En un jour d’Eternité

Les mots ont décidément toujours un sens et un poids propres. Lorsque revient la fête de Chavouot et que, au plus profond de la conscience, retentit l’appel « Don de la Torah ! », c’est un univers nouveau qui pénètre notre horizon, comme si l’infini faisait brutalement irruption au cœur même de nos limites. C’est ici le moment et le lieu d’en prendre la pleine mesure. Le Don de la Torah arrive et plus rien ne sera pareil.

Bien sûr, une telle ouverture peut paraître un peu grandiloquente. Après tout, il ne s’agit que d’une fête du calendrier juif, même si c’est l’une des plus grandes. Alors, prenons le temps d’y réfléchir à nouveau. Lorsque, au mont Sinaï, D.ieu donne la Torah comme Il l’avait annoncé à Moïse avant même la sortie d’Egypte, c’est une véritable révolution qui se produit. Révolution spirituelle d’abord puisque, à partir de ce moment, le matériel et le spirituel cessent d’être des domaines hermétiquement séparés pour s’interpénétrer et ainsi donner un sens à l’histoire. Révolution intellectuelle et morale aussi car, enfin, une Loi qui s’impose à tous apparaît dans notre monde. Alors que, jusque-là, elle n’était que la volonté des puissants, toujours changeante au gré de leurs caprices, voici qu’elle revêt la puissance de la nécessité et de l’évidence. C’est à présent une Loi d’Absolu, créatrice de civilisation.

Quand, en notre temps, nous écoutons retentir dans nos synagogues, le premier jour de Chavouot, la voix éternelle des Dix Commandements, nous nous rattachons certes à cet héritage. Mais, plus encore, nous vivons, une nouvelle fois, l’événement et, de cette façon refondons la société des hommes. En temps d’incertitude, nous trouvons notre point d’ancrage et aucune tempête ne pourra l’affaiblir. A nous de nous y attacher. 


 La soumission aux nations

Le Talmud (Bra’hot 34b) enseigne : « Il n’y a aucune différence entre l’époque actuelle et le temps de Machia’h sauf (notre émancipation) de la soumission aux nations ».

Le Baal Chem Tov donne une explication plus profonde de cette phrase : celui qui ne croit pas que la Providence Divine pénètre chaque aspect du monde est asservi par l’impureté qui dissimule la réalité de la création. C’est le sens de la « soumission aux nations ». Mais, au temps de Machia’h, l’esprit d’impureté sera chassé de la terre. Alors la Providence Divine deviendra manifeste et chacun verra que tout provient de D.ieu.

(d’après Keter Chem Tov, sec. 607) 


 Chavouot

Un sommeil profond

Le Midrach indique que les Juifs dormirent toute la nuit précédant la Don de la Torah, « parce que dormir à Chavouot est agréable et la nuit est courte… Pas même un moustique ne les piqua ». Quand D.ieu arriva pour leur donner la Torah, Il trouva les Juifs profondément endormis et dut les réveiller. C’est pour réparer le sommeil du peuple juif, en cette veille du Don de la Torah, que nous avons la coutume de rester éveillés la première nuit de Chavouot et d’étudier la Torah.

Tout ce qui est relaté dans la Torah nous sert d’enseignement dans notre service Divin. Dans le cas présent, il semble évident que ce récit a pour but de nous indiquer qu’il nous faut veiller toute la nuit de Chavouot. Cependant, pour nous transmettre cet enseignement, il aurait été suffisant de résumer l’histoire. Le fait que nos Sages aient ajouté « dormir à Chavouot est agréable et la nuit est courte… Pas même un moustique ne les piqua » indique que ces détails contiennent aussi une leçon plus profonde.

Une attente impatiente

Il est bien connu que la promesse qu’ils recevraient la Torah cinquante jours après la sortie d’Egypte éveilla un désir profond dans le cœur des Juifs. C’est avec une grande impatience qu’ils comptèrent chaque jour les menant à ce moment. C’est d’ailleurs la source de la Mitsva du décompte du Omer.

Ainsi donc, si déjà depuis sept semaines, les Juifs attendaient ce moment, on peut présumer que leur désir ne faisait que croître à l’approche de la date prévue. Ils savaient que D.ieu allait leur donner la Torah le lendemain. Comment leur fut-il possible de dormir ?

Mais cela va encore plus loin. Leur décompte des quarante-neuf jours les avait préparés au plus grand cadeau de D.ieu. Au cours de chacun de ces quarante-neuf jours, ils s’étaient hissés vers les cinquante portes de la compréhension. C’est ainsi qu’au quarante-neuvième jour, ils avaient atteint quarante-neuf portes, le maximum possible par le service Divin des mortels, la cinquantième devant être ouverte par D.ieu au Mont Sinaï.

Si l’on tient compte du fait que les Juifs étaient animés d’un désir ardent de recevoir la Torah, alors même qu’ils étaient encore sous l’influence des quarante-neuf portes de l’Impureté de l’Egypte, l’on peut aisément comprendre l’intensité de ce désir au moment où ils avaient atteint un tel niveau d’élévation et de mérite.

Le fait qu’ils dormirent, et si profondément, a-t-il donc un sens ?

Force nous est de conclure que même pendant qu’ils dormaient, leur esprit ne quitta pas l’événement tant attendu. En fait, ils allèrent dormir pour s’y préparer.

Cela est également indiqué par le fait qu’aucun moustique ne les piqua. Si en allant se reposer, ils s’étaient éloignés de la Torah, D.ieu n’aurait pas suscité un miracle qui leur permit de dormir si tranquillement. Le miracle lui-même indique également qu’il s’agissait d’une préparation.

Atteindre le sublime

En fait, quand quelqu’un dort, son âme quitte, à un certain degré, son corps et « monte » dans les royaumes spirituels, ne laissant en lui que certaines traces de vitalité. C’est ainsi que l’âme du dormeur peut saisir un plus haut niveau de Divinité que lorsque la personne est éveillée.

C’est pour cela que les Juifs dormirent la veille du Don de la Torah. Ils voulaient que leur âme se détache du domaine de l’expérience corporelle et soit véritablement capable d’atteindre des hauteurs spirituelles sublimes. Ils seraient, pensaient-ils, encore mieux préparés aux révélations du Don de la Torah.

Là est le sens des paroles du Midrach : « dormir à Chavouot est agréable et la nuit est courte… ». Après le travail des quarante-neuf jours, la « nuit » était courte, il ne restait qu’un peu d’obscurité dans le monde. Tout le travail préparatoire avait été accompli et la grande Révélation était imminente. « Le sommeil était donc plaisant » car il pouvait permettre d’atteindre des niveaux spirituels exceptionnels.

Les élévations spirituelles de cette nuit furent telles qu’elles affectèrent même l’environnement au point qu’aucune créature vivante ne vint perturber leur sommeil.

Le but du Don de la Torah

Mais D.ieu n’en fut pas content. Ce n’était pas la manière adéquate de se préparer.

Il a été souvent dit que le Don de la Torah apporta une nouvelle dimension à l’observance des Mitsvot, par rapport à celle de nos Patriarches. Désormais, elles allaient avoir un effet durable sur les matières physiques, concrètes, avec lesquelles elles étaient accomplies, les imprégnant de sainteté.

Pour atteindre le summum de notre service Divin, il ne s’agit pas d’abandonner le corps mais de l’utiliser. C’est par ce type d’efforts que le lien est établi avec l’essence de D.ieu et non par une âme immatérielle.

Le Don de la Torah avait pour but de mettre l’accent sur l’avantage d’un service Divin accompli par une âme habillée dans un corps. La préparation à cet événement devait aller dans le même sens : non dormir pour s’élever au-dessus du corps mais travailler avec son corps.

Nul ne peut rester une île

Certains demandent : « Pourquoi serais-je concerné par l’obscurité du monde ? Pourquoi devrais-je m’impliquer dans la matérialité ? Il est préférable que je me coupe de tout cela et que je me consacre à étudier la Torah et à améliorer mon service Divin, sans être dérangé par quiconque ! »

Ceux-là disent qu’ils ont atteint le niveau de Chavouot où la « nuit », l’obscurité de notre monde, est courte. Ils veulent atteindre les plus hauts niveaux (« le sommeil de Chavouot est agréable ») et ne pas être dérangés par les moustiques qui les entourent. Ils doivent savoir qu’avant même que la Torah ne soit donnée, en fait, même le jour où elle fut donnée, une telle approche était contraire à l’intention Divine.

Voilà pourquoi nous ne dormons pas à Chavouot, la nuit qui précède le Don de la Torah. Il ne s’agit pas simplement de réparer l’erreur de nos ancêtres mais le fait de rester éveillés est en soi une préparation au Don de la Torah.

L’approche adéquate veut que nous nous impliquions avec le corps, l’âme animale et notre part du monde. Ainsi nous préparons-nous à recevoir la Torah avec une joie qui se déploiera tout au long de l’année.


 Que fait-on à Chavouot ?

On a coutume de se couper les cheveux la veille de Chavouot, donc cette année le mardi 30 mai 2017.  On allumera une bougie de quarante-huit heures pour pouvoir allumer les bougies du second soir de Chavouot.

Après avoir mis quelques pièces à la Tsedaka mardi soir 30 mai (à Paris avant 21h 26) et mercredi soir 31 mai (après 22h 44), les femmes allumeront les deux bougies de la fête (les jeunes filles et les petites filles allumeront une bougie), avec les bénédictions :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Yom Tov » 

 2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé ».

Il est de coutume de lire le "Tikoune de Chavouot" la première nuit de Chavouot jusqu'à l'aube, donc la nuit du mardi 30 au mercredi 31 mai.

Tous, hommes, femmes et enfants, même les nourrissons, se rendront à la synagogue mercredi matin 31 mai pour écouter la lecture des Dix Commandements. On marque ainsi l’unité du peuple juif autour de la Torah, et on renouvelle l’engagement d’observer ses préceptes.

On a l’habitude de prendre un repas lacté avant le vrai repas de viande mercredi midi.

Jeudi 1er juin, on récite, pendant l’office du matin, la prière de Yizkor en souvenir des disparus : on donnera de l’argent à la Tsedaka pour leur mérite après la fête.

La fête se termine jeudi soir 1er juin après 22h 50 (heure de Paris) avec la prière de la Havdala. Rappelons qu’on ne récite pas la prière de Tahanoun (supplications) depuis Roch ‘Hodech Sivan (vendredi 26 mai) jusqu’au 12 Sivan (mardi 6 juin).


 Est-ce vraiment arrivé ?

La fête de Chavouot marque la Hilloula du Baal Chem Tov

On sait que plus un homme est grand spirituellement, plus son mauvais penchant peut l’être également - comme le prouve le récit suivant…

Un des disciples du Baal Chem Tov (qu’on appelait Reb Morde’haï) entretenait, malgré (ou peut-être à cause de) sa grandeur spirituelle, le désir secret de devenir… sorcier !

Bien sûr, il savait que la Torah interdit littéralement ce genre d’occupation mais son désir devenait une passion et cette passion l’aveuglait. Il était déterminé : ce Chabbat serait le dernier qu’il passerait auprès de son Rabbi. Dès le dimanche matin, il s’en irait très loin et entamerait un nouveau chapitre dans sa vie. Il avait déjà soigneusement préparé une liste de contacts potentiels et son plan était parfaitement au point.

Ce vendredi soir, il se conduisit comme à l’accoutumée. Après la prière, il s’assit à la table de Chabbat, chanta les mélodies traditionnelles, goûta à tous les plats, écouta les paroles de Torah du Baal Chem Tov puis de ses ‘Hassidim. Mais son esprit était ailleurs, très loin. Il ne se sentait plus très à l’aise, d’ailleurs il avait très chaud, trop chaud : il enleva son chapeau de fourrure, puis sa redingote de Chabbat. Cela ne suffisait pas, il lui fallait sortir de là ! Jamais il n’avait fait aussi chaud ! Pourtant, dehors, il voyait combien le vent soufflait, la neige tombait à gros flocons, nul n’osait s’aventurer dans ce froid glacial ! Et lui, il suait à grosses gouttes ! Il allait s’évanouir de chaleur !

- Puis-je sortir quelques minutes ? demanda-t-il au Baal Chem Tov. J’ai besoin d’air frais !

- Oui mais uniquement pour quelques minutes, répondit le maître. Reviens vite car c’est dangereux dehors !

Morde’haï sortit, soulagé de pouvoir enfin respirer, même s’il faisait effectivement très froid. Mais il sentit bien vite la chaleur l’envahir à nouveau. Sans réfléchir davantage, il ouvrit les boutons de son manteau puis de sa chemise et se frotta la peau avec de la neige. La sensation de froid s’atténua pourtant encore et, pour chasser cette chaleur, il se mit à courir : le vent qui fouettait son visage lui était si agréable que, bien qu’il tombât plusieurs fois, il s’enfonça dans la forêt. Le monde basculait autour de lui : la chaleur, la forêt, la neige, les arbres, les étoiles et il s’évanouit dans la neige.

Il se réveilla dans une pièce inconnue ; il était alité, un vieux paysan et sa femme veillaient sur lui.

- Nous avons pensé qu’on t’avait tué quand on t’a trouvé étendu dans la neige ! Cela fait déjà une semaine que tu dors ! Comment te sens-tu ? Veux-tu un peu de soupe chaude ? D’où viens-tu ?

Non, Morde’haï ne se souvenait de rien. Le bol de soupe lui rendit des forces et ses nouveaux « parents » le surnommèrent Vladimir. Au bout de quelques jours, il se sentait mieux et se mit à apprendre comment se rendre utile dans la ferme, comment conduire une charrue… Il réussit tant et si bien qu’il comprit qu’il fallait agrandir la ferme. Il acheta le terrain d’un voisin, embaucha du personnel et, en cinq ans, sa ferme était devenue une immense propriété.

Un jour, le vieux propriétaire revint d’une promenade avec un morceau de journal et commenta avec un grand sourire : « On recherche de nouveaux colonels pour l’armée. Je pense que tu devrais tenter ta chance et devenir quelqu’un de vraiment important !

Regarde tout ce que tu as déjà accompli de merveilleux ici : tu es quelqu’un de spécial ! Ne perds pas ton temps et tes capacités à vivoter dans cette ferme ! Cela fait déjà assez de temps que tu végètes ici ! ».

« Vladimir » (encore sous l’emprise de l’amnésie) se lança dans l’aventure de l’armée et franchit toutes les étapes à une vitesse stupéfiante et, lors de la guerre entre son pays et la Pologne, il dirigea les cavaliers du roi. Il faudrait encore de nombreux chapitres pour décrire tous ses exploits, tous les combats auxquels il participa victorieusement, le nombre de fois où il frôla la mort de justesse… Lors d’un de ces féroces combats, tous ses supérieurs avaient été tués et il dut prendre la place du général : il remporta la bataille contre tous les pronostics.

Soudain, les souvenirs remontèrent à son esprit. Il se souvint de cette soirée dix ans auparavant, quand il avait quitté la table du Baal Chem Tov ! Il s’arrêta quelques instants, contemplant tout ce qui lui était arrivé depuis cet instant crucial. Il ordonna alors à ses soldats : « Descendez ! Retournez dans votre campement et préparez-vous ! Dans une heure, nous partons pour une marche de trois jours ! ». Effectivement, au bout de trois jours de marche, le bataillon arriva dans la forêt qui encerclait la petite maison d’étude du Baal Chem Tov. On était en plein hiver, exactement comme dix ans auparavant. « Vladimir » intima à ses soldats l’ordre d’allumer des torches puis de dégainer leurs épées : la lumière était maintenant aveuglante, le bruit des épées assourdissant puis un lourd silence s’installa. Le général descendit de son cheval, s’approcha de la cabane en bois et frappa la porte du manche de son épée.

- Ouvrez au nom du roi ! Voyez ce qui arrive au ‘Hassid qui quitte son Rabbi ! Ouvrez à l’armée de dix mille hommes !

Lentement, la porte s’ouvrit. Le Baal Chem Tov sortit la tête par la fenêtre :

- Morde’haï ! Tu es encore là ? Cela fait déjà plus de cinq minutes que tu te trouves dehors ! Tu veux devenir malade ? Rentre vite !

- Cinq minutes ? s’esclaffa le vaillant général. Regardez tous mes glorieux soldats et vous ne parlerez plus de cinq minutes ! ajouta-t-il avec un grand geste orgueilleux.

Il se retourna… et il n’y avait rien ni personne ! Même son propre cheval avait disparu ! Et son épée dont il était si fier ! Le vent soufflait dans les arbres et la neige recouvrait toute la végétation et il portait les mêmes habits qu’il y a dix ans… Ce n’était donc qu’un rêve ?

Il comprit alors que le Baal Chem Tov avait lu dans ses pensées depuis bien longtemps et, humblement reprit sa place auprès de son Rabbi, sa véritable place…

Rav Touvia Bolton – Kfar Chabad

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017

 Un livre pour aujourd’hui

Alors que le monde retentit de mille bruits, qu’il bruisse de mille rumeurs, que tout affirme qu’il entend occuper sa pleine place, la nature même semble se mettre à l’unisson de cette revendication. Tandis qu’elle était comme assoupie pendant les longs mois d’hiver, voici qu’elle ressurgit avec force. Sa vigueur est impressionnante et, d’une certaine façon, rassurante par sa régularité. Cependant, il faut garder à l’esprit que cette résurgence implique aussi la montée en puissance de tout ce qu’elle contient. Chaque jour plus présente, elle fait sentir tout son poids sur les créatures. Les arbres ont reverdi mais l’élan spirituel des hommes s’en ressent également. La chaleur du dehors devient ainsi une expression extérieure de celle du dedans. L’attrait de la matérialité se fait plus grand. C’est ainsi qu’une question essentielle se pose : comment maintenir un lien profond et vivant avec le spirituel quand tout appelle à l’inverse ?

Le peuple juif possède un chemin éternel. Depuis toujours, il nous a donné le moyen de surmonter les épreuves spirituelles ou matérielles du temps. Et il porte un nom, il s’appelle étude, réflexion, compréhension. Dans cette période qui suit la fête de Pessa’h et nous conduit au cœur de l’été, nos Sages ont instauré, chaque Chabbat, l’étude des Pirkei Avot – les maximes des pères. C’est un texte rare en notre époque. De fait, voici un livre qui décrit une vision du monde, un mode de comportement, une voie du lien avec D.ieu. L’ambition est si grande qu’elle semble avoir disparu de l’horizon des hommes. Pourtant cette somme de sagesse est mise à notre portée et elle nous fait entrer dans un autre univers.

A travers elle, des siècles de méditation sobre et de recherche spirituelle nous sont transmis. Ils nous donnent à vivre en un temps oublieux. Alors, c’est tout le tumulte du monde qui s’apaise. Il fait place à une sorte de sérénité venue de l’intérieur de chacun qui, par vagues, s’étend autour de nous jusqu’à faire de tout ce que nous voyons un lieu de bonheur et de paix. Et tout cela par un livre et une étude ? Justement, c’est là le secret largement partagé que nous avons en héritage. Le sort des hommes dépend sans doute de tels acquis. Il n’est que temps de s’en saisir. Certains diront peut-être que c’est là donner bien grand pouvoir à la réflexion et que, malheureusement, notre société ne s’en embarrasse pas autant qu’il faudrait. Les Pirkei Avot nous donnent aussi à le comprendre : tout peut être transformé. Grandeur de l’homme, puissance du livre.


 Le statut de Moïse

Le Ari Zal nous enseigne (Likoutei Torah) qu’au temps de Machia’h, les Léviim deviendront des Cohanim. Il en résulte que Moïse, lui-même un Lévi, connaîtra alors une élévation similaire et sera le Cohen Gadol.

(d’après Or Hatorah, Chemot, p. 1586) 


 Behar Be’houkkotaï 

Behar

Sur le mont Sinaï, D.ieu communique à Moché les lois de l’année chabbatique : toutes les septièmes années, tout travail sur la terre doit être interrompu et ses produits rendus accessibles à tous, hommes et animaux.

Sept cycles chabbatiques sont suivis d’une cinquantième année : l’année du Jubilée au cours de laquelle tout travail de la terre cesse, tous les serviteurs liés par contrat sont libérés et tous les états ancestraux de la Terre Sainte, qui ont été vendus, reviennent à leurs propriétaires originels.

Behar contient également des lois supplémentaires concernant la vente de terres et les interdictions de fraude et d’usure.

Be’houkotaï

D.ieu promet que si le Peuple d’Israël observe Ses commandements, il jouira de prospérité matérielle et résidera en paix sur sa terre. Mais Il donne également un avertissement sévère et le menace de l’exil, de la persécution et d’autres maux qui s’abattront sur lui s’il abandonne son alliance avec Lui.

Toutefois, « même quand ils seront sur la terre de leurs ennemis, Je ne les rejetterai pas, pas plus que Je ne les haïrai, ne les détruirai ou ne briserai Mon alliance avec eux. Car Je suis l’Eternel, leur D.ieu ».

La Paracha se conclut avec les lois concernant la manière de calculer la valeur des différents types d’engagements pris pour D.ieu et la Mitsva de prélever un dixième des produits agricoles et du bétail.

Behar

Le fait que cette année nous lisions ces deux Parachiot, souvent séparées, nous incite à conclure qu’une leçon importante doit être tirée de chacune d’entre elles et de la combinaison des deux.

Trois termes sont utilisés pour évoquer le mont Sinaï. Il s’agit soit du « mont Sinaï », soit de « Sinaï », ou encore de « Behar », comme dans notre Paracha. Chacun évoque un niveau différent. Le Midrach indique que D.ieu choisit le mont Sinaï, pour donner la Torah, car c’était la moins élevée des montagnes. Il est donc ici question de mêler humilité (« la moins élevée ») et fierté (« des montagnes »). Le terme « Sinaï », quant à lui, met l’accent sur l’humilité et « Behar » insiste sur la fierté.

Chacun de ces trois niveaux s’applique à des moments différents. Généralement, il nous faut faire preuve des deux éléments. L’humilité est indispensable, ce qui ne signifie pas pour autant que nous ne devions pas manifester de la fierté, « un huitième de huitième de fierté », pour nous assurer que l’on nous traite avec l’estime que nous méritons. A d’autres moments, c’est sur l’humilité qu’il nous faut insister. Pour recevoir la Torah, il était absolument nécessaire que nous manifestions un effacement absolu de notre personne et l’on sait bien que Moché était « le plus humble des hommes sur la surface de la terre ».

Cependant, parfois, notre approche doit également souligner notre fierté. Bien qu’à propos de celui qui est orgueilleux le Talmud proclame : « D.ieu dit : ‘lui et Moi ne pouvons résider dans le même monde’ », à des occasions très spécifiques, il faut savoir faire preuve de fierté. Le Talmud déclare que « tous les enfants d’Israël sont des enfants de rois ». Un roi ne peut renoncer à l’honneur qui lui est dû.

Ce principe s’applique dans nos relations avec les nations du monde. Bien qu’il nous soit dit de ne pas être provocateurs et que « la loi du pays est la loi », cela ne s’applique que lorsque ces principes n’entrent en aucune façon en contradiction avec la Torah et les Mitsvot. Le cas échéant, nous devons prendre conscience du fait que « nos âmes ne sont jamais parties en exil », rester fermes, de toutes nos forces, et ne céder à aucune concession. Quand un Juif se trouve confronté à quelque chose qui pourrait affaiblir sa relation avec le Judaïsme et avec D.ieu, « les plus légers et les pécheurs d’Israël sacrifieront leur vie, montrant de la force et de la fierté dans le Judaïsme ».

Ce type de fierté n’entre pas en contradiction avec l’humilité. Un roi n’avait pas le droit d’honorer quiconque en public mais en privé, il convenait qu’il honore les Sages. Le Rambam loue le roi Yehochaphat qui se levait de son trône lorsqu’un Sage pénétrait son espace privé, l’embrassait, l’appelant : « mon Maître, mon professeur ».

Be’houkotaï

Be’houkotaï décrit les mitsvot que l’on appelle ‘houkim, « décrets ». Ce sont les lois irrationnelles dont il est dit : « Tu n’as pas la permission d’y réfléchir ». Elles dépassent totalement tout entendement humain.

Ce qui est étonnant est le fait que juste après la phrase « si tu observes Mes décrets… », D.ieu promet des bénédictions matérielles et des bénédictions spirituelles. Comment ces promesses peuvent-elles être en accord avec la nature irrationnelle des ‘Houkim ? Il semblerait que ces bénédictions constituent elles-mêmes une raison de les accomplir : celle de recevoir ces récompenses !

En fait, cet engagement que D.ieu nous demande à l’égard des ‘Houkim doit s’étendre à toutes les catégories de lois, celles qui sont d’emblée logiques (ne pas tuer, par exemple) ou celles que D.ieu rend rationnelles (le Chabbat ou les Fêtes). Il nous faut toutes les accomplir non parce que nous les comprenons mais parce que « D.ieu nous a sanctifiés par Ses commandements et nous (les) a ordonnés ».

Quand bien même nous réalisons que nous serons récompensés si nous les accomplissons, et l’inverse, le cas échéant, notre véritable intention doit être exclusivement d’accomplir la volonté de D.ieu. Chaque Mitsva établit un lien entre le Juif et D.ieu mais notre implication doit aller encore au-delà : il s’agit d’unir notre âme divine à D.ieu. C’est là la leçon de Be’houkotaï : accomplir les Mitsvot parce qu’elles émanent de la volonté Divine.

Behar-Be’houkotaï

Apparemment, ces deux Parachiot semblent, par nature, contradictoires. Behar met l’accent sur la fierté alors que Be’houkotaï insiste sur l’effacement de soi devant la transcendance de D.ieu.

Mais en fait, chacune de ces attitudes est nécessaire au moment opportun. Avant de prier, il nous faut méditer sur « l’humilité de l’homme », c’est le service de Be’houkotaï. Après la prière, l’on étudie la Torah. Et bien que l’humilité soit une caractéristique qui doit définir le Peuple juif, lorsqu’il s’agit des « guerres de la Torah », il nous faut adopter une position de force, le service de Behar.

La combinaison de ces deux services peut trouver une application dans nos relations à l’égard de notre prochain. Nous devons aimer notre prochain « comme nous-mêmes » mais en même temps, veiller à le « rapprocher de la Torah », c’est-à-dire, adopter une position forte et ne pas abaisser la Torah à son niveau.

C’est en aimant notre prochain, en le rapprochant de la Torah, avec une joie véritable, que nous nous avançons vers l’Ere Messianique.


 Qu’est-ce que Birkat Cohanim ?

Les Cohanim (descendants de Aharon, le Grand-Prêtre) ont la Mitsva de bénir les Enfants d’Israël (Bamidbar – Nombres 6 : 22 à 27) : « Ainsi vous bénirez les Enfants d’Israël, qu’ils disent : Que D.ieu te bénisse et te protège. Que D.ieu éclaire Sa face vers toi et t’accorde Sa grâce. Que D.ieu élève Sa face vers toi et t’accorde la paix ».

En Israël, les Cohanim bénissent les fidèles tous les jours. En Diaspora, cette cérémonie de Birkat Cohanim ne s’effectue que les jours de fête.

On ne regarde pas les Cohanim quand ils élèvent leurs mains pour bénir les fidèles car la Che’hina (la Présence Divine) réside sur leurs mains : c’est pour cela qu’ils se couvrent le visage et les mains avec leur Talit (châle de prière). Cependant, le fidèle doit se trouver face au Cohen et non derrière lui. Il est d’usage que les fidèles aussi se couvrent le visage avec leur Talit : celui qui n’a pas de Talit se place sous le Talit de quelqu’un d’autre. Le père de famille prend ses enfants – même nourrissons - sous son Talit pendant la bénédiction des Cohanim. Ainsi, chacun peut se concentrer sur chacun des mots prononcés par le Cohen.

L’officiant lit chaque mot des bénédictions et les Cohanim les répètent, mot à mot. L’assemblée écoute attentivement et répond Amen à la fin de chacune des trois bénédictions.

Quand les Cohanim entonnent les trois derniers mots, les fidèles murmurent une prière pour demander que tous les rêves soient de bons présages ; cependant, il faut écouter attentivement les mots prononcés par les Cohanim.

(d’après Pinat Hahala’ha - Rav Yossef S. Ginsburgh)


 Juste au bon moment

(Suite du récit de la semaine dernière. Résumons : après avoir découvert qu’elle avait été adoptée, Malka (nom d’emprunt) a du mal à admettre son judaïsme. Le Rabbi lui apprend qu’elle n’a pas été abandonnée mais que ses vrais parents étaient décédés dans un accident de voiture ; il lui indique même le cimetière où ils sont enterrés. Fâchée avec la communauté juive, Malka part s’installer dans un village où n’habite aucun Juif).

Presque chaque année, je respectai ma promesse faite au Rabbi et j’allais lui rendre visite à New-York. A chaque fois, il me demandait d’ajouter quelque chose à mon observance des lois de base du judaïsme. Ainsi, une fois, il me demanda de respecter aussi les jours de fêtes juives. Je protestai : « Vous m’aviez demandé de respecter le Chabbat mais pas les jours de fête ! ». Il sourit et précisa : « La Torah appelle aussi les jours de fêtes du nom de Chabbat ! ». Je trouvai qu’il exagérait un peu pour ainsi dire et marchandai : « Depuis quand ? ». Il répondit : « Nous commençons à compter l’Omer ‘le lendemain de Chabbat’. Or, nos Sages affirment qu’il s’agit du lendemain de la fête de Pessa’h qui est appelé Chabbat même si c’est un jour de semaine ! Donc vous devez étendre votre promesse et n’effectuer aucun travail interdit également les jours de fêtes ! ». Le Rabbi insista gentiment mais fermement. Bien que je sois entêtée, j’ai dû accepter : il n’y avait pas de compromis possible avec le Rabbi, il sortait toujours vainqueur de nos discussions…

Environ dix ans après la mort de mes parents adoptifs, alors que j’avais décidé de fuir aussi loin que possible, un jeune rabbin sonna à ma porte et me demanda si j’étais juive. J’étais absolument abasourdie car je pensais que jamais personne ne me retrouverait ici, dans ce village perdu mais, après un moment d’étonnement, je répondis par l’affirmative. Et, évidemment je lui demandai à mon tour : « Comment le savez-vous ? ».

Il expliqua que le Rabbi lui avait demandé d’apporter une boîte de Matsot dans ce village et de la remettre au (seul) Juif qui y habitait. On ne lui avait donné aucun nom, adresse ou autre renseignement mais, comme il était un émissaire loyal du Rabbi, il s’était mis en route, bien décidé à remplir sa mission.

Arrivé dans le village, il avait demandé aux gens qu’il rencontrait s’il s’y trouvait un Juif. Chacun répondit en hochant la tête : non personne n’était au courant de la présence d’un Juif quelconque. Et pour cause : je m’étais bien gardée de signaler à qui que ce soit que j’étais juive. Finalement, quelqu’un réfléchit et suggéra que, peut-être, j’étais juive puisque j’étais la seule personne du village à ne jamais fréquenter l’église.

Effectivement, on m’avait souvent invitée à me joindre à mes voisins et à assister aux offices religieux. La pression sociale se faisait de plus en plus insistante et j’avais décidé que, le dimanche suivant, je me joindrais aux paroissiens. Après tout, me disais-je, ce n’était pas très important : j’étais juive et le resterais quoi qu’il arrive. Fréquenter l’église une fois de temps en temps me permettrait de me fondre dans la population ambiante et ne devait pas être interprété comme un acte religieux.

Et c’était exactement la semaine où j’allais céder à la pression, une ou deux semaines avant la fête de Pessa’h, que ce jeune rabbin avait sonné à ma porte !

Cela me fit longuement réfléchir : le seul signe qui lui avait permis de me trouver, de savoir que, peut-être, j’étais juive, était le fait que je ne me rendais pas, jamais, à l’église ! Et ce fut la seule fois où je recevais quelque chose du Rabbi : il savait que j’en avais besoin justement maintenant et il m’envoyait comme un message, m’indiquant qu’il continuait à veiller sur moi.

La « stratégie » qu’il avait employée était « imparable » si je peux m’exprimer ainsi : s’il avait demandé à son émissaire de m’apporter ces Matsot en lui donnant mon nom, je n’aurais jamais compris que cela signifiait que je devais éviter d’aller à l’église. J’aurais été heureuse qu’il m’envoie des Matsot mais je n’aurais peut-être pas fait le rapprochement avec ma décision de céder à la pression du village. Il me l’avait fait comprendre par moi-même, sans m’y obliger directement. Ainsi, je pris de moi-même la décision de ne pas entrer dans ce bâtiment et je m’y tiens encore maintenant, des dizaines d’années après.

Un récit sans message positif représente une occasion manquée. J’entends (ou plutôt je lis) des réactions de jeunes gens qui sont en colère, qui sont déçus par ce qu’ils ont perçu comme des injustices à leur encontre. Parfois, ces jeunes gens de familles pratiquantes choisissent de se rebeller contre leurs parents, contre le judaïsme, contre la communauté ; ils se tournent vers des modes de vie qui s’apparentent à du suicide spirituel ou même physique avec des conduites destructrices visant à gâcher leurs corps et leurs âmes. Écoutez bien mon message : je suis passée par là et je m’y suis adonnée moi aussi.

Si quelqu’un peut être en colère contre D.ieu, c’est moi. Orpheline deux fois – de mes parents biologiques que je n’ai jamais connus et de mes parents adoptifs que j’aimais. Je n’avais qu’un point d’attache au judaïsme et c’était le Rabbi. Je continue de respecter le Chabbat et la cacherout comme il me l’avait demandé : j’ai même construit un Érouv autour de ma propriété afin de pouvoir passer le Chabbat dans mon jardin avec un livre et mon repas.

J’aurais le droit d’être en colère – comme certains d’entre vous le ressentent. J’ai une tendance à me rebeller ! Mais je reste une enfant de D.ieu et le Rabbi m’a affirmé que D.ieu m’aime, même si je suis en colère contre Lui. J’honore la promesse que j’avais faite il y a si longtemps. Un jour peut-être, je comprendrai. Ou peut-être jamais. Mais, ainsi qu’on me l’a appris à l’école juive qu’enfant, j’ai fréquentée, ma vie ne concerne pas uniquement moi : « Si je ne vis que pour moi, que suis-je ? ». Par moi-même, je suis insignifiante. Mais en nous connectant à quelque chose de plus haut que nous, vous et moi atteindront des niveaux très hauts. C’est pourquoi je vous conseille et plus encore, je vous supplie : même si maintenant vous vous sentez d’humeur rebelle, restez attaché à plus haut que votre personne !

Moi, la fille rebelle, je demande à vous, les fils et filles rebelles (parce qu’aucun Juif ne peut être qualifié de « méchant ») d’apprécier ce que vous avez, quelle que soit votre famille, quoi que vous puissiez lui reprocher. Car quoi qu’il arrive, nous ferons toujours partie du peuple juif.

Malka (nom d’emprunt)

Rav Chalom Avtzon - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017

 Au rendez-vous de la lumière

Et si on prenait le temps – et la peine – de regarder encore Lag Baomer… Trente-troisième des jours qui s’étendent entre Pessa’h et Chavouot, étape de l’attente impatiente depuis la sortie d’Egypte jusqu’au Don de la Torah, fin d’une tragique – quoique antique – épidémie, temps de cette joie liée à celle de Rabbi Chimon Bar Yo’haï : les thèmes sont si nombreux qu’il pourrait sembler presque inutile, ou très ambitieux, d’y revenir… Pourtant, spécialement aujourd’hui, ce jour éclaire toute la semaine. Comment alors ne pas penser, une fois de plus et jamais une fois de trop, à ces centaines, ces milliers d’enfants qui se réunissent partout dans le monde ? Comment ne pas penser à eux qui, en ce jour, savent clamer haut et fort leur bonheur d’être Juifs par leurs jeux et leurs chants ? Et les messages qu’ils donnent sont ceux, éternels, de la connaissance, de la fidélité et du courage. Ce sont les messages de l’éducation juive, d’une si évidente urgence.

C’est peut-être ainsi que Lag Baomer livre son grand secret. Car il serait facile de n’en faire qu’une commémoration parmi toutes les autres ou une fête en l’honneur d’un de nos grands Sages qui, au fil des siècles, serait devenue une sorte de folklore émouvant, chaleureux… et sans conséquence. Mais ce n’est pas de cela que les hommes peuvent vivre. Leur vie, ils la tirent justement de la conscience qu’ils s’inscrivent dans un projet qu’ils portent et qui les emportent à la fois, que rien ne peut jamais entraver. Ils la tirent de cette justesse de comportement qui fait qu’un enfant juif est capable de ressentir pleinement que la joie de Rabbi Chimon le concerne, et pas seulement au titre de l’histoire. Ils la tirent du fait qu’un tel événement est aussi un facteur d’avenir. Comme un bel arbre qui grandit d’autant mieux que ses racines sont plus profondes.

Il faut nous souvenir : Rabbi Chimon vécut en une époque très dure, un temps aux lendemains incertains. L’empire romain occupait Israël, l’oppression grandissait et nul ne savait de quoi le lendemain serait fait. Céder à l’envahisseur, désespérer d’impuissance étaient des tentations faciles. Rabbi Chimon maintint le judaïsme, consacra sa vie à l’étude de la Torah et donna au monde tout ce dont il avait besoin. Lorsque les enfants fêtent Lag Baomer, c’est cela qu’ils célèbrent : le don de soi, l’amour de l’autre, le souci de tous, l’impératif de la connaissance, la recherche de la paix et tout cela sur un fond d’inébranlable fidélité. C’est cette volonté multiple qu’ils déclarent solennellement mettre en œuvre lorsqu’ils chantent et qu’ils jouent. C’est cette volonté qu’ils concrétisent lorsque, au lendemain de Lag Baomer, le monde n’est décidément plus tout à fait le même, grâce à eux. A présent que la route, par leur passage, s’est éclaircie, à nous de les accompagner. Le monde est obscur et les obstacles nombreux ? Le chemin n’est plus très long. Déjà la lumière se lève.


Juste un petit moment

Isaïe annonce, dans sa prophétie (54 : 7), le temps de Machia’h. S’adressant au peuple juif, D.ieu affirme dans ce texte : «Pour un petit moment, Je t’ai abandonné et, avec une grande miséricorde, Je te rassemblerai». Il semble pourtant que l’exil a duré bien plus longtemps qu’un simple «petit moment» ?

C’est que, lorsque Machia’h viendra et que la miséricorde divine se manifestera aux yeux de tous, chacun verra que tout le temps de l’exil n’aura finalement été qu’un «petit moment».

(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 10) 


 Emor

La Paracha Emor (« Dis ») commence par les lois particulières relatives aux Cohanim « les prêtres »), au Cohen Gadol (« Grand Prêtre ») et au service du Temple. Un Cohen n’a pas le droit de se rendre rituellement impur par le contact avec un corps mort, sauf lors de la mort d’un parent proche. Un Cohen ne peut épouser une femme divorcée ou une femme au passé léger. Un Cohen Gadol ne peut se marier qu’avec une jeune-fille qui n’a jamais été mariée. Un Cohen atteint d’une difformité ne peut servir dans le Saint Temple, pas plus qu’un animal difforme ne peut être apporté en offrande.

Un veau, un chevreau ou un agneau nouveaux-nés doivent être laissés auprès de leur mère pendant sept jours avant de pouvoir servir d’offrande. On n’a pas le droit d’abattre le même jour un animal et ses petits.

La seconde partie d’Emor fait la liste des célébrations de sainteté annuelles : les fêtes du calendrier juif, le Chabbat hebdomadaire, l’offrande de l’agneau pascal, le 14 Nissan, la fête des sept jours de Pessa’h commençant le 15 Nissan, l’offrande du Omer de la première récolte d’orge, à partir du deuxième jour de Pessa’h, et le commencement, en ce même jour des 49 jours du décompte du Omer, culminant avec la fête de Chavouot, le cinquantième jour ; un « rappel du son du Choffar », le premier Tichri ; un jeûne solennel, le 10 Tichri ; la fête de Souccot durant laquelle nous devons résider sept jours dans des Cabanes et prendre les « Quatre Espèces », à partir du 15 Tichri et la fête qui suit immédiatement, « le huitième jour » de Souccot (Chemini Atsérèt).

La Torah évoque ensuite l’allumage de la Menorah dans le Temple et les « pains de présentation » (Lé’hèm Hapanim), placés chaque semaine sur une table qui s’y trouvait.

Emor se conclut par le tragique récit de l’homme exécuté pour blasphème et les punitions relatives au meurtre et aux blessures infligées à quelqu’un ou à la destruction de sa propriété (compensation pécuniaire).

Dans la Paracha de cette semaine, D.ieu dit à Moché Rabbénou : Emor èl Hacohanim, « tu diras aux Cohanim ». La Paracha poursuit en nous enseignant quelques-unes des Mitsvot relatives aux Cohanim.

Cependant, l’on nomme la Paracha Emor, « tu diras ». Du fait que son nom soit Emor, « dis », et non Emor èl Hacohanim, « dis aux Cohanim », l’on peut comprendre que D.ieu nous commande, à nous aussi, de dire certaines choses. Ce commandement semble insinuer que nous devrions beaucoup parler de certains sujets. Mais desquels ? Et n’avons-nous pas appris dans les Pirké Avot, « les Maximes de nos Pères » : Emor meat vé’assé harbé, « parle peu et agis beaucoup » ?

La première chose qui vient à l’esprit est que nous devrions prononcer des paroles de Torah. Mais cela constitue en soi un commandement différent : Vedibarta Bam, « et tu les diras (les mots de la Torah) ».

Ainsi cela implique donc qu’ici, il s’agit d’autre chose.

Par le mot Emor, D.ieu nous indique qu’il nous faut toujours prononcer des propos positifs concernant autrui. Nous pouvons percevoir la portée de ce commandement lorsque l’on pense à ce qui arrive quand, à D.ieu ne plaise, les gens profèrent de la médisance.

Nos Sages nous disent que lorsque quelqu’un dit du Lachone Hara, (« des propos diffamatoires ») trois personnes sont atteintes : celui qui parle, celui qui écoute et celui dont on parle. Nous comprenons aisément pourquoi ceux qui parlent et écoutent sont responsables du péché qu’ils ont commis. Mais pourquoi cela devrait-il affecter celui dont ils parlent ? Il n’a pas pris part à leur conversation. Il est même fort possible qu’il ignorait qu’on parlait de lui !

Réfléchissons un instant à ce que nous faisons quand nous parlons. Nous révélons, à l’extérieur, des pensées cachées. Et cela a une incidence sur la personne dont nous parlons. Quand nous révélons le mal caché à l’intérieur de la personne, nos paroles le font jaillir à l’extérieur. Si nous ne l’avions pas mentionné, peut-être ne se révélerait-il jamais et l’individu ne se conduirait-il jamais mal.

Nos Sages affirment que le bien a beaucoup plus de force que le mal. Songeons à ce qui se passerait si nous ne disions que du bien d’autrui. Parce que la parole fait jaillir les pensées à l’extérieur, dire beaucoup de bien des personnes révélerait le bien qu’elles possèdent en elles. Et c’est là précisément ce que nous commande D.ieu quand Il dit Emor. Il ne faut prononcer que de bonnes paroles à propos de nos prochains, et ce, tout le temps.

Puisque parler fait jaillir à la surface ce qui est caché, nous devrions parler, avec les membres de notre famille et nos amis, de la Guéoula, la Délivrance ultime avec Machia’h, car c’est exactement cela qui la fera survenir plus tôt.


 Qu’est-ce que Lag Baomer (cette année dimanche 14 mai 2017) ?

Le 33ème jour du compte de l’Omer rappelle la Hiloula (décès) de Rabbi Chimone Bar Yo’haï qui avait demandé que cette date soit célébrée comme un jour de joie (puisqu’il y avait achevé de façon parfaite sa mission sur terre). Ce jour marque une pause dans la période de deuil instituée à cause d’une terrible épidémie qui avait frappé les disciples de Rabbi Akiba).

- On ne récite pas les prières de Ta’hanoune (supplications), même pas la veille.

- Nombre de gens ont la coutume de se rendre au tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo’haï à Meron, près de Tibériade en Galilée ; on y procède à la première coupe de cheveux des garçons qui ont atteint l’âge de 3 ans depuis Pessa’h.

- On organise des réunions ‘hassidiques joyeuses.

- On a la coutume de manger des caroubes, en souvenir de ces fruits dont se nourrissaient Rabbi Chimone et son fils Rabbi Eléazar quand ils se cachaient dans une grotte à cause des Romains. Certains ont aussi la coutume de manger des œufs durs dont la coquille serait devenue marron durant la cuisson.

- On donne davantage de Tsedaka (charité).

- Les enfants sortent et défilent tous ensemble fièrement dans la rue avec des drapeaux et des pancartes les encourageant à étudier la Torah et accomplir les Mitsvot : le but de la descente de l’âme dans le corps est de « marcher », d’avancer dans la vie. Ces défilés donnent chaleur et vitalité à l’étude formelle et prolongent l’enthousiasme des enfants dans leur éducation.

- Lag Baomer est un moment propice pour prier pour la naissance d’enfants et leur bonne éducation.

(d’après Hamitsvaïm Kehala’ha)


 L’orpheline et le Rabbi

C’est à l’âge de douze ans que j’appris de la bouche de mes « parents » que j’avais été adoptée. A l’époque, la loi imposait dans ce cas le silence le plus strict quant aux origines de l’enfant. Les merveilleux « parents » qui m’avaient recueillie étaient des Juifs pratiquants et un rabbin leur avait précisé que je devais, à 12 ans, l’âge de la Bat Mitsva, me convertir au judaïsme de mon propre gré – par mesure de prudence puisqu’on ignorait qui avaient été mes véritables parents.

Choquée par cette révélation et en colère, je choisis sans hésiter de ne pas me convertir ! Bien que mes « parents » aient visiblement été peinés par ma réaction, je m’entêtais : pourquoi accepter le judaïsme puisqu’il existait une possibilité que je ne sois pas juive ? C’était ma façon de protester contre le mensonge dans lequel j’avais été élevée. Mes véritables parents m’avaient abandonnée, raisonnai-je et j’étais donc libre de choisir ma voie. Finalement le rabbin suggéra à mes « parents » (que j’aimais beaucoup) d’aller prendre conseil auprès du Rabbi.

Quand nous avons été reçus en audience privée, nous sommes entrés tous les trois ; le Rabbi nous parla collectivement puis demanda à me parler en privé. Je trouvais cela étrange mais mes parents adoptifs acceptèrent de sortir du bureau. Le Rabbi m’annonça alors que j’étais née de parents juifs qui m’avaient beaucoup aimée et qui m’aimaient encore beaucoup de là où ils se trouvaient dans le Ciel. Non, répéta-t-il, ils ne m’avaient pas abandonnée mais étaient décédés dans un accident de voiture. Il continua : c’était la Volonté de D.ieu – pour quelque raison que ce soit – qu’ils soient décédés et que je reste une orpheline. Il ajouta que D.ieu est le Père de tous les orphelins et que j’étais donc spécialement aimée par Lui.

Même si je ne passais pas par le processus de conversion, j’étais juive à 100 % puisque ma mère l’avait été ; je devais néanmoins passer par cette étape car c’était ce que la loi juive dictait dans de telles circonstances (puisqu’il n’y avait pas deux témoins pour attester de la judaïté de mes parents car tous les papiers concernant mon adoption étaient – à l’époque – tenus rigoureusement secrets et scellés). Cependant, cela ne changeait rien au fait que j’étais certainement juive de naissance.

Bien entendu, j’étais en état de choc puisque ce rabbin que mes parents avaient rencontré auparavant avait statué que, sans la conversion, je ne pouvais être considérée comme juive. Je n’avais aucune idée de la grandeur du Rabbi et je supposais juste qu’il suivait une opinion plus conciliante : comment aurais-je pu comprendre que D.ieu lui avait accordé la faculté de tout connaitre de mon histoire – dès notre première rencontre – alors que personne d’autre n’était au courant ?

Mais déjà le Rabbi continuait : il savait que je pouvais ne pas le croire et penser qu’il s’agissait d’un coup monté par mes parents adoptifs pour que j’accepte de rester juive. Il me conseilla alors de me rendre dans le cimetière juif d’une certaine ville et d’y prier pour le repos de l’âme de mes vrais parents qui y étaient enterrés !

Puis le Rabbi me demanda de lui promettre trois choses : de toujours manger cachère, de respecter le Chabbat et d’essayer de lui rendre visite au moins une fois par an. Je quittai le bureau complètement abasourdie mais surtout moins en colère : après tout, mes vrais parents ne m’avaient pas abandonnée comme je l’avais cru jusqu’alors. Et j’acceptais finalement de passer par le processus de conversion comme le Rabbi me l’avait demandé.

Quelques années plus tard, alors que je me remettais très lentement de ce que le Rabbi m’avait annoncé sur mes parents biologiques, je perdis mes parents adoptifs ! J’étais orpheline une seconde fois ! C’était insupportable et je devins de plus en plus furieuse contre tout ce qui avait trait au judaïsme. J’habitais dans un village perdu où il n’y avait pas d’autres Juifs. Cependant, la cacherout ne représentait pas de problème puisque j’étais devenue végétarienne et que je pouvais me procurer beaucoup d’aliments (pain, biscuits, fromages…) avec des symboles discrets de cacherout. Chabbat, je n’utilisais pas l’électricité, je ne conduisais pas et je restais à la maison à lire, méditer et me reposer. Ainsi se manifestait mon obéissance aux consignes du Rabbi : les bases de la cacherout et du Chabbat.

Une fois par an, je me rendais à New York et l’attendais devant la synagogue du 770 Eastern Parkway. Parfois, il se contentait de me saluer, parfois il me demandait d’ajouter un détail dans mon observance du Chabbat et de la cacherout (réciter une bénédiction avant de manger etc…). Une fois, alors qu’il passait rapidement devant moi, je ne pus m’empêcher de crier : « Pourquoi ? ». Il se tourna vers moi et voici ce que je retins de sa réponse : « Les parents qui vous ont donné la vie étaient de bonnes personnes mais – et ce n’était pas de leur faute – ils ne connaissaient rien du judaïsme et ne le pratiquaient pas. D.ieu est aussi un partenaire dans votre existence et est aussi votre parent. Il vous aime et sait que votre âme avait besoin de nourriture cachère et de respect du Chabbat durant vos années d’éducation. Vous avez été confiée à des parents adoptifs qui vous ont donné uniquement de la nourriture cachère et qui vous ont appris à respecter le Chabbat. C’est pourquoi vous devez respecter votre promesse et veiller au Chabbat et à la cacherout ! ». Puis le Rabbi entra dans sa voiture qui démarra à toute allure. Cela avait peut-être duré quinze secondes mais, pour moi, c’était le message d’une vie.

Bien des années plus tard, j’ai pu obtenir les renseignements sur ma naissance, des faits auxquels personne n’avait eu accès jusque-là. Oui mes parents étaient juifs et étaient enterrés au cimetière juif de la ville que m’avait indiquée le Rabbi ! J’y vais chaque année prier pour le repos de leurs âmes.

J’ai continué de rendre visite au Rabbi une fois par an et, depuis le 3 Tamouz 1994, je me rends chaque année auprès de son tombeau. J’y pleure jusqu’à ce qu’il ne me reste plus de larmes et j’y laisse ma peine ; je me sens un peu réconfortée car je me sens liée à quelque chose de plus grand que moi. Je tente d’internaliser le message du Rabbi : D.ieu est mon parent et même moi, cette « fille rebelle », je suis la fille de D.ieu, D.ieu qui l’aime ; et je me rapproche de Lui en respectant ma promesse datant d’il y a si longtemps !

Comment le Rabbi savait-il tout ceci ? Le fait est qu’il savait tout ce qui se passait dans ce monde et le monde futur ! Pour lui, tout était simple et évident comme s’il lisait une carte et un panneau indicateur. Il connaissait avec certitude mes origines, savait que je n’avais pas été abandonnée par des parents insensibles et savait même comment ils étaient décédés et où ils étaient enterrés ! Il savait pourquoi j’étais devenue orpheline et pourquoi j’avais été adoptée par des parents pratiquants. Ce n’était pas une logique humaine mais « une autre dimension » de ce que nous pensons ou comprenons. Je ne crois pas que quiconque puisse comprendre les implications de mon récit, ce n’est pas encore une autre histoire d’un miracle accompli par le Rabbi. C’est simplement un aspect de la description d’un être humain qui avait un accès sans restriction au divin.

Malka (qui souhaite rester anonyme)

Propos recueillis par Rav Chalom Avtzon - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017