Semaine 19

  • Emor
Editorial
L’harmonie et le chaos

Lorsque D.ieu créa le monde, Il l’établit avec une harmonie dont la puissance continue de nous frapper aujourd’hui. Il n’est que de considérer le grand ordonnancement de l’univers pour prendre conscience de la réalité concrète de cette idée. Puis l’histoire commença. Comme il en avait reçu la mission, l’homme entreprit son œuvre de perfectionnement. Parfois, il sut s’inscrire dans le plan divin et son action renforça et prolongea l’harmonie initiale. Il put aussi arriver qu’il oublie le grand axe à suivre et que, s’en écartant, il introduise la dysharmonie là où existait une dynamique de perfection. D’une certaine manière, l’histoire du monde et des hommes se résume souvent à ce combat difficile entre ordre et chaos.
La période que nous vivons dans le cycle de l’univers nous offre une illustration de ce débat. Pendant l’hiver, les forces de la nature se sont assoupies. Voici qu’aujourd’hui, avec le retour du printemps, elles s’éveillent et font renaître des désirs matériels ardents qui peuvent détourner l’homme de son chemin. Les Sages, conscients de cette difficulté nouvelle, ont prescrit, comme une antidote, l’étude hebdomadaire des Pirkeï Avot, les Maximes des Pères, qui décrivent une certaine vision du monde et donnent ainsi la force de la mettre en œuvre. Il n’est pas question ici de la stricte application des commandements de D.ieu, de la pratique littérale des Mitsvot. C’est bien autre chose qui est en cause: précisément le rétablissement de l’harmonie alors que les évolutions du monde matériel pourraient conduire l’homme à s’en détacher.
Au-delà du caractère irremplaçable de cette étude, l’idée présente en filigrane dans cette coutume est précieuse. Elle rappelle le rôle immense de l’humble créature qu’est l’être humain. Dépositaire de la création et de son avenir, il lui revient de faire du monde un lieu où la Présence Divine puisse résider. Oeuvre ambitieuse qui ne peut être le résultat que de ses actes quotidiens.
Etincelles de Machiah
De l’exil à la Délivrance

La Paracha de Terouma (Exode 25:8) énonce un commandement essentiel: “Et vous ferez pour Moi un Sanctuaire”. Au sens strict, cette phrase dite à Moïse fait référence à la construction du “Michkan”, le Tabernacle qui servit de Temple jusqu’à l’entrée en Israël et l’installation à Jérusalem. Toutefois, il est clair que les Temples successifs sont également désignés implicitement dans ce verset. C’est, du reste, ce que laisse entendre Maïmonide lorsqu’il enseigne: “C’est un commandement que de construire une Maison pour D.ieu comme il est dit “Vous ferez pour Moi un Sanctuaire”.
Par conséquent, l’édification du troisième Temple, qui sera l’œuvre du Machia’h, est également incluse dans le verset cité. De cette façon, l’idée développée par le Tana Devé Elyahou selon laquelle le Tabernacle construit par Moïse se révélera au sein du troisième Temple, prend tout son sens. Bien qu’il ait été fabriqué en exil, en dehors de la terre d’Israël par Moïse qui n’entra jamais dans le pays, cependant, précisément pour cette raison, le Tabernacle est étroitement lié au troisième Temple. En effet, la grandeur et l’importance de ce dernier procède en premier lieu des actions accomplies par chacun pendant le temps de l’exil.

(d’après un commentaire du Rabbi de
Loubavitch, 4è soir de Soukkot 5746) H.N
Vivre avec la Paracha
Emor: une lumière édifiante

Ce qui arrive lorsqu’un Sage parle
Maïmonide écrit: "Tout comme l’on peut reconnaître un Sage par sa connaissance et ses traits de caractère, car c’est en cela qu’il se différencie du reste de ses semblables, ainsi on doit le reconnaître par sa conduite".
L’intention de Maïmonide est de souligner le fait que la démarche juive vers la connaissance peut être uniquement théorique. Le savoir de l’individu doit plutôt forger son caractère et, ce qui est plus important, influencer son comportement. C’est ce qui en fait un Sage.
Parmi les types de conduites mentionnées par Maïmonide comme appropriées pour un Sage, on relève le langage raffiné, comme il le stipule: "un érudit ne doit pas crier ou hurler quand il parle... Mais il doit parler avec gentillesse à tous... Il doit juger tous les hommes sous une lumière favorable, faisant la louange de son prochain et ne mentionnant jamais à son encontre quelque chose qui lui ferait honte".
Les termes employés par le Rambam "juger... sous une lumière favorable", et "ne jamais mentionner quelque chose qui fasse honte" impliquent qu’un érudit dans la Torah peut reconnaître des fautes chez son prochain. Mais, même alors, "il en dira des louanges". Quand il lui parle en privé, il peut patiemment et gentiment lui adresser des remontrances pour sa conduite. Mais quand il s'adresse à d’autres, et qu’il évoque cet homme dans son esprit, il y pensera et en parlera favorablement.
Cela ne constitue pas une réflexion qui vise au raffinement exclusif de l’érudit. En soulignant constamment les qualités positives d’autrui, il encourage réellement leur expression. Car la pensée et la parole peuvent apporter des changements notoires dans notre monde. C'est pour cette raison que le Maguid de Mézéritch enseignait parfois des concepts qu’il savait inaccessibles à ses auditeurs. Son intention était d' "attirer l’idée dans notre monde", pour que, plus tard, d’autres puissent l'appréhender.
Nous pouvons percevoir une idée similaire dans le domaine des relations humaines. Nos Sages déclarent que le Lachon Hara (la médisance) tue trois personnes: celui qui le prononce, celui qui l’entend et celui dont on parle. Nous pouvons comprendre pourquoi une telle conversation affecte celui qui parle et celui qui écoute: tous deux participent à une faute que nos Sages considèrent comme équivalente aux effets combinés de l’idolâtrie, du meurtre et de l’adultère. Mais pourquoi celui dont on parle devrait-il en être affecté? Lui n’a pas pris part à la transgression!
Pour le comprendre, nous pouvons expliquer que parler des défauts d’autrui avive leur expression. Bien que la personne en question puisse ne pas être consciente qu’on parle d’elle, le simple fait que l’on discute de ses marques de caractère permet leur révélation. Si l’on n’en avait pas parlé, peut-être seraient-ils restés cachés.
"Les attributs positifs sont plus puissants que les attributs de châtiment" et des concepts semblables s’appliquent lorsque l’on parle des traits de caractère positifs d’un individu. Le fait de sans cesse mentionner le bien que l’homme possède, et chaque individu possède des trésors de qualités, facilite l’expression de ces qualités dans sa conduite.

Un commandement de parler
Tous ces concepts se réfèrent à la lecture de notre Paracha, Emor. Emor est un commandement, ordonnant de parler. Dans le contexte de la Sidra, cet ordre devait trouver une application immédiate: communiquer les lois appartenant à la prêtrise. Néanmoins, le fait que ce terme soit utilisé comme titre de la Sidra indique une signification plus large: l’homme doit parler.
Et pourtant nous trouvons nos Sages conseillant: "Parle peu" et "Je... n’ai rien trouvé de mieux pour un individu que le silence", impliquant qu’un excès de paroles n’est pas désirable. Nous ne pouvons pas non plus dire que l’ordre de Emor concerne le commandement de prononcer des paroles de Torah, car à ce propos il existe un commandement explicite: "et vous en parlerez", nous encourageant à multiplier les paroles de Torah. Dans Emor, il s’agit plutôt de parler des qualités de notre prochain comme nous l’avons expliqué.

Apprendre avec la lumière
Nos Sages associent le commandement Emor avec l’obligation de ‘Hinou’h, l’éducation des enfants: (il est écrit) "parle" et (il est écrit): "dis-leur" (les deux expressions provenant, en hébreu, de la même racine étymologique et se succédant dans le même verset). Pour adjurer les parents concernant leurs enfants... Lehazir, le mot hébreu traduit par adjurer possède la même racine que le mot Zohar qui signifie éclat. Cela nous donne une leçon d’éducation essentielle. Celle-ci doit se caractériser par une lumière radieuse. En général, on peut utiliser deux manières pour convaincre un enfant d’abandonner un comportement indésirable: on peut soit souligner combien il est mauvais, soit montrer l’alternative positive. Lehazir souligne l’importance de répandre la lumière, car "une petite lumière repousse une grande obscurité" et par une lumière radieuse, on peut allumer la lumière intérieure que possède tout un chacun.

Quand la lumière allume la lumière
Le concept évoqué possède une dimension plus profonde. Dans son sens absolu, le ‘Hinou’h (l’éducation) de nos enfants, et par extension de tous ceux que l’on influence, ne doit pas être considéré comme une obligation qui dépasse notre propre service Divin, une tâche supplémentaire à accomplir, mais plutôt comme un prolongement naturel de ce service.
Quand le service divin d’un homme atteint un sommet, et en accord avec la recommandation d’Ahavat Israël (l’amour du prochain) et d’A’hdout Israël (l’amour et l’unité du peuple Juif), il se joint aux autres, son contact développant leur progrès personnels. La lumière qui émane de sa conduite illumine et éduque alors tous ceux avec lesquels il entre en contact.
Ce nouvel éclat, de lumière en lumière, conduira à l’Ere où "Le sage brillera comme la splendeur du firmament" et "Israël... quittera son exil avec miséricorde".
Le Coin de la Halacha
Quels sont les usages liés à un déménagement ?

On s’efforcera d’emménager dans une nouvelle demeure un mardi (jour à propos duquel il est écrit deux fois: “C’était bien” lors de la Création du monde). On évitera de déménager un lundi ou un mercredi et dans la première quinzaine du mois de Mena’hem Av.
Auparavant, on aura introduit dans la nouvelle demeure au minimum un ‘Houmach (Pentateuque), un livre de prières, des Tehilim (Psaumes), un livre de Tanya ainsi que du pain et du sel. On aura également amené des enfants et on leur aura enseigné le “Alef-Beth”, on leur aura fait réciter des versets de la Torah, ils auront mangé avec les bénédictions adéquates et mis de l’argent dans la boîte de Tsédaka (charité): ainsi la maison sera devenue, dès le début, une maison de prière, de Torah et de Tsédaka; les enfants seront devenus “les premiers locataires” et seront donc une “Segoula”, un bon signe pour que la maison soit pleine de vie.
En dehors d’Israël, on place immédiatement les “Mezouzot” nécessaires mais sans bénédiction. Au bout de trente jours, on retire une Mezouza, on la fait vérifier par un scribe expérimenté (ou on en met une autre) et on la fixe avec la bénédiction en pensant à se rendre quitte de la bénédiction pour toutes les Mezouzot de la maison.
On fixe une boîte de Tsédaka dans la cuisine et on s’efforce d’avoir comme décoration une belle boîte de Tsédaka dans la pièce principale. Ainsi toute la maison devient une maison de Tsédaka.
On inaugure la maison en y invitant des amis qui béniront le maître de maison pour qu’il ne voit que bénédiction et réussite dans cette nouvelle demeure.
De Recit de la Semaine
Le Chabbat qui a gardé Rose

Rose avait été choisie par son père, parmi ses neuf frères et sœurs, pour être envoyée dans le “Pays doré”, l’Amérique. La vie était dure en Pologne, les enfants avaient souvent faim, mais le père de famille avait réussi à épargner juste assez d’argent pour payer à sa fille un aller simple vers New York où il espérait qu’elle connaîtrait un avenir meilleur et, qui sait: peut-être pourrait-elle faire venir toute sa famille après elle !
Il l’avait accompagnée sur le quai où elle allait embarquer. Il marchait silencieusement, tentant de dissimuler son émotion; ses yeux étaient tristes, sa barbe grisonnait, mais il se tenait droit malgré sa pauvreté et sa tristesse.
En réprimant un soupir, il se tourna vers sa fille de douze ans: sa tête grise penchée vers le visage innocent, il regarda sa fille droit dans les yeux. Il aurait voulu protester contre le destin cruel qui le forçait à se séparer d’elle. Comme il aurait voulu la ramener à la maison, pour continuer à veiller sur elle qui était si jeune ! Mais il se reprit et posa ses mains tremblantes sur la tête de sa fille comme pour la bénir encore une fois: “Rose, mon enfant, souviens-toi: D.ieu t’accompagne dans chacun de tes pas. Applique bien Ses lois. N’oublie jamais que le Chabbat garde les Juifs bien plus qu’ils ne le gardent. Tu te rends dans un pays lointain, un pays dur, mais n’oublie pas qui tu es. Observe le Chabbat – quels que soient les sacrifices que cela impliquera”.
“Papa, Papa !” Rose enfouit son visage dans la redingote usée de son père et leurs larmes se mêlèrent tandis que la sirène annonçait le départ. Il la regarda monter dans le bateau et la suivit des yeux tandis qu’elle s’éloignait inexorablement.
Pour Rose, une nouvelle vie commençait, mais rien n’était sûr: comment ses proches l’accueilleraient-ils ? Le pays était-il vraiment aussi riche qu’on le disait ? Trouverait-elle des gens avec qui parler ?
Dès qu’elle arriva à New York, ses cousins et cousines s’occupèrent d’elle et lui prodiguèrent conseils et encouragements. Elle était très mûre pour son âge, travailleuse et adroite. Bien vite on lui trouva un travail devant une machine à coudre.
La vie aux Etats-Unis était… différente. On lui fit comprendre que ses vêtements étaient… vieillots, qu’il était impensable de manger cachère et que la religion était un accessoire inutile. Mais Rose n’oubliait pas les derniers mots que lui avait dit son père. Elle mit des vêtements plus modernes, elle coupa ses lourdes nattes pour être à la mode, mais elle n’abandonna pas le Chabbat.
Chaque semaine sans exception, elle trouvait une autre excuse pour ne pas se présenter au travail samedi: une fois, c’était une rage de dent, une autre fois c’était des douleurs à l’estomac… Au bout de trois semaines, le contremaître avait compris: “Rose, lui dit-il avec compassion, j’apprécie votre travail et je vous trouve très sympathique mais cette histoire de Chabbat est incompatible avec notre usine. Soit vous travaillez samedi, soit vous cherchez un autre travail”.
Quand Rose raconta cela à ses cousins, ils prirent peur. Oui, elle devait travailler Chabbat et, pour cela, ils lui “expliquèrent”, plaidèrent que c’était pour son bien et qu’il fallait s’adapter comme tous les autres, d’ailleurs… Rose était si jeune, elle aurait voulu leur faire plaisir, mais les mots de son père raisonnaient dans ses oreilles: que pouvait-elle faire ?
Pour Rose, la semaine se passa dans un brouillard: “Papa n’est pas là pour m’encourager. Je veux être loyale envers mes cousins qui sont si accueillants. Je voudrais me faire des amies. Je veux m’adapter à ce pays mais comment puis-je abandonner tout ce que Papa m’a enseignée ?”
Vendredi elle se rendit au travail, sa gamelle à la main; toute la journée, elle s’activa devant sa machine, l’esprit ailleurs. Après tout, quoi de si terrible à agir de même le lendemain ?
Le soleil se couchait sur le Lower East Side.
Rose savait qu’il n’y avait pas de question. Elle était juive et garderait le Chabbat.
Le Chabbat aux Etats-Unis était loin d’être ce havre de paix qu’elle avait connu chez ses parents. Mais cette semaine, le Chabbat fut le pire de tous. Elle n’eut pas le courage de dire en face à ses cousins ce qu’elle avait résolu. Elle se leva donc tôt comme pour aller au travail et se mit à arpenter les rues de Manhattan. Elle s’assit sur un banc, fredonna les mélodies de Chabbat que son père chantait si bien, elle observa les gens et les pigeons en attendant l’apparition de trois étoiles dans le ciel.
Chabbat était terminé, elle avait réussi, mais cela lui coûterait cher. Elle avait perdu son travail et la confiance de sa famille.
“Barou’h Hamavdil…” Elle prononça doucement la bénédiction saluant la sortie du Chabbat. Il fallait maintenant affronter la dureté du monde. Rose se dirigea lentement vers la maison, ne sachant comme elle pourrait supporter les remarques déplaisantes de ses proches.
Quand elle entra, elle fut accueillie avec stupéfaction. “Rose ! Que… quoi… Je veux dire: d’où viens-tu ?”
Rose regarda son cousin Joe, elle ne comprenait pas son étonnement.
“Joe, que vais-je faire maintenant ? J’ai respecté Chabbat et j’ai donc perdu mon travail. Vous devez m’en vouloir terriblement !”. Elle pleurait, mais Joe la regardait bizarrement.
“Rose, tu ne sais pas ce qui est arrivé ? Un terrible incendie a ravagé ton usine. Seules quarante personnes ont survécu. Il n’y avait aucun moyen de s’échapper. Les gens ont même sauté par la fenêtre pour s’écraser au sol !”. La voix de Joe était saccadée et les larmes coulaient de ses yeux.
“Rose, comprends-tu ce qui t’est arrivé ? Tu es vivante parce que tu n’as pas travaillé Chabbat. Le Chabbat t’a gardée !”.

* * *

Le samedi 25 mars 1911, l’incendie avait complètement détruit l’usine de Triangle Shirtwaist et tué les cent quarante-six travailleurs immigrés. Mais comme c’était Chabbat, Rose ne s’y était pas rendue et elle avait survécu.

* * *

Comme l’avait dit son père, ce n’est pas tant les Juifs qui gardent Chabbat que le Chabbat qui les garde !

Yitta Halberstam et Judith Leventhal
traduites par Feiga Lubecki