Question de principes !

C’est sans doute une de ces expressions que les temps ont rendues peu valorisantes. Dire de quelqu’un qu’il est une personne de principes est sous-entendre qu’il s’agit là d’un homme austère, peu enclin à la joie ou au partage, largement enfermé en lui-même. Une telle évolution d’un mot est bien plus révélatrice de celle d’une société que de celle d’un vocable. Car, finalement, qu’est-ce que des principes ? Si l’on voulait avancer une définition, ne devrait-on pas simplement dire qu’il s’agit des idées essentielles sur lesquelles une vision du monde est fondée, d’un ensemble de normes communément admises qui permettent à une société de préserver son harmonie intérieure et, par conséquent, sa capacité de développement serein ?

On s’interroge souvent sur le secret de la survie du peuple juif au travers des pires drames de l’histoire. Il est vrai que tant d’autres peuples, y compris ceux qui constituèrent un jour des nations puissantes, virent le jour et s’éteignirent sans laisser d’autre souvenir que des pierres qui ont perdu tout sens pour qui les observe, hormis celui de « patrimoine historique ». A l’inverse, le peuple juif vit toujours ; sa vision et son espoir ont franchi toutes les barrières suscitées par l’histoire ou édifiées par la barbarie. Ce ne sont certes pas les grands monuments qui l’ont ainsi maintenu, il en a peu fait et ceux qu’il a bâtis n’existent aujourd’hui que dans les livres. Mais c’est un peuple qui a su établir sa vie sur des principes éternels, reçus de D.ieu au mont Sinaï.

Conduire ainsi son existence demande conscience et constance mais une société qui ne se reconnaît pas ses propres valeurs finit toujours, a contrario, par disparaître. Il est vrai que les temps sont davantage à des formes diverses du relativisme qu’à l’assurance des choix pérennes. Mais justement, n’est-ce pas là aussi le rôle du peuple juif que de témoigner par ses actes de tous les jours qu’il existe une autre façon de vivre, que le lendemain est modelé peu à peu et qu’oublier d’où l’on vient c’est bien souvent ne pas savoir où l’on va.

Nous sommes entrés dans le second mois de l’année juive, celui de ‘Hechvan, mois sans fête. Peut-être précisément pour nous souvenir que nous avançons sur notre chemin, construisant notre histoire minute après minute, fidèles à ce que nous sommes… nos principes.


Il est temps d’être joyeux!

Dans l’un des psaumes qui traitent du retour final des exilés en Israël, il est écrit (126: 2-3): « Alors ils diront parmi les nations: ‘D.ieu a fait de grandes choses pour ceux-ci’. D.ieu a fait de grandes choses pour nous ; nous étions joyeux ».

Un des Maîtres polonais a commenté ces mots de la façon suivante :

« Alors ils diront parmi les nations » : quand Machia’h viendra, les nations du monde diront,

« D. ieu a fait de grandes choses pour ceux-ci » : D.ieu a fait des merveilles pour le peuple juif.

Nous répondrons à ces propos :

« D.ieu a certes fait de grandes choses pour nous ».

Quelle en est la raison ? « Nous étions joyeux ! »

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch)


 Vayéra

Délaissant la Présence Divine venue lui rendre visite, trois jours après sa circoncision, Avraham se précipite pour accueillir trois invités. Ils ne sont autres que trois anges à l’apparence humaine. L’un annonce que dans un an, Sarah, encore stérile, mettra au monde un enfant. Sarah en rit. Avraham plaide pour la survie de la ville impie de Sodome dont un autre ange lui a annoncé la destruction.

Deux des trois anges se rendent à Sodome pour sauver Loth, le neveu d’Avraham, et sa famille. La femme de Loth est transformée en statue de sel pour avoir enfreint l’interdiction de regarder en arrière la ville en feu.

Les deux filles de Loth (pensant qu’elles et leur père sont les seuls survivants dans le monde entier) l’enivrent et l’une d’entre elle sera enceinte. Les deux fils qui naîtront de cet épisode seront les ancêtres des nations de Moav et d’Amon.

Sarah est prise en otage par Avimélé’h mais il la libère après les avertissements divins qui lui sont apparus en rêve.

Its’hak (« il rira ») naît et est circoncis à huit jours. Avraham a cent ans et Sarah quatre-vingt-dix ans.

Hagar et Ichmaël sont bannis de chez Avraham et errent dans le désert. D.ieu entend le cri du jeune garçon mourant et lui sauve la vie en montrant un puits à sa mère.

D.ieu teste le dévouement d’Avraham en lui commandant de sacrifier son fils sur le Mont Moriah (le Mont du temple), à Jérusalem. Its’hak est lié et placé sur l’autel et Avraham lève son couteau. Une voix se fait alors entendre du Ciel et lui ordonne d’arrêter. Un bélier, retenu par ses cornes dans des buissons, est offert à la place.

Avraham apprend la naissance d’une fille, Rivka, chez son neveu Bethouël.

La fin de la Paracha Vayéra relate l’un des épisodes les plus intrigants de l’histoire juive : le sacrifice d’Its’hak par son père Avraham. On y voit Avraham s’empresser de suivre les instructions de D.ieu d’abattre et de sacrifier son fils unique, Its’hak. Il en est empêché à la toute dernière minute, son couteau étant déjà levé, par D.ieu qui s’écrie : « Maintenant Je sais que tu crains D.ieu ».

L’expression semble quelque peu étonnante. Après tout, c’était la dixième épreuve qu’Avraham subissait et surmontait. La première avait été sa mise au feu, à Our Kasdim, pour avoir refusé de se prosterner devant les idoles. Il avait également surmonté les suivantes. Et c’est seulement maintenant que D.ieu lui dit : « Maintenant Je sais que tu crains D.ieu.» Mais n’en avait-il pas déjà donné les preuves, après toutes les épreuves qui l’avaient affecté, après tout le service divin qu’il avait accompli dans sa vie ?

Il faut examiner le texte plus attentivement. Il n’est pas dit « maintenant Je sais que tu es un homme saint ou un homme dévoué » mais « un homme qui craint D.ieu. » Cela nous indique qu’à ce point, Avraham a atteint le niveau très particulier de la crainte de D.ieu.

Chacun d’entre nous naît avec des caractéristiques particulières innées. Certaines bonnes, d’autres moins bonnes. Cependant, quand bien même ces qualités sont particulièrement remarquables, la personne n’est pas complètement considérée comme un serviteur de D.ieu tant qu’elle n’a pas été au-delà de ses tendances naturelles.

Cela peut s’illustrer par un récit du Talmud. Rabbi Yossef ben Kisma parlait avec Rabbi ‘Hanina ben Téradione. Rabbi ‘Hanina ben Téradione lui demanda : « Crois-tu que je mérite une part dans le Monde Futur ? »

Cette question paraît quelque peu étonnante. Rabbi ‘Hanina était réputé pour son extraordinaire abnégation pour l’étude de la Torah, étudiant et enseignant aux autres, au péril de sa vie, les occupants étrangers en ayant absolument proscrit la pratique. Et de fait, le Talmud indique que, finalement, il fut brûlé vif, pour avoir défié le décret et enseigné la Torah. Et pourtant, il interrogea Rabbi Yossef pour savoir s’il avait une part dans le Monde Futur.

La réponse de Rabbi Yossef est encore plus surprenante : « Y a-t-il un acte que tu as accompli qui pourrait prouver que tu mérites une part dans le monde futur ? »

Et Rabbi ‘Hanina de répondre : « Oui ! En fait, un jour j’ai mélangé l’argent que j’avais mis de côté pour acheter des aliments pour Pourim avec l’argent de la charité. Et au lieu de récupérer la part d’argent qui me revenait dans la somme destinée à la charité, j’ai tout donné aux pauvres. »

Et Rabbi Yossef répondit : « Il est donc sûr que tu mérites une part dans le Monde Futur ! »

Cette histoire nous laisse également perplexes. Quand Rabbi ‘Hanina risque sa vie pour enseigner la Torah, il n’est pas sûr qu’il ait une part dans le Monde Futur. Mais une fois qu’il a donné si généreusement de la charité aux pauvres, on est assuré qu’il l’aura !?

L’explication est la suivante : peut-être qu’auparavant, Rabbi ‘Hanina se demandait si son sacrifice de lui-même pour l’étude de la Torah, même au prix de sa propre vie, jaillissait de sa propre nature. Peut-être était-il né avec un désir naturel d’étudier, d’approfondir ses connaissances et de les partager ? Peut-être ne pouvait-il se concentrer que sur l’idée d’acquérir du savoir, de le transmettre mais pas sur la pratique concrète de bonnes actions ? Et c’est précisément ce que Rabbi Yossef lui demande : « Y a-t-il quelque chose dans ta vie qui montre que tu es allé au-delà de ta nature ? »

La réponse que lui donne Rabbi ‘Hanina conforte Rabbi Yossef dans l’idée que son disciple mérite une telle récompense. Il ne sert pas D.ieu exclusivement par la nature innée qu’Il lui a donnée. Il va au-delà. Il conquiert sa nature, la transforme et sert D.ieu de toutes les manières possibles, pas seulement dans le domaine de l’étude mais également dans celui de la charité.

Et c’est précisément de cela qu’Avraham apporta la preuve lors du sacrifice. Auparavant, Avraham était connu pour son immense amour de D.ieu et de Ses créatures. Son hospitalité et ses actes de bienveillance étaient légendaires. Mais tout cela faisait appel à la qualité d’amour qui était sienne, de façon innée. Il travaillait en accord avec sa nature, né « homme de bonté », rempli d’amour et agissant dans cet esprit.

Vint le moment où, pour servir D.ieu, il lui fut demandé de réaliser un acte cruel : tuer un être humain et pire encore, son fils unique. Mais il fut prêt à l’accomplir pour obéir au commandement de D.ieu.

Et cela prouve qu’il servait D.ieu dans toutes Ses voies, transcendant sa nature propre.

Tel est le sens de la déclaration « maintenant Je sais que tu crains D.ieu. »

Auparavant, Avraham avait fait la preuve qu’il était capable de servir D.ieu par amour.

Le sacrifice d’Its’hak permit de prouver qu’il pouvait également Le servir par crainte.


 En quoi consiste l’essentiel de l’étude de la Torah pour le débutant ?

Celui qui découvre le monde de l’étude de la Torah – le Baal Techouva – apprendra d’abord comment se conduit un Juif depuis son lever jusqu’à son coucher. Il étudiera la structure des prières et des bénédictions usuelles et les principales traditions. On l’initiera aux lois principales du Chabbat et des fêtes, de la cacherout ainsi qu’aux lois morales telles que l’interdiction du vol, du mensonge, de la médisance, de l’orgueil, du gaspillage (de temps, d’argent, d’objets…) etc.
Une fois que le débutant aura maitrisé la lecture de l’hébreu – ou même avant – il étudiera les textes sacrés : ‘Houmach (Bible), Michna, Choul’han Arou’h (lois), Guemara etc. Dès que possible, il récitera chaque jour des Tehilim – Psaumes, éventuellement en phonétique au départ mais le plus rapidement possible dans le texte hébraïque.

Tout Juif a l’obligation d’étudier la Torah, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il soit en bonne santé ou non, qu’il soit jeune ou âgé et même s’il est occupé toute la journée pour nourrir sa famille.
Dès que l’enfant sait parler, son père lui enseigne le verset « Torah Tsiva Lanou Moché Moracha Kehilat Yaakov » (La Torah que Moïse nous a enseignée est un héritage pour la communauté de Jacob).
Les femmes et jeunes filles ont l’obligation d’étudier la Torah, les lois qui les concernent ainsi que la ‘Hassidout qui permet d’apprendre à connaître, aimer et respecter D.ieu.

(d’après Hamitsvaïm Kehil’hatam)


Oui, nous le pouvons !

En 1992, une dame élégante de 85 ans entra dans le bureau de Rav Yaakov Biderman, l’émissaire principal du Rabbi de Loubavitch en Autriche.

- Je m’appelle Margareta Chayos ; j’étais chanteuse d’Opéra et je vous annonce que j’étais la première émissaire du Rabbi ici, bien avant vous, quoi que vous en pensiez !

Descendante des Rabbis de Viznitz, elle avait abandonné « l’ancien mode de vie » pour se jeter avec frénésie dans « la vraie vie » et s’était établie à Vienne où elle était devenue chanteuse d’Opéra.

Quand la guerre éclata, elle parvint à s’enfuir grâce à l’aide d’amis non-juifs et arriva aux Etats-Unis où elle épousa un descendant du célèbre commentateur talmudique, le Maharatz Chayos. Là, elle donna naissance à leur fille qui épousa un médecin juif, de fait une sommité du monde médical et, par ailleurs, grand donateur du mouvement Loubavitch. Ce fut à l’occasion d’un gala de collecte de fonds que ce médecin fut gratifié d’une entrevue avec le Rabbi et sa belle-mère eut l’honneur d’y participer également.

- Quand je suis entrée dans le bureau du Rabbi, je ne sais pas pourquoi, j’ai ressenti que, pour la première fois depuis la Shoah, je pouvais pleurer – pour tous les membres de ma famille que j’avais perdus. Je racontai au Rabbi toute ma vie et il m’écouta intensément. J’annonçai au Rabbi que je désirais retourner à Vienne. Le Rabbi me demanda alors de remplir deux missions pour lui, là-bas : transmettre ses amitiés au Grand-Rabbin de Vienne, Rav Aquiba Eisenberg et, d’autre part, rendre visite à un certain professeur juif de l’Université de Vienne, M. Frankel. Je devais lui transmettre ses amitiés et lui dire au nom du Rabbi qu’il ne devait pas abandonner. Il devait rester ferme dans ses idées et continuer à travailler avec vigueur et enthousiasme. S’il restait fort dans ses opinions, il parviendrait à vaincre tous les obstacles ! Et le Rabbi développa assez longtemps ce thème.

A Vienne, je n’eus aucun mal à trouver Rav Eisenberg mais à l’Université, on n’avait pas vu M. Frankel depuis deux semaines et on refusait de me donner son adresse. Je dus me débrouiller autrement et finis par la trouver.

Quand j’arrivai devant sa maison, je sonnai à la porte. Une femme ouvrit et je pus distinguer derrière elle de nombreux crucifix.

Quelques instants plus tard, le professeur apparut. Il avait l’air désabusé, semblait très nerveux et je me sentis mal à l’aise : « J’ai pour vous un message d’amitié de Rabbi Schneerson, de Brooklyn ! » annonçai-je.

- Qui est-ce ? demanda-t-il, les yeux dans le vague.

- Le Rabbi m’a demandé de vous transmettre de ne pas désespérer, de rester ferme dans vos convictions et de continuer vos travaux avec détermination. Si vous avancez avec confiance en vous et en vos idées, vous connaitrez le succès !

Son visage changea complètement.

- Je ne peux pas le croire ! affirma-t-il. Il s’essuya le visage et continua : « Ce Rabbi de Brooklyn a su exactement quand vous envoyer ! C’est un vrai miracle ! Vous m’avez sauvé ! » Il pleurait à nouveau et n’arrêtait pas de me remercier.

Après le départ de Margareta, le rav Biderman procéda à une petite enquête. Le professeur Victor Frankel était encore vivant, il avait 87 ans et était devenu célèbre. De plus, il était un contributeur régulier de son Beth ‘Habad à Vienne ! Rav Biderman raconte :

« Je lui téléphonai, me présentai et lui demandai de me recevoir :

- Je ne me souviens plus du nom de la dame mais je me souviens très bien de sa visite ! Jamais je ne l’oublierai ! Ma gratitude envers Rabbi Schneerson est éternelle ! proclama Dr Frankel.

Il raconta qu’étudiant, il avait excellé dans les domaines de la neurologie et de la psychiatrie : il avait fait partie du cercle intime de Freud, le père de la psychanalyse. 

Déjà avant la guerre – et encore plus durant ses trois terribles années passées à survivre dans les camps – il avait développé des idées contraires aux théories de Freud. Celui-ci soutenait que l’homme avait la capacité de s’élever spirituellement, de se libérer des contingences et d’être capable de donner un sens à la vie. Il avait vu dans les camps des êtres dénués de tout mais capables de donner leur dernier morceau de pain à d’autres détenus. Tout peut être pris à un homme sauf sa liberté de choisir le bien !

Mais dans les milieux universitaires d’après-guerre, les idées de Freud étaient les seules admises tandis que celles de Frankel étaient dédaignées, considérées comme fanatiques et non-scientifiques.

- Rav Biderman ! s’exclama Dr Frankel. J’ai survécu à la déportation mais je ne pouvais pas supporter la dérision de mes collègues. Je n’avais plus d’amis, plus d’étudiants ; j’envisageai la démission ou même pire, quand cette femme entra et me transmit le message du Rabbi ! Espoir ! Inspiration ! Quelqu’un à Brooklyn - qui plus est un Rabbi ‘hassidique - avait entendu parler de moi, appréciait mes théories et connaissait mon état d’esprit ! Je n’étais plus seul !

Et je me suis battu. Peu de temps après, on m’a offert une chaire à l’Université. Mon livre a été traduit en anglais (« Man’s search for meaning ») et je suis devenu célèbre.

Quand ‘Habad s’est installé à Vienne, je suis devenu un de ses premiers donateurs ».

Le livre de Victor Frankl a marqué un tournant dans la pensée moderne et a donné à la psychiatrie un ton positif.  Il devint un orateur recherché de par le monde, obtint 29 titres de Docteur Honoris Causa. Son premier livre fut vendu à plus de dix millions d’exemplaires et fut cité par la bibliothèque du Congrès américain comme l’un des livres ayant eu le plus d’influence au XXème siècle !

Tout ceci ne serait pas arrivé sans l’intervention discrète mais prophétique et aimante du Rabbi.

En 2003, Shimon Cown, un australien ‘Hassid de Loubavitch – par ailleurs expert de l’œuvre de Frankel – rendit visite à sa veuve non juive. Ils parlèrent pendant des heures puis elle apporta une paire de Téfiline et un Talit :

- Mon défunt mari les portait chaque jour ! Quand on lui demandait s’il croyait en D.ieu, il répondait par une pirouette.

Apparemment le Rabbi influença Victor Frankel bien davantage qu’on ne l’imagine !

Rav Tuvia Bolton - www.ohrtmimim.org/torah

 

Publié dans 2017

 La place du rêve

Certes, les fêtes du mois de Tichri – faut-il encore le dire ? – nous ont donné des forces immenses et nous ne cessons pas de nous en rendre compte chaque jour davantage. Certes encore, même si le nouveau mois a commencé, celui de ‘Hechvan, elles sont bien présentes dans notre cœur et notre esprit et, sans doute, nous aident largement à surmonter la morosité ambiante. Nous devrions donc être, à présent, pleins d’assurance, confiants dans le lendemain, réconfortés par l’équilibre et l’harmonie universels. Pourtant, force est de constater que nous vivons encore dans un monde imparfait, que le contexte est plus incertain que jamais et que nombreuses sont les questions qui, naturellement, se posent à chacun. Que devenir dans tout cela ? Que faire de tous les acquis spirituels encore si vivants dans notre mémoire ?

Il nous reste un élément à faire intervenir : l’effort de chacun. Il faut se garder d’oublier le fameux verset qui a retenti il y a si peu de temps dans toutes les synagogues : D.ieu plaça l’homme dans le jardin d’Eden « pour le travailler et le garder. » En termes plus contemporains, cela signifie que l’homme fut créé dans ce monde afin d’y apporter une forme de perfection qui lui manquait. Il devait le « travailler » parce qu’il y avait une œuvre à accomplir que nul autre ne pouvait entreprendre. C’est là une ancienne histoire mais elle nous parle du temps présent.

De fait, rien n’a véritablement changé. Le monde possède un potentiel infini mais seul l’homme peut le mettre en œuvre et c’est à lui de le révéler. Car il peut être le théâtre de la folie des hommes – parfois meurtrière – mais il est aussi le lieu que D.ieu a choisi, c’est-à-dire un espace qui peut devenir celui de la liberté et du bonheur. Il est donc temps de réaliser ce projet, conçu avant nous et qu’il nous appartient de mener à bien. Si nous le voulons, nous pouvons rétablir les choses. Nous pouvons faire que la suite des jours ne soit pas parcourue par l’angoisse de l’instant qui vient mais par l’espoir dont il est porteur. Cela ressemble à un rêve ? Mais n’est-ce pas de cela que la vie est d’abord tissée ? Et n’est-ce pas ainsi qu’elle peut garder les couleurs du bonheur ? Le temps est venu de nous de nous en saisir, la nouvelle année nous en ouvre déjà la voie !


 Le pouvoir de la joie

La ‘Hassidout pose un principe essentiel : « La joie brise les barrières ». A cette idée, il faut ajouter qu’elle brise aussi les limites de l’exil et hâte la venue de Machia’h. C’est dans le même sens qu’il est écrit à son propos (Berechit Rabba 85 : 14 sur Miché 2 : 13) : « Celui qui brise (les limites) montera devant eux ».

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parchat Toledot 5741)


 Lé’h Le’ha

D.ieu ordonne à Avram : « Pars de ta terre, de ton lieu de naissance, de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai ».

Avram, Saraï et leur neveu Loth se rendent en Canaan où Avram diffuse le message divin.

Une famine pousse Avram à se rendre en Egypte où Saraï est sauvée des assauts du Pharaon. Ils repartent riches en Canaan.

Avram délivre son neveu Loth d’ennemis qui l’ont fait prisonnier.

D.ieu scelle une alliance avec Avram et lui fait savoir qu’un exil et une persécution les atteindront mais que la Terre Sainte leur est attribuée en héritage éternel. Avram, sans enfant, épouse la servante Hagar qui met au monde un fils Ichmaël. Avram a alors quatre-vingt-six ans.

Treize ans plus tard, D.ieu change le nom d’Avram en Avraham et de Saraï en Sarah et leur promet un fils.

Avraham reçoit le commandement de se circoncire ainsi que ses descendants. Il s’exécute immédiatement.

Avec la Paracha Lé’h Le’ha, la Torah entame le récit détaillé de l’histoire de nos Patriarches, Avraham, Its’hak et Yaakov et de nos Matriarches, Sarah Rivka, Ra’hel et Léa. Il est dit : Maassé Avot Simane Lebanim, les actions des pères et des ancêtres du Peuple juif servent d’indicateurs et de guides pour leurs descendants. Nos Patriarches nous servent de modèles.

Cette histoire commence avec le commandement divin que reçoit Avraham, dans le verset d’ouverture de notre Paracha, Lé’h Le’ha : « pars de ta terre, de ton lieu de naissance, de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai ».

Ce commandement de D.ieu, donné au premier Juif, reste un commandement, une ligne directrice pour tous ses descendants, pour chacun d’entre nous. Il révèle la mission, la raison d’être de l’homme dans sa vie sur terre et ce, dans chacun des détails de ce monde.

Tout d’abord, il est dit : Lé’h Le’ha : « va pour toi ». Le mot hébreu pour « aller », Hali’ha, a la connotation d’aller de l’avant, de progresser. La fonction divine de Lé’h Le’ha, est donc d’indiquer à l’homme d’avancer, d’évoluer, de se perfectionner. L’homme doit savoir qu’il ne peut rester statique. Un être humain ne peut rester toujours au même niveau. Nos Sages notent que la différence entre les hommes et les anges tient au fait que les anges sont immuables. Ils restent au niveau, au degré, à la perfection qui leur ont été donnés à leur création. Seul l’homme peut progresser et s’élever dans un processus perpétuel.

Cela va encore plus loin. L’homme ne pouvant rester au même niveau, cela signifie que s’il ne progresse pas, à D.ieu ne plaise, il régressera.

L’homme n’a donc pas seulement l’aptitude à aller de l’avant et sans cesse se perfectionner mais également l’obligation de le faire.

Telle est donc la signification de ce premier commandement adressé à Avraham, et à chacun d’entre nous : « va, avance, progresse, élève-toi pour atteindre des objectifs plus élevés ! ».

Mais comment réussir à s’améliorer, à s’élever ?

Le verset continue : « pars de ta terre ». Le mot hébreu pour « terre » : Erèts, renvoie à Artsiout, « la matérialité », et évoque une aspiration et une quête de matérialisme. Quand l’on est obsédé par cette recherche de matérialité, par des ambitions exclusivement matérialistes et mondaines, on a peine à développer des perspectives spirituelles.

C’est pourquoi la première étape, sur la route vers le progrès personnel, est de s’éloigner de notre terre, de notre matérialisme personnel, de nos désirs physiques et mondains, de les maîtriser et les contrôler.

Mais cela ne suffit pas. Le pas suivant consiste à quitter son « lieu de naissance ». Le lieu de naissance fait allusion aux sentiments et aux tendances innés. Nous ne devons pas dire, et nous convaincre, que nous sommes nés avec certaines caractéristiques, certaines tendances dont nous ne pouvons nous défaire, que nous sommes ce que nous sommes et que nul ne peut espérer changer notre nature profonde.   

D.ieu parle différemment : « vous devez quitter votre lieu de naissance », c’est-à-dire que nous ne devons pas faire les choses sous prétexte qu’elles viennent naturellement en nous. Nous devons apprendre à maîtriser et contrôler nos sentiments et nos traits de caractère.

Enfin la troisième étape consiste à quitter « la maison de notre père ». Il s’agit là de l’intellect humain, la raison et la pensée. Car de l’intellect de l’homme dépendent ses actions.

C’est la raison pour laquelle seul un homme dont la raison est saine peut être considéré comme responsable dans le domaine de la loi séculière comme religieuse.

Mais D.ieu nous dit ici que nos propres idées, nos raisonnements peuvent ne pas suffire. Parfois, il nous faut entendre et écouter une meilleure manière de raisonner, un esprit bien plus ouvert que le nôtre, un esprit profondément objectif.

Tel est donc le sens du premier commandement adressé à Avraham, du premier commandement adressé à chacun d’entre nous.

Si nous voulons réellement trouver la Vérité, si nous voulons développer notre potentiel humain, si nous voulons être intègres avec nous-mêmes, il nous faut alors travailler sur nous-mêmes, faire des efforts pour progresser, pour avancer. Ne nous satisfaisons pas des qualités intellectuelles, émotionnelles ou physiques avec lesquelles nous sommes nés. Sortons de notre matérialisme, dépassons nos sentiments naturels, quittons le cocon de notre manière naturelle de penser et de raisonner et dirigeons-nous vers « la terre que Je (Moi D.ieu) te montrerai ».Cela signifie que le chemin à suivre est de nous conformer aux lignes de conduite et aux instructions que D.ieu nous donne.

Le secret de la réussite et des bénédictions d’Avraham tenait au fait qu’il suivit les recommandations divines. Et c’est également l’assurance de notre réussite et de nos bénédictions.


 Le respect dû aux livres sacrés

Selon certains décisionnaires, on peut de nos jours accomplir la Mitsva d’écrire un Séfer Torah (rouleau de la Torah) en achetant des livres sacrés dans lesquels on pourra étudier. Il est recommandé que, dans toute maison juive, se trouvent au moins les livres de base tels que :

- Un ‘Houmach (cinq livres de Moïse)

- Un Tehilim (Psaumes)

- Un Siddour (livre de prières)

- Un Tanya (base de la ‘Hassidout).

Chaque enfant juif devrait posséder ces livres essentiels.

Si on trouve un livre à l’envers, par exemple sur une étagère, on le remettra à l’endroit. Dans une maison où évoluent de jeunes enfants, il arrive qu’ils s’amusent à déplacer les livres des étagères inférieures et la femme de ménage ne sait pas toujours les replacer à l’endroit.

On ne place pas d’objets sur un livre saint. Si on empile des livres, on veillera à placer le ‘Houmach (cinq livres de Moïse) au-dessus de tous les autres.

On ne s’assoit pas sur un banc où se trouvent des livres, sauf s’ils sont placés, par exemple, sur une boîte, donc un peu en hauteur. On évite d’ailleurs de placer des livres sur un banc ou une chaise.

Quand on interrompt son étude, on ne laisse pas le livre ouvert, on ne retourne pas le livre à l’envers pour garder la page : on placera à l’intérieur un papier ou tout autre objet pour retenir la page.

Quand on referme le livre, on embrasse la couverture. On veille à la propreté du livre, si possible on le couvre et on évite d’y laisser tomber des miettes.

 (d’après Rav Eliezer Wenger)


 La fabrique secrète de diamants…

Le cours de géographie était terminé. Les élèves se dispersaient. Même nous, les élèves juifs avions été obligés de fréquenter les écoles communales d’Ouzbékistan ; cependant, nous restions soudés entre nous et, ce jour-là, nous avions décidé de mettre le cours à profit. Au lieu d’aller en récréation, nous restions penchés sur une grande carte de la Russie et nous cherchions du côté de la Russie blanche, du côté de Smolensk, le village légendaire de Loubavitch. Mais sans succès. Le professeur, flatté de notre soif de connaissances, même au prix de notre récréation, proposa de nous aider dans notre recherche. C’était un pur communiste et nous craignions d’avouer ce que nous recherchions. Finalement, j’eus l’idée d’annoncer que je recherchais la grande ville où mon grand-père était né. Le professeur chercha lui aussi mais en vain. Alors il prit un air mystérieux et suggéra : « Venez dans mon bureau, j’ai un atlas plus complet ! ». Nous l’avons suivi, il prit dans son bureau une loupe et, au bout de quelques minutes, il s’écria triomphalement : « J’ai trouvé ! ». Intrigués, nous avons regardé mais nous étions déçus : le nom Loubavitch était effectivement écrit mais en tout petit ! La capitale de la ‘Hassidout ! Nous en avions tellement entendu parler que nous imaginions que c’était une ville immense ! Ce devait être une erreur ! Le professeur écouta nos protestations, réfléchit puis déclara sous le sceau du secret : « Il existe des grandes villes où fonctionnent des usines secrètes. Afin d’éviter que l’ennemi (ceci se passait pendant la seconde guerre mondiale) s’attaque à ces centres stratégiques vitaux pour notre économie, elles sont à peine signalées sur la carte ! Cela doit apparemment être le cas de votre ville de Loubavitch ! ».

Cela nous semblait plus logique. Mais notre curiosité ne fit qu’augmenter : quelle était cette activité secrète ?

Non loin de chez nous, à Samarkand, habitait un vieux ‘Hassid du nom de Rav Mendel Nadel. Il avait eu le mérite d’étudier dans la Yechiva de Loubavitch avant la première guerre mondiale. Nous avons décidé de mener l’enquête et sommes partis le voir chez lui. C’était un vieillard, à la longue barbe blanche mais en pleine possession de toutes ses facultés. Tout de go, nous lui avons demandé :

- Reb Mendel, vous avez connu la ville de Loubavitch ?

- Oh oui ! soupira-t-il.

- Etiez-vous au courant qu’il y avait là-bas une usine secrète ? Qu’y fabriquait-on ?

- Les enfants ! (Reb Mendel était intelligent et mesurait ses mots. Il nous regarda avec une grande affection et murmura) : oui, c’était une usine où on polissait des diamants !

- Oh… !!! (Nous étions interloqués par cette découverte. Par ailleurs, la simplicité de la baraque de Reb Mendel indiquait clairement qu’il était très pauvre ! Nous n’avons pas pu nous retenir) : Reb Mendel ! Si déjà vous connaissiez cette usine de polissage de diamants, pourquoi n’en avez-vous pas ramassé quelques-uns ? Vous auriez pu vivre dans la largesse toute votre vie !

Reb Mendel nous regardait et avait les larmes aux yeux. Il se reprit et soupira :

- Vous comprenez les enfants… j’étais jeune et je n’ai même pas imaginé combien ces diamants avaient de la valeur…

Mais, en même temps, Reb Mendel était heureux de constater que nous, les enfants qui n’avions jamais vécu à Loubavitch, nous étions attachés à ce village et aux valeurs qu’il représentait. Par ses larmes, il nous fit comprendre combien nous devions profiter de chaque instant de notre éducation ‘hassidique, pour polir les « diamants » de notre âme juive.

Telle était l’anecdote que mon père nous répétait si souvent pour nous faire prendre conscience de l’importance de chaque instant.

Bien des années plus tard, alors que j’enseignais à de jeunes élèves, je leur racontai cet épisode. Un de mes élèves me montra une « surprise » : il sortit de son cartable un grand atlas russe, moderne, destiné aux enfants. Sur les cartes, les géographes avaient indiqué avec des couleurs vives les spécialités de chaque région et de chaque ville. Il le feuilleta rapidement devant moi et parvint à la carte de Smolensk. Je me frottai les yeux de stupéfaction !

Sur le côté gauche de la carte était dessiné… le visage du Rabbi ! Avec la légende suivante : « Mena’hem Mendel Schneerson, Rabbi de Loubavitch, un des dirigeants juifs les plus en vue du 20ème siècle ». On avait aussi représenté la maison des Rebbeim de Loubavitch dans la cour de la Yechiva du village avec les mots : « Un centre juif de prières pour le mouvement ‘hassidique ».

Et, non loin de là, je remarquai sur la carte le dessin d’un énorme diamant dans la région de Smolensk.

Il s’avère qu’à la fin des années cinquante, donc peu après notre discussion avec Reb Mendel, on découvrit en Russie d’importants gisements de diamants. Ceci amena le gouvernement soviétique à bâtir une gigantesque usine, la plus grande d’Europe, pour polir ces pierres précieuses. Les autorités avaient-elles entendu l’histoire de Reb Mendel ? Même si elles ne l’avaient pas entendu de leurs oreilles, leurs « âmes » avaient dû l’entendre : en effet, comme il est symbolique que le gouvernement soviétique ait choisi, de tout l’immense territoire sous son contrôle, la région de Smolensk pour y édifier le plus grand centre de diamants de son empire, non loin d’une autre « capitale des diamants » du nom de Loubavitch !

J’ai envoyé à mon père une photocopie de cette page d’atlas. Quand il me téléphona, je reconnus au ton de sa voix combien il avait été ému et avait revécu cet instant de son enfance à Samarkand, quand il cherchait désespérément sur la carte la « grande ville de Loubavitch ».

Oui ce sont eux, les enfants d’alors qui, malgré l’éducation hérétique que le pouvoir soviétique tentait de leur imposer, ont vaincu le communisme et sont restés fidèles à la tradition de leurs pères et de leurs Rebbeim.

Mon père et ses amis peuvent rassurer Reb Mendel : « Nous avons trouvé ! Vous pouvez sécher vos larmes ! Même la Russie le reconnaît ! Vos diamants brillent de tous leurs feux ! ».

Rav Yerachmiel Gorelik – Chalia’h de Tioumen (Sibérie) – Kfar Chabad N° 1713

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017

 Sans transition

Cette fois, le passage est brutal, sans transition. Certes, la nouvelle année a commencé depuis presque un mois. Cependant, occupés à passer de fête en fête, d’élévation en élévation, nous nous étions éloignés du quotidien sans même nous en rendre vraiment compte. Seul le spirituel occupait notre pensée. C’est ainsi que nous avons vécu la grandeur de Roch Hachana puis la solennité de Yom Kippour, la confiance absolue de Souccot puis la joie sans limites de Sim’hat Torah. Revenir au monde, reprendre conscience de la pesanteur du matériel, de ses contraintes présente toujours, à ce moment, une difficulté particulière mais quelques jours, en général, ménagent une sorte de transition. Cette année, il n’y en a donc pas. Nous sommes passés des fêtes au premier Chabbat, où a retenti le récit de la création. Puis la semaine a commencé, dans notre environnement sans doute trop habituel. Dans le cycle annuel de lecture de la Torah, c’est le déluge qui nous est raconté. Et c’est bien un certain type de déluge qu’il nous faut affronter, celui de la quotidienneté qui revendique tout le champ de notre réflexion et de nos sentiments. Pleins de la puissance des fêtes, encore inentamée, nous sommes capables de relever ce nouveau défi. Reste à savoir comment.

L’histoire de Noé est, à cet égard, très instructive. Devant la montée des eaux tumultueuses – ces eaux qui vont tout recouvrir, détruire les plus beaux édifices, anéantir tout ce qui avait fait jusqu’ici la fierté et l’espoir des hommes – Noé, obéissant à l’ordre de D.ieu, se réfugie dans son « arche ». C’est ce bateau de bois qui va lui servir d’abri dans la tempête et assurer ainsi un avenir à l’humanité. Devant le déluge qui nous assaille, nous avons le même moyen. Bien sûr, il ne nous est ni donné ni demandé de construire une arche matérielle. Mais, en hébreu, l’expression qui la désigne est « Téva ». Or ce terme a un homonyme qui signifie « mot ». Pour un Juif, le mot-refuge existe. Il est dans l’étude de la Torah et dans la prière. C’est la raison pour laquelle, au sortir des fêtes, nous ne craignons rien : ni l’obscurité du temps ni les grondements ni les menaces de toutes sortes. Nous avons notre forteresse et celle-ci possède une puissance nouvelle : elle n’est pas que le dernier rempart. Elle est le lieu d’où jaillit la lumière pour faire que le monde même change. Pour faire que, en ce temps de recommencement des choses, il se transforme en espace de bonheur et de liberté pour tous.

Ce n’est pas ici l’expression d’un idéal rêvé. C’est de la concrétisation d’une attente qu’il s’agit. L’année 5778 commence à peine et nos accomplissements spirituels peuvent se déployer. Leur aboutissement viendra – et, nous le savons, il est proche : la venue de Machia’h.


 Une œuvre parfaite

Pendant le temps de l’exil, l’offrande de sacrifices est impossible du fait de l’absence de Beth Hamikdach. Certes, les Sages ont instauré les prières en remplacement de ces cérémonies. Cependant, un tel remplacement est, semble-t-il, imparfait comme l’exprime la liturgie : “Et là, (dans le Beth Hamikdach, après la venue de Machia’h) nous ferons devant Toi…. Selon l’ordre de Ta volonté”.

C’est précisément cette idée qui pose question. L’œuvre spirituelle accomplie par la prière est supérieure à celle des sacrifices, la première s’attachant à l’âme de l’homme tandis que la seconde porte sur son aspect animal. Pourquoi, dès lors, souligner l’importance primordiale des sacrifices ?

En fait, l’impossibilité d’offrir un sacrifice en temps d’exil a également un sens spirituel : comme l’homme est attaché “en bas”, il n’a pas la force d’élever “l’animal” et doit se contenter d’agir sur l’âme par la prière. En revanche, lorsque le Machia’h viendra, l’homme parviendra à la plénitude et son œuvre pourra englober tous les aspects.

(d’après Torah Or, Vaye’hi 46b)


 Noa’h

Dans un monde consumé par la violence et la corruption, D.ieu s’adresse au seul homme juste et lui demande de construire une arche pour se protéger (ainsi que sa famille et des spécimens de chaque espèce animale) du déluge qu’Il va déverser sur la terre.

Après quarante jours et quarante nuits de pluie et cent cinquante jours d’accalmie, l’arche se pose sur le Mont Ararat. Noa’h constate que la terre a complètement séché, (trois cent soixante-cinq jours après le début du Déluge) et il obéit à l’ordre de D.ieu de sortir de l’arche et de repeupler la terre.

Noa’h construit un autel et offre à D.ieu des sacrifices de gratitude et D.ieu jure de ne plus jamais détruire l’humanité. Il fait naître un arc-en-ciel comme signe de cette nouvelle alliance.

D.ieu donne également à Noa’h sept lois destinées à l’humanité entière.

No’ah, devenu vigneron, s’enivre. Deux de ses fils, Chem et Yaphèth sont bénis pour l’avoir recouvert dans sa nudité, le troisième ‘Ham est puni de lui avoir manqué de respect.

Les descendants de Noa’h défient le Créateur et construisent une tour, à Babel, pour affirmer leur invincibilité. D.ieu mêle alors tous leurs langages si bien que, faute de se comprendre, ils abandonnent leur projet et s’éparpillent sur la terre, se séparant en soixante-dix nations.

La fin de la Paracha Noa’h énonce la chronologie des dix générations séparant Noa’h d’Avram et le voyage de ce dernier depuis son lieu de naissance, Our Kasdim, vers ‘Haran, sur le chemin de la terre de Canaan.

La Mitsva de « croître et se multiplier »

Mettre au monde des enfants : l’existence pérenne du monde

Tout juste après avoir créé l’homme, D.ieu lui commanda de « croître et se multiplier ». C’est ainsi que nous pouvons lire, au début de Beréchit : « D.ieu les créa, mâle et femelle… Il leur dit : ‘fructifiez et multipliez-vous, peuplez la terre et conquérez-la’ ».

Puisque le commandement d’avoir des enfants est le tout premier de la Torah, il va de soi qu’il est d’une importance primordiale.

Nos Sages s’y réfèrent également comme à « une grande Mitsva » ce qui indique que, parmi toutes les Mitsvot de la Torah, celle-là est considérée comme l’une des plus importantes.

La raison en est simple. D.ieu créa le monde pour qu’il soit habité et peuplé par l’humanité, « Il ne le créa pas en vain mais pour qu’il soit habité ». L’existence perpétuelle de l’humanité dépend bien évidemment de la naissance incessante d’enfants.

Il est donc évident qu’immédiatement après la Création, D.ieu ordonna d’avoir des fils et des filles afin de remplir le monde.

Le même commandement fut donné après le Déluge.

C’est même la toute première injonction de D.ieu à Noa’h : « Quittez l’arche, toi et ton épouse… Et D.ieu bénit Noa’h et ses enfants en ces termes : ‘Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre’ ».

Car bien évidemment, toute humanité ayant été effacée de la surface de la terre, durant le Déluge, il revenait à Noa’h de la repeupler.

L’aspect sublime du fait de faire naître des enfants

Le commandement « Quittez l’arche… croissez et multipliez-vous » nous indique qu’au-delà de l’importance de repeupler le monde, le fait d’avoir des enfants revêt une importance spirituelle extraordinaire.

Car, a priori, l’ordre que D.ieu adresse à Noa’h de quitter l’arche peut nous laisser extrêmement perplexes.

L’arche avait des dimensions exigües, puisqu’elle ne mesurait que quelques centaines de mètres carrés. Noa’h, sa femme, leurs enfants et leurs familles subirent cette vie, dans des quartiers restreints, pendant près d’une année, en compagnie d’innombrables animaux.

N’importe quelle personne normale se serait précipitée à l’extérieur, dès que possible.

Pourquoi fut-il donc nécessaire que D.ieu ordonne à Noa’h de quitter l’arche ?

Par ailleurs, Rachi, dans son commentaire indique que D.ieu dit à Noa’h : « S’ils ne veulent pas quitter l’arche de leur propre gré, force-les à le faire ». Il apparaît donc évident qu’il y avait quelque chose de particulier qui les retenait dans l’arche, au point que, sans le commandement de D.ieu, tous ses habitants auraient choisi d’y résider indéfiniment.

De quoi s’agissait-il donc ?

Bien que les conditions matérielles fussent loin d’être optimales, l’arche était un lieu de paix et de tranquillité. La nourriture était toujours disponible et une atmosphère de sainteté et de spiritualité y dominait. Ainsi, les commentateurs de la Torah, et tout particulièrement de la Kabbale et de la ‘Hassidout, expliquent que l’arche possédait un tel niveau de sainteté qu’il était comparable à celui qui existera au temps de Machia’h !

Les animaux eux-mêmes bénéficiaient de cette vie idyllique. Ils recevaient leurs portions alimentaires sans avoir à s’en préoccuper et vivaient dans un climat de calme et de paix, à tel point que les bêtes de proie et les animaux sauvages eux-mêmes « ne se faisaient absolument aucun mal les uns aux autres ». Cela ressemble à l’ère messianique où « le loup résidera avec l’agneau… ils ne se blesseront ni ne se détruiront… »

Malgré tout ce qui précède, D.ieu ordonna à Noa’h de « quitter l’arche », car en ayant des enfants (ce qui avait été interdit dans l’arche), Noa’h et ses enfants atteindraient des niveaux spirituels encore plus élevés que ceux qu’ils avaient atteints dans l’arche.

Transcender la nature par la force de l’âme :

le mariage de l’homme et de la femme

C’est le mariage qui permet tout cela. Pourquoi ?

Chaque Juif possède une âme Divine « une partie de D.ieu En Haut ». C’est par le mérite de son âme que le Juif possède une part de l’Infini qui lui permet d’avoir des enfants. Ce n’est qu’après le mariage que les deux moitiés d’âme s’unissent pour former une âme complète et que le couple entre dans un partenariat entier avec D.ieu. Il mérite alors la bénédiction de Sa force infinie qui lui permet de faire venir une nouvelle vie dans le monde.


 Qu’est-ce que Roch ‘Hodech ?

Roch ‘Hodech est la tête, le début du mois hébraïque, calculé d’après le renouveau de la lune. Des calculs très précis, basés sur l’observation des phénomènes célestes mais aussi sur leurs incidences au niveau pratique, président à la fixation du calendrier juif (qui a été fixé définitivement par Hillel l’Ancien, au 4ème siècle de l’ère commune).

Roch ‘Hodech peut compter un ou deux jours : dans ce dernier cas, le premier jour de Roch ‘Hodech est, de fait, le dernier et trentième jour du mois précédent.

Cette année 5778, Roch ‘Hodech Mar’hechvane commence jeudi soir 19 octobre 2017 et se termine samedi soir 21 octobre 2017.

Il est permis de travailler Roch ‘Hodech ; cependant, dans certaines communautés, les femmes s’abstiennent dans la mesure du possible de tous travaux de couture, repassage, lessive… et c’est une bonne coutume. En effet, les femmes n’ont pas participé au péché du Veau d’Or et ont refusé de donner leurs bijoux pour la confection de l’idole. D.ieu les récompense donc en leur donnant une sorte de demi-fête chaque Roch ‘Hodech. Cependant, si ces travaux constituent la source de leur Parnassa (le seul moyen de gagner leur vie), elles peuvent les effectuer Roch ‘Hodech.

On évite de se couper les cheveux et les ongles Roch ‘Hodech.

Il est interdit de jeûner ce jour et il est d’usage d’augmenter la quantité et la qualité des repas de Roch ‘Hodech.

(d’après Pinat Hahala’ha - Rav Yossef Ginsburgh)


 Le livreur

Après notre fuite d’Union Soviétique en 1946, mes parents avaient d’abord trouvé refuge dans un camp de « Personnes déplacées » puis aux États-Unis. Mon père fonda la première épicerie cachère fermée le Chabbat dans le quartier ‘hassidique de Crown Heights. Tous ses amis avaient prédit qu’il ferait rapidement faillite s’il fermait son magasin deux jours de suite (samedi et dimanche) ; il demanda au Rabbi s’il devait abandonner ce commerce mais le Rabbi confirma qu’il devait persister et, bien sûr, continuer d’observer Chabbat.

Au début des années cinquante, j’avais neuf ans et je devins le livreur attitré du magasin. Je manipulais une sorte de brouette à trois roues pour apporter les provisions à nos clients. Et quels clients ! Entre autres, le Rabbi et son épouse, la Rabbanit ‘Haya Mouchka, sa mère, la Rabbanit ‘Hanna ainsi que la Rabbanit Ne’hama Dina, la veuve du Rabbi précédent. Et d’autres comme les Rabbis de Koshnitzer, de Bobov, de Kozlover et de Novominsker.

Le magasin ne rapporta jamais la fortune mais nous travaillions dur pour nouer les deux bouts. Moi-même je me levais à cinq heures du matin pour préparer les commandes ; mon père se levait encore avant moi et restait au magasin jusqu’à 23 heures !

En 1953 ou 1954, un certain Yankel Lipsker annonça à mon père qu’il désirait lui aussi ouvrir une épicerie non loin de la nôtre. Mon père objecta : « Il n’y a pas assez de clients pour nourrir une famille ; comment y en aurait-il pour deux familles ? De plus, les distributeurs de produits cachères n’accepteront pas de vous livrer puisqu’ils le font déjà pour moi ! ». Mais l’homme insista et, ensemble, ils résolurent de porter l’affaire devant le Rabbi. Le Rabbi écouta les deux parties et déclara : « Normalement, M. Stilerman a raison. Il n’y a pas assez de business pour nourrir deux familles. Mais je vous assure que le Tout-Puissant vous procurera de quoi vivre à tous les deux ».

Comme mon père avait une foi parfaite dans le Rabbi, non seulement il laissa M. Lipsker ouvrir son commerce mais, de plus, lui prêta l’argent nécessaire ! Quand il lui manquait un produit, mon père le lui procurait ! Je m’en souviens bien puisque c’était moi qui livrais M. Lipsker ! Je ne comprenais pas la logique de toute cette affaire mais le fait est qu’effectivement, les deux épiceries s’en sortaient à peu près, comme le Rabbi l’avait promis.

La Rabbanit ‘Hanna, la mère du Rabbi, était particulièrement sympathique et m’offrait chaque fois un verre de lait : froid en été et chaud en hiver. J’aimais beaucoup me rendre chez elle, elle affichait toujours un sourire et je me sentais chez elle comme auprès d’une grand-mère aimante et joyeuse. Elle s’occupait vraiment de moi alors que je n’étais qu’un petit livreur. Elle me demandait : « Comment va ta maman ? Et ton papa ? ». Quand ce n’était pas moi qui effectuais la livraison, elle téléphonait à mon père pour s’assurer que j’allais bien.

Pendant que je buvais le lait, elle me demandait de lui raconter des histoires. Donc je lui racontais ce que j’avais lu dans le magazine Conversations avec les Jeunes et elle semblait vivement les apprécier. Un jour, je lui demandais :

- Rabbanit ! J’ai lu une histoire bizarre et je me demande si elle est véridique. Le Rabbi précédent, quand il était jeune, avait demandé à son père (le Rabbi RaChaB) si les anges pouvaient compter. Son père avait avoué qu’il ne connaissait pas la réponse mais qu’il savait que, chaque fois qu’on récite un Tehilim (psaume), on crée un ange et que cet ange allume un chandelier qui brûle au ciel en-haut et sur terre ici-bas. Est-ce vrai ?

- Non seulement c’est vrai, remarqua-t-elle, mais c’est ce qui se passe réellement.

- Dans ce cas, continuai-je, je vais réciter un Psaume. Je ne lirai pas tout le livre de Tehilim mais j’en lirai un ou deux parce que je voudrais aussi un chandelier !

- Pour avoir un chandelier, sourit-elle, il faut une maison. Sais-tu comment on construit une maison ? Il faut d’abord avoir une solide fondation de Torah et de Mitsvot, ensuite tu pourras construire la maison et tu pourras réfléchir comment obtenir le chandelier.

Une autre fois, je lui demandais – et j’avoue que j’ignore encore aujourd’hui comment j’ai eu cette idée – quelle était la prière préférée du Rabbi, son fils.

- Toutes les prières sont importantes, répondit-elle mais, effectivement, il doit y en avoir une qui est plus importante que les autres. La prochaine fois que le Rabbi viendra ici, je lui poserai la question de ta part.

La semaine suivante, quand j’effectuai ma livraison hebdomadaire, elle était si heureuse d’avoir une réponse pour moi.

Elle se tut un moment tandis que j’attendais avec impatience et une grande curiosité :

- C’est une prière très courte. C’est la première prière que nous prononçons le matin : Modé Ani Lefané’ha ! « Je reconnais devant Toi, Roi vivant et éternel, que Tu m’as rendu mon âme avec compassion ; grande est Ta fidélité ».

- Ah bon ? m’étonnais-je.

- Oui, c’est sa prière favorite, répéta-t-elle.

J’étais surpris mais aussi très heureux de l’entendre. Et, bien entendu, j’en fis ma prière préférée moi aussi.

Un an plus tard, j’entendis le Rabbi prononcer un discours sur cette prière de Modé Ani et expliquer qu’elle signifie que D.ieu a une énorme confiance en nous : nous ne devons donc pas Le décevoir. Et comment savons-nous que D.ieu a confiance en nous ? Parce qu’Il nous a accordé encore un jour de vie, bien qu’Il n’y soit absolument pas obligé.

C’est devenu le but de ma vie : ne pas décevoir D.ieu dans tout ce que j’accomplis dans la journée. Je l’avais appris du Rabbi, grâce aux bons offices de sa mère, la Rabbanit ‘Hanna.

Rav Nachum Stilerman - JEM

Traduit par Feiga Lubecki

Publié dans 2017