encore leur réalisation.

C’est en cela que Yaakov détient son unicité parmi les Patriarches. Son grand-père Avraham « est devenu vieux et parvenu dans ses jours ». A l’issue de sa vie, ses jours étaient remplis des fruits de son labeur. Son père Its’hak avait lui-aussi vécu une vie remplie, la vie d’une « offrande parfaite ».

Mais, dit Yaakov, mes propres jours « n’ont pas atteint les jours de la vie de mes pères ». Contrairement à mes pères qui ont conclu le cycle de leurs accomplissements, au cours de leur vie, ma vie n’est que le chapitre d’introduction dans le processus qui couvre l’histoire.


 Les femmes et jeunes filles ont-elles l’obligation d’allumer la ‘Hanoukia ?

Réponse : Les femmes et jeunes filles ont subi de terribles restrictions durant l’occupation gréco syrienne. Par ailleurs, la victoire militaire fut en grande partie due à l’action héroïque d’une femme, Yehoudit. C’est pourquoi les femmes et filles ont l’obligation d’assister à l’allumage des lumières de ‘Hanouccah par un homme. Dans le cas où il n’y a pas d’homme (ou garçon de plus de treize ans) pour les rendre quittes, elles allumeront leurs propres lumières de la fête.

Que doit faire celui qui rentre chez lui très tard le soir de ‘Hanouccah ?

Normalement on doit allumer les lumières de ‘Hanouccah de façon à « publier le miracle », donc quand les gens sont réveillés.

On peut allumer les lumières de ‘Hanouccah en principe toute la nuit, à condition que quelqu’un soit éveillé dans la maison. Si tout le monde dort, il faudrait normalement réveiller au moins une personne.

Cependant, celui qui allume sa ‘Hanoukia alors que plus personne n’est éveillé ne sera pas réprimandé pour cela.

Comment agissent les élèves d’un internat ?

Selon certaines opinions, ils sont considérés comme membres d’une même famille et doivent donc allumer chacun leur ‘Hanoukia dans le réfectoire ; s’ils le désirent, ils peuvent avoir l’intention de ne pas se rendre quittes et allumer leur ‘Hanoukia dans leur chambre à coucher qui est considérée comme leur véritable demeure.

D’autres décisionnaires tranchent qu’ils doivent à priori allumer leur ‘Hanoukia dans leur chambre à coucher.

Enfin, certains décisionnaires séfarades estiment que les pensionnaires d’un internat sont rendus quittes de leur obligation d’allumer du fait que leur père allume chez lui à la maison en pensant à eux.

Si on allume la ‘Hanoukia en public, dans une synagogue ou une fête, doit-on prononcer les bénédictions ?

De nombreux décisionnaires tranchent qu’il faut allumer la ‘Hanoukia avec les bénédictions dans tout endroit où des Juifs se réunissent, que ce soit dans une fête, un restaurant, un mariage etc… afin de rendre le miracle public.

Même si on assiste à un allumage public, on doit allumer sa ‘Hanoukia avec les bénédictions une fois qu’on est rentré chez soi.

 (d’après Rav Yossef Ginsburgh)


 Tchador et ‘Hanouccah

Nous nous tenions serrés autour de la grande Menorah. Mon père chantait les airs traditionnels tandis que ma mère et moi-même, enveloppées dans nos tchadors de cérémonie, servions aux invités les petits gâteaux blancs sucrés traditionnels, avec de grands verres de thé perse bouillant.

- Tu es encore là, soupira ma mère avec un sourire triste. Te souviens-tu que nous t’avions bénie l’année dernière en te souhaitant que, l’année prochaine c’est-à-dire cette année, tu pourrais allumer la Menorah en Israël avec Myriam ? (Ma sœur Myriam était montée en Israël dix ans auparavant).

Nous étions à Téhéran en 1986. La police des Ayatollahs gouvernait avec une main de fer. Des lois cruelles s’accumulaient pour nous rendre la vie amère. Une femme remarquée dans la rue sans son voile était arrêtée et, au commissariat, sévèrement battue. Les exécutions sommaires étaient monnaie courante.

Bien qu’il y ait eu et qu’il y ait encore de l’antisémitisme, cela n’avait rien à voir avec le respect des lois de la Torah – en tous cas pas là où nous habitions. Mes parents étaient très pratiquants. Ma mère étudiait régulièrement la Torah et ne nous permettait pas de manger ce qui n’avait pas été préparé à la maison.

Mon père puis mes frères avaient étudié la médecine puis s’étaient spécialisés en pharmacologie. Personnellement, j’avais une bonne place de secrétaire. Mais sous le règne de Khomeiny, tous les employés juifs furent renvoyés. Je cherchais un autre travail mais en vain.

Onze mois avaient passé. J’avais trente ans et je n’étais toujours pas mariée. Pendant trois ans, nous avions essayé d’obtenir pour moi un visa pour Israël. Mon frère aîné prit l’affaire en mains. Un vendredi, un mois avant ‘Hanouccah, il décida : « Farida, tu pars maintenant ! ». Il m’avait inscrite dans un groupe de jeunes gens juifs dont les familles avaient loué les services de passeurs professionnels.

Je pris hâtivement congé de mes parents. Mon frère paya le passeur et lui remit une grosse somme d’argent que j’avais économisée pour acheter un appartement en Israël et qu’il devait me rendre à la fin du voyage. Quant à moi, je n’emportai qu’une petite valise avec quelques vêtements et des bijoux.

Un peu avant Chabbat, nous sommes arrivés dans un village où une famille juive nous hébergea. A minuit, deux jeeps s’arrêtèrent devant la maison et des passeurs armés nous enjoignirent de les suivre. Les jeeps foncèrent puis arrivèrent dans un autre village.

Après Chabbat, les guides revinrent avec des vêtements de villageois pour nous. Je reçus un pantalon avec une longue robe foncée et un tchador noir.

De retour dans les jeeps, nous avons furieusement traversé le désert. A un moment, la route s’arrêta et les guides nous annoncèrent que nous devions continuer à pied. Nous avions l’interdiction de prononcer un mot. Nos guides avançaient, suivis par les garçons et moi en queue. Au bout de quelques heures de marche, quelqu’un arriva par l’arrière et m’attrapa par le bras :

- Qui êtes-vous ? me demanda-t-il.

Je sursautais de frayeur.

- J’ai entendu qu’il y avait une femme dans ce groupe et je suis venu vous aider pour que vous ne tombiez pas.

Il prit ma valise tout en me tenant par le bras. Je n’osais rien dire mais, soudain, je m’aperçus que nous étions seuls.

- Nous les avons perdus de vue, grimaça mon « accompagnateur ». Alors venez avec moi sinon je vous remets aux autorités !

Je m’assis sur le sol dur. Je levai les mains au Ciel et priai : « Oh mon D.ieu ! Soit Tu m’envoies quelqu’un pour m’aider soit je prie pour que la terre m’engloutisse comme Kora’h ! ». L’homme m’attendait puis décrivit la prison en termes à se faire dresser les cheveux sur la tête. Il s’impatienta : « Allons-y ! ».

Vers une heure du matin, j’entendis des pas. C’était un trafiquant de drogue iranien qui, comme nous, tentait de franchir la frontière illégalement : « Que fait une femme ici ? » demanda-t-il, choqué. Apparemment quelque chose dut l’émouvoir et il me permit de rattraper mon groupe. Mais sans ma précieuse valise. « Maintenant vous marcherez près de moi ! » ordonna le guide.

Nous sommes arrivés à la frontière entre l’Iran et le Pakistan à sept heures du matin. Quatre passeurs nous attendaient. L’un d’entre eux s’étonna : « Jamais nous n’aurions cru qu’une femme réussirait à voyager dans ces conditions dangereuses ! Comment avez-vous fait ? ». J’étais trop épuisée pour répondre.

Nous sommes arrivés le soir dans un village pakistanais. On nous installa dans des écuries, avec les chevaux (!)… Bien plus tard, des jeeps nous emmenèrent dans un autre village, alors que l’odeur de l’écurie collait encore à nos vêtements. Là nous avons enfin pu manger, boire et dormir.

Quatre jours plus tard, ils nous cachèrent sous les sièges d’un autre petit véhicule et, la nuit tombée, nous sommes arrivés au centre du Pakistan. Au matin, nos guides annoncèrent que nous allions rejoindre un bureau des Nations Unies pour obtenir des laissez-passer.

Au moins dans ce bureau, tout se passa comme prévu, nous reçûmes des documents et nous fûmes hébergés dans un hôtel payé par l’Agence Juive. Le premier jour, je contractai un terrible mal de tête et de la fièvre. Les garçons me traînèrent dans une « clinique », de fait une tente constituée de rideaux, envahie par toutes sortes d’insectes et de moustiques. J’y suis restée trois semaines, faible et presqu’inconsciente. Enfin, on nous procura des billets d’avion et nous avons atterri à Zürich. Quand nous sommes arrivés devant le comptoir à l’aéroport pour acheter des billets pour Israël, chacun d’entre nous tendit l’argent que les guides leur avaient donné quand nous les avions quittés. Angoissée, je réalisai que les garçons tenaient mes chèques, mes économies de toute une vie que mon frère avait innocemment confiées à nos guides. L’argent ne suffisait pas. Nous sommes restés sur place, un groupe bizarre, apparemment désireux de voyager mais sans bagages.

Les agents de sécurité nous observaient et tentèrent de communiquer avec nous dans toutes les langues qu’ils connaissaient mais pas le perse. Finalement quelqu’un remarqua que je connaissais un peu d’hébreu et contacta un représentant de l’Agence Juive. Celui-ci s’occupa de nous procurer des billets ainsi que de la nourriture cachère dans l’avion ; il informa aussi nos familles de notre arrivée prochaine.

Ce dont je me souviens de notre arrivée, ce fut des femmes qui n’étaient pas voilées et ma sœur qui m’embrassait longuement en répétant encore et encore : « Je savais que tu arriverais, le Rabbi l’avait promis ! ».

Nous nous sommes installés dans son magnifique salon. Nous avons bu du thé perse brûlant et sucré tout en regardant les flammes qui dansaient dans les godets de la Menorah de mon beau-frère.

Puis elle m’expliqua. Quant trois semaines s’étaient passées depuis que j’avais quitté la maison de mes parents et qu’elle n’avait encore pas obtenu de mes nouvelles, ma sœur avait écrit au Rabbi. De New York, le Rabbi lui avait répondu qu’elle n’avait pas à s’inquiéter, que j’étais en route et que j’arriverais bientôt en bonne santé. J’ai rapidement calculé que le Rabbi avait répondu cela quand j’étais malade et que ma vie était en danger.

Jusqu’à maintenant, quand je regarde les flammes de la Menorah, je me souviens de ce voyage éreintant qui n’est toujours pas achevé. La dernière étape sera quand nous allumerons tous ensemble la Menorah dans le troisième Temple, puisse-t-il être reconstruit immédiatement !

Farida Farsi

Traduite par Feiga Lubecki

Publié dans 2017