Samedi, 11 juillet 2015

  • Pin’has
Editorial

 La beauté des « Jardins »   

Cette période de l’année est toujours un moment particulier. Au-delà de la chaleur, du soleil etc., c’est le temps des centres aérés. Ils ont éclos partout et ils portent un beau nom : «Gan Israël» - le «Jardin d’Israël». Certaines appellations ont une puissance évocatrice d’une grandeur indéniable. Même si, dans ce cas, le mot Israël renvoie au Baal Chem Tov dont c’était le prénom, comment ne pas être ému par cette unique sonorité ? Ce sont donc des centaines de jardins qui, dans le monde entier, offrent leur splendeur aux yeux émerveillés de tous.

Les commentateurs relèvent la différence entre les différents lieux où la nature donne aux hommes sa production. Ainsi, dans les champs et les potagers, c’est la subsistance de tous que l’on assure. Les céréales et les légumes sont les produits indispensables à la vie. Mais, dans un jardin, ce n’est pas cela que l’on attend. Le jardin, c’est d’abord l’endroit de délice et de plaisir. C’est là qu’apparaîtront ces doux fruits dont on pourrait peut-être se passer mais qui rendent notre vie tellement plus belle. Les Gan Israël appartiennent à cette catégorie-là. Ils sont la source du délice, bien au-delà des désirs d’un temps, ce délice-là qui pénètre jusqu’à la source de notre âme, jusqu’à l’essence Divine même.

C’est qu’il s’agit d’enfants. Ceux-ci sont sortis de leur année scolaire. Ils ont laissé en arrière le souci du quotidien et ils ont pris la voie du bonheur. Pendant tout le mois de juillet, ils éprouvent cette joie de tous les instants, à la fois intérieure et tant extériorisée. Ils disent, par leurs chants, par leurs rires, par leurs mots, tout le bonheur d’être juif. Ils disent comme le monde peut être beau et qu’il suffit peut-être d’en porter l’espoir en cœur avec ténacité pour que cela se réalise.

Décidément, le bleu du ciel et la lumière du soleil sont d’abord à rechercher en nous-mêmes et qui pourraient davantage en être les porteurs que ces enfants dont les psaumes nous disent que c’est sur leur souffle pur que D.ieu a établi Sa puissance ? Il nous appartient, chacun pour ce qu’il est, d’assumer sa part du projet. C’est d’éternité qu’il est question.

Etincelles de Machiah

 Cœur ou cerveau de pierre ?

On interrogea un jour l’Admour Hazakène : pourquoi parle-t-il toujours de degrés spirituels très élevés avec lesquels nous n’avons a priori aucun rapport ?

Il répondit : A propos du temps de Machia’h, il est dit (Ezéchiel 36:26) «et Je retirerai le cœur de pierre de votre chair et Je vous donnerai un cœur de chair.» Le terme employé est «cœur de pierre» et non «cerveau de pierre». En effet, changer le cœur ne peut être que le fait du Machia’h et il est très difficile d’opérer cette transformation avant qu’il vienne. En revanche, agir sur le cerveau est possible dès à présent, par notre effort pendant le temps de l’exil. C’est pour cela que l’on parle de notions très élevées, pour retirer, au moins, le cerveau de pierre.

(D’après un commentaire du Rabbi – 2ème jour de Pessa’h 5723 -1963) 

Vivre avec la Paracha

 Pin’has

La Paracha de cette semaine, Pin’has, relate l’épisode  des cinq filles de Tsélof’had.

L’on ne sait pas grand chose de la vie de Ma’hla, Noa, ‘Haglah, Milka et Tirtza. Mais à un moment-clé de l’histoire d’Israël, ces cinq sœurs, filles de Tsélof’had fils de ‘Héfer, influencèrent profondément l’approche du Juif dans le monde qu’il habite.

Tsélof’had appartenait à la génération née dans l’esclavage égyptien, libérée par l’Exode et à laquelle fut attribuée, en héritage éternel, la terre de Canaan.

Bien que cette génération ne méritât pas de prendre elle-même possession de la terre, quand ses enfants traversèrent la rivière du Jourdain pour s’en emparer, ils agirent en tant qu’héritiers de leurs pères. Chaque famille reçut sa part dans la terre, en fonction du partage entre les 600 000 membres de la génération de l’Exode.

Tsélof’had avait cinq filles mais aucun garçon. Les lois de l’héritage, telles qu’elles avaient initialement été données dans la Torah, ne reconnaissaient comme héritiers que les fils et n’avaient donc réservé aucune part à ses descendants. Ma’hla, Noa, ‘Hagla, Milka et Tirtza refusèrent cet état de fait et abordèrent Moché avec une pétition : «Pourquoi le nom de notre père serait-il éliminé de sa famille sous prétexte qu’il n’a pas eu de fils ? Attribue-nous un état parmi (les héritiers) des frères de notre père» (Bamidbar 27 :4).

Moché présenta leur demande à D.ieu qui répondit : «Les filles de Tsélof’had parlent juste. Donne-leur… la part de leur père» (ibid. verset 7). Puis D.ieu instruisit Moché d’intégrer la clause suivante dans les lois d’héritage de la Torah : si un homme meurt et qu’il n’a pas de fils, tu donneras sa part à sa fille (ibid. verset 8).

Deux générations

L’Exode et la conquête de la Terre, les deux événements qui cadrent les quarante années au cours desquelles nous fûmes forgés en nation, représentent les deux entreprises primordiales de la vie.

«Sortir d’Egypte» évoque la libération de l’âme de toutes ses limites et inhibitions, son essence et de sa volonté véritables.

«Conquérir et s’installer en Terre de Canaan» fait allusion à la conquête du monde matériel et à son développement en «une résidence pour D.ieu», en un environnement réceptif au bien et à la perfection de son Créateur et les exprimant.

La génération de l’Exode réussit dans le premier projet mais échoua dans le second. Ils s’extirpèrent de la culture païenne et de la mentalité d’esclave dans lesquelles ils avaient été plongés et raffinèrent leur âme jusqu’à mériter de recevoir, directement de D.ieu, la Vérité des Vérités, au Mont Sinaï.

Mais ils refusèrent la tâche de «conquérir et s’installer dans la Terre», répugnant d’abandonner leur héritage spirituel du désert pour être aux prises avec la matérialité du monde et le labeur de  transformer «la Terre de Canaan» en «Terre Sainte». Ainsi fut-il décrété qu’ils finiraient leur vie dans le désert, laissant à leurs enfants la tâche de s’installer dans la terre à leur place.

Au niveau individuel, chacun de nous affronte ces deux tâches tout au long de sa vie : l’œuvre de libérer et actualiser le potentiel spirituel de notre âme et le défi de faire de notre vie et de notre environnement matériels un lieu saint et Divin. Nous devons tous lutter pour faire la transition entre une enfance et une jeunesse consacrées au développement et au perfectionnement de notre personne à une vie d’implication productive dans le monde extérieur.

Une conquête différente

Mais les personnes sont différentes les unes des autres. Selon les paroles du Talmud : «Tout comme leurs visages sont différents, ainsi leurs caractères diffèrent». Certains sont têtus, d’autres doux. Il existe des natures agressives, des dispositions passives. Il y a ceux parmi nous qui se révèlent lorsqu’ils sont soumis à un défi et ceux qui sont tout sauf habités de l’instinct combatif et du zèle de la confrontation.

Et c’est là que réside le sens profond des lois de l’héritage commandées par D.ieu, en réponse à la requête des filles de Tsélof’had.

«Si un homme… n’a pas de fils» : si un individu affirme son manque d’agressivité ou de combativité «masculines», il pourrait en déduire qu’il n’a pas de rôle à jouer dans la «conquête de la Terre». Une telle personne peut être tentée de consacrer toute son énergie au raffinement de sa personne et de laisser le rôle de sanctifier un monde impie à ceux qui ont «des fils».

La Torah énonce alors: conquérir et s’installer dans la terre n’est pas une entreprise exclusivement masculine. Chacune des âmes d’Israël a «une part dans la terre», un coin du monde matériel qu’elle a la charge de posséder, de civiliser et de sanctifier. En fait, il s’agit bien d’une tâche qui demande souvent de l’agressivité et de la confrontation. Mais il existe également une manière «féminine» de transformer cette dimension matérielle de notre vie en une «Terre Sainte».

«Si un homme… n’a pas de fils, tu donneras sa part à sa fille». Le fait même qu’une personne soit, par nature, peu encline à l’agressivité du «guerrier masculin» indique qu’elle a été investie de la capacité de transformer son environnement par l’intermédiaire de sa «fille», en utilisant l’aspect de son âme passif, plein de compassion et non agressif.

Telle est la loi de la vie révélée par les filles de Tsélof’had : toutes les conquêtes ne se font pas forcément en soumettant son adversaire. Parfois, la réceptivité et l’empathie sont bien plus efficaces pour surmonter l’hostilité de «l’ennemi» et transformer sa nature profonde. L’absence d’ «héritier masculin» de l’âme peut en réalité indiquer la présence d’un moi «féminin» tout aussi capable de réclamer la part de l’âme dans le monde et de la transformer en «résidence pour D.ieu».

D’après une Si’ha du 13 Tamouz 5715 (3 juillet 1955)

Le Coin de la Halacha

 Quand commencent «les neuf jours» ?

A partir de Roch ‘Hodech Av (cette année vendredi 17 juillet 2015), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin (sauf Chabbat) en souvenir des jours terribles qui aboutirent à la destruction du Temple de Jérusalem. On ne fait pas de couture, on ne lave pas de linge (sauf pour les petits enfants ou les grands malades) et on ne repasse pas. On ne met pas de vêtements fraîchement lavés et repassés, sauf s’ils ont déjà été portés quelques instants avant cette période. On ne prend pas de bain et on évite les pratiques sportives dangereuses (par exemple la baignade en piscine ou à la mer). On évite de passer en jugement. (Certaines restrictions s'appliquent dès le jeudi 16 juillet au coucher du soleil à 21h53)

Qu’est-ce qu’un Siyoum ?

Un Siyoum est une fête qu’on organise lorsqu’on a achevé l’étude d’un traité talmudique. Le Rabbi avait demandé qu’on organise un Siyoum pendant chacun des «neuf jours» puisqu’une telle joie sainte est permise durant cette période. On peut participer à un Siyoum sur certains sites Internet ou en écoutant chaque jour à la radio juive aux alentours de 14h30 une personne qui achève l’étude du traité du Talmud (à partir du vendredi 17 juillet et sauf Chabbat). Le Rabbi avait demandé que l'on poursuive ces Siyoumim jusqu'au 15 AV soit jusqu'au vendredi 31 juillet 2015. Restez à l’écoute !

Le Recit de la Semaine

 Un morceau de papier froissé

C’est un récit qui semble tout droit sorti des histoires ‘hassidiques d’antan mais ce sont des événements qui me sont arrivés ce dimanche 20 Sivan 5775 (7 Juin 2015). Le jeudi précédent, j’avais quitté ma maison à Buenos Aires pour me rendre à Seattle au mariage de ma nièce. Je devais profiter de ce long voyage pour faire une escale à New York et prier au Ohel, à Queens, l’endroit où repose le Rabbi de Loubavitch – que son mérite nous protège.

Un de mes amis – appelons-le Yehouda – proposa de m’emmener à l’aéroport de Buenos Aires. Yehouda est un rescapé d’une grave maladie. D.ieu merci, il est vivant et se porte bien. Mais il ne pourra pas avoir d’enfants.

Tandis qu’il manœuvrait dans les rues encombrées de la capitale, Yehouda me raconta que sa femme et lui-même considéraient sérieusement l’adoption : «Nous ne savons pas comment procéder : d’un côté, expliqua-t-il, nous préférerions adopter un enfant juif. Mais il n’est pas facile de trouver un bébé juif qui aurait besoin d’une famille. Nous envisageons donc éventuellement d’adopter un enfant non-juif, de le ou la convertir encore bébé puis de l’élever dans le judaïsme. Nous avons discuté avec nombre de rabbins et avons reçu différentes réponses : nous ne savons plus quoi en penser…». Je promis de prier pour lui au Ohel.

Quand nous sommes arrivés à l’aéroport, Yehouda me donna son prénom hébraïque et celui de sa mère ainsi que ceux de sa femme et de sa belle-mère. Ainsi je pourrais prier pour eux au Ohel où j’allais passer Chabbat.

Dimanche matin, j’étais assis dans la synagogue du Ohel pour étudier un Maamar, un discours ‘hassidique. Progressivement, l’endroit se remplit et je remarquai un homme d’âge mûr qui prononçait le Kaddich des endeuillés – rien d’inhabituel à cet âge. La prière s’achevait et j’étais toujours penché sur mon livre. Soudain, l’homme se tourna vers moi, fourra sa main dans la pochette en velours où se trouvaient ses Téfilines et en sortit un morceau de papier jauni et froissé.

- Tenez, me dit-il en me tendant le papier, je suis sûr que cela pourra vous intéresser…

Étonné, je levai les yeux vers lui, je pris le papier, le défroissai et me mis à le lire.

Le papier était une lettre tapée à la machine, en yiddish, du Rabbi… et évoquait le sujet de l’adoption ! Dans cette lettre, le Rabbi conseillait à un couple de rechercher à adopter un enfant juif d’une famille nombreuse et pauvre. Le Rabbi conseillait aussi aux futurs parents adoptifs d’augmenter le niveau de leur observance des Mitsvot en prévision de cette nouvelle addition dans leur famille.

J’étais médusé.

Je demandai à l’homme si je pouvais photocopier cette lettre ou la photographier avec mon téléphone portable mais il refusa. Quand je lui expliquai la situation de Yehouda, il accepta à condition que je ne photographie pas le nom de la personne à qui cette lettre était destinée. Puis il me donna le contexte :

«Le Rabbi avait envoyé cette lettre à mon père. Mes parents n’avaient pas eu d’enfants pendant de nombreuses années et souhaitaient adopter. Incertains quant à la procédure, mon père s’était tourné vers le regretté Rav Moché Feinstein, le grand décisionnaire de l’époque. Rav Moché Feinstein avait suggéré de demander l’avis du Rabbi de Loubavitch. Le Rabbi avait conseillé à mes parents de rechercher un enfant juif qui avait besoin d’une famille et je fus cet enfant. Mon père est décédé il y a tout juste un an et aujourd’hui était le dernier jour où je devais réciter le Kaddich à sa mémoire et pour son mérite.

«Je ne sais pas pourquoi, conclut-il, mais après ce dernier Kaddich, j’ai ressenti une envie irrésistible de vous montrer cette lettre. Pourquoi vous plutôt que quelqu’un d’autre dans cette synagogue ? Je l’ignore !».

Mais tout s’explique : le Rabbi avait trouvé le moyen de répondre à Yehouda et sa femme.

Rav Zalman Farkash – Buenos Aires – Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki