De toutes les forces du moment !

Le mois de Nissan est, d’une certaine manière, une suite d’étapes précieuses qui s’enchaînent les unes aux autres, donnant sens et portée aux jours qui précèdent et souvent puissance à ceux qui suivent. C’est ainsi que nous sommes entrés dans cette nouvelle période si justement qualifiée de « mois de la Délivrance ». Jour après jour, et jusqu’à la veille de Pessa’h, nous y disons ce court paragraphe qui rappelle que c’est à ce moment que les chefs de tribus apportèrent leurs offrandes pour l’inauguration du Tabernacle dans le désert. Douze passages identiques se succèdent ainsi, le treizième faisant le total de ces offrandes. Ce sont douze passages qui ne diffèrent que par le nom de la tribu et de son chef. Mais voici que chacun d’eux se conclut par une courte prière où nous demandons à D.ieu de nous accorder les mêmes lumières spirituelles aujourd’hui et pour toutes les générations à venir. C’est là une bien grande ambition ! Quel titre avons-nous pour obtenir de telles grandeurs ? La formulation est cependant empreinte d’une absolue certitude : nous aurons bien ces lumières-là ! C’est ainsi qu’opère une certaine magie de Nissan, le mois du surnaturel, celui de tous les possibles.

Alors que Pessa’h approche ainsi, que déjà son message – la liberté enfin acquise – impose à tous sa vision au point que même les traditionnelles tâches de la période en prennent une signification renouvelée. De l’indispensable nettoyage avant Pessa’h, elles deviennent destruction du ‘Hamets, ce ferment matériel à valeur spirituelle, pour un lien libéré avec D.ieu. Et voici le 11 Nissan, anniversaire de la naissance du Rabbi de Loubavitch. « Evénement déjà ancien » diront certains, « commémoré d’année en année » ajouteront d’autres et qui peut n’apparaître que comme « une fête personnelle, privée ». Pourtant, voici qu’il anime la préparation en cours. N’a-t-on pas dit que toutes les étapes qui conduisent à notre liberté sont liées l’une à l’autre ? Celle-ci en est l’exemple parfait. En effet, le 11 Nissan, à quelques jours du début de la fête, marque le grand début d’une œuvre qui se confond avec son temps. Cette œuvre-là est vivante en chacun de nous, elle accompagne notre vie. Et l’histoire montre qu’elle a profondément transformé la vie juive, lui donnant à redécouvrir le bonheur. Une vraie révolution ! Cette notion n’est-elle pas la meilleure préparation qui soit à celle qui, au soir de la fête qui vient, ouvrira les portes de notre liberté ?


 La coupe du Prophète Elie

Le soir du Séder, la coutume, respectée dans toutes les communautés, veut que l’on verse une coupe de vin pour le Prophète Elie. Cet usage est connu, il est même un des moments particulièrement attendus de la célébration de Pessa’h. Pourtant il n’est pas enseigné par le Talmud ou les premiers décisionnaires. Il a été instauré plus tardivement et cela n’est pas le fait du hasard.

En effet, cette coupe de vin se rattache à la foi en la venue de Machia’h et en celle du Prophète Elie qui sera son annonciateur. Or, plus on se rapproche du temps de cet avènement, plus la croyance en sa survenance et le sentiment d’attente grandissent dans le cœur de chacun.

C’est la raison pour laquelle la coutume de verser cette coupe s’est répandue dans les dernières générations. Elle est la traduction de cette avancée.

(D’après Likouteï Si’hot, vol. XXVII, p. 55)


 Pessa’h : Etre libre

La nuit de Pessa’h, durant le Séder, nous sommes face à une multitude de gestes, de symboles, de coutumes et de rites compliqués et à plusieurs périodes de l’histoire juive.

A la base de toute cette richesse et de cette variété, réside néanmoins une idée centrale qui unifie les parties disparates du Séder en un tout harmonieux : « Autrefois nous étions esclaves, maintenant nous sommes libres. »

Cette idée de liberté trouve sa pleine expression le soir de Pessa’h, dans la Haggadah : à la fois dans son rituel, dans ses actes symboliques, dans sa poésie et dans l’ambiance générale de la soirée. La Haggadah n’est pas un traité philosophique et pourtant y sont exprimées des idées d’une profondeur inouïe, dans la forme la plus accessible, par des mots et des actes simples. La signification de ces actes est audacieuse et frappante et, que cela soit conscient ou non, elle se fraie un chemin dans les âmes de ceux qui y participent.

La liberté et l’esclavage paraissent être totalement opposés, chacun se définissant par l’absence de l’autre. L’esclavage est l’absence de liberté et la liberté est l’absence d’esclavage. Mais chacun de ces termes doit être compris en référence à l’autre.

Secouer ses ailes ne signifie pas que l’on soit devenu libre. L’esclavage représente cette situation dans laquelle une personne est toujours assujettie à la volonté d’un autre. La liberté, par ailleurs, est l’aptitude à agir selon sa propre volonté indépendante et à l’exécuter.

L’individu qui manque de volonté propre ne devient pas libre une fois qu’il s’est libéré de ses entraves : il est simplement un esclave sans maître ou, dans le cas d’un peuple, celui qui a été abandonné par son chef suprême.

Entre l’étape où il cesse d’être un esclave et celle où il acquiert la liberté, l’individu doit passer, dans sa progression, par un stade intermédiaire sans lequel il ne peut devenir véritablement libre : il doit développer par lui-même des qualités intérieures.

Le miracle de l’Exode ne fut pas accompli par le départ du peuple hébreu de la maison d’esclavage. Il avait besoin de se développer pour devenir un peuple véritablement libre et pas seulement des esclaves fugitifs.

La situation des Hébreux, alors qu’ils se tenaient sur les bords de la Mer Rouge, talonnés par l’armée du Pharaon, a été décrite par le commentateur médiéval, Ibn Ezra : les Enfants d’Israël ne pouvaient pas même concevoir une forme d’opposition au Pharaon car ils avaient grandi dans l’esclavage et y étaient tellement accoutumés que leurs anciennes attitudes de soumission réapparurent à la vue de leur ancien dominateur.

Ce n’est qu’une fois que toute la génération qui avait vécu sous l’esclavage eut péri dans le désert que ses descendants purent entrer en Terre d’Israël et s’y établir en peuple libre.

En d’autres termes, l’esclave est doublement asservi : il l’est tout d’abord à la volonté d’un autre mais aussi à son manque de volonté et de personnalité propres. Un être qui garde son propre caractère intrinsèque ne peut jamais être complètement assujetti. Et à l’opposé, celui qui ne possède aucune image indépendante de lui-même ne peut jamais être complètement libre.

Ce que nous avons dit de la relation entre l’esclavage et la liberté est encore plus vrai en ce qui concerne le lien entre l’exil et la rédemption. La fin d’un exil n’est pas suffisante pour constituer la rédemption, quelque chose d’autre doit avoir lieu.

Le sens du mot « exil » ne se limite pas à une définition physique. Tout comme en ce qui concerne l’esclavage, le sens et la signification pleine de ce mot résident dans le royaume spirituel. Etre en exil signifie que l’on s’est soumis à une échelle de valeurs, à des relations et à un mode de vie qui sont étrangers à la véritable nature de l’individu ou de la collectivité.

Quand le Peuple Juif, persécuté, dut partir en exil, il dut changer le mode de vie et les habitudes qui le définissaient. Autrefois agriculteur, il devait désormais se tourner vers le commerce ou les affaires. Autrefois libre et indépendant, il se retrouvait soumis à divers seigneurs. Autrefois maître de son propre mode de vie, il allait maintenant dans le sens de la mode environnante.

Tant qu’il maintint son caractère spirituel, ses principes religieux, sa direction spirituelle interne et son mode de vie distinct, en toute indépendance, le Peuple Juif ne fut jamais réellement asservi, tout au moins dans la dimension spirituelle de son existence.

L’obscurantisme et l’ignorance médiévaux ne réussirent en rien à altérer ou diminuer la créativité et la spiritualité du Peuple Juif en exil. Les Juifs de cette période étaient persécutés, humiliés et méprisés. Ils devaient admettre leur faiblesse et leur impuissance dans bon nombre de domaines de leur vie. Néanmoins, leur exil ne fut jamais réellement total car ils ne se considéraient ni comme méprisables ni comme inférieurs à quiconque puisqu’ils gardaient leur propre caractère essentiel. Leur monde spirituel n’était pas pour eux un simple réconfort. C’était réellement leur foyer, et dans cette dimension de leur vie, l’exil n’existait pas.

Paradoxalement, c’est la déjudaïsation qui rendit complet l’exil car lorsque le Juif se départit de son propre caractère distinctif, il renonça au dernier lambeau de son indépendance. C’est pourquoi, bien qu’il ait gagné sa liberté, en tant qu’individu, il se retrouva exilé, au plein sens du terme, au niveau national. Désormais c’était le monde extérieur qui déterminait ses valeurs, son caractère et ses relations, non seulement à un niveau superficiel mais dans les profondeurs de son cœur.

La véritable tragédie de l’exil d’Egypte fut que les esclaves se mirent peu à peu à ressembler à leurs maîtres, pensant comme eux et faisant les mêmes rêves. Leur plus grand désespoir venait, en réalité, du fait que leurs maîtres ne leur permettaient pas d’accomplir le rêve égyptien. Il ne leur suffit pas de réaliser combien ils souffraient sous le régime de terreur auquel ils étaient soumis, il leur fallut décider qu’ils n’en voulaient plus.

Changer la structure sociale de l’Egypte, pour qu’eux aussi puissent aspirer à devenir officiers et maîtres, n’aurait pas suffi à les libérer de leur esclavage. Ce n’est qu’une fois qu’ils furent prêts à partir, non seulement de la terre matérielle d’Egypte mais également de l’esprit du monde dans lequel ils avaient vécu, qu’une fois qu’ils furent prêts à abandonner leur dévotion aux valeurs égyptiennes (et ils en donnèrent la preuve par ce premier agneau pascal), c’est seulement alors qu’ils purent être véritablement sauvés.

Pour parvenir à une véritable rédemption, et pas seulement à la fin de l’exil, il ne suffit pas que le Peuple Juif quitte « le désert des nations ». Il doit regagner sa propre essence, son caractère, son esprit, ses modes de pensée et de vie. Ce n’est qu’alors qu’il peut être réellement libre. Ce n’est qu’alors qu’il est réellement sauvé.

Grâce à toutes les lois, toutes les coutumes du soir du Séder, nous mettons vraiment l’accent sur ce qui nous concerne le plus profondément : « Autrefois nous étions esclaves, maintenant nous sommes libres ». Tout en traversant les rites du Séder, en lisant la Haggadah et en discutant du texte écrit et de ce qu’il implique, nous nous devons de comprendre encore plus profondément que nous ne sommes réellement libérés que lorsque nous entreprenons de satisfaire notre besoin de vivre selon notre mode de vie spécifique, c'est-à-dire nous libérer, dans le vrai sens du terme.


 Qu’est-ce que le compte du Omer ?

C’est une Mitsva de la Torah de compter les quarante-neuf jours de l’Omer à partir du second soir de Pessa’h (samedi soir 31 mars 2018) jusqu’à la veille de Chavouot (vendredi soir 18 mai 2018 inclus). Si on n’a pas compté de suite après la prière du soir (Arvit), on peut encore compter durant la nuit jusqu’à l’aube. Si on ne s’en souvient que pendant la journée, on peut compter, mais sans réciter la bénédiction. Et le soir suivant, on continue de compter avec la bénédiction. Si on a oublié toute une journée, on devra dorénavant compter chaque soir sans la bénédiction.

Quelles sont les lois de cette période du Omer ?

Hommes et femmes ont l’habitude de ne pas entreprendre de « travaux » (tels que ceux interdits à ‘Hol Hamoed) depuis le coucher du soleil jusqu’à ce qu’ils aient compté le Omer.

On ne célèbre pas de mariage et on ne se coupe pas les cheveux, en souvenir de l’épidémie qui décima les 24.000 élèves de Rabbi Akiba à cette époque du Omer. Les Séfaradim respectent ces lois de deuil jusqu’au 19 Iyar (vendredi 4 mai 2018) ; les Achkenazim depuis le 1er Iyar (lundi 16 avril 2018) jusqu’au 3 Sivan au matin (jeudi 17 mai 2018) à part la journée de Lag Baomer (jeudi 3 mai 2018).

La coutume du Ari Zal, suivie par la communauté ‘Habad, veut qu’on ne prononce pas la bénédiction de Chéhé’héyanou (sur un fruit nouveau par exemple) durant toute la période du Omer et qu’on ne se coupe pas les cheveux jusqu’à la veille de Chavouot (cette année vendredi matin 18 mai 2018).

Un garçon qui aura trois ans après Pessa’h, fêtera sa première coupe de cheveux à Lag Baomer (jeudi 3 mai 2018) et celui qui aura trois ans après Lag Baomer la fêtera la veille de Chavouot (vendredi 18 mai 2018).

Il n’y aucune restriction sur les promenades ou les séances de piscine et baignade.


 Un rêve à Darwin

C’était quatre jours avant Pessa’h, le 11 Nissan 2006. Avec mon ami Zevi Shusterman de la Yechiva ‘Habad de Melbourne, nous étions partis à Darwin, la capitale du territoire nord de l’Australie afin de rendre visite à des Juifs habitant de toutes petites localités. Notre tâche était de leur rappeler la fête qui approchait et, si possible, de les inviter à participer au Séder communautaire : pour cela, il fallait d’abord prendre contact avec les quelques 50 Juifs répertoriés dans la ville.

La dernière adresse qu’on nous avait donnée était 30/55 Parap Road : c’était un bâtiment sans âme, occupé ou plutôt squatté par des chômeurs et autres « accidentés de la vie », certains d’entre eux consommant ouvertement des substances interdites. Surmontant nos sentiments et préjugés, nous avons demandé à un jeune s’il connaissait Joseph de Backer : un Juif de la ville nous avait signalé qu’il avait fait la connaissance de cet homme par hasard à la poste. On nous fit signe de monter dans les étages car, oui, il s’y trouvait un certain Joseph.

En tenant précieusement la boîte de Matsot Chmourot, nous avons frappé à la porte ornée d’une petite Mezouza et avons annoncé : « Joseph ! Nous vous avons apporté des Matsot ! ».

Un vieil homme, visiblement fatigué de vivre, nous ouvrit la porte en pleurant. Avant même de parler, il nous tâta les bras : « Je n’arrive pas y croire ! » répéta-t-il encore et encore tout en nous dévisageant avec incrédulité. Nous étions intimidés, ne sachant comment réagir. Puis il se calma et nous fit signe d’entrer et de nous asseoir à table.

- J’ai survécu à Auschwitz. Après la guerre, j’ai fui cette Europe de folie aussi loin que possible et je me suis installé en Australie, à Perth. J’ai épousé une non-Juive et nous avons eu un fils. Mes affaires ont périclité, nous avons divorcé et je n’avais plus rien à faire à Perth. Ma seule raison de vivre est mon fils qui sert dans l’armée australienne et qui est basé ici à Darwin. Je me suis donc installé dans cette maison communale. Petit à petit, j’ai perdu contact avec le monde extérieur : je n’ai ni Internet, ni email ni même de téléphone. Je ne sors de chez moi que pour quelques rares courses indispensables. Même mon fils ne vient presque plus me voir.

Je me suis souvenu que, quand j’étais petit, il y avait une fête juive en mars ou avril. Mes souvenirs sont très vagues, on ne mangeait pas de pain mais des espèces de crackers tout plats. Dernièrement, ces souvenirs sont justement revenus à la surface et m’ont déprimé. J’ai eu du mal à m’endormir hier soir mais, quand j’ai enfin dormi, j’ai rêvé que deux rabbins m’apportaient ces crackers pour célébrer la fête. C’est pourquoi quand vous avez frappé à la porte et que je vous ai vus, j’ai cru que j’hallucinais et je vous ai touché pour être sûr que vous étiez bien réels.

Nous étions stupéfaits de la tournure des événements : le récit de Joseph était très émouvant. Nous avons passé des heures à parler avec lui et à écouter cet homme oublié de tous. Il pleura des larmes de joie quand nous l’avons aidé à mettre les Téfilines et à réciter le Chema dont il se souvenait vaguement.

Avant de repartir, nous lui avons laissé – outre les Matsot bien entendu – les nombreux dépliants dont nous disposions afin qu’il puisse apprendre les principes fondamentaux du judaïsme. Nous lui avons aussi donné à tout hasard une brochure intitulée : « Hommage au Rabbi » qui comprenait plusieurs articles sur le Rabbi de Loubavitch et quelques photos.

Joseph nous accompagna jusqu’en bas et nous remercia du fond du cœur pour notre visite qui l’avait réconcilié avec la vie.

Un an plus tard, je suis retourné à Darwin pour y retrouver tous les Juifs que nous avions contacté l’année précédente : nous leur avions fait part de l’existence de Joseph et ils l’avaient aidé du mieux qu’ils pouvaient. J’appris ainsi que sa situation s’était beaucoup améliorée. Quand je suis entré chez lui, il m’embrassa chaleureusement et me raconta combien la communauté juive de Darwin s’était bien occupée de lui.

Je remarquai qu’il avait tapissé ses murs des photos du Rabbi qu’il avait découpées dans la brochure que nous lui avions laissée la dernière fois : sans doute avait-il estimé que ces photos étaient particulièrement jolies. Mais il m’expliqua d’un ton grave :

- Vous vous souvenez de mon rêve ? C’est grâce à cet homme que j’ai repris contact avec le judaïsme après tant d’années et c’est grâce à lui que je me sens tellement mieux ! C’était bien la moindre des choses que d’avoir sa photo sur le mur !

Rav Yaacov Chaiton - bina.com.au

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 Inauguration

Le calendrier rituel est toujours, et littéralement, bouleversant. Voici que, dans cette période qui commence avec le mois de Nissan et jusqu’à la veille de la fête de Pessa’h, il nous rappelle que, dans le désert, après la sortie d’Egypte et le Don de la Torah, le peuple juif accomplit la demande essentielle de D.ieu : Lui construire une demeure dans ce monde. Ce fut le Michcan, ou Tabernacle, ce Temple démontable qui accompagna le peuple dans son long voyage jusqu’à la terre d’Israël et la construction, bien plus tard, du Temple de Jérusalem. A partir du 1er Nissan donc, les Juifs l’inaugurèrent, nous est-il rapporté. Et l’inauguration se poursuivit jusqu’au 12 du mois, avant-veille de la fête. En souvenir de cet événement prodigieux, la coutume veut qu’on lise individuellement, chaque jour, le récit de l’inauguration correspondante tel que le texte de la Torah le rapporte. Pourtant, au-delà même de la portée historico-symbolique de l’épisode, doit-on y voir davantage qu’un éclat d’une grandeur passée ?

L’idée est connue. Si le peuple juif a une longue histoire et une mémoire non moins longue, il refuse de vivre dans le passé. C’est certes en lui qu’il plonge ses racines, conscient que l’oublier reviendrait à disparaître. Mais il l’utilise afin de vivre pleinement le présent et mieux penser l’avenir. Une inauguration ancienne, même s’il s’agit de celle d’un édifice Divin, peut-elle donc s’inscrire dans un autre cadre que celui du souvenir ? C’est justement là tout l’enjeu du rite et une part du génie du judaïsme. Celui-ci inscrit le souvenir dans l’action afin que l’événement concerné ne perde jamais sa fraîcheur, qu’il soit toujours vécu avec autant d’intensité qu’au premier jour. Dire un texte, c’est ici vivre l’instant, être l’acteur d’une œuvre immortelle. « Voilà qui est bien peu concret ! » pourra-t-on objecter. C’est vrai, l’édifice de bois et de tissu inauguré à présent – comme son successeur, le Temple de Jérusalem – a, pour le moment, disparu. Nous savons que la Délivrance amenée par le Machia’h les rétablira mais, dans cette attente… ?

Justement, dans cette attente, il nous reste à bâtir et inaugurer ! Car, il faut se garder de l’oublier, le sanctuaire de D.ieu se construit aussi en l’homme. Au fond de chacun, par l’étude de la Torah, la pratique de ses commandements, s’édifie peu à peu le lieu de la demeure Divine, non moins sainte et non moins précieuse que Sa Maison historique. Aujourd’hui, l’inauguration est en marche. En ces jours qui précèdent la fête de Pessa’h, le « temps de notre liberté », soyons les acteurs de cette libération majeure.


 Toujours se préparer au « Chabbat »

« Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier » (Chemot 20:8). A propos de ce verset, Rachi commente : « Prenez garde à vous souvenir toujours du jour du Chabbat : si quelque chose de beau se présente à toi, garde-le pour le Chabbat. »

Il en est de même pour la Délivrance future. Même lorsqu’on se trouve dans les jours profanes du temps d’exil, il faut se souvenir toujours de la Délivrance et s’y préparer. Elle est « le jour qui est entièrement Chabbat et repos pour l’éternité. »

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – 11 Sivan 5744)


Tsav

D.ieu instruit Moché de commander à Aharon et ses fils leurs devoirs et leurs droits en tant que Cohanim (« prêtres ») qui offrent les Korbanot (sacrifices animaux et alimentaires) dans le Sanctuaire.

Le feu sur l’autel doit brûler constamment. On y incinère entièrement les différents sacrifices animaux et alimentaires.

Les Cohanim consomment la viande de certains sacrifices animaux et ce qui reste de l’offrande alimentaire. L’offrande de paix est mangée par celui qui l’a apportée, à l’exception de parties spécifiques, données au Cohen. La viande sainte des offrandes doit être consommée par des personnes en état de pureté rituelle, dans l’endroit saint qui leur a été désigné et à un moment spécifique.

Aharon et ses fils restent dans l’antre du Sanctuaire pendant sept jours, au cours desquels Moché les initie à la prêtrise.

Le miracle des miracles

Nissan est connu comme « le mois de la Rédemption ». Cela tient au fait que le thème central du mois est la fête de Pessa’h, « le Temps de notre Rédemption ». Le Chabbat qui précède Pessa’h, connu sous le nom de Chabbat Hagadol, « le Grand Chabbat » met particulièrement l’emphase sur cette idée.

Le mot Nissan a la même racine que Ness ou « miracle ». Plus encore, le mot Nissan possédant deux Noun fait référence au « miracle des miracles », les événements spectaculaires qu’accomplit D.ieu, durant ce mois, en faisant sortir les Juifs d’Egypte.

Cela est particulièrement accentué lors de Chabbat Hagadol « car en ce Chabbat s’opéra le miracle extraordinaire de frapper les Egyptiens par leurs premiers-nés ». Et plus encore, « en ce jour, la Rédemption et les miracles (de l’Exode) commencèrent ».

Pourquoi le fait de « frapper les Egyptiens par leurs premiers-nés » est-il indiqué comme « un grand miracle », ce qui tendrait à impliquer qu’il était plus important que les autres ? Et d’autre part, pourquoi ce miracle est-il expressément lié au Chabbat ? « Il fut institué que ce miracle serait rappelé dans les générations ultérieures, lors du Chabbat, qui est pour cette raison dénommé Chabbat Hagadol ».

La libération d’Egypte avait pour but que « Je te prenne pour Moi comme nation et que Je sois pour toi D.ieu. Tu sauras que Je suis l’Eternel ton D.ieu Qui t’a délivré du joug égyptien ».

En d’autres termes, la révélation de la Divinité, au moment de l’Exode, permit aux Juifs d’être capables de discerner et de connaître D.ieu alors même qu’ils étaient plongés dans des préoccupations matérielles. En outre, au moment où D.ieu donna la Torah, cela leur permit d’accepter inconditionnellement Sa Torah et Ses Mitsvot, comme le statue le verset ; « Quand tu sortiras la nation d’Egypte, ils serviront D.ieu sur cette montagne ».

Il s’agissait donc pour les Juifs de révéler la Divinité dans ce monde matériel, d’une façon permanente, à travers leur service spirituel. C’est pourquoi l’Exode et le Don de la Torah culminèrent par la construction du Michkan, le Sanctuaire, un lieu terrestre et concret où D.ieu pourrait « résider parmi eux ». Cela se concrétisa avec encore plus de permanence avec la construction du Beth Hamikdach, qui verra sa forme parfaite parachevée avec le troisième Beth Hamikdach, qui sera éternel.

Cela explique pourquoi il était nécessaire que l’Exode se produise spécifiquement par des miracles, car seul un événement surnaturel peut manifester les possibilités illimitées de D.ieu. Cela permet à l’homme de percevoir que D.ieu est le Maître Suprême de la nature, qu’Il en fait ce qu’Il veut. Et cela permet, en contrepartie, aux Juifs de se libérer des restrictions et des limites de la mondanéité en tant qu’entité et de leur exil égyptien en particulier.

La grandeur du miracle de « frapper les Egyptiens par leurs premiers-nés » ainsi que son lien avec Chabbat Hagadol peuvent se comprendre dans la même ligne de pensée.

« Le miracle des miracles » consistant à « frapper les Egyptiens par leurs premiers-nés » était nécessaire. En effet, seule une révélation de la Divinité, qui transcende la nature, pouvait permettre d’atteindre les premiers-nés égyptiens, la force du mal la plus puissante, et ainsi briser l’Egypte.

Un tel miracle est qualifié de « grand miracle » car il fut l’événement crucial par lequel « la Rédemption et les miracles (de l’Exode) commencèrent ».

La commémoration de cette merveille fut établie le Chabbat car le Chabbat n’est pas seulement le jour de la semaine durant lequel nous vénérons D.ieu Se reposant des six jours de la Création, éloigné de la nature, la dominant, mais aussi parce que le Chabbat est lié à la Rédemption éternelle, un temps « composé uniquement de Chabbat et de tranquillité ».

Ce thème prend une ampleur encore plus grande lorsque Chabbat Hagadol tombe la semaine où nous lisons la Parachah Tsav. En effet, à ce propos, nos Sages affirment : « Le terme Tsav, commandement, signifie : ‘accomplis avec alacrité, empressement, maintenant et dans toutes les générations futures’ ».

Cela accentue encore davantage l’idée que l’éternité, qui transcende le temps et la nature, descend dans ce monde fini et limité par le temps et le pénètre.


 Quelles sont les Mitsvots essentielles du Séder ?

Le vendredi 30 et le samedi 31 mars 2018, on organise le repas du Séder pour célébrer la sortie d’Egypte. On ne pourra commencer qu’après la nuit tombée (21h08 vendredi et samedi soir - heure de Paris). Tous les Juifs doivent participer au Séder, hommes, femmes et enfants. Il faut :

Raconter la sortie d’Egypte

On le fait en lisant la Haggada. Il faut raconter à tous les participants et en particulier aux enfants, selon ce qu’ils peuvent comprendre. Pour éviter qu’ils ne s’endorment, on aura pris soin de les faire dormir l’après-midi et on leur fera chanter certains paragraphes de la Haggada.

Manger de la Matsa

On mange de la Matsa les deux soirs du Séder après avoir dit la bénédiction : « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Matsa », en plus de la bénédiction habituelle « Hamotsi ». La Matsa du Séder sera « Chemourah », c’est-à-dire qu’on aura surveillé depuis la moisson, que les grains de blé, et plus tard la farine, n’auront pas été en contact avec de l’eau, ce qui aurait risqué de les rendre ‘Hamets. Nombreux sont ceux qui préfèrent consommer les Matsot rondes cuites à la main (et non à la machine) comme au temps de la sortie d’Egypte. Il faut manger au moins 30 grammes de Matsa, et il est préférable de les manger en moins de quatre minutes. Il faudra manger trois fois cette quantité de Matsa : pour le « Motsi », pour le « Kore’h » (le « sandwich » aux herbes amères), et pour le « Afikoman », à la fin du repas, en souvenir du sacrifice de Pessa’h qui était mangé après le repas.

Manger des herbes amères (Maror)

On mange des herbes amères en souvenir de l’amertume de l’esclavage en Egypte. On achètera de la salade romaine qu’on nettoiera feuille par feuille devant une lumière pour être sûr qu’il n’y a pas d’insecte, après l’avoir fait tremper dans de l’eau. On prépare pour chacun des convives au moins 19 grammes de « Maror », c’est-à-dire de salade romaine avec un peu de raifort râpé, trempé dans le « Harosset » (compote de pommes, poire et noix, avec un peu de vin) après avoir prononcé la bénédiction : « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Maror ». On consomme encore 19 grammes de Maror bien séché entouré de Matsa pour le « Sandwich de Kore’h ».

Boire 4 verres de vin

On doit boire au cours du Séder au moins quatre verres de vin ou de jus de raisin cachère pour Pessa’h. Le verre doit contenir au moins 8,6 centilitres, et on doit en boire à chaque fois au moins la moitié, en une fois. Les hommes et les garçons doivent s’accouder sur le côté gauche, sur un coussin, pour manger la Matsa et boire les quatre verres de vin.


 Sa dernière requête

Ceci s’est passé peu avant la fête de Pessa’h 2011. Rav ‘Haïm Slavaticki, Chalia’h (émissaire) du Rabbi à Fort Lauderdale (Floride) entra dans la salle d’attente d’un médecin qu’il connaissait bien. Il voulait lui souhaiter une fête de Pessa’h cachère et joyeuse (selon la formule consacrée) et lui offrir une boîte de Matsot Chmourot, rondes, pétries à la main et à base de farine spécialement « gardée » et protégée de toute humidité. Le docteur l’accueillit chaleureusement et le remercia d’avoir pensé à lui. « Une patiente juive se trouve justement ici, remarqua-t-il devant Rav ‘Haïm, peut-être vous reste-t-il une boîte de Matsot pour elle ? ».

Avec un grand sourire, Rav Slavaticki salua la dame en question et lui proposa poliment une boîte de Matsot, gratuite. Mais il ne s’attendait pas à une réaction aussi violente de sa part : elle se mit en colère et l’insulta presque. « Je ne suis pas croyante, je ne respecte aucune fête juive ! De quel droit voulez-vous m’imposer vos coutumes ? ».

Stupéfait par cette attaque verbale, Rav Slavaticki répondit néanmoins avec courtoisie : « Je suis désolé. Apparemment, nous ne nous sommes pas compris. Je ne suis pas là pour vous vendre des Matsot, je vous les offre gracieusement pour vous permettre de célébrer la fête comme il se doit ! ». Malgré la dignité de son interlocuteur, la dame resta ferme dans son refus et siffla entre ses dents : « Il n’en est pas question ! Laissez-moi tranquille avec vos idées d’un autre âge ! ». Rav Slavaticki lui tendit néanmoins sa carte de visite : « Si un jour, vous avez besoin de moi, vous pouvez me joindre sans problème ! ».

Six mois passèrent. Trois jours avant Roch Hachana, le téléphone sonna chez Rav Slavaticki :

- Bonjour ! Je suis la personne que vous aviez rencontrée dans la salle d’attente du médecin. Je voudrais vous parler.

- Avec plaisir, répondit Rav ‘Haïm qui n’eut pas de peine à se rappeler la scène un peu désagréable d’avant Pessa’h.

- Mon père est hospitalisé ; ses jours sont comptés et sa seule requête est de parler avec un rabbin. J’ignore pourquoi j’avais gardé votre carte de visite mais, comme je ne connais pas d’autre rabbin, je m’adresse à vous.

Deux heures plus tard, Rav ‘Haïm se présenta au chevet du malade. La dame dont il se souvenait bien se trouvait là, avec sa sœur. Dans son lit, l’homme paraissait affaibli et très souffrant.

- A part le fait que nous sommes juifs, annoncèrent les deux femmes, nous n’avons aucun lien avec le judaïsme ou une communauté quelconque. Nos parents ne nous ont absolument rien appris des fêtes ou des coutumes. Maintenant notre père est très malade et nous sommes étonnées qu’il demande à parler à un rabbin.

Quand l’homme aperçut le Rav, ses yeux brillèrent de satisfaction. D’une voix faible, il se présenta, décrivit sa maladie et le pronostic des médecins qui ne lui donnaient plus que quelques jours à vivre. Les deux hommes se mirent à discuter du sens de la vie puis le malade demanda à ses filles de sortir de la pièce.

- Fermez bien la porte ! demanda-t-il à Rav Slavaticki.

Puis il éclata en sanglots. Durant de longues minutes, il fut incapable de parler mais se reprit :

- Je suis né juif et je veux mourir comme un Juif !

- Ne vous inquiétez pas, promit Rav ‘Haïm. Le moment venu, je m’occuperai personnellement de vous faire enterrer dans un cimetière juif !

- Non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, continua l’homme devant le Rav qui essayait de comprendre ce qu’il voulait dire. Mes parents ne m’ont pas circoncis, continua-t-il. Maintenant que nous sommes seuls dans la pièce, je veux que vous effectuiez le geste qu’il faut… !

- Co… Comment ? s’étrangla presque Rav ‘Haïm. Mais je ne suis pas un Mohel (spécialisé pour les circoncisions) !

- Je vous en prie ! Faites ce qu’il faut, trouvez-moi un… Comment dites-vous, un …Mohel et procédez enfin à cette circoncision !

Sur place, Rav Slavaticki téléphona à deux Mohalim qu’il connaissait et tous deux acceptèrent de venir au chevet du malade pour procéder à la circoncision. Mais là, un autre problème surgit : l’équipe médicale s’opposa catégoriquement à cette opération, vu la gravité de l’état du patient.

- De quoi avez-vous peur ? s’obstina avec ironie le malade. Que je meure ? Et alors ? N’est-ce pas que, de toute manière, mes jours sont comptés…

Mais les médecins refusèrent d’endosser une telle responsabilité. Rav Slavaticki ne baissa pas les bras. Il contacta un médecin qu’il connaissait et, ensemble, ils exercèrent des pressions sur la direction de l’hôpital afin d’accomplir la dernière requête de cet homme. Finalement, on trouva un compromis : la Brit Mila serait effectuée par un médecin venu de New York, agréé par la caisse d’Assurance de l’hôpital.

Contacté, le médecin se montra très ému par cette requête. Dès le lendemain matin, la veille de Roch Hachana, il atterrit en Floride et, l’après-midi, le vieil homme « entra dans l’alliance d’Avraham notre père » et prit le prénom de Chlomo (Salomon). Les nombreuses personnes présentes ne purent s’empêcher de verser des larmes devant ce courage et cette persévérance inattendues de la part d’un homme si âgé. Puis le patient, malgré sa faiblesse évidente, s’adressa à tous ceux qui l’entouraient :

- Vous connaissez certainement l’expression : « Les sentiments de culpabilité juifs ». Sachez que, toute ma vie, je n’ai pas souffert de ce « problème », je n’ai jamais ressenti de problèmes de conscience du fait que je ne pratiquais pas suffisamment mon judaïsme et que je n’en ai rien transmis à mes enfants. Mais quand le médecin m’a annoncé qu’il ne me restait plus que quelques jours à vivre, j’ai repensé à tout ce que j’avais fait dans ma vie. Je n’ai jamais manqué de rien : j’avais de l’argent, une belle maison, des voitures de luxe et même un yacht. Mais je n’avais aucun lien avec moi-même, avec mon âme, avec ce que je suis vraiment. D’un coup, j’ai été submergé d’une grande tristesse à la pensée de ce vide qui avait caractérisé toute ma vie. Je me suis souvenu que je n’avais pas été circoncis et j’ai ressenti soudain le besoin impérieux d’y remédier. Pour mon âme. Des gens ont tenté de me persuader que ce n’était pas important – surtout au vu de mon état de santé. Mais j’ai décidé que je devais y procéder et, maintenant, je me sens prêt à rencontrer mon Créateur.

Quelques jours plus tard, la veille de Yom Kippour, Rav Slavaticki se rendit dans le magasin d’une personne qu’il connaissait et, très ému, raconta cette histoire. L’un des employés présents tendit l’oreille puis demanda à parler à Rav ‘Haïm en privé. « J’ai 38 ans, je viens de Russie. J’ai honte de l’avouer mais moi aussi je ne suis pas circoncis. Mais en entendant votre histoire… Pouvez-vous m’aider à accomplir ce commandement si important ? ».

La même semaine, ce jeune homme entra lui aussi dignement dans l’alliance d’Avraham notre Père.

Durant la fête de Souccot, Chlomo rendit son âme purifiée à son Créateur et avait mérité que son courage influence un autre Juif à l’imiter.

Lévi Shaikevitz – Sichat Hachavoua N° 1611

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 Le chemin de la Liberté

Cette semaine commence le joli mois de Nissan. Ce n’est pas simplement parce qu’il est qualifié de « mois du printemps » qu’il mérite un tel qualificatif et peu importe que la température attendue soit ou non au rendez-vous. Il est un joli mois car c’est celui de notre liberté. La fête de Pessa’h est déjà en perspective et, bien sûr, c’est spontanément à la libération historique du peuple juif d’Egypte que chacun pense. Pourtant, cette référence obligée ne peut suffire à la conscience car elle ne fera de tout cela qu’une sorte de réminiscence nostalgique, une ombre de gloire dont la trace subsiste par ce miracle que connaissent parfois les peuples anciens.

La liberté est d’abord une affaire de notre temps. En notre époque où tout semble fait pour ramener les hommes à un modèle unique, où une culture minoritaire paraît avoir quelques difficultés à être acceptée pour ce qu’elle est, y compris quand elle ne remet pas en cause les valeurs partagées par tous, la liberté est toujours à défendre. En ces jours où le chemin que la société propose est d’abord celui d’une consommation incessante de biens souvent superflus et parfois inutiles, dire qu’il existe une autre manière de vivre qui rend mieux compte de l’humain est encore l’objet d’un combat. C’est à tout cela qu’ouvre le mois de Nissan.

Car c’est d’abord en chacun que la liberté se construit. Prisonniers des habitudes sociales, entravés par les normes extérieures, nous pouvons cependant choisir d’être libres. Et cette liberté-là est précieuse car elle nous donne à nous élever au-dessus de toutes les limites imposées par les autres ou nous-mêmes. Elle nous permet de donner son plein sens au beau titre d’homme et d’assumer joyeusement ce que nous sommes. Au fil des siècles, nos ancêtres ont toujours rêvé de cette liberté. Ils ont parfois donné leur vie pour elle quand on voulait leur interdire d’être eux-mêmes. Nous sommes les dépositaires de cette longue histoire, le maillon d’aujourd’hui qui donne signification à la chaîne qu’il continue.

Il peut sans doute paraître plus simple de ne pas choisir l’espace ouvert au-devant de nous et de rester cantonner à une vision réduite de la vie. Mais, avec le mois de Nissan, un vent nouveau se lève et aucune barrière ne peut y résister. Quand la Liberté frappe à la porte, nul ne refuse de lui ouvrir.


 Le don de l’âme

« Et l’âme qui offrira un sacrifice de Min’ha pour D.ieu… ». C’est ainsi que la Torah (Lév. 2 : 1) introduit la description de cette offrande particulière. On relève ici l’emploi du mot « âme » pour désigner la personne qui offre ce sacrifice alors que, habituellement, on dit simplement « l’homme ». Rachi explique la raison de ce choix : « Qui offre le sacrifice de Min’ha ? Le pauvre. D.ieu dit : ‘Je le considère comme s’il avait offert son âme’. »

Cette idée est précieuse pour chacun de nous. En ce temps d’exil, nous sommes « pauvres » spirituellement. Pourtant il nous appartient d’offrir à D.ieu ce que nous avons de plus important : nous-mêmes. Cette offrande doit d’abord être celle de notre « âme animale », cet élément qui nous permet de vivre et que nous devons lier à Lui. Puisque « c’est à cause de nos fautes que nous avons été exilés de notre terre », cette démarche nous amènera à la construction du troisième Temple.

(D’après Likoutei Si’hot, vol. 27, Vayikra 2)


 VAYIKRA

D.ieu appelle Moché depuis la Tente d’Assignation et lui communique les lois des Korbanot, offrandes animales et alimentaires apportées dans le Sanctuaire.

Elles incluent :

. « L’holocauste » (Ola), entièrement consacré à D.ieu, par un feu, en haut de l’autel.

. Cinq variétés d’  « offrandes alimentaires » (Min’ha), préparées avec de la farine fine, de l’huile d’olive et des encens.

. « L’offrande de paix » (Chelamim) dont la viande est consommée par celui qui apporte l’offrande, une fois que certaines parties en ont été brûlées sur l’autel et d’autres données aux Cohanim (prêtres).

. Les différents types de « sacrifices expiatoires », apportés pour expier les transgressions commises de façon accidentelle par le Grand-Prêtre, toute la communauté, le roi ou un Juif ordinaire.

. « L’offrande de culpabilité » (Acham) apportée par celui qui s’est approprié, de façon indue, un bien du Sanctuaire, qui a un doute d’avoir transgressé une interdiction divine ou qui a commis une « trahison contre D.ieu » par un faux serment pour escroquer un autre homme.

Le troisième livre de la Torah que nous entamons commence par les mots : « Vayikra èl Moché », « Et Il appela Moché».

Qui est « Il » ? Il s’agit du Saint béni soit-Il. Pourquoi le Nom de D.ieu n’est-il pas mentionné, comme nous pouvons le trouver dans la plupart des autres occurrences : «  Et D.ieu parla à Moché », « et D.ieu dit à Moché », etc. ?

Par ailleurs, autre sujet d’étonnement, la dernière lettre du mot Vayikra est écrite avec un petit Alèph. Pourquoi ?

Moché Rabbénou était humble et c’est pour cela qu’il est écrit « Vayikra èl Moché » avec un petit Alèph. »

Mais qu’est-ce que l’humilité ? Etre humble ne signifie pas être naïf. Etre humble ne signifie pas ne pas savoir ce que l’on est.

Pensez-vous que, lorsque Moché marchait parmi son peuple, il se recroquevillait sur lui-même et se cachait derrière des buissons ? Il avançait et le peuple se séparait pour lui frayer un chemin. Il marchait avec un maintien ferme et puissant. Il parlait fort.

Que signifie-t-il donc qu’il était l’homme « le plus humble à la surface de la terre » ? 

La caractéristique de l’humilité présente deux aspects. Tout d’abord, il s’agit de prendre conscience que la force que nous possédons nous a été attribuée par D.ieu et, d’autre part, d’être assez lucides pour réaliser que si quelqu’un d’autre que nous possédait nos propres qualités, il nous dépasserait et de loin.

En d’autres termes, Moché savait qu’il était le septième, depuis Avraham, que son père était Amram, le chef spirituel du Peuple juif, et il réalisait qu’il avait reçu un don, une bénédiction pour parler à D.ieu, face à face, pour aller dans les Cieux pendant cent vingt jours. Mais il savait également que si une autre personne avait été choisie à sa place, elle l’aurait dépassé et accompli bien plus que lui-même. C’est pourquoi il était le plus humble de tous les hommes de la terre. Il connaissait ses qualités, sa mission, ses responsabilités, le fait qu’il dût guider le peuple d’une main de fer, sans faillir, mais il traitait chacun sur un pied d’égalité. Il ne s’adressait pas aux autres avec condescendance ou avec mépris. Il était profondément convaincu qu’un autre à sa place aurait mieux fait que lui.

Mais cela ne l’empêchait pas de connaître son rôle et d’endosser ses responsabilités.

Tel est donc le sens du petit Aleph. Bien que Moché fût appelé par D.ieu Lui-même, il n’en restait pas moins empli d’humilité et conscient de son insignifiance.

Mais une autre question se soulève alors. Pourquoi est-ce spécifiquement le Alèph qui est rapetissé et pourquoi pas une autre lettre ? Quel est donc ici le message ?

Le Alèph représente le Alouph qui signifie « maître et chef ».

Etre humble quand on se compare à quelqu’un d’autre, qui n’est pas dans le même domaine que soi, est facile.

Lorsqu’il est écrit « Vayikra èl Moché avec un petit Alèph, cela signifie que dans le même domaine que lui, celui d’un maître, d’un chef (ce qu’évoque le Alèph), Moché était persuadé que d’autres, avec les mêmes chances et les mêmes opportunités que lui, auraient été bien supérieurs à lui.

A propos du terme Vayikra, Rachi explique que la terminologie implique ici un appel rempli d’amour.

D.ieu appelle Moché Rabbénou avec amour. Pourquoi cela ? Parce qu’il est humble. Parce qu’il permet aux autres de pénétrer dans son espace, parce qu’il permet à D.ieu de pénétrer dans son cœur.

Et cela va encore plus loin.

Il n’est pas dit : « Vayikra Hachem èl Moché, « Et D.ieu appela Moché », parce que le Nom Hachem, « D.ieu », est un terme défini. N’importe lequel des sept (ou dix) Noms de D.ieu représente un contrôle, une lumière ou une énergie spécifiques par lesquels D.ieu Se manifeste dans ce Nom ou dans cet attribut.

« Vayikra èl Moché » signifie que l’Essence de D.ieu, l’essence qui est au-dessus de tout nom, de toute configuration ou de tout attribut, s’adressa à Moché. Pourquoi ? Parce qu’il était petit à ses propres yeux. Il était humble.

Telle est la leçon de Vayikra. Chacun de nous détient en lui une étincelle de Moché Rabbénou, nous possédons donc un attribut de grandeur mais en même temps nous ne nous qualifions pas de grands. En effet, nous réalisons que nos talents, nos dons, nos qualités nous ont été donnés par D.ieu. 

Mais nous devons également prendre conscience que nous devons utiliser ces attributs au mieux, y investir toutes nos forces pour faire un monde meilleur, pour y faire descendre la Divinité.

Quand nous utilisons correctement ces talents, tout en réalisant qu’ils sont des présents de D.ieu, alors nous méritons « Vayikra èl Moché », un véritable appel d’amour de la part de l’Essence Divine.


 Quelles sont les lois et coutumes du mois de Nissan ?

- Le mois de Nissan commence cette année samedi 17 mars (Roch ‘Hodech).

- On évite de manger des Matsot jusqu’au soir du Séder (vendredi soir 30 mars).

- Dans toutes les communautés, on a coutume de ramasser de l’argent afin de pourvoir aux besoins des familles nécessiteuses pendant la fête. Cela s’appelle Maote ‘Hitine, l’argent pour la farine (nécessaire à la confection des Matsot). Le Rabbi a institué que chaque responsable communautaire s’efforce d’envoyer à ses fidèles dans le besoin des Matsot Chmourot (rondes, cuites à la main, spécialement surveillées depuis la moisson du blé), au moins pour les deux soirs du Séder.

- Tout le mois de Nissan, on ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplications).

- On ne jeûne pas durant le mois de Nissan (excepté les mariés avant la cérémonie).

- Après la prière du matin, les treize premiers jours du mois, on lit le sacrifice apporté par le Nassi du jour, en souvenir des sacrifices apportés par les princes des tribus le jour de l’inauguration du Michkane, le sanctuaire portatif dans le désert (Bamidbar – Nombres chapitre 7 et début du chapitre 8). Après la lecture des versets, on ajoute la courte prière de Yehi Ratsone imprimée dans le Siddour, le livre de prières.

- La première fois en Nissan qu’on voit des arbres fruitiers en fleurs, on récite la bénédiction Chélo ‘Hissère Beolamo 

(d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)


 La Mezouza

Quand Elsie emménagea dans son nouvel appartement, elle enleva la Mezouza de la porte d’entrée. L’ancien étui s’était cassé tandis qu’elle avait ôté les clous ; le parchemin contenant les paragraphes du Chema avait jauni et s’émietta dans sa main. Elle l’emballa dans un petit sac plastique et le fourra dans sa boîte à couture. Puis elle se mit à nettoyer sa nouvelle cuisine.

Shel son mari apprécia l’initiative. Il avait eu une dure journée et attendait avec impatience sa tasse de thé : « Enfin tu l’as fait ! Très bien ! » approuva-t-il tout en remuant le sucre dans la tasse et en tournant les pages du journal du soir.

- J’avais dit que je le ferai ! remarqua-t-elle calmement.

- Mais que va dire ta mère ?

- C’est ma maison, elle ne dira rien !

Elsie avait raison. Quand Madame Klein rendit visite à sa fille dans son nouvel appartement, elle avait les bras chargés de jouets pour sa petite-fille de quatre ans. Elle remarqua immédiatement la place toute en longueur laissée vide sur le linteau de la porte. Elle se pinça les lèvres pour ne rien dire qui puisse choquer sa fille et son gendre et appela la petite Myriam pour lui remettre son cadeau de ‘Hanouccah, une adorable poupée aux cheveux roux.

Deux ans plus tôt, Elsie et son mari avaient adhéré au Parti. Madame Klein s’était alors aussi pincé les lèvres ; elle savait ce que cela signifierait pour sa fille : plus de bougies de Chabbat et de ‘Hanouccah, plus de Matsot à Pessa’h, plus de livres de prières en hébreu dans la maison… Madame Klein avait élevé sa fille dans une atmosphère pratiquante mais tout ce qu’elle avait voulu lui transmettre serait perdu pour la génération suivante.

Elsie avait remarqué la peine sur le visage de sa mère et elle avait déclaré : « Nous sommes contre la religion ! C’est l’opium du peuple ! Nous sommes athées et nous ne croyons ni dans les mythes ni dans les miracles. Tu dois comprendre cela toi aussi ! »

Bien sûr, Madame Klein avait compris. Elle se tenait au courant de l’actualité puisqu’elle lisait religieusement chaque jour Der Tog ainsi que le English Star.

- Tes camarades du Parti ont aussi renoncé à leur religion ? demanda-t-elle en yiddish.

- Bien sûr ! Aucun d’entre eux ne va à l’église !

- Mais vous avez une fête le 25 décembre, j’ai vu la notice accrochée sur ton réfrigérateur !

- Ah mais cela, c’est une fête nationale, ce n’est plus une fête religieuse !

Madame Klein ne voyait pas la logique de cet argument mais, bien qu’elle fût profondément blessée, elle garda le silence. Elle avait vécu la faim et la guerre, la perte de sa famille et de ses amis, l’épidémie de typhus en Roumanie mais elle ne s’était jamais plainte, comme toutes les mamans juives.

- Écoute Maman, je sais que tu ne comprends pas les principes du Parti. Mais ce que nous souhaitons, c’est l’égalité, quelle que soit la race, la couleur ou la nationalité. La justice pour tous. Un jour, nous aurons un très beau monde, sans frontières, sans racisme. La religion et le nationalisme séparent les gens.

- Les Hindous feront partie de ce nouveau monde ?

- Bien sûr ! Pourquoi eux ?

- Mais que feront-ils de tous leurs temples ? (Madame Klein avait risqué une plaisanterie mais Elsie ne l’avait pas comprise).

- Maman ! Tu es vraiment trop démodée…

- Oui, je sais mais je t’aime, j’aime notre Myriam et jamais je ne te dirai comment agir. Dans notre Torah, la chose la plus importante, c’est le Chalom Bayit, la paix dans les foyers. Quant à la justice, c’est aussi dans le programme de notre Torah, tu l’avais appris à l’école juive…

Elsie hocha la tête avec impatience, sa mère ne comprenait rien…

- Au moins, ils viennent chez moi pour Chabbat et les fêtes et ils me laissent garder la petite quand ils ont leurs réunions du parti, même s’ils me supplient de ne pas lui raconter « mes histoires ridicules »… se consolait madame Klein. Et je continuerai de lui raconter la sortie d’Égypte et la mer qui s’est ouverte devant les Enfants d’Israël…

Les années passèrent et madame Klein succomba à la maladie. Elsie était restée à son chevet à l’hôpital et, par respect pour les autres membres de sa famille, avait observé les lois du deuil pendant les sept jours avec ses frères, sœur et tantes.

Le lendemain des Chiva, après que tous les visiteurs soient partis, Elsie s’était rendue au magasin de Judaïca et avait acheté une belle Mezouza dans un étui élégant fabriqué en Israël. Elle avait cloué la Mezouza en haut et en bas selon les instructions, avec la lettre Chine dorée à l’extérieur du parchemin. Elsie était contente de son œuvre.

- Mais qu’est-ce qui t’a pris ? demanda Shel, étonné.

- J’ai cloué une Mezouza. A l’intérieur le texte hébraïque est écrit sur du parchemin, c’est le Chema qui rappelle que D.ieu est Un.

- Mais pourquoi ?

- C’est pourtant simple, déclara tranquillement Elsie d’un ton ferme : quand l’âme de Maman viendra nous rendre visite depuis le Ciel pour nous bénir, il y aura une Mezouza à la porte et elle se sentira chez elle…

Aviva Ravel – www.chabad.org

traduite par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 Y a-t-il un après-Pourim ?

La semaine passée a eu une dimension vraiment lumineuse. Elle a vu la fête de Pourim régner dans tout son éclat, au point que la grisaille du monde a semblé avoir disparu. Lorsque le jour s’est terminé, le lendemain a éclairé encore. N’est-ce pas ce « Pourim de Suse », où toute l’allégresse vécue la veille surgit de nouveau dans ce lieu si différent de tous, Jérusalem ? Mais ensuite, tout va-t-il vraiment recommencer comme si de rien n’était, comme si nous n’avions fait que vivre une sorte de pause mais que, fondamentalement, rien n’avait changé ? Pourtant, le mois d’Adar continue avec sa devise éternelle : « multiplions la joie ! » Pourtant, voici que nous nous dirigeons vers la libération incarnée par Pessa’h – déjà dans si peu de temps. Nos sages ont enseigné : « On rapproche une délivrance d’une autre – celle de Pourim et celle de Pessa’h. » C’est ainsi non comme une fin de voyage que nous vivons mais bien comme l’ouverture d’un chemin. Et si nous choisissions de l’emprunter ?

De fait, puisque c’est d’elle qu’il est question, la liberté est une conquête de chaque jour. Difficile de ne pas relever le constat de nos sages : « A présent – entendons « après les événements de Pourim » – nous sommes toujours soumis à Assuérus. » En d’autres termes, malgré la victoire miraculeuse que nous avons fêtée, l’exil de Babylone ne se termina pas avec elle. Le peuple juif, toujours vivant, dans une situation matérielle et spirituelle meilleure, ne retrouva pas alors sa glorieuse indépendance avec sa terre et son Temple. Cela ne devait arriver que plus tard. Pourtant, même si c’était encore imparfait, la liberté était déjà au rendez-vous. La longue marche de notre peuple s’est ainsi poursuivie sans crainte, et c’est en soi un acquis incomparable.

Tout cela éveille sans doute en chacun bien des échos. Certes, les situations historiques n’ont aucun rapport l’une avec l’autre. Qui pourrait comparer la condition des Hébreux sortant d’Egypte à celle des Juifs vainquant leurs ennemis en Perse ou à celle de notre temps ? Pourtant, l’attente est toujours là, toujours pressante, toujours attentive et toujours enthousiaste. C’est une attente en forme de liberté d’ores et déjà assumée. Liberté d’être soi-même, de vivre comme nous le souhaitons, porteurs de notre message ancestral. Cette liberté-là à laquelle nul ne renoncera jamais. Bien plus qu’un rêve ou un espoir, une affaire de lumière.


 Michkane / Machkone

Analysant la destruction du Temple de Jérusalem, les Sages ont souligné que celui-ci n’a pas été retiré au définitivement au peuple juif. D.ieu l’a pris comme « Machkone », en gage. C’est ce qu’indique le verset (Ex. 38 : 21) : « Voici les comptes du Michkane, le Michkane du témoignage ». Le mot « Michkane » - Sanctuaire – est ici dit deux fois de suite. Cette répétition n’est, bien entendu, pas le fait d’un hasard de formulation. Les commentateurs relèvent que ces deux mots font respectivement référence au deux Temples détruits qui ont été pris en « gage » comme l’indique la parenté étymologique entre « Michkane – Sanctuaire » et « Machkone – gage ».

Selon la loi juive, celui qui prend un bien en gage a l’obligation d’y veiller avec soin et de le restituer entier à son propriétaire le moment venu. Il en ressort que, quand le troisième Temple sera construit, avec la venue de Machia’h, il inclura toutes les qualités des premier et second Temple.

(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch

Chabbat Parachat Michpatim 5752)


 Vayakhel

Moché réunit le peuple d’Israël et réitère le commandement d’observer le Chabbat. Il transmet alors les instructions de D.ieu concernant la construction du Michkan (le Tabernacle). Le peuple fait don, en abondance, des matériaux requis, apportant de l’or, de l’argent et du cuivre, de la laine teinte en bleu, violet et pourpre, des poils de chèvre, du lin tissé, des peaux de bête, de la laine, du bois, de l’huile d’olive, des herbes et des pierres précieuses. Moché doit leur demander de cesser leurs dons tant il y en a.

Une équipe d’artisans au cœur sage construit le Michkan et son mobilier (comme cela a été décrit dans les Paracha précédentes : Teroumah, Tétsavé et Ki Tissa) : trois couches pour les couvertures du toit, 48 panneaux muraux plaqués d’or et 100 socles d’argent pour les fondations, le Paro’hèt (voile) qui sépare les deux chambres du Sanctuaire et le Massa’h (écran) pour le devant, l’Arche et son couvercle avec les Chérubins, la Table et ses Pains de Proposition, la Menorah à sept branches avec son huile tout spécialement préparée, l’autel d’or et les encens qui y sont brûlés, l’huile d’onction, l’autel extérieur pour les offrandes que l’on doit brûler et tout son équipement, les cintres, les poteaux, et les socles de fondation pour la cour et enfin le bassin et son piédestal, fait de miroirs de cuivre.

Pekoudé

On procède au décompte de l’or, l’argent et le cuivre donnés par le peuple pour la fabrication du Michkan. Betsalel, Aholiav et leurs assistants fabriquent les huit habits sacerdotaux : le tablier, le pectoral, le manteau, la couronne, le chapeau, la ceinture et les pantalons, selon les instructions communiquées par Moché dans la Paracha Tétsavé.

Le Michkan est achevé et tous ses composants sont présentés à Moché qui l’érige et l’oint avec l’huile d’onction. Il initie à la prêtrise Aharon et ses quatre fils. Une nuée apparaît au-dessus de Michkan, signifiant que la Présence Divine est venue y résider.

Rachi, le grand commentateur de la Torah, explique toujours les difficultés que pose l’interprétation littérale du texte, sinon il écrit « je ne sais pas ». Cependant, dans notre Paracha est évoqué un sujet qui nous laisse perplexes et sur lequel Rachi ne fait aucun commentaire (pas plus qu’il ne dit : « je ne sais pas »). C’est donc que le sens littéral nous l’explique.

Dans le désert, les Juifs donnèrent différents types de matériaux pour la construction du Michkan (le Sanctuaire) ainsi que pour ses ustensiles.

La Paracha Vayakhel relate la construction effective du Michkan.

Le début de la Paracha Pekoudé donne ensuite le compte du montant total d’or, d’argent et de cuivre apportés puis elle continue à décrire la fabrication des habits des Cohanim (les Prêtres).

Cela est extrêmement étonnant. Pourquoi la Torah interrompt-elle le récit de la construction du Michkan et de ses ustensiles par le compte-rendu des montants des donations ? N’aurait-il pas été plus judicieux de donner ce compte une fois que tout le travail aurait été accompli, y compris les habits sacerdotaux, ou bien alors avant le début de tout l’ouvrage ? Pourquoi ce compte est-il donné au début de Pekoudé, au milieu, entre la fabrication du Michkan et de ses ustensiles et celle des habits des Cohanim ?

Cela est d’autant plus troublant que les donations offertes par le peuple étaient toutes destinées à toutes les parties du Michkan ainsi qu’aux habits sacerdotaux (sans lesquels les Cohanim n’auraient pu accomplir leur service dans le Michkan). Ainsi, une partie de l’or offert était utilisée pour la confection des habits des Cohanim, pour faire les fils d’or qui étaient tissés dans les habits etc.

Pourquoi donc le rapport de la somme totale des donations est-il donné au milieu du récit de l’ouvrage, après celui de la fabrication du Michkan et de ses ustensiles et avant celle des habits sacerdotaux, qui utilisait également ces dons ?

Une autre difficulté se présente : nous observons une différence entre le décompte de l’or et celui de l’argent et du cuivre. Lorsque la Torah donne le montant de l’argent et du cuivre, non seulement elle indique la somme totale d’or et d’argent donnés mais elle en détaille l’utilisation.

Par exemple, en ce qui concerne l’argent, elle nous dit que la somme totale collectée montait à 100 Talents et 1775 Chékels. Elle poursuit en expliquant que 100 Talents étaient utilisés pour les socles et le reste des 1775 Chékels pour les crochets, les pommeaux et les cerceaux.  Et de même pour le cuivre.

Cependant, en ce qui concerne l’or, ne nous est livré que le montant total de la donation (38 :24) : « le montant de l’or donné… est de 29 Talents et 730 Chékels ». Tout ce qui est dit est : « Tout l’or est utilisé pour le travail du Michkan » et rien d’autre. Pourquoi manque-t-il les détails de l’utilisation de l’or comme pour les deux autres matériaux ?

Moché Rabbénou donna aux Juifs un compte des matériaux (or, argent, cuivre) donnés pour le Michkan pour qu’ils sachent que tout était utilisé comme ils le désiraient en faisant ces dons. Bien sûr, nul n’ignorait la grandeur de Moché et personne ne l’aurait soupçonné d’utiliser les dons pour son intérêt personnel. Mais même un homme d’une telle stature doit rendre des comptes pour qu’il n’y ait aucune place pour le moindre soupçon.

Or la Torah dit (Chemot 28 :12) : « Approche de toi Aharon ton frère et ses fils… pour qu’ils puissent faire Mon service… Et tu feras des vêtements sacrés pour Aharon… ».

Rachi, sur les mots « Approche de toi » explique que cela signifie: « après que tu auras terminé l’œuvre du Michkan ». En d’autres termes, la fabrication des habits sacerdotaux destinés aux Cohanim ne devait se faire qu’après avoir achevé le Michkan et ses ustensiles.

C’est à cause de cet intervalle entre la fabrication du Michkan et de ses ustensiles et la confection des habits sacerdotaux que Moché ne pouvait attendre que les habits soient achevés pour donner les comptes. Pour ôter tout soupçon d’une mauvaise utilisation des donations, il fit ce compte-rendu à la première occasion qui se présenta, immédiatement après l’achèvement du Michkan et de ses ustensiles et n’attendit pas après l’achèvement des habits.

Mais Moché ne pouvait donner un compte détaillé de l’or car, à cette étape, les vêtements des Cohanim, pour lesquels on avait besoin d’or, n’avaient pas encore été confectionnés. Quant à l’argent et au cuivre, n’étant pas utilisés pour les vêtements, on pouvait déjà les décompter.

Par ailleurs, Moché ne pouvait se contenter d’évoquer l’argent et le cuivre, car ne pas mentionner l’or (le plus précieux des métaux) aurait pu éveiller un soupçon de détournement. Il se devait donc de donner un relevé général : « tout l’or est utilisé pour le Michkan », indiquant que ce qui avait déjà été utilisé et ce qui le serait pour les vêtements l’était exclusivement pour les raisons pour lesquelles il avait été donné.


 Qu’est-ce que la Matsa Chmoura ?

En hébreu, « Chmoura » signifie « gardée » et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.

Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmoura doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire vendredi soir 30 mars et samedi soir 31 mars 2018, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau du Séder. Chaque convive à la table du Séder mangera de la Matsa Chmoura. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.

Le Zohar appelle la Matsa Chmoura : l’aliment de la foi et l’aliment de la Guérison.

Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité.

(d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)


 Controverse dans le couple Schneerson

Après la guerre, les réfugiés arrivèrent petit à petit à Paris depuis la Pologne et même de la Russie. L’organisation américaine JOINT se porta alors à leur secours. Une trentaine de familles s’installèrent à l’Hôtel Moderne - Place de la République. Nous avons reçu deux chambres. Il n’y avait qu’une cuisine et qu’une salle d’eau pour ces trente familles ; nous tentions de nous entraider mais il est évident qu’il y eut des moments de tension.

En 1957, mon père avait trouvé du travail et nous avons pu quitter l’hôtel pour nous installer dans un appartement « luxueux », avec salle de bain et eau chaude ! Nous l’avions loué à Rav Schnéour Zalman Schneerson qui habitait dans la même maison :  C’était un homme extraordinaire qui se dévouait corps et âme pour les autres Juifs. Il donnait des cours de Torah en français, avec un fort accent russe, à des scientifiques, des docteurs et des étudiants ; il avait des relations haut placées mais il n’avait pas d’argent. Quand on lui demandait de prêter de l’argent, il en empruntait pour le prêter aux autres. 

On était quelques jours avant Pessa’h et j’étais rentré de la Yechiva. Vers 22 ou 23 heures, j’entendis Rav Zalman qui me demandait d’appeler mon père.

Mon père manifestait beaucoup de respect envers Rav Zalman qui, non seulement était un Rav de haut niveau mais, de plus, faisait partie de la famille du Rabbi. Mon père se rendit donc immédiatement auprès de Rav Zalman, sans manifester la moindre contrariété ou le moindre étonnement. Il pensait qu’il voulait emprunter de l’argent pour les dépenses de Pessa’h.

Je restai dans notre appartement mais, bien sûr, j’étais curieux de savoir ce qui se passait et je me glissai devant l’appartement des Schneerson pour écouter la conversation. Ma mère s’en aperçut et m’invita assez rudement à retourner au plus vite dans mon lit ! Quand mon père revint, j’étais déjà endormi et, au matin, je n’osai pas lui demander ce qui s’était passé.

Quelques années plus tard, nous nous sommes installés à New York et Rav Zalman aussi. Mon père lui rendait visite souvent et je me joignais à lui. Une fois, sur le chemin du retour, mon père me raconta ce qui s’était passé cette nuit-là. Quand mon père était entré dans le bureau du Rav, il y avait aussi son épouse, la Rabbanit Sarah Schneerson. Ce fut d’ailleurs elle qui entama la conversation :

- Reb Chaikel ! Je veux amener mon mari devant le tribunal rabbinique et je vous demande d’arbitrer entre nous !

Mon père protesta qu’il n’était pas Rav et n’avait aucun droit de trancher un différend. Mais elle insista : « Aussi bien mon mari que moi-même avons confiance en vos capacités ! ».

La « plaignante » s’exprima donc :

- Il ne reste que quelques jours avant Pessa’h et nous n’avons absolument rien ; ni Matsa, ni vin, ni viande, ni poisson. Aujourd’hui j’ai demandé de l’argent à mon mari et il m’a affirmé qu’il n’en avait pas. Or, j’ai vu de mes propres yeux que quelqu’un lui avait confié une enveloppe avec une grosse somme d’argent. Reb Chaikel, savez-vous ce qu’il en a fait ? Il l’a donnée à des gens qui n’avaient pas de quoi acheter à manger pour Pessa’h ! N’aurait-il pas pu en garder un peu pour nous ? Nous aussi, nous sommes pauvres !

Mon père sentit qu’elle avait raison mais il se devait d’écouter l’argument de « l’autre partie » ; il se tourna donc vers Rav Zalman qui expliqua :

- Un Juif riche, Reb ‘Haïm, devait obtenir un Héter Méa Rabanim (une clause de la loi juive qui permet à un homme d’épouser une seconde femme si la première est devenue folle et n’est donc pas en état d’accepter l’acte de divorce ; dans ce cas, le mari doit obtenir la permission écrite de 100 rabbanim pour contrevenir en toute légalité à l’interdiction plus que millénaire d’épouser deux femmes). La femme de ce Reb ‘Haïm avait survécu physiquement peut-être à la Shoah mais pas mentalement, au point qu’elle dut être internée dans un service psychiatrique. J’ai envoyé des lettres à une centaine de rabbins et cela m’a demandé énormément de temps et d’efforts à cause de la lenteur du courrier. Enfin, ce Roch Hodech Nissan, j’ai pu conclure l’affaire et faire écrire ce fameux Guett par un scribe spécialisé. Reb ‘Haïm se montra très reconnaissant pour les efforts que j’avais déployés, me remboursa toutes mes dépenses et m’offrit 5000 dollars (une véritable fortune à l’époque).

Alors que les dollars me réchauffaient le cœur et la poche, un ‘Hassid vint me trouver. Il a une famille nombreuse mais il n’a absolument pas de quoi subvenir aux dépenses de la fête et il n’avait d’autre choix que de m’en parler. Il éclata en sanglots, me supplia d’avoir pitié de lui.

Alors Reb Chaikel, que pouvais-je faire ? Dites-moi, qu’auriez-vous fait à ma place ? Je me suis mis à réfléchir : depuis que j’ai acquis le diplôme de Rav, je n’ai jamais eu dans les mains une telle somme ! N’est-ce pas que c’était justement pour pallier à une telle détresse que je l’avais reçue ? N’était-ce pas un signe d’En Haut que je devais aider cet homme à se remettre sur pied ? J’ai pris l’argent et je lui ai tout donné ! Jusqu’au dernier dollar !

Vous me demandez comment allons-nous manger à Pessa’h ? D.ieu va aider ! Au pire des cas, je suppose que quand vous, Reb Chaikel, vous commencerez la lecture de la Haggada en déclarant : « Que celui qui a faim vienne et mange ! », je monterai les escaliers avec ma femme jusqu’à votre appartement et vous ne nous chasserez sans doute pas… ».

Mon père conclut que, quand il entendit cet argument-massue, il ne sut quoi répondre. D’un côté, il admirait la réaction du Rav et la noblesse de son raisonnement ; d’un autre côté, n’est-il pas écrit qu’en matière de Tsedaka, la famille passe avant toute autre cause ? La Rabbanit Schneerson avait raison !

Puis il trancha :

- Moi Chaikel, j’accepte de donner à la Rabbanit l’argent dont elle a besoin pour les dépenses de la fête. Cependant, je le donne à la condition que le Rav partage avec moi le mérite de sa Mitsva de Azov Taazov Imo, « Aide ton prochain en cas de besoin ».

Rav Schneerson et mon père établirent un contrat en bonne et due forme et toutes les parties y trouvèrent leur compte.

Quand mon père me raconta cela, je ne l’en admirai que davantage.

(Le souvenir de Rav Zalman Schneerson (1898 - 1980) est béni par de nombreux rescapés de la Shoah qu’il aida matériellement et spirituellement dans toute la France.

Rapporté par Yerachmiel Tilles

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2018