Semaine 30

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Editorial

L’âne, l’homme et la chaleur

Il était une fois un jour de grand soleil. C’était au mois de Tamouz. La chaleur écrasait le monde et chacun en sentait le poids. Ce jour-là, un âne allait lentement sur le chemin. S’il avait pu parler, il se serait amèrement plaint du froid qui paralysait ses membres. Ne comprenant pas que l’on parle de température élevée, n’étant pas même capable de donner un sens à la notion de chaleur, il n’essayait pas d’interpréter la présence manifeste du soleil. Il se contentait de vivre le froid qui lui semblait pénétrer ses os. Son maître finit par remarquer l’anomalie que vivait l’animal. Il alla consulter un sage, qui, à défaut de remède, lui offrit une explication du phénomène : “C’est un âne” dit-il. “Et l’âne peut avoir froid même au plus fort de Tamouz”. Parfois, voulait dire le sage, le froid est d’abord une affaire de vision.
Ainsi raconté, ce récit aurait pu être le point de départ d’une fable à la morale indéterminée. C’est pourtant le Talmud qui en affirme l’idée centrale : de fait “l’âne a froid au plus fort de Tamouz”. Ce n’est pas que de l’animal dont il s’agit ici. Car chaque homme a en lui quelque chose qui l’évoque. L’âne c’est aussi la recherche d’une matérialité trop présente. C’est la personnification de bien des formes de l’oubli. Quant au soleil, n’est-il pas le parfait symbole de la lumière divine qui nous éclaire et nous donne vie, deux concepts inséparables de la chaleur ?
Dans ce contexte redéfini, le récit rapporté prend alors un sens nouveau. Sommes-nous capables de ressentir la chaleur de l’étude de la Torah et de la pratique de ses commandements, celle du lien avec D.ieu ? Même lorsqu’elle est manifeste, ne sommes-nous pas cet âne qui continue de souffrir du froid, refusant de voir qu’il ne dépend que de lui de changer la donne et d’avoir accès à la réalité essentielle des choses ?
Car c’est là le destin de l’homme : assumer sa pleine condition, en éprouver la noblesse et la grandeur. Vivant la chaleur et la lumière, il peut les communiquer à toute la création, “N’est-ce pas là le plus enviable des sorts ?” finit par dire l’homme à l’âne en manière de conclusion provisoire.

Etincelles de Machiah

Un simple petit moment

Dans la prophétie d’Isaïe (54 :7), D.ieu S’exprime sur Son attitude pendant l’exil et lors de la délivrance. Il déclare : “Un petit moment Je vous ai abandonné, mais avec une grande compassion Je vous rassemblerai”.
Le fait que D.ieu parle d’un “petit moment” à propos de notre exil alors que nous connaissons sa longueur peut paraître légitimement étonnant. Mais, quand Machia’h viendra, et que l’infinie compassion de D.ieu deviendra manifeste, chacun verra comme toute la durée de l’exil n’était, en fait, pas plus qu’un “petit moment”.
(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p.10)

Vivre avec la Paracha

Matot-Masseï: la guerre contre la guerre

Moché parla au peuple en ces termes: “armez vos hommes en une armée, pour mener la guerre contre Midian… (des hommes) de toutes les tribus d’Israël vous enverrez au combat” (Nombres 31 :3-4)

“De toutes les tribus d’Israël” y compris la tribu de Lévi (Rachi)

La tribu de Lévi ne reçut “ni part ni héritage parmi ses frères” en terre d’Israël. Alors que l’ensemble de la nation est appelée à se battre contre les défis de la vie matérielle, la tribu de Lévi est l’aile spirituelle de l’armée d’Israël, “désignée pour servir D.ieu et pour enseigner Sa loi à la communauté…”. Ils doivent donc être séparés des lois du monde: ils ne doivent pas faire la guerre avec le reste du peuple d’Israël, ne doivent pas hériter la terre, ni obtenir quoi que ce soit par leur force physique… D.ieu Lui-même subvient à leurs besoins comme il est dit : “Je suis votre portion et votre lot”.
Il y eut pourtant une guerre à laquelle la tribu de Lévi participa, la guerre d’Israël contre Midian, décrite en détails dans le 31ème chapitre des Nombres. Car il ne s’agissait pas d’une guerre pour conquérir un territoire ou pour aller à l’encontre d’une menace, mais d’une guerre pour “appuyer la vengeance de D.ieu contre Midian” pour le dommage moral qu’ils avaient infligé au peuple juif.

La politique du cœur
“Le monde également Il l’a placé dans leurs cœurs” dit le plus sage des hommes. Chaque être humain est un monde virtuel de personnalités et de traits de caractère, un globe de “nations” dans lequel les territoires et les ressources du corps et de l’âme sont constamment en conflit. L’amour combat l’orgueil, la colère combat l’empathie, la volonté combat la paresse, l’esprit combat le cœur. Et là aussi la guerre contre Midian est particulière, une guerre différente de toutes les autres dans le champ de bataille de l’âme humaine.
Le mot hébreu pour Midian signifie “combat”. La guerre contre Midian n’est pas alors un conflit impliquant quelque région de l’univers humain; c’est une guerre contre la guerre elle-même, contre le phénomène même de la dichotomie et de la discorde à l’intérieur de l’homme. Car l’homme, par essence, est un monde uni, harmonieux, une communauté intégrée avec un but commun. C’est le “Midian” dans l’homme qui est la source de toutes les disharmonies et des combats, à l’intérieur et l’extérieur.
Midian est la fragmentation de l’âme humaine, la rupture de ses multiples “nations” et “factions” de leur source unificatrice dans la quintessence de l’homme. La guerre brise le cœur de l’homme quand ses différents composants perdent de vue l’objectif unique qui leur donne naissance, de sorte que chacun assume un ego et un programme de lui-même.
La même chose s’applique au niveau interindividuel. Nos Sages parlent de “haine sans fondement”. Les raisons avancées par les hommes pour se détruire et se haïr ne sont que les façades multiples du “moi” de Midian, l’ego qui dénie la source commune et le but de l’humanité et considère l’existence d’autrui comme une menace pour lui-même.
En règle générale, la tribu de Lévi reste étrangère aux combats prosaïques pour la vie. Il en va de même pour le Lévi dans chaque individu, ce sanctuaire de spiritualité que chacun de nous arbore dans l’essence de son âme. Alors qu’aucune vie n’est dénuée de combat, nous maintenons une île inviolable de sainteté dans notre vie, qui ne doit jamais être souillée par la matérialité. Mais quand vient la guerre contre Midian, chaque tribu et chaque facette de l’âme doivent prendre les armes. C’est d’ailleurs grâce à la seule participation du Lévi intérieur, de l’élément de la personne le plus profond de l’âme individuelle que cette guerre contre la guerre peut être victorieuse.
Pour remporter cette guerre, il nous faut nous concentrer sur chaque individu, ses différences mais au lieu de les nourrir dans le sens de la division, les utiliser dans la construction d’un monde harmonieux par sa richesse et sa diversité.
Il nous faut introduire dans le monde un élément fondamental: l’harmonie. Nous pouvons évoluer de la singularité ultime (de D.ieu) à la pluralité et la diversité, mais la diversité n’a pas besoin de se désintégrer en guerre. Elle doit au contraire former les ingrédients différents de l’harmonie, une harmonie qui reflète la singularité qui a permis la naissance de ce processus.
Les Sages s’interrogent sur la phrase qui constitue la pierre angulaire de la foi juive: la première phrase du Chema: “Ecoute Israël l’Eternel notre D.ieu, l’Eternel est Un”. Pourquoi le mot “E’had” (Un) est-il utilisé pour évoquer l’unité de D.ieu? “Un” peut impliquer une série (un, deux, trois…) ou une unité composée de plusieurs éléments (un morceau de pain, un être humain, une communauté…). N’aurait-il pas été plus judicieux d’utiliser le mot “Ya’hid” (singulier, unique)?
Mais la singularité est une unité qui peut être obscurcie par l’émergence de la pluralité. Cependant le Juif accomplit le but de sa vie en permettant une véritable expression de l’unité de D.ieu, celle du “E’had” qui ne nie pas la pluralité mais au contraire utilise cette pluralité du monde qu’Il a créé. Et en dernier ressort se manifeste l’Harmonie Divine par une synthèse et une unanimité du projet divin dans une création diversifiée.

Le Coin de la Halacha

Quand commencent “ les neuf jours ” ?
A partir de Roch 'Hodech Av (cette année, le mercredi 30 juillet 2003), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin (sauf Chabbat) en souvenir des jours terribles qui aboutirent à la destruction du Temple de Jérusalem, il y a presque 2.000 ans.
On ne fait pas de couture, on ne lave pas de linge (sauf pour les petits enfants ou les grands malades) et on ne repasse pas. On ne met pas de vêtements fraîchement lavés et repassés, sauf s'ils ont déjà été portés quelques instants avant cette période. On ne prend pas de bain et on évite les pratiques sportives dangereuses (par exemple la baignade en piscine ou à la mer).
On évite de passer en jugement.
On multiplie les dons à la Tsédaka (charité) comme il est dit : “Sion sera rachetée par le jugement et ses habitants par la Tsédaka”.

Qu'est-ce qu'un Siyoum ?
Un “Siyoum” est une fête qu'on organise lorsqu'on a achevé l'étude d'un traité talmudique. Le Rabbi avait demandé qu'on organise un Siyoum pendant chacun des "Neuf jours" puisqu'une telle joie sainte est permise durant cette période. On peut participer à un Siyoum en écoutant chaque jour à la radio juive une personne qui achève l'étude du traité Midot ou Moèd Katane par exemple. Restez à l'écoute !

F. L.

De Recit de la Semaine

LE VIOLONISTE DES TOURS JUMELLES

Porte-parole du mouvement Loubavitch à Moscou, je devais me rendre pour certains rendez-vous importants à New York, le 10 septembre 2002. Rav Berel Lazar m’avait, en outre, demandé de transmettre de sa part des Téfilines à Garry, le fils d’Alex. Alex était un homme d’affaires d’origine russe qui, habitant New York, avait gardé de bons contacts avec la communauté juive de Moscou qu’il aidait généreusement.
En arrivant aux Etats-Unis, je téléphonai à Garry pour prendre des nouvelles de son père, gravement malade. Garry éclata en sanglots: “Mon père vient de mourir ce matin… l’enterrement aura lieu demain…”. Le cœur serré, je lui promis que je viendrai le voir le lendemain soir. En effet, comme je suis Cohen, je ne pouvais pas assister à l’enterrement.
Entre temps, je pris contact avec Mme Marlène Post, présidente de l’Association caritative Hadassa et directrice du Programme Taglit pour l’Amérique du Nord. Dans le cadre de ses fonctions, elle contribue aussi généreusement aux activités de l’Organisation des Communautés Russes. Nous avons finalisé ensemble certains points de la coopération entre nos deux associations puis elle m’a proposé de participer à une réunion en souvenir des 3.000 morts du 11 septembre 2001. L’organisation “Pégase” regroupe un millier de professeurs et de travailleurs sociaux qui dépensent près de 50 millions de dollars par an pour aider les malades, les familles monoparentales et toutes les personnes en difficulté, en particulier les familles des victimes du 11 septembre.
Effectivement, le lendemain, donc le 11 septembre 2002, j’assistai à cette réunion où Mme Post me présenta à des professeurs et des hommes politiques de tous bords; nous avons échangé nos cartes de visite comme de coutume aux Etats-Unis. Sobre et solennelle, cette cérémonie du souvenir était empreinte de dignité et d’une émotion difficilement contenue.
Au même moment, notre ami Alex était enterré par son fils Garry et quelques amis…
Vers le soir, je téléphonai à mon ami Dany Weiss qui était aussi un ami de Garry pour qu’il m’accompagne pour la visite de condoléances. Nous nous sommes retrouvés à Manhattan. Les conditions de circulation étaient insupportables car la police avait pris d’importantes mesures de sécurité. Ce n’est que vers minuit (!) que nous avons atteint Brighton Beach.
Devant tous ses amis, j’apportai alors à Garry les Téfilines que lui offrait le Rav Lazar: “Promettez-moi de les mettre chaque jour quand vous récitez le Kaddich à la mémoire de votre père !”. Très ému, Garry me remercia du fond du cœur pour cette attention et déclara: “Ces Téfilines qui me parviennent pendant le deuil de mon père arrivent vraiment au bon moment, pour me renforcer dans ce moment difficile. Je m’engage à les mettre tous les jours !”. Nous avons échangé des souvenirs et des paroles de Torah jusqu’à trois heures du matin.
Sur le chemin du retour vers Manhattan, j’ai discuté avec Dany de la situation mondiale après les attentats du 11 septembre. Soudain, Dany décida de téléphoner à un ami. “A trois heures du matin ?”, demandai-je étonné.
“Oui, soupira-t-il, c’est Sacha, un violoniste de talent. Venu de Russie, il a du mal à se plier à des horaires et aux contraintes. Ne trouvant pas d’emploi à cause de ce problème, il avait eu l’idée de s’installer dans le couloir du métro, entre les deux tours jumelles. Là, il jouait du violon et les milliers de passants lui jetaient des pièces et des billets dans une assiette posée devant lui. Il lui arrivait parfois de récolter près de mille dollars en trois heures !
Le 11 septembre 2001 au matin, Sacha jouait comme d’habitude dans le couloir du métro. Quand le premier avion heurta la première tour, tout le bâtiment trembla, les gens se mirent à courir dans tous les sens. C’était la panique et l’hystérie ! Sacha parvint avec ses dernières forces à sortir du bâtiment en feu.
Il était sauvé. Mais il avait perdu ses amis, ces passants sympathiques qui lui donnaient l’aumône. Outre ses problèmes économiques, Sacha était victime d’hallucinations et de craintes paralysantes. Il cessa de sortir de chez lui… Il y a quelques jours, il s’est acheté un grand couteau. Et à l’approche de cette date fatidique du 11 septembre, j’ai bien peur qu’il ne se suicide.”
Quelle coïncidence ! Le matin même, j’avais rencontré des responsables de l’organisation “Pégase” qui se chargeaient justement d’aider les rescapés des tours jumelles! Dany téléphona immédiatement à Sacha, en le suppliant d’attendre jusqu’au matin avant d’accomplir le geste fatal.
Dès le lendemain matin, je téléphonai au président de “Pégase”; celui-ci envoya immédiatement chez Sacha une équipe médicale, une assistante sociale et une aide ménagère. On paya ses arriérés de loyer et, très vite, Sacha reprit goût à la vie et trouva un travail.

* * *

Quelques mois plus tard, Garry retourna à Moscou pour ses affaires. Je l’ai, bien sûr, invité à manger chez nous pour Chabbat et, devant nos nombreux convives, j’ai raconté comment, au fond grâce à Alex, une âme juive avait été sauvée.
Garry était très ému mais il se leva et ce fut alors à mon tour d’être bouleversé par ses paroles:
“Tout ce qu’a dit Rav Berkowitz est vrai mais il lui manque un détail ! La veille de la mort de mon père, un de mes amis m’a téléphoné au sujet de Sacha. Après tout, je parlais le russe et, avant d’entrer dans le monde des affaires, j’avais étudié la psychologie. J’étais donc peut-être capable de sortir Sacha de sa dépression. Immédiatement, j’ai quitté l’hôpital pour me rendre chez Sacha.
Quand j’ai vu sa détresse, je me suis souvenu du Rabbi. En effet, quand nous étions arrivés aux Etats-Unis la première fois, nous habitions à President Street, non loin du domicile du Rabbi. Nous le voyions presque chaque jour et il nous aidait, par ses conseils et ses relations, chaque fois que nous avions un problème. J’ai alors décidé d’emmener Sacha au Ohel, près de la tombe du Rabbi. Au milieu de la nuit, j’ai touché la pierre tombale et j’ai supplié: “Rabbi ! Aidez-le ! Il est seul au monde et il ne veut plus vivre ! Aidez-le comme vous nous avez aidés !”
Nous sommes sortis et nous nous sommes quittés. Je savais que j’avais fait ce qu’il fallait, que le Rabbi l’aiderait. Mais je ne pensais pas que cela serait si rapide !
Maintenant plus que jamais, je réalise la grandeur du Rabbi ! ”

Avraham Berkowitz
traduit par Feiga Lubecki