Des racines et des hommes

Tou BiChevat, le 15 du mois de Chevat est parmi nous cette semaine et il soulève toujours la même question : cette date est qualifiée de « nouvel an des arbres » mais pourquoi la rappeler, même si elle est bien réelle, quand elle ne semble pas concerner, au moins directement, l’espèce humaine ? En quoi avons-nous rapport avec une célébration qui relève, au mieux, de l’ordre du végétal ? Pourtant, ce jour est bien marqué par les textes et la tradition très généralement établie d’y consommer des fruits. La réponse, comme souvent, tient en une partie de verset : « Car l’homme est un arbre des champs… » C’est certes là une proposition audacieuse. Au-delà de la préoccupation écologique avant la lettre, ce membre de phrase recèle une idée essentielle : il existe entre l’arbre et l’homme des points communs qui sont autant d’enseignements précieux.

De fait, l’arbre, solidement arrimé par ses racines à la terre nourricière, se développe harmonieusement jusqu’à produire des fruits qui, plus que simples aliments, apporteront à l’homme le sens du « plaisir » et du « délice ». N’obtient-on pas ainsi un premier portrait de l’être humain dont le développement spirituel, intellectuel et moral ne tient qu’à la robustesse de ses racines et à la qualité du sol où elles s’enfoncent ? Car existe-t-il un avenir pour les arbres sans passé ou pour les hommes à la trop courte mémoire ou aux racines incertaines ? Dans le même sens, l’arbre arrive à sa plénitude par les fruits qu’il produit et qui sont comme son couronnement. C’est ainsi que se déroule la vie de l’homme qui ne prend sa pleine signification que si, productrice d’avenir, elle est capable de transmettre, par ses fruits, à la génération suivante.

C’est dire que, comme l’arbre, l’homme est un être qui se cultive. Il est celui que les soins et l’attention perfectionnent, lui permettant d’exprimer l’infini de son potentiel. Et si tout commençait par l’éducation, la sienne propre, celle de ses enfants et de son entourage ? Une éducation, au sens le plus noble et le plus large du terme qui donne une vision du monde, la capacité de le comprendre, la volonté de l’améliorer et la conscience de mener l’œuvre à bien. En un temps où mondialisation veut trop souvent dire massification, l’arbre qui s’élance vers le ciel est décidément une image indispensable.


 Plus grand que Moïse

Machia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Au début du texte de la Torah (Gen. 1 : 2), il est dit : « Et l’esprit de D.ieu planait… ». A ce sujet, Les Sages enseignent (Berechit Rabba 2 : 4) : « Ceci fait allusion à l’esprit de Machia’h ». Puis le verset continue : « …sur la face des eaux » ; ceci dénote un degré plus élevé que celui de Moïse qui reçut ce nom car « je t’ai tiré des eaux ».

C’est la raison pour laquelle cet exil est si long – pour que ce niveau si élevé soit enfin atteint.

(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchiot, p.237)


 Yitro

Le beau-père de Moché, Yitro, entend parler des miracles extraordinaires qu’a accomplis D.ieu pour le Peuple d’Israël. Il se rend de Midian au camp d’Israël, accompagné de la femme de Moché et de leurs deux fils. Yitro conseille à Moché de désigner une hiérarchie constituée de magistrats et de juges pour l’aider dans sa tâche de gouvernance et de législateur du peuple.

Les Enfants d’Israël établissent leur campement face au mont Sinaï où il leur est dit que D.ieu les a choisis pour être Son « royaume de prêtres » et « une nation sainte ». Le peuple répond en proclamant : « Tout ce que D.ieu a dit, nous le ferons ».

Le sixième jour du troisième mois (Sivan), sept semaines après l’Exode, la nation d’Israël, dans son intégralité, s’assemble au pied du mont Sinaï. D.ieu descend sur la montagne dans le tonnerre, les éclairs, des tourbillons de fumée et le son du Chofar. Il commande à Moché de monter.

D.ieu proclame les Dix Commandements, enjoignant le Peuple d’Israël de croire en D.ieu, de ne pas servir d’idoles ou de prononcer le Nom de D.ieu en vain, de garder le Chabbat, d’honorer les parents, de ne pas tuer, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas voler et de ne pas porter de faux témoignages ni de jalouser la maison d’autrui.

Le peuple se tourne vers Moché en criant que la révélation est trop intense pour qu’ils puissent la supporter, le suppliant de recevoir, lui, la Torah de D.ieu et de la leur transmettre.

Les Dix Commandements commencent par « Je suis l’Eternel ton D.ieu qui t’a fait sortir d’Egypte ». Les Sages demandent : « Pourquoi n’est-il pas dit : ‘Qui a créé le ciel et la terre’ » ?

Il semblerait que la Création de toute existence à partir du néant absolu est un miracle beaucoup plus impressionnant ! Après tout, que l’existence soit créée à partir de rien, pas même d’un vide, mais d’un néant total, qu’elle soit transformée en une réalité, dépasse totalement notre compréhension. En fait, la Création est quelque chose d’exclusivement divin, totalement inaccessible au potentiel humain. Dans cette perspective, pourquoi n’est-elle pas mentionnée dans les Dix Commandements ?

Plusieurs réponses sont apportées à cette problématique. Attardons-nous sur certaines.

Lors de la Création, D.ieu fit un monde à partir du néant. Cela implique un changement d’une forme à une autre. Quand D.ieu sortit les Juifs d’Egypte, avec des miracles et des merveilles, Il ne changea pourtant pas la forme mais accomplit des miracles en son sein. Les Juifs quittèrent l’Egypte en tant qu’âmes renfermées dans un corps physique. Ils constituaient une nation faite de familles : maris, femmes et enfants. Et ils transportaient de grandes richesses. Ainsi, le monde tel qu’il existait précédemment continuait à exister et pourtant, son modèle naturel était supplanté par un modèle miraculeux. Cela, la combinaison du naturel et du surnaturel, représente la fusion de contraires, ce qui, en soi, est un miracle encore plus grand que celui de créer une réalité nouvelle.

Cela va encore plus loin. Cela souligne également le but du Don de la Torah. Car le dessein ultime de la Torah est de combiner le matériel et le spirituel et non d’accorder la préséance à l’un des deux.

En d’autres termes, la Torah ne nous demande pas d’abandonner la matérialité pour vivre une existence spirituelle d’ascèse. Elle ne désire pas non plus que l’homme s’investisse en priorité dans une existence matérielle. Il s’agit plutôt de fusionner les deux aspects, de façon harmonieuse.

Voyons une autre perspective.

La Création est un acte englobant qui implique l’existence dans sa totalité. Mais pour le peuple qui se tenait au pied du Mont Sinaï, c’était quelque chose de bien lointain et de très impersonnel. Par contre, la sortie d’Egypte leur était très réelle, au niveau individuel. Car sans elle, ils auraient toujours été esclaves. La libération leur apprit comment leur relation avec D.ieu affecte leur vie dans l’ici et le maintenant. Ils ne ressentaient pas la présence d’un Créateur lointain mais étaient conscients de la présence d’un D.ieu Qui Se soucie d’eux et S’en occupe.

Même dans les générations suivantes, pour qui la sortie d’Egypte est aussi un événement historique et non personnel, il s’agit toujours de D.ieu Qui prend soin de nos ancêtres. Il s’implique pour l’homme et n’est pas un simple « Observateur », loin de notre vie.

Enfin étudions un dernier point de vue.

La relation entre l’homme et D.ieu se fait « mesure pour mesure ». Si les Dix Commandements soulignaient la présence de D.ieu comme le Créateur de la nature, cela impliquerait que son service peut également se confiner dans nos limites naturelles, dans ce qui nous est facile. Rappeler la sortie d’Egypte indique que notre engagement pour Lui doit transcender ces limites et même toutes les limites. Tout comme celle-ci relève d’un modèle d’une Providence Divine qui se situe au-delà de toute conception rationnelle, ainsi devons-nous témoigner d’un engagement illimité et d’une volonté de Le servir de toutes les manières possibles.

Perspectives

La révélation au Sinaï représente une plaque tournante dans l’histoire spirituelle du monde. Quand D.ieu descendit sur la montagne, la nature du monde changea. Comme le déclare le Midrach, à ce moment, D.ieu dit : « Je suis venu dans Mon jardin ». La Divinité revint dans le monde et le monde devint Son jardin, le lieu où Il S’épanouit et dont Il tire plaisir et satisfaction.

En fait, immédiatement après, le peuple pécha. Il fabriqua un veau d’or et, par là, ne permit pas à la Divinité de Se révéler dans un cadre de référence matériel quotidien. Cependant, le lien essentiel, la connexion fondamentale entre D.ieu et le monde resta intacte. Le problème est qu’à la révélation sur le mont Sinaï, cette relation était ouverte et transparente. L’humanité était à même d’appréhender la Divinité. Après le veau d’or, Il fut caché de la conscience humaine et le défi d’engager une relation avec Lui devint la responsabilité et la mission de l’homme.

Mais c’est précisément là que réside l’avantage de cette phase de notre existence. D.ieu attend que l’homme fasse de Lui une partie de sa vie et tout dépend de l’homme. D’En Haut, ne survient aucune restriction. Si nous le désirons réellement, nous pouvons faire participer D.ieu à notre vie et faire de l’époque de Machia’h une réalité tangible.


 Qu’est-ce que Tou BiChevat ?

Mercredi 31 janvier 2018, c’est Tou BiChevat, le Roch Hachana, le nouvel an des arbres.

On ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplications).

Mardi soir 30 janvier et mercredi 31 janvier, on consomme de nombreux fruits, en particulier ceux qui représentent la fierté de la Terre Sainte, qui sont cités dans le verset de la Torah : « blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte ». On s’efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux qu’on n’a pas encore consommés cette année. On veillera à réciter les bénédictions adéquates avant et après manger. On profitera de cette belle occasion pour organiser des réunions joyeuses et productives sur le plan des bonnes résolutions.

On aura soin de prélever les différentes dîmes (Terouma et Maassère) sur les fruits provenant d’Israël.

La Torah compare l’homme à un arbre des champs : lui aussi est supposé produire des fruits, c’est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc…, de même nos Mitsvot entraînent d’autres Mitsvot, encouragent d’autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s’enraciner dans un sol riche d’étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C’est ainsi que le peuple juif se perpétue, se développe et produira d’autres fruits.

A Tou BiChevat, nous mangeons des fruits, nous « produisons » des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.


 Gouvernante et cousine

Une belle journée ensoleillée en Floride. Le docteur Schild et son épouse étaient assis confortablement sur leurs chaises longues, appréciant la brise légère et le spectacle de la nature en fleurs. Les arbres fruitiers qui abondaient dans leur jardin répandaient toutes sortes d’arômes alentour : citronniers, orangers, palmiers… les mangues étaient mûres, les fleurs jaillissaient de toutes parts dans une multitude de couleurs. C’était un plaisir immense que de jouir de l’ombre dans ce climat et cet environnement enchanteur. Le docteur Schild avait investi beaucoup d’argent aussi bien dans la décoration de sa maison que dans l’agencement de son jardin. L’argent n’était pas un problème pour lui.

- Les valises sont-elles prêtes ? As-tu prévu un chauffeur pour t’amener à l’aéroport ? demanda Mme Schild.

- Bien sûr ! Tout a été commandé la semaine dernière ! Je suis si heureux d’aller à New York. Ainsi j’aurai la possibilité de rendre visite au Rabbi Schneerson !

- J’ai une idée ! s’exclama Mme Schild. Tu pourrais lui apporter une belle corbeille garnie des fruits de notre verger. Cela constituera pour Pourim un Michloa’h Manot fait maison et sans problème de cacherout !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle chercha une grande corbeille qu’elle remplit des plus beaux spécimens de leur jardin et le décora de fleurs.

- C’est magnifique ! admira Dr Schild en souriant. Voici encore un de tes multiples talents que j’ignorais !

- Peut-être le Rabbi et la Rabbanite accepteront-ils de venir passer des vacances chez nous ? Nous pouvons les héberger au premier étage, avec une entrée séparée : cet appartement est bien aménagé et totalement indépendant. Ils pourront apprécier le climat ensoleillé de la Floride, si bénéfique en hiver pour les New Yorkais. N’oublie pas de le proposer au Rabbi ou à son épouse quand tu iras leur apporter le panier de fruits !

Le docteur Schild était absolument enchanté de cette proposition. Certainement, le Rabbi et son épouse seraient contents de prendre un peu de repos dans un environnement aussi paradisiaque !

L’avion atterrit à New York. Le chauffeur de taxi amena le voyageur à destination, directement devant la maison du Rabbi à Brooklyn, sur President Street. Le docteur sortit du véhicule en tenant soigneusement le panier qu’il avait emballé avec soin et sur lequel il avait veillé durant tout le voyage.

Il sonna à la porte, le cœur battant. Une dame élégante lui ouvrit. Le docteur lui tendit la corbeille de fruits en déclarant : « C’est un Michloa’h Manot pour le Rabbi et son épouse, de la part du docteur Schild de Floride. Pouvez-vous le leur remettre ? ».

La dame prit la corbeille et lui demanda d’attendre quelques minutes puis elle réapparut et lui tendit un billet de cinq dollars en guise de pourboire.

- Je vous remercie mais je n’ai pas besoin de pourboire ! protesta gentiment le visiteur. Je suis le docteur Schild !

- Oh ! Excusez-moi ! Si vous êtes le docteur Schild, entrez donc je vous prie !

- Qui êtes-vous ? s’enquit-il.

- Je suis la gouvernante et la cousine du Rabbi, répondit la dame d’un ton très naturel.

Le docteur était impressionné par cet accueil chaleureux et, silencieusement, admirait la finesse et la noblesse de la gouvernante. Il était heureux que la personne en charge de la maison du Rabbi soit aussi digne de sa fonction.

Il entra dans le salon et raconta à la gouvernante combien il aimerait proposer au Rabbi et à son épouse de prendre quelques vacances au soleil de la Floride, de profiter de son jardin luxuriant pour reprendre des forces. Le Rabbi et la Rabbanite jouiraient d’une indépendance parfaite et nul ne viendrait les déranger. Le docteur conclut son exposé enthousiaste : « Nous serions si honorés que le Rabbi et la Rabbanite acceptent notre invitation ! Pourriez-vous leur transmettre ce message ? »

La dame l’avait écouté avec attention et affirma : « Je répéterai exactement ce que vous avez proposé ».

Le médecin resta encore quelques minutes ; la gouvernante mettait tout en œuvre pour qu’il se sente à l’aise et, quand il quitta la maison, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait vraiment passé un moment très enrichissant : « C’est une dame très raffinée, je suis heureux que le Rabbi et son épouse soient entre de si bonnes mains ! Leur maison est certainement un havre de paix et de sérénité dans ces conditions ! ».

Il marchait sur President Street, plongé dans ses pensées. En chemin, il rencontra un homme habillé à la façon des ‘Hassidim et, sans le connaître mais encore sous le charme de cet accueil si chaleureux, le médecin l’arrêta pour communiquer ses sentiments avec le premier venu si on peut dire :

- Je sors justement de la maison du Rabbi ! J’y ai été reçu par une dame si intelligente qui semble si dévouée et si efficace ! Je suis si heureux de constater que le Rabbi et son épouse soient entourés d’une dame à la personnalité si digne d’eux !

Le ‘Hassid était surpris. Il n’avait jamais entendu parler d’une dame au service du Rabbi et de la Rabbanite : « Je vous en prie : décrivez-moi la personne en question ».

Le médecin raconta ce qu’il avait remarqué de si extraordinaire chez cette « gouvernante » et, tout-à-coup, le ‘Hassid sursauta : « Ce n’était pas une simple gouvernante ! La dame que vous me décrivez était la Rabbanite ! Comment avez-vous pu vous méprendre à ce point ? ».

Sidéré, le médecin protesta :

- Pourquoi me méprendre ? C’est elle-même qui m’a affirmé cela. Quand je lui ai demandé qui elle était, elle a répondu qu’elle était la personne en charge de la maison et qu’elle était une cousine du Rabbi ! Je n’avais pas de raison de mettre sa parole en doute !

- La Rabbanite n’a dit que la stricte vérité, sourit le ‘Hassid. Elle s’occupe de la maison comme toute femme juive : la cuisine, le ménage, la bonne marche de la maison… Et il est vrai qu’elle est aussi une cousine du Rabbi puisqu’ils sont les descendants du même arrière-arrière-grand-père, le Rabbi Tsema’h Tsedek !

Tout médecin qu’il fût, il fallut au docteur Schild un bon moment pour se remettre du choc : il avait pu lui-même constater combien la Rabbanite était vraiment une personne très spéciale : simple, humble, modeste mais raffinée et chaleureuse, sachant mettre à l’aise ses visiteurs et prenant soin de faciliter au maximum l’existence du Rabbi. Elle n’avait pas jugé nécessaire de se mettre en avant et d’annoncer qui elle était quand ce n’était pas nécessaire.

Ne’hama Bar

Extrait d’un discours prononcé

en l’honneur de la Hilloula

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 Une action sans relâchement

Le temps passe, les mois s’envolent sans qu’aucune interruption puisse marquer leur cours. Pourtant, certains jours demeurent. Ils sont comme des fermes points d’ancrage dans l’éphémère des choses. Sur eux, il est possible de construire une vie… ou un monde.

C’était le 10 Chevat, il y a 68 ans. La nouvelle avait retenti avec la puissance des événements qui bouleversent toute existence paisible: Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi, avait quitté ce monde. Au-delà du caractère dramatique de cette nouvelle, chacun savait que l’action de Rabbi Yossef Its’hak avait radicalement changé le cours des choses. L’éducation juive avait retrouvé sa vigueur et, en ces temps de détresse, encore si proches de la guerre qui avait anéanti tant de Juifs, le judaïsme paraissait renaître. Mais tout cela paraissait peut-être encore si fragile…

En ce 10 Chevat, l’action entreprise ne pouvait s’interrompre. Chacun ressentait que s’ouvrait une nouvelle époque pour poursuivre, approfondir et élargir cette oeuvre. Le Rabbi allait en être la continuation. De fait, dès qu’il accepta la charge qui lui était confiée, les domaines d’intervention se multiplièrent. Aucun Juif ne devait être laissé à l’écart de l’héritage du judaïsme. Il en allait de la responsabilité de tous. Commença alors le temps des grandes avancées. D’enseignements profonds en demandes d’action, de campagnes de Mitsvot en messages adressés à tous, le Rabbi prit la tête de nouveaux développements.

Avec un recul de 68 années, chacun mesure l’ampleur des changements. A une judaïté qui s’interrogeait sur son devenir a succédé un judaïsme conscient de l’importance du message qu’il porte. A une culture juive en déshérence a succédé une connaissance mise à la portée de tous. Sans doute est-ce un signe des temps, et la traduction concrète de ce long effort, que les cours de Torah se soient multipliés et que le nombre des traductions en français ne cesse de grandir.

Il importe de prendre conscience que nous sommes les héritiers de ce dynamisme et que, de ce fait, nous devons être les porteurs de cet enthousiasme. Certes, beaucoup reste encore à accomplir et l’action entreprise ne saurait souffrir aucun relâchement. Cependant, nous savons que devant nous continue le chemin qui nous fut indiqué dès le 10 Chevat. Au travers de toutes les tempêtes, il nous appartient, très simplement, de le poursuivre. Chacun porte en tête et en cœur le but à atteindre – et nous savons qu’il est à portée. La tradition lui a, de toujours, donné un nom: la venue de Machia’h.


 La valeur d’un homme simple

Dans la tradition juive, l’étude de la Torah est sans doute la valeur suprême, à telle enseigne que l’érudition est considérée comme une marque évidente d’élévation spirituelle. Cette idée, d’une légitimité incontournable, ne doit toutefois pas faire oublier la valeur de l’homme simple, de celui qui s’attache à D.ieu de tout son cœur avec la plus absolue sincérité.

A ce sujet, le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, dit un jour que le Machia’h se réjouirait dans la compagnie de ces Juifs simples. Alors, précisa-t-il, une pièce leur sera réservée et les plus brillants érudits les envieront. Ainsi apparaîtra la vraie grandeur de ces Juifs qui servent D.ieu à l’infini.

(d’après une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch,

Iguerot Kodech, vol. IV, p. 148)


 Bechala’h

La Paracha Bechala’h comprend de nombreux événements majeurs : les premières étapes de l’Exode, l’ouverture miraculeuse de la Mer Rouge et les révélations divines qui s’y produisirent, le chant de louange que les Juifs adressèrent à D.ieu, le don de la manne et des cailles et enfin, la bataille victorieuse contre Amalek.

Et pourtant elle n’est pas nommée d’après l’un de ces événements, mais Bechala’h « quand [Pharaon] renvoya [le peuple] ». Il est donc évident que le choix de ce nom se justifie par le fait qu’il englobe et transcende tous les événements de la Paracha.

Par ailleurs, le mot Bechala’h semble impliquer que les Juifs n’étaient pas désireux de quitter l’Egypte et qu’ils durent y être forcés. Il est difficile d’imaginer que cette idée puisse être le thème sous-jacent et unificateur de la Paracha. Il semble plutôt constituer un commentaire négatif et désobligeant sur l’état du Peuple Juif à ce moment.

Si nous réfléchissons, il semble très étrange que le Pharaon dût renvoyer le peuple. Pourquoi un seul Juif n’aurait-il pas voulu quitter l’Egypte ? L’Egypte était une dictature terrible qui soumettait les Juifs à un esclavage oppressif. Moché avait promis aux Juifs que leur exode les mènerait au summum de la spiritualité, qu’ils seraient choisis par D.ieu comme Sa nation et qu’ils recevraient la Torah sur le Mont Sinaï. Et cela serait les prémisses de leur entrée en Terre Promise. Qui n’aurait pas sauté sur une telle opportunité ? Il est vrai qu’un nombre significatif de Juifs avait affirmé ne pas vouloir s’en aller mais nous savons que tous ces Juifs étaient morts durant la plaie de l’obscurité. Ainsi ceux qui allaient être libérés en étaient tous désireux. Pourquoi donc Pharaon dut-il les « renvoyer » ?

La réponse est qu’il existait deux dimensions dans le désir des Juifs de quitter l’Egypte. D’une part, ils avaient hâte de fuir l’oppression et de devenir le peuple choisi au Mont Sinaï. Ce désir, aussi fort et sincère qu’il fut, était simplement la conséquence directe de leur situation et de l’opportunité qui se présentait à eux. C’était un désir rationnel, essentiellement dicté par la logique, un désir à propos duquel ils n’avaient virtuellement aucun choix.

Mais au moment même où ils furent libérés, ils ressentirent un désir différent pour partir. A la minute même où ils purent respirer l’air frais de la liberté, ils furent frappés par le contraste profond entre leur esclavage à l’idolâtrie du matérialisme égyptien et la liberté offerte par la vie divine. L’intensité de leur volonté de partir immédiatement s’éleva bien au-dessus de ce qui avait été leur désir dicté par la logique. Leur fuite d’Egypte prit soudain une dimension supra rationnelle, devint une nécessité absolue. Leur premier désir paraissait alors, en comparaison, forcé et imposé.

Ce contraste est souligné par l’utilisation du mot Bechala’h. Ce nom nous rappelle qu’aussi intensément et sincèrement que nous ayons aspiré à la liberté pour accomplir notre destinée divine durant toutes les années d’oppression, notre désir de partir est comparable au fait d’être renvoyé par rapport à l’aspiration à la liberté que nous ressentîmes une fois que les chaînes de l’esclavage furent brisées.

Dans ce contexte, tous les événements miraculeux de cette Paracha peuvent effectivement être considérés comme subordonnés à la teneur générale exprimée par le mot Bechala’h , car une fois que les Juifs entamèrent une relation avec D.ieu à un niveau qui dépasse la logique, D.ieu passait à l’étape de transcender les lois de la nature dans Sa relation avec eux. C’est précisément cette ascension à une relation supra rationnelle avec D.ieu qui donna l’élan spirituel pour tous les événements miraculeux que l’on voit se produire dans le récit de la Paracha.

La réalité de cette dynamique s’applique à nous, aujourd’hui. Il est certainement recommandé d’aider autrui à sortir de son « Egypte » personnelle, des limites qui l’empêchent d’expérimenter pleinement la vie que D.ieu recommande et de remplir sa mission divine. D.ieu récompensera tous ceux qui aident leurs prochains à aller vers leur rédemption personnelle de quelle que soit l’ « Egypte » dont il s’agit.

Mais parfois, nous rencontrons quelqu’un qui ne possède aucun désir conscient d’être libéré. Il est tellement retranché dans la matérialité de la vie qu’il n’est pas conscient qu’il existe quelque chose de meilleur. Dans un tel cas, notre travail consiste d’abord et avant tout à créer en lui le désir d’être libre. La récompense de D.ieu est alors proportionnelle à l’accomplissement : tout comme nous avons créé un désir là où il n’y en avait pas, Il transforme notre volonté en désir si intense qu’il reste sans comparaison avec ce que nous ressentions auparavant.

Le mot Bechala’h évoque également ce que les Juifs accomplirent durant ce processus. Comme nous l’avons déjà vu, chaque action que nous entreprenons a une réaction concomitante dans le monde spirituel. Ici, quand le désir d’un Juif pour la liberté Divine devient si intense que tout ce qu’il ressentait auparavant paraît forcé, cela suscite une réaction violente dans le monde en général. La transition radicale de l’obscurité de l’exil à la lumière de la rédemption eut pour effet que Pharaon lui-même changea : de la personnification du mal, il devint une force de la sainteté. Le même Pharaon qui avait auparavant grossièrement proclamé : « Qui est D.ieu pour que je tienne compte de Sa parole et renvoie les Juifs de mon pays ? » était totalement transformé : non seulement il les laissa partir mais il les aida à le faire.

La leçon s’applique également aujourd’hui. Une conception de D.ieu et une relation avec Lui entièrement basées sur la raison sont limitées dans leur intensité. Il nous faut aller au-delà des limites de la raison et atteindre une appréhension de D.ieu qui nous dépasse. Ainsi, devient-il possible de transformer même « Pharaon », nos caractéristiques les plus matérialistes et cyniques, en un être conscient de la présence de D.ieu. Quand nous observons que les forces de la nature, qui constituent les obstacles les plus insurmontables dans l’accomplissement de notre mission divine, sont transformées en forces qui nous aident, quand comme Pharaon, elles nous « renvoient » par force d’Egypte, nous savons que nous avons atteint notre but.

Quand Pharaon « renvoya le peuple », il lui permit d’entamer la première étape qui allait le conduire au Don de la Torah et à entrer en Terre d’Israël. Il en va de même pour nous : en élevant notre relation avec D.ieu à un niveau qui va au-delà de la logique et en transformant la grossièreté de la réalité matérielle en une force active pour la sainteté, nous hâtons la venue de la Rédemption Messianique et les nouvelles révélations de la Torah qui transformeront, en dernier ressort, ce monde en une véritable Demeure pour D.ieu.


 Quelques précautions à prendre à table pour séparer le lait de la viande

La Torah interdit par trois fois de cuire la viande dans le lait : « Tu ne cuiras pas le chevreau dans le lait de sa mère » (Chemot – Exode 23 : 19 ; Chemot 34 : 26 et Devarim - Deutéronome 14 : 21). Les Sages ont déduit de cette triple répétition qu’il était aussi interdit de manger et même de tirer profit de toute viande cuite dans du lait.

De plus, ils ont institué qu’on évite soigneusement toute possibilité de contact entre les aliments Bassari (mélangés avec la viande) et les aliments ‘Halavi (mélangés avec du lait). Il est donc nécessaire de prévoir des vaisselles différentes pour ces deux sortes de nourriture. Il est aussi plus pratique de disposer vraiment de tous les accessoires de cuisine en double et telle est la coutume dans tous les foyers juifs.

Ainsi, on dispose de deux salières – de peur que des miettes de l’un ou l’autre aliment s’y soient introduites et aussi de peur qu’on les ait touchées avec des mains imprégnées de l’un ou l’autre aliment. De plus, si on verse du sel (sucre etc.) dans un aliment bouillant, la vapeur chaude est susceptible de véhiculer le goût de l’aliment au sel. On aura aussi deux sucriers, deux ketchups, moutardes, mayonnaises etc.

Le pain resté sur la table de lait ne sera pas consommé avec un repas de viande et vice-versa – sauf si on a veillé soigneusement à le garder propre – ce qui est pratiquement impossible s’il y a de jeunes enfants (ou des convives peu scrupuleux) à table.

(d’après Rav ‘Haïm Hillel Raskin - COLlive)


 Une affaire à risques

En 1974, le Nicaragua peinait à se remettre d’un violent tremblement de terre qui avait causé la mort de centaines de victimes ; nombre de rescapés avaient tout perdu, surtout leurs maisons.

Un avocat américain, Jeffrey Kimball contacta Guillermo Sevilla Sacasa, l’ambassadeur du Nicaragua aux États-Unis. Celui-ci était aussi le beau-frère du Président de l’Etat, Anastasio Somoza Debayle. Il lui proposa un plan de construction pour des habitations à prix modéré et rapidement disponibles. L’idée plut à l’ambassadeur.

Mais il restait un obstacle : ce projet audacieux nécessitait l’approbation d’un prêt par la banque. Celle-ci exigeait que Kimball lui-même se porte garant sur ses fonds propres. Il y avait de quoi hésiter : engager tous ses biens dans une telle affaire signifiait qu’il risquait de perdre toute sa fortune, y compris sa propre maison…

Depuis quelques années, Me Kimball avait développé un contact avec le Rabbi et, pour une décision aussi cruciale, il ressentait qu’il devait prendre conseil auprès du Rabbi. D’ailleurs il avait quelque chose de très important à annoncer aussi au Rabbi : sa femme était enceinte.

Le Rabbi donna sa bénédiction pour la naissance à venir puis évoqua les conditions imposées par la banque : « Il est clair que les conditions générales relatives à un problème… sont de nature à changer de temps en temps… Comme vous l’écrivez, c’est aussi la raison du problème du financement. De toute manière, il semble que la prochaine étape ne dépende pas de vous… ».

(Puisque Me ne souhaitait pas engager sa signature pour le prêt, il ne pourrait pas contrôler l’affaire).

Le Rabbi continuait en précisant que, bien que Me Kimball ne puisse pas modifier la décision de la banque, il pouvait acquérir une certaine clairvoyance en se renforçant dans le domaine spirituel : « Même si cela peut paraître mystique, cela a été constaté par expérience et s’est prouvé très utile sur le plan pratique : quand un Juif renforce son lien avec la Source de la Sagesse qui est D.ieu, il y gagne lui-même en sagesse et comprend mieux aussi les affaires concrètes. Cela l’aide à prendre les bonnes décisions, que ce soit dans les affaires ou d’autres domaines ».

Puis le Rabbi glissait une allusion à la profession de Me Kimball : « Dans un procès, le meilleur argument et celui qui a le plus de poids est celui qui peut être rapproché d’un cas précédent qui a fait jurisprudence. Dans ce cas, il n’est même plus nécessaire d’argumenter puisque le jugement précédent parle de lui-même ».

Le Rabbi écrivait que par « cas précédent », il signifiait son expérience avec d’autres personnes : celles-ci s’étaient renforcées dans leur attachement aux Mitsvot et avaient constaté des résultats positifs.

Dans un post-scriptum, le Rabbi répétait ce qu’il avait déjà écrit à d’autres correspondants : quand des risques trop importants sont impliqués dans une affaire, cela n’en vaut pas la peine. « A propos de votre projet au Nicaragua en général, au vu de la situation économique et politique, il ne semble pas intéressant et réaliste d’y investir pour le moment ».

Le Rabbi était certainement au courant des efforts de prêtres locaux ainsi que d’organisations étrangères pour faire condamner les violations des droits de l’homme par le gouvernement Somoza qui se trouverait donc en difficulté et risquait des sanctions internationales.

Quelques jours auparavant, des guérilleros affiliés aux partis d’opposition avaient fait irruption lors d’une réception chez le ministre de l’agriculture et avaient emmené des otages ; entre autres des officiers de haut rang et des proches du président Somoza.

Cela aurait pu sembler n’être qu’une péripétie mais le Rabbi avait vu juste : le gouvernement risquait d’être renversé d’un jour à l’autre…

Me Kimball comprit le conseil du Rabbi et refusa de signer malgré toutes les promesses de bénéfices qu’on lui faisait miroiter. Bien lui en prit car, dans les années qui suivirent, le Nicaragua fut secoué par d’autres remous, politiques cette fois-ci. Le régime du président Somoza s’effondra définitivement en 1979, laissant le pays noyé dans un chaos total et, évidemment, incapable de rembourser ses dettes.

Rav David Zaklikowski - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 A l’entrée du chemin

Début du mois de Chevat, cette semaine. Ce commencement renvoie ici à un événement qui ne laissa pas le monde inchangé. « Le premier jour du dixième mois » – celui de Chevat – « Moïse entreprit d’expliquer la Torah » annonce le texte, et les commentateurs de préciser : « Il la traduisit dans les soixante-dix langues. » Ainsi, en ce 1er Chevat, Moïse réalisa une œuvre gigantesque : la traduction orale de la Torah dans toutes les langues des peuples. C’est certes une idée impressionnante : l’homme qui parla à D.ieu, qui reçut le Texte directement de Lui, l’enseigne ainsi. Pourtant, comment ne pas s’interroger sur le but et l’utilité de cet effort ?  Moïse parlait devant les Hébreux, aucun représentant d’un autre peuple n’était alors présent. L’enseignement multilingue paraît, dès lors, bien superflu. Mais l’histoire est bien là et, elle éclaire notre chemin.

De fait, c’est bien du texte de la Torah qu’il s’agit ici, c’est-à-dire de la Sagesse de D.ieu révélée aux hommes – cette Sagesse Divine que Maïmonide identifie à Son essence même. Le langage outil d’une telle révélation devrait lui être adapté. Ce n’est évidemment pas en vain que l’hébreu est dénommé « langue sainte ». Loin d’être une langue rendue nécessaire par le développement de la société des hommes, il est au fondement des choses : à la fois langue du Créateur et socle de la création. C’est dire que l’étude de la Torah en hébreu fait véritablement sens : dire la Sagesse dans les mots du Saint. Mais qu’en est-il lorsqu’au fil des temps l’étude se décline sous toutes les latitudes, devant des horizons si dissemblables, pour des hommes aux cadres de vie si divers et aux langues si éloignées ? Car le langage n’est pas qu’un moyen ingénieux de communication, il est le mode de description du monde et ce qu’il porte en colore la vision. Utiliser les langages des hommes pour l’étude du Texte pourrait alors poser problème. N’est-ce pas l’absolu Divin qui serait remis en cause ?

Moïse enseigne donc dans toutes les langues, ouvrant l’accès au spirituel à tous dans tous les langages qui seront utilisés. C’est pourquoi ce jour est d’une richesse particulière. D’une certaine façon, c’est par lui que nous vivons aujourd’hui dans tous les pays où nous demeurons. Par l’étude, la Divinité peut y être sensible à chacun. L’unité qui est réalisée alors entre l’homme qui étudie et le Créateur qui donne Sa sagesse n’est comparable à aucune autre tant elle est puissante et pérenne. Ce domaine n’est pas touché par le changement, son absolu le rend immuable. Il nous appartient, ici et maintenant, de nous en saisir.


 Le temps de la préparation

Le Talmud enseigne que le Machia’h viendra au moment où « on n’y pensera pas ». Pourtant, nous observons qu’attendre sa venue fait partie des principes essentiels du judaïsme définis par Maïmonide. Aussi, diverses explications ont été données sur le sens de l’expression. Voici l’une d’entre elles :

La préparation à la venue de Machia’h doit être accomplie pendant le temps de l’exil qui est, justement, une sorte de « on n’y pensera pas » par rapport à la Délivrance. Lorsque l’on éclaire l’endroit le plus sombre, où l’idée même de Délivrance est absente des esprits, qui constitue l’opposé même de la lumière de Machia’h, alors celui-ci arrive.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch,

Chabbat Parchat Ekev 5713)


 Bo

Les trois dernières plaies accablent l’Egypte : une armée de sauterelles dévore les cultures et la végétation ; une obscurité épaisse, palpable enveloppe le pays et tous les premiers-nés de l’Egypte sont tués aux environs de minuit, le 15 du mois de Nissan.

D.ieu ordonne la première Mitsva au Peuple d’Israël : celle d’établir un calendrier basé sur le renouvellement de la lune. Les Hébreux sont également enjoints d’apporter une « offrande pascale » à D.ieu : un agneau ou un chevreau doit être abattu et son sang aspergé sur les jambages ou les linteaux de chaque demeure des Hébreux, pour que D.ieu « passe par-dessus » ces foyers quand Il viendra tuer les premiers-nés égyptiens. La viande rôtie de l’offrande sera consommée en cette nuit avec la Matsa (pain non levé) et les herbes amères.

La mort des premiers-nés finit par briser la résistance du Pharaon et il renvoie littéralement les Enfants d’Israël de sa terre. Ils doivent s’en aller dans une telle hâte que leur pâte n’a pas le temps de lever et les seules provisions qu’ils emportent sont ce pain non levé. Avant de partir, ils demandent à leurs voisins égyptiens de leur remettre de l’or, de l’argent et des vêtements, réalisant ainsi la promesse faite à Avraham que ses descendants quitteraient l’Egypte avec de grandes richesses.

Les Enfants d’Israël reçoivent le commandement de consacrer tous les premiers-nés et de célébrer chaque année l’anniversaire de la sortie d’Egypte, en se débarrassant de tout le levain en leur possession pendant sept jours et de raconter leur libération à leurs enfants. Ils sont également enjoints de mettre les Tefiline sur le bras et la tête en souvenir de cet événement et de leur engagement envers D.ieu.

 

La Paracha de Bo relate les étapes finales de l’exil égyptien et la libération du Peuple juif. Dans ces étapes finales, l’accent est étonnamment mis sur la nécessité pour le Peuple juif d’emporter avec lui, lors de son départ de l’Egypte, les richesses égyptiennes. Nos Sages expliquent que l’une des fonctions de la neuvième plaie qui s’abattit sur l’Egypte, la plaie de l’obscurité, était de permettre aux Juifs d’entrer subrepticement dans les maisons égyptiennes et de voir où ils enfermaient leurs objets de valeur. Ainsi, au moment du départ, ils pourraient les leur réclamer.

Une nouvelle fois, juste avant la dixième plaie, la mort des premiers-nés, D.ieu enjoint Moché de rappeler au Peuple juif de prendre possession de tout l’or et l’argent des Egyptiens, avant de quitter l’Egypte.

Le Talmud explique qu’à ce moment D.ieu leur adressa cette requête parce qu’Il avait promis à Avraham que les Juifs sortiraient d’Egypte avec de grandes richesses. Et le Talmud d’ajouter que la réponse du Peuple juif à cette requête fut : « nous renonçons à toute cette richesse mais permets-nous simplement de quitter ce pays ». Le Talmud compare alors cette demande à celle de quelqu’un qui est en prison et à qui l’on annoncerait sa libération pour le jour suivant, avec une grande somme d’argent. La réponse du prisonnier serait très certainement : « Je renonce à toute prétention à cet argent, mais libérez-moi dès aujourd’hui ! »

Il en va de même pour les Enfants d’Israël qui affirmèrent renoncer à toute revendication de richesse plutôt que d’attendre après la plaie ultime pour être libérés.

Cette situation pour le moins surprenante peut être comprise grâce aux enseignements du Ari Zal. Il développe un concept essentiel pour comprendre le sens même de la nature de l’exil juif, que ce soit celui de l’Egypte ou notre exil contemporain. Il explique que des étincelles de Divinité ont été éparpillées dans le monde, au moment de la Création et tout particulièrement après la faute de l’Arbre de la Connaissance. Notre mission sur terre consiste à utiliser tous les objets matériels contenant ces étincelles dans notre service de D.ieu, ce qui permet de libérer ces étincelles de leur « emprisonnement » dans la matière et de les faire accéder à la spiritualité.

C’est une des explications sur le fait que la Torah insiste pour que nous accomplissions les Mitsvot (« commandements ») à l’aide d’objets matériels : ils contiennent des étincelles divines. Il en va de même pour nos activités quotidiennes : lorsque nous utilisons la matérialité en lui donnant une dimension supérieure, divine, nous révélons ces étincelles de spiritualité qui s’y cachent et leur permettons de rejoindre leur source.

Le Ari Zal explique qu’en Egypte était cachée une quantité particulièrement importante de ces étincelles : 202 sur l’ensemble total de 288. C’est ce qui est dit en allusion dans le verset qui décrit que les Juifs quittèrent l’Egypte avec Erèv Rav, (« une grande multitude »), le mot Rav ayant la valeur numérique de 202 : les 202 étincelles divines qui étaient en Egypte.

C’est dans ce but que les Juifs furent exilés en Egypte : élever complètement les étincelles de sainteté qui y étaient. Une fois qu’ils l’auraient fait, le travail serait achevé : d’une part les étincelles seraient complètement élevées, il n’y aurait donc plus aucune raison pour qu’ils restent en Egypte, et leurs âmes seraient également élevées, puisqu’ils auraient accompli le dessein pour lequel ils avaient été envoyés en Egypte.

Il était donc important que les Juifs fassent sortir toutes les richesses d’Egypte, avec leur potentiel de sainteté.

Quand ils eurent achevé de purifier tout ce qu’ils pouvaient, il leur fallut emporter le reste. Et c’est ainsi que fut achevé ce travail de raffinement en Egypte.

C’est en fonction de ce qui vient d’être évoqué que le Ari Zal explique l’interdiction, mentionnée dans la Torah, d’habiter en Egypte. Puisque toute l’idée d’habiter quelque part, et tout particulièrement en dehors de la terre d’Israël, est d’élever les étincelles divines qui se trouvent en ce lieu, et qu’en Egypte, elles ont toutes été élevées, il ressort donc automatiquement qu’il est interdit de vivre en Egypte puisqu’il n’y a plus aucun travail spirituel à y accomplir.

Il en va de même de l’exil contemporain où les Juifs ont été éparpillés aux quatre coins du monde. Le Rabbi précédent explique que, quel que soit l’endroit où un Juif se trouve, il entre précisément en contact avec les étincelles de Divinité qu’il a pour mission d’élever, pour son bien et celui de sa Nechama (son âme).

C’est en utilisant, pour son service de D.ieu, les objets matériels qui sont mis à sa portée qu’il leur permet de réaliser leur finalité profonde et offre également à son âme la possibilité de se réaliser parfaitement.


 Les préparatifs de Chabbat (suite)

On prépare la table avant Chabbat et on la couvre d’une nappe.

On évite de s’engager dans un travail important afin de pouvoir se consacrer aux préparatifs de Chabbat. On ne lance pas un programme de machine à laver ou d’imprimante juste avant Chabbat.

On lit deux fois chaque verset de la Paracha avec (une fois) la traduction d’Ounkelos (en araméen) le vendredi : on peut déjà commencer cette lecture le jeudi soir ou même le dimanche.

Les Sages ont institué que, dans chaque maison, on allume au moins une bougie avant Chabbat afin d’augmenter la paix dans la famille (et d’éviter de trébucher dans l’obscurité). Même celui qui n’a pas d’argent doit emprunter pour acheter au moins une bougie.

L’essentiel, c’est que l’endroit où l’on va manger soit éclairé avec cette bougie. Cependant, il faut qu’il y ait aussi une possibilité d’avoir de la lumière dans les autres pièces de la maison, par exemple avec une lumière électrique dans le couloir.

La Mitsva d’allumer les bougies de Chabbat incombe aux femmes, aux jeunes filles et aux petites filles dès l’âge de deux ans. La petite fille allume avant sa mère afin que celle-ci puisse l’aider et la surveiller. Les femmes mariées (ou qui ont été mariées) allument au moins deux bougies ; dans certaines communautés, elles allument une bougie supplémentaire pour chacun de leurs enfants. Il est recommandé de glisser quelques pièces dans la boîte de Tsedaka avant l’allumage (il est bon que chaque petite fille possède sa propre boîte de Tsedaka). Après avoir allumé, la femme ou la fille se couvre les yeux de ses mains et prononce la bénédiction :

Barou’h Ata Ado-naï Élo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Chabbat Kodèch 

(Béni sois-Tu Éternel notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer la bougie du saint Chabbat).

(d’après Chemirat Hachabbat – Rav Chimon Guedassi)


 L’espion de Babylone

Ce vieux Juif, Yisek Faguskin, se rendait chaque matin à la synagogue Loubavitch de Bné Brak. Bien qu’il ait plus de 80 ans, il avait gardé l’esprit vif et se réjouissait de pouvoir étudier tous les jours un peu de Torah, comme pour compenser tout ce qu’il n’avait pas pu apprendre en Russie soviétique.

Il y a huit ans, Rav Zushé Gross qui donne régulièrement des cours dans cette synagogue racontait comment Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi de Loubavitch avait été arrêté par les Bolchéviques en Russie. Torturé puis condamné à mort, il fut miraculeusement libéré de prison le 12 Tamouz 1927.

Yisek Faguskin écouta et sourit :

- Personnellement, j’ai été juge dans le système communiste et je connais très bien les méthodes qui étaient employées par la « justice » de l’époque. Il n’en fallait pas beaucoup pour être convoqué puis jugé et sévèrement puni. Mais si vous croyez que c’était nous, les juges, qui décidions du sort des gens, vous vous trompez ! Je vais vous raconter une histoire édifiante, une parmi des centaines dont je me souviens et qui vous donnera une idée de la façon dont la « justice » était rendue en Russie.

J’étais juge à l’époque où Staline mourut en mars 1953. Comme vous le savez, Staline fit exécuter des millions de gens innocents afin de faire régner la terreur et de « purifier la Russie de ses citoyens décadents ».

Après sa mort, Kroutchev monta au pouvoir et il fut décidé de réexaminer les dossiers de milliers et des milliers de gens qui avaient été condamnés à purger des années d’esclavage dans les « camps de travail » en Sibérie. Certains de ces détenus furent alors libérés.

Un jour, je tombais sur le dossier d’un simple citoyen, Vladek, qui avait été condamné vingt-cinq ans auparavant. Le dossier avait été signé par un interrogateur qui, depuis, avait été promu général au Ministère de la Justice, la « Yustitzia » au Ministère de l’Intérieur.

Il s’agissait d’un simple fermier qui vivait au bord du lac Baïkal en Sibérie, dans un village calme et paisible. Un jour, à la fin des années 20, lui et des amis avaient ouvert une coopérative de pêche afin de gagner leur vie. Ils avaient acheté deux bateaux et le poisson qu’ils pêchaient était de très bonne qualité puisque le lac Baïkal était d’une grande pureté : on n’y déversait aucun déchet ou produit chimique dangereux. En très peu de temps, ces paysans devinrent assez riches. Mais cela ne plaisait pas au gouvernement ! Un matin, trois camions bourrés de soldats arrivèrent dans le village. Les soldats s’attaquèrent aux paisibles villageois et forcèrent les hommes à monter dans les camions. Vladek fut l’un de ces hommes amenés au commissariat de la Police Secrète. On le jeta dans un cachot humide et obscur, sans même lui signifier quelle était sa « faute ». Quand enfin il fut présenté au juge, celui-ci l’informa qu’il était coupable d’espionnage.

- Pour qui avez-vous espionné ? lui demanda-t-on.

- Je n’ai pas espionné ! protesta innocemment Vladek.

Il fut immédiatement battu par deux soldats. A chaque fois qu’il était interrogé, Vladek persistait naïvement à nier toute trahison. On l’informa qu’il lui restait vingt-quatre heures pour admettre sa faute, sinon il serait battu à mort !

Vladek était désespéré. Il était incapable de réfléchir tant il avait faim, tant il souffrait, tant il était fatigué. A la fin, il décida d’avouer qu’il espionnait. Mais il n’avait aucune idée comment répondre si on lui demandait pour le compte de quel pays il avait « travaillé ». S’il prétendait avoir espionné pour l’Allemagne, on lui demanderait de prononcer quelques mots en allemand et il en était incapable. On l’accuserait alors non seulement d’espionner mais de plus, de mentir !

Soudain il se souvint d’une scène de son enfance, quand son grand-père l’avait emmené écouter le sermon d’un prêtre. Celui-ci avait mentionné le pays de Babylone ! Voilà ! Il décida d’admettre qu’il avait espionné pour le compte de Babylone ! Ce qu’il fit avec assurance. L’interrogateur ne broncha pas, inscrivit ce nom bizarre et octroya à Vladek un bol de sarrasin noir pour cette preuve de bonne volonté. Quelques jours plus tard, Vladek fut condamné à vingt-cinq ans de Goulag.

Presque vingt-cinq ans avaient passé, Staline était mort et je récupérai le dossier. Je n’en revenais pas : un homme avait été condamné aussi lourdement pour avoir espionné pour un pays qui n’existait plus depuis des siècles ! Je téléphonai au juge qui l’avait condamné ; il se souvenait du dossier et avoua : « Mais que pouvais-je faire ? J’avais reçu des ordres directs de Mayazhov et je devais fournir un certain quota de prisonniers. Peu importait qui était coupable ou non. Nous prenions en otage quiconque était là : au meilleur des cas, nous l’envoyions en Sibérie, au pire au peloton d’exécution ! ».

Après cet aveu, j’ordonnai la libération de Vladek et lui octroyai même une compensation financière pour ces années de travaux forcés. Brisé par ces années de privations et de souffrances, Vladek retourna dans son village du Baïkal pour revoir ses amis, son lac et ses bateaux. Mais il ne restait plus rien, il était le seul survivant de cette époque folle et cruelle.

C’est une des nombreuses histoires dans lesquelles je me suis impliqué, continua Yisek. Et vous comprenez non seulement l’absurdité mais surtout la férocité de cette époque maudite et de ce système fou. Alors quand je vous ai entendu raconter qu’un grand Rabbi avait été emprisonné et condamné, je suis stupéfait d’entendre qu’avec de tels « crimes » à se reprocher (incitation religieuse etc.), il fut libéré le 12 Tamouz 1927. Il a certainement bénéficié d’un grand miracle car il devait être vraiment un très grand Tsaddik ! ».

Menachem Ziegelboim – L’Chaim N° 1430

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 Par temps de brume

Etrange sensation quand le monde devient gris : couverture de nuages au-dessus et bitume en dessous. Sensation des villes froides. Le citadin finit par croire que son horizon se limite par nature à ce cadre étroit, presque infranchissable. Une sorte de brume emplit les rues, dissimule les chemins de la découverte et parvient à pénétrer en chacun. Les bulletins météorologiques parleront d’épisode rigoureux, de tempête ou de dérèglement climatique, donnant une forme de dynamisme, même négatif, à l’ensemble. Mais la brume continuera de s’installer voire de progresser. Et, bien naturellement, à la brume du dehors vient parfois répondre la brume du dedans, comme une hibernation programmée. Et tout perd peu à peu de sa substance.

Mais, au fil des siècles, les hommes ont appris à réagir à cette brume qui efface l’horizon. Pour la traverser, ils ont appris à faire retentir des sons puissants qui établissent la communication avec l’autre, qui brisent les barrières et rendent libre cours à la vie. Cela s’appelle une corne de brume et elle retentit comme un appel à tout ce qui est précieux en l’humain. Notre existence tout entière n’est-elle pas similaire à cette situation sous bien des aspects ? Lorsque monte la brume et que la lumière semble avoir des difficultés à la transpercer, il nous reste le cri éternel : par la prière et l’étude, tout ressurgit brutalement. Un au-delà du brouillard apparaît, émergeant en notre cœur.

Mais qui, au quotidien, sonnera de cette corne salvatrice ? Qui lui donnera ce pouvoir quasi-mystique de disperser les nappes de brouillard ? C’est en chacun que réside cette puissance. De la même façon que rien n’arrête le long voyage de celui qui veut aller à la rencontre du monde, ainsi rien ne peut s’opposer à l’avancée de celui qui entreprend de vivre avec intensité, de ressentir avec sincérité, de comprendre avec acuité. En d’autres termes, la brume ne gêne que ceux qui en acceptent la présence, le soleil brille pour tous les autres. A chacun de choisir de quel côté il se trouve dans cette image du lien avec D.ieu. Comme toujours, si la liberté n’a pas de prix, c’est parce qu’elle a un but et que celui-ci est entre les mains des hommes.


 Une nouvelle Torah ?

Il nous est enseigné (Vayikra Rabba 13 : 3 paraphrasant Isaïe 51 : 4) qu’au temps de Machia’h « une nouvelle Torah sortira de Moi ». Il est pourtant clair que la Torah, Sagesse de D.ieu, ne changera jamais. Du reste, les textes soulignent : « Cette Torah-là ne sera jamais changée ». Dès lors, que signifie cette « nouvelle Torah » ?

Aujourd’hui, la Torah nous apparaît sous la forme de récits comme ceux de Lavan ou de Bilam. Lorsque le Machia’h viendra, les secrets cachés dans ces récits se dévoileront. Il se révèlera alors comment ce qui semble être de simples histoires parle profondément de D.ieu. C’est ce que signifie les mots « sortira de Moi » : il apparaîtra comment toute la Torah est une manière de dire la Divinité.

(d’après Kéter Chem Tov, sec. 84, 242)


 Vaéra

D.ieu se révèle à Moché et lui promet de faire sortir les Enfants d’Israël d’Egypte, de les délivrer de leur esclavage, de les sauver et d’en faire Son peuple choisi au Mont Sinaï. Il les conduira ensuite vers la terre qu’Il a promise aux Patriarches en héritage éternel.

Moché et Aharon se présentent à de multiples reprises pour demander au Pharaon, au nom de D.ieu : « Laisse partir Mon peuple pour qu’ils Me servent dans le désert ». Pharaon refuse. Le bâton d’Aharon se transforme en serpent puis redevient bâton et avale les bâtons magiques des sorciers égyptiens. D.ieu envoie alors une série de plaies contre les Egyptiens.

Les eaux du Nil se transforment en sang, des armées de grenouilles envahissent la terre, la vermine infecte tous les hommes et les animaux. Des hordes de bêtes sauvages déferlent sur les villes, la peste tue les animaux domestiques, des ulcères douloureux affectent les Egyptiens. Pour la septième plaie, D.ieu combine le feu et la glace qui descendent sur terre en une grêle dévastatrice. Et pourtant « le cœur de Pharaon s’endurcit et il ne libère pas les Enfants d’Israël.

L’un des aspects les plus déconcertants, dans la description que donne la Torah de Moché, est sa difficulté à s’exprimer. Dans notre Paracha, il se décrit lui-même comme Aral Sfatayim, signifiant littéralement : « aux lèvres circoncises » et expliqué par les commentateurs comme impliquant qu’il avait une difficulté d’élocution. Il semble pour le moins curieux que Moché, le chef suprême du Peuple juif, d’une intelligence et d’une sainteté sublimes, trouve difficile de s’exprimer.

Il est évident que ce fait, comme tous les détails que donne la Torah, est significatif et vient nous apporter un enseignement.

La mystique juive explique cette caractéristique de Moché en s’attachant à sa nature spirituelle particulière.

Un peu plus loin, la Torah décrit Moché comme l’homme le plus humble de toute l’humanité et d’autres commentateurs ajoutent qu’il n’était pas seulement humble dans ses relations avec les hommes mais également avec D.ieu Lui-même. Moché avait une si extraordinaire humilité, une annulation de sa personne si totale, ce que l’on appelle Bitoul, en hébreu, qu’il se considérait comme « rien » devant son Créateur. Il avait une telle compréhension de la profondeur de la Divinité qu’il se sentait complètement annulé devant une telle révélation.

C’est d’ailleurs pour cette même raison que D.ieu choisit précisément Moché pour la tâche de transmettre Sa parole. Nous lirons plus tard que D.ieu s’exprimait par la « gorge de Moché ». Cela n’était possible que parce qu’il avait atteint un tel niveau d’humilité qu’aucune motivation personnelle, aucun égo ne venaient interférer avec la Révélation Divine.

Il arrive à chacun de nous de nous trouver parfois dans un contexte où c’est nous qui donnons et à d’autres occasions, où nous recevons.

Parfois nous donnons des ordres, parfois nous en recevons. Parfois nous réceptionnons des informations et parfois nous devons en transmettre aux autres.

Cependant, une chose est sûre, nous ne pouvons transmettre et recevoir au même moment.

Le même concept s’exprime dans la loi juive. Prenons pour exemple un morceau de viande. Il ne peut en même temps absorber quelque chose et donner du jus ou un goût. Ou bien il absorbe ou bien il donne quelque chose.

La même chose se passe au niveau spirituel.

Moché, dans sa grande humilité pouvait atteindre un très haut niveau de sainteté et recevoir une révélation extraordinaire. Mais il était dans une situation où il ne faisait qu’absorber, recevoir de plus en plus de sainteté, de plus en plus de Divinité. Et dans ces circonstances, il trouvait extrêmement difficile de devenir Machpia, « celui qui donne » à autrui.

Certes, à certains moments, il pouvait recevoir ces révélations et les transmettre ensuite, mais il désirait constamment être un réceptacle pour une révélation de plus en plus intense de l’Infini de D.ieu et se rapprocher de plus en plus de D.ieu.

Ce qui se passait au niveau spirituel s’exprimait également physiquement dans la personne de Moché. Il voulait toujours être celui qui écoute et trouvait très difficile pour lui de s’exprimer, c’est-à-dire de transmettre. La bouche étant l’organe par lequel passe cette transmission orale, c’est la raison pour laquelle il disait ne pas pouvoir parler correctement.

A la lumière de cette explication, l’on peut comprendre l’entêtement de Moché, sa réticence à accepter le commandement de D.ieu d’aller voir le Pharaon, pour lui demander la libération des Juifs.

Ne désirait-il pas se rapprocher de D.ieu en obtempérant à Son injonction ?

Mais nous pouvons désormais comprendre sa perspective. Certes, il désirait ardemment se rapprocher de D.ieu. Cependant, le chemin qu’il pensait devoir emprunter pour le faire n’était pas de transmettre la Parole de D.ieu mais de conserver sa proximité et son lien avec D.ieu, en absorbant la Divinité. La transmettre à autrui n’était pas sa manière, à lui, de servir D.ieu. C’est pourquoi il s’écria qu’il avait « les lèvres circoncises » ! Il trouvait difficile de parler aux autres.

Mais finalement, les faits ne lui donnaient pas raison puisqu’il devait aller parler au Pharaon et faire sortir les Juifs d’Egypte.

Cela vient nous enseigner qu’en dépit du fait que nous devons sans cesse aspirer à nous rapprocher de D.ieu et nous impliquer de tout notre être dans Sa connaissance et Sa sainteté, nous ne devons pas pour autant oublier qu’il est nécessaire que nous entretenions des liens étroits avec les autres, que nous partagions ce que nous connaissons. Ainsi, non seulement nous devons rester proches de D.ieu mais nous devons également rapprocher les autres de la Divinité et par là-même, nous lier tous ensemble à notre Source.


 Comment se prépare-t-on au Chabbat ?

« Tu appelleras le Chabbat un délice pour sanctifier D.ieu et L’honorer ».

On honore le Chabbat en portant des vêtements propres. On l’appelle délice grâce à une nourriture plus importante qui plait au corps – chacun selon ses habitudes. A priori, on n’est pas obligé de manger de la viande et de boire du vin : cependant ces aliments sont considérés comme plus importants que les autres et il est donc d’usage d’en consommer.

« Toute l’alimentation et les dépenses de l’homme sont fixées depuis Roch Hachana (le début de l’année juive) – sauf les dépenses pour l’honneur et le plaisir du Chabbat et des fêtes ». D.ieu promet de rembourser l’argent utilisé pour les dépenses du Chabbat ; néanmoins, il est préférable de ne pas s’endetter outre mesure pour autant.

Toute la semaine, on doit réfléchir au Chabbat et le préparer, par exemple en mettant de côté des aliments particuliers qui honoreront le Chabbat.

Ezra institua qu’on fasse la lessive le jeudi afin d’avoir des vêtements propres pour Chabbat. Il est recommandé de se lever plus tôt le vendredi pour les préparatifs du Chabbat. Chacun a la Mitsva de préparer le Chabbat, quelle que soit sa position sociale : les plus grands Sages tenaient par exemple à procéder eux-mêmes aux achats, à aiguiser les couteaux, à ranger la maison, à couper le bois ou à couper les légumes.

Il est recommandé de prendre un bain avant Chabbat, de se couper les ongles et, éventuellement, les cheveux. On revêt des vêtements réservés pour ce jour et, si possible, aussi un autre Talit pour Chabbat. On évite de manger juste avant l’entrée de Chabbat afin de garder l’appétit pour les repas de Chabbat.

 (d’après Chemirat Hachabbat – Rav Chimon Guedassi)


 Redescendre sur terre…

(Le 24 Tévet est le jour de la Hilloula de Rabbi Chnéor Zalman)

Il n’avait pas plu à Lyozna depuis un certain temps. Les fermiers avaient épuisé toutes leurs ressources : argent, temps, énergie… Ils avaient labouré et semé mais, sans pluie, la terre ne donnait aucune récolte ; le sol était parcheminé et craquelé et les larmes des hommes ne suffisaient pas à l’irriguer. Ils avaient prié et jeûné, distribué la charité et encore prié…

Cinq des fermiers les plus âgés – qui étaient aussi des ‘Hassidim de Rabbi Chnéor Zalman – se rendirent chez leur Rabbi pour lui exposer la gravité de la situation.

Mais le Rabbi ne répondait pas. De fait, il ne réagissait même pas : il restait assis comme s’il ignorait leur présence, regardant dans le vague comme pour signifier qu’il ne pouvait remédier à la situation.

Les ‘Hassidim étaient comme paralysés, leurs yeux suppliaient silencieusement le Rabbi d’agir ou, au moins, de leur donner une réponse ou même juste de les regarder.

Au bout de quelques minutes, l’un d’entre eux quitta le bureau à reculons et les autres le suivirent, comprenant qu’il n’y avait rien à attendre. Une fois sortis, ils éclatèrent en sanglots, désespérés.

Mais le jeune Mena’hem Mendel, le petit-fils du Rabbi (qui plus tard deviendrait lui-même Rabbi sous le nom du Tséma’h Tsédek), Rabbi Its’hak de Homil ainsi qu’un 3ème ‘Hassid étudiaient justement dans la salle attenante et s’interrompirent quand ils entendirent ces pleurs.

- Comment se fait-il que vous pleurez alors que vous sortez de chez le Rabbi ? N’importe quel ‘Hassid danse de joie quand il sort d’une entrevue avec le Rabbi !

Mais quand ils entendirent ce qui s’était passé…

Le petit-fils du Rabbi rompit le silence, écrivit quelques lignes sur un papier et appela celui qui avait été choisi pour assister le Rabbi ce jour-là, un homme simple mais dévoué.

- Mon ami ! Nous sommes ici trois ‘Hassidim et nous formons donc un Beth-Din, un tribunal rabbinique. Souviens-toi : tu dois accomplir la mission que nous te confions sous peine d’être puni d’exclusion de la communauté. Transmets au Rabbi ce qui est écrit sur ce papier !

Quand l’homme lut ce qui était écrit, il pâlit, trembla et faillit s’évanouir ! Comme il aurait voulu refuser mais… un ordre d’un Beth-Din… ! Il n’avait pas le choix !

Il entra dans le bureau et, d’un ton saccadé, débita :

- Rabbi ! J’ai été mandaté par un Beth-Din constitué de votre petit-fils, de Rabbi Its’hak de Homil et d’un troisième ‘Hassid pour vous lire ce papier, sinon je serai sévèrement puni…

Il baissait la tête, regardait le papier pour ne pas voir l’expression étonnée du Rabbi, se racla la gorge et commença :

- Si vous ne pouvez pas aider les fermiers qui viennent de sortir de votre bureau, vous êtes un voleur ! Pourquoi ne pas leur accorder ce qui leur est dû ? Et si vous ne les aidez pas parce que vous ne pouvez pas le faire, comment pouvez-vous accepter de diriger des milliers de Juifs qui ont toute confiance en vous ?

En entendant cela, Rabbi Chnéor Zalman plia les bras sur la table et se cacha le visage dans ses mains durant un long moment. Submergé de honte, l’homme aurait tellement voulu sortir lui aussi du bureau mais on lui avait fait si peur…

Soudain un souffle de vent passa à travers la fenêtre et le ciel se couvrit de nuages sombres. Des nuages ! Le Rabbi releva la tête puis se cacha à nouveau le visage. Des fines gouttes de pluie se mirent à tomber. Une troisième fois et la pluie tomba à torrents !

A l’extérieur du bureau, les fermiers s’aperçurent que la pluie se mettait enfin à tomber : émerveillés, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre et se mirent à danser.

Rabbi Its’hak de Homil se tourna avec stupéfaction vers le jeune Mena’hem Mendel comme pour lui demander d’où il avait appris ce stratagème. Et comment pouvait-il être si sûr de la réponse ?

- C’est simple, répondit le Tséma’h Tsédek. C’est écrit explicitement dans le Talmud (Taanit 24 b) : « La sécheresse régnait et les fermiers se rendirent chez Rav Pappa pour lui demander de prier. Il déclara un jour de jeûne et tous obéirent. Ce fut une journée difficile au point que Rav Pappa lui-même devint si faible qu’il dût manger un peu de bouillie pour rester conscient et continuer de prier. Mais même ainsi, la pluie ne tomba pas. Arriva alors Rav Na’hman bar Ouchpazti qui proposa d’un ton presque moqueur : Rav Pappa ! Si vous mangiez un autre bol de bouillie, pensez-vous que la pluie tombera ? Le Talmud conclut que Rav Pappa eut honte et la pluie se mit à tomber ».

Je me suis toujours demandé, ajouta le futur Rabbi Tséma’h Tsédek : certainement le Talmud ne voulait pas nous encourager à faire honte à un grand Sage, D.ieu préserve ! Mais maintenant j’ai compris : Rav Pappa était l’homme le plus saint de sa génération. Cependant, il peut arriver qu’un tel Tsaddik devienne si pur et atteigne un degré si élevé qu’il n’a plus de lien avec le monde ici-bas ! Il faut alors le faire redescendre pour ainsi dire afin qu’il accorde sa bénédiction. C’est ce qu’avait fait Rabbi Na’hman au temps du Talmud et c’est ce que j’ai fait pour mon grand-père le Rabbi ! C’est ainsi que j’ai ramené le Rabbi dans ce monde matériel peuplé de gens qui ont tant besoin de lui !

Living with the Rebbe

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 Pour le temps qui passe

Dans la dernière période, la société a paru traverser une sorte de stase, comme si tous les événements se ralentissaient, comme si seules comptaient les fêtes de commande du moment. Il est toujours impressionnant de relever le poids du calendrier social. Pour des raisons multiples, des réjouissances sont imposées par toute la puissance du tamtam médiatique. Et tout cela fait tant partie du quotidien qu’on finit par le ressentir comme naturel. Il n’est guère étonnant que le plus beau monument construit par le peuple juif soit son calendrier et que, au cours des temps, celui-ci ait été frappé d’interdiction par nombre de ses oppresseurs qui voyaient là un moyen d’effacer sa nature propre.

De fait, un calendrier est bien plus qu’un outil commode pour mesurer le passage du temps. Il porte en lui le cadre des rituels, comme une référence, une clé de lecture du monde. La computation des années renvoie ainsi à l’événement qu’on estime fondateur – pour le judaïsme, la création du monde. Le déroulement des mois dénote un rythme astronomique, qui met en accord les actes des hommes avec ce qui les dépasse. Autant dire que le temps n’est jamais un domaine neutre. Façonnant la vie, il est aussi l’expression d’une vision voire d’une aspiration. Comment ne pas relever que la semaine juive est une construction dont le point culminant est le Chabbat comme le faîte d’un toit sur un édifice audacieux ? Comment ne pas voir que l’élévation progressive des jours qui passent en est le préalable incontournable ? Du reste, ces derniers sont désignés non en tant que journées indépendantes mais par rapport au Chabbat comme pour nous dire que tout cela constitue une séquence unique tendue dans un objectif défini.

Certes, nul ne peut ignorer les temps sociaux. Lorsque l’on vit dans une société, suivre ses rythmes fait partie de la vie. Cependant, il doit exister dans la conscience un point plus profond et central, lié à l’essence de ce que l’on est, que rien ne peut altérer. Ce n’est pas de souvenir qu’il s’agit mais bien d’une fidélité vivante sur laquelle il est possible de construire un avenir. Le peuple juif a su ne jamais perdre ses attaches car il détient le secret de la préservation de l’essentiel, d’une certaine façon les clés du temps.


 Un pauvre sur un âne

Zacharie, dans sa prophétie (9:9), décrit Machia’h comme «un pauvre sur un âne». Il faut comprendre le sens profond de cette idée.

La révélation divine au temps de Machia’h ne sera pas le résultat d’un « effort d’en bas ». Cela signifie qu’elle ne proviendra pas de l’œuvre spirituelle accomplie par l’homme. Au contraire, elle rayonnera comme un don de D.ieu si élevé qu’aucune initiative humaine ne pourrait le susciter. C’est pourquoi Machia’h est qualifié de « pauvre ».

(d’après Or Hatorah, p.260)


 Chemot

Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis il ordonne aux sages-femmes juives, Chifrah et Pouah, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil. Amram et Yo’héved, la fille de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miryam surveille de loin et voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant et le prend. Elle va l’élever comme son fils et le nommer Moché.

Moché, devenu un jeune homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midian. Il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elles, Tsipora, et devient le berger de son beau-père. (Chemot 1 :1- 6 :1)

Le livre des noms

Cette semaine, nous commençons le second livre de la Torah, le livre de Chemot, ce qui signifie littéralement « les noms ». Ce titre paraît étrange. La traduction française, « Exode », paraît plus adéquate puisqu’elle couvre le thème central du livre : l’exode d’Egypte et le Don de la Torah qui suivra.

On peut expliquer ce titre par le fait qu’on le trouve dans le premier verset du livre « voici les noms des Juifs qui descendirent en Egypte… » et la suite énumère ces noms.

Cependant, la question demeure dans la mesure où apparemment ce nom n’a aucun lien avec le reste du livre et nous savons que, dans la Torah, un nom n’est pas anodin et que le nom d’un livre ou d’une Paracha est lié à son ensemble, à son « âme ».

Quel est donc le sens d’un nom ?

Un nom présente, dans une certaine mesure, un paradoxe.

D’une part, il représente la partie la plus extérieure de la personne. C’est simplement le moyen grâce auquel on peut l’identifier, appeler son attention, lui parler. Si quelqu’un vit sur une île déserte, à moins qu’il ne se parle à lui-même, (ce qui risque probablement d’arriver au bout d’un certain temps), il n’a pas besoin de nom. Ainsi, le nom, bien qu’il soit une partie de nous, n’est qu’un aspect extérieur de notre personne.

Ce qui en découle est que D.ieu nous dit ici que bien que le livre commence par l’exil en Egypte, suivi par l’Exode, nous devons savoir qu’un Juif ne se trouve en exil qu’extérieurement. L’essence de notre âme reste libre, liée à D.ieu. C’est donc appelé le « Livre des Noms » car il commence par une longue description de l’exil d’Egypte, de sa libération. Tous les exils sont d’ailleurs appelés eux-aussi « Egypte ». En effet, le terme Mitsraïm (« Egypte ») signifie « oppression ». La Torah nous dit ici que l’exil ne nous oppresse que superficiellement. Seuls nos noms descendent en exil. »

« Voici les noms de ceux qui descendirent en Egypte » : quelle partie des Juifs fut exilée ? Seulement leur nom. L’essence de leur âme resta libre.

Mais il y a plus. Ce qui précède n’apporte un éclairage que sur le début du livre : l’exil. Mais qu’en est-il de l’Exode ? Cela pourrait signifier que même la partie externe des Juifs qui était en exil, leur nom, était maintenant libérée. Mais c’est encore plus profond.

Nous avons évoqué l’aspect paradoxal d’un nom.

Quel est le revers de la médaille ? D’un côté, le nom évoque l’aspect extérieur de l’individu mais, de l’autre, il révèle l’essence-même de ce que nous sommes.

Ainsi quand quelqu’un s’évanouit, à D.ieu ne plaise, on murmure à son oreille son nom juif et bien souvent il se réveille. Comment cela fonctionne-t-il ?

S’évanouir signifie que, dans une certaine mesure, l’âme s’est détachée du corps. Appeler par le nom signifie appeler la source de l’âme et la ramener dans le corps. Le nom a donc l’aptitude de faire revenir dans le corps l’énergie de l’âme.

Un autre exemple peut servir à illustrer la force du nom. Un jour, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi (premier Rabbi de Loubavitch et auteur du Tanya) portait sur ses genoux son petit-fils, Mena’hem Mendel, le futur Tséma’h Tsédèk (troisième Rabbi). Le Rabbi demanda à l’enfant :

- Où est grand-père ?

L’enfant pointa du doigt le nez du Rabbi.

- Non, ça c’est le nez de grand-père.

L’enfant mit alors sa main dans la barbe du Rabbi.

  • Non, ça c’est la barbe de grand-père.

L’enfant quitta alors les genoux de son grand-père et se mit à jouer.

A un moment, il appela : « Grand-père ! ». Le Rabbi se tourna vers lui et lui dit : « Ça, c’est grand-père ».

L’appeler par son nom suscite une réponse où la personne tourne tout son être. Toute son attention se concentre sur celui qui appelle quand bien même ce nom est une étiquette extérieure. Bien sûr, ensuite, quand l’interaction, la conversation commencent, on peut engager ses émotions, son intellect, son comportement, la partie de la personnalité qui est concernée… Mais ce moment où l’on se tourne engage tout l’être.

Le point à souligner est donc que l’âme va en exil pour que dans l’exil, symbolisé par le nom, et à travers l’exil, elle révèle son essence profonde et son attachement profond à D.ieu.

En d’autres termes, avant qu’ils ne quittent Israël pour descendre en Egypte, les Juifs étaient, pour ainsi dire, libres, pieux et justes. Cependant, la nature de leur relation avec D.ieu était intellectuelle, émotionnelle, mais ils n’avaient pas donné leur essence profonde. Cette relation s’appuyait sur un niveau mesuré, structuré, prévisible.

Descendre en exil force la parcelle divine, qui est en chacun de nous, notre essence divine, à jaillir, précisément à cause de l’oppression qu’elle subit et à cause du grand voilement qui la dissimule. Tout comme un nom, ce voilement peut dévoiler l’essence même de notre être.

Tel est le sens de l’exil : malgré toute l’oppression qu’ils subirent, les Juifs restèrent fondamentalement loyaux à l’égard de D.ieu. Ils conservèrent leurs vêtements, leur langue et leur nom. Cela signifie que le cœur de leur Judaïsme qui n’avait jamais été révélé, actif, l’était maintenant.

Et cela était représenté par ce modèle du nom, tout extérieur soit-il, qui est le véhicule pour obtenir toute l’attention de la personne. D.ieu obtint, pour parler ainsi, toute notre attention non en Israël, avant l’exil, mais dans l’Egypte elle-même. En Israël, D.ieu avait notre intellect, nos émotions, notre comportement mais non notre essence. C’est en Egypte, en dépit des épreuves de l’Egypte, de l’obscurité de l’Egypte, du voilement de l’Egypte, que D.ieu nous posséda complètement avec tout notre être.

Et c’est donc pour cette raison que ce livre est appelé Chemot – les noms.


 Il est interdit de se tatouer

L’usage des païens était de tatouer sur la peau des signes attestant qu’ils étaient dévoués à telle ou telle idole. C’est pourquoi la Torah a interdit toute forme de tatouage : « Une écriture de tatouage vous ne mettrez pas sur votre chair » (Vayikra – Lévitique 19 : 28).

Selon le Rambam, ce qui est interdit est la gravure profonde qu’on remplit de teinture. Cependant, Rachi estime qu’il s’agit d’écriture qui, ensuite, est gravée dans la chair. D’autres décisionnaires affirment que, d’une manière ou d’une autre, c’est interdit (que l’écriture précède ou non la gravure en profondeur).

Même une seule lettre, dans quelque langue que ce soit et même un seul signe, même si ce n’est pas une lettre sont interdits. Certains estiment que le seul fait de tracer un trait en profondeur est interdit.

Ce qui est seulement écrit et non gravé (et ne subsiste donc pas éternellement) n’entre pas dans la catégorie des tatouages interdits.

Aussi bien le tatoueur que la personne qui subit (ou qui demande) le tatouage transgressent l’interdiction.

La personne tatouée n’est pas obligée de chercher à tout prix à enlever le tatouage – même s’il avait agi intentionnellement. Mais celui qui veut l’enlever doit être encouragé pour cela à recourir au laser qui ne laisse que de faibles traces.

(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Sichat Hachavoua N° 1598)


 Pratiquante maintenant !

J’ai grandi en Israël dans une famille non pratiquante mais c’est surtout dans mes années de lycée que je me suis intéressée aux mouvements de gauche antireligieux. Dans cet internat de qualité, la plupart des éducateurs étaient affiliés à la gauche israélienne la plus dure. Donc, très jeune, je me définissais comme athée sans que ma famille s’en émeuve outre mesure.

Après le service militaire, je me suis inscrite à l’Université Hébraïque de Jérusalem et j’ai milité au sein du mouvement Meretz, puis dans le mouvement « La Paix maintenant » et surtout dans tout ce qui s’opposait à « la coercition religieuse ». Je participais à toutes les manifestations de protestation, réclamant par exemple l’ouverture des cinémas et centres commerciaux le Chabbat. Avec d’autres militants, j’allais de ville en village, rassemblant des plaintes des habitants contre les synagogues… Quand je me suis installée dans la ville de Modiine, j’ai été élue au Conseil Municipal, je me suis battue contre la corruption mais aussi pour les droits de la femme et, bien sûr, contre toute tentative de « coercition religieuse ».

Un journaliste de Tel-Aviv, Ye’hiel s’intéressa à nos activités et c’est ainsi que je l’ai connu, lui qui allait devenir mon mari – à l’occasion d’une manifestation contre l’ouverture prochaine d’une nouvelle synagogue.

Cependant, toute cette agitation ne me procurait pas la satisfaction escomptée. Je courrai après la célébrité et les reportages dans la presse sans m’intéresser vraiment à la justesse des causes que je défendais. Puis nous avons donc déménagé dans le sud du pays. Mon mari avait achevé son doctorat et voulait continuer ses études. Un jour, il est rentré à la maison avec une Kippa sur la tête ! Deux jours plus tard, il revint avec des Tsitsit ! J’étais sidérée ! Comment osait-il nous faire cela ? J’ai pensé qu’il était devenu fou. Nous avons discuté longtemps ; le choix était simple : ou divorcer ou apprendre à vivre ensemble autrement, chacun avec ses opinions.

Nous recherchions tous deux la vérité et nous étions passés par de nombreuses étapes. Nous avons conclu une sorte de compromis : la religion ne devait pas empiéter sur notre famille. Petit à petit, j’ai accepté beaucoup d’éléments concernant la maison : cacherout, Chabbat, Pureté familiale tout en espérant que ce n’était qu’une étape supplémentaire. D’un autre côté, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à la situation. En particulier, j’avais vécu de véritables miracles au cours d’une de mes grossesses et, même si j’avais essayé de balayer cela sous le tapis, j’avais été ébranlée dans mes convictions et forcée de reconnaître qu’un Etre Supérieur semblait bel et bien exister.

Au bout d’un an, nous avons encore déménagé, à Eliav et nous avons déniché là-bas pour les enfants une école mixte qui me plaisait. Notre fils y a commencé sa scolarité mais a vite demandé à changer d’école car il voulait apprendre davantage de Torah. Je n’étais pas du tout prête pour cela. Nous lui avons trouvé une école plus religieuse mais cela ne lui convenait pas non plus. Finalement il a gagné : nous l’avons inscrit dans une école Loubavitch ! Sa petite sœur l’a suivi tout naturellement, sans problème : elle n’a pas eu besoin de se battre pour cela ! Mon fils se sentait comme un poisson dans l’eau ; sa satisfaction m’interpela, évidemment. J’ai compris qu’en fait, depuis longtemps je connaissais la vérité et, d’un jour à l’autre, je me suis décidée : j’ai commandé une perruque, j’ai pris de grands sacs et y ai jeté pratiquement tous mes vêtements pour m’acheter des vêtements corrects, conformes à la tradition et à la discrétion d’une femme juive. Inutile de vous décrire l’étonnement de mes collègues dans le cabinet d’avocats où je travaille : non, ce ne fut pas facile mais ce qui m’aida dans ma détermination, ce fut le fait que j’étudiais intensément. Etudier ? Mon mari rédigeait des livres sur le mouvement Loubavitch qu’il commençait à mieux connaître de l’intérieur et j’étais chargée de les relire, non seulement pour m’assurer qu’ils ne contenaient pas de fautes de frappe mais aussi pour certifier que leur contenu était adapté à tous publics. Bien entendu, ces lectures m’impressionnèrent profondément et me renforcèrent dans notre nouveau style de vie.

Il y a trois ans, j’ai participé au Kinous Hachlou’hot, le Congrès international des femmes d’émissaires du Rabbi à New York. Je me suis retrouvée assise à côté de Mme Naava Slonim de Modiine. Au début, nous ne nous sommes pas reconnues mutuellement mais quand elle m’annonça d’où elle venait, je lui ai asséné : « Sais-tu qui je suis ? Je suis Anat ! ». Elle fut sidérée !

Il faut comprendre le contexte : quand j’avais fait partie du Conseil municipal de Modiine, j’avais mon mot à dire pour la répartition des terrains. J’avais lutté de toutes mes forces pour empêcher le mouvement Loubavitch d’acquérir un terrain, en prétextant que c’était une communauté minoritaire et, à cause de mon entêtement d’alors (que je regrette maintenant), la construction d’un Beth ‘Habad fut longtemps repoussée. La Rabbanit Slonim n’avait pas reçu de mes nouvelles durant toutes ces années et ignorait quel changement j’avais opéré. Et voilà qu’elle me retrouvait coiffée d’une perruque et habillée de façon classique, assise à côté d’elle au Kinous ! Elle n’en croyait pas ses yeux et ses oreilles !

Remarquez, bien que je ne sois nullement fière de ma conduite d’alors, le fait est qu’après mon départ de Modiine et du Conseil municipal, une autre équipe a accordé au mouvement Loubavitch un autre terrain, bien plus grand, moins cher et mieux situé !

Parfois c’est justement l’opposition qui se révèle bénéfique !

Anat Hariri – Michpa’ha ‘Hassidit N° 1733

Traduite par Feiga Lubecki

Publié dans 2018

 


 


 


 


 

Publié dans 2018