semaine 39

  • Noa’h
Editorial

 Quel voyage !

Tout est passé si vite. Dès le lendemain des fêtes, le Chabbat est intervenu, concluant les grandes expériences spirituelles encore si proches par la lecture du début de la Torah, le récit de la création. C’est alors que, sans plus de transition, le cours du quotidien a repris avec ses méandres, ses hésitations et, parfois, ses retours en arrière et ses sautes d’humeur. Tout cela est arrivé si rapidement que chacun a sans doute eu quelque peine à s’y habituer. Franchir le pas entre un temps d’exception et des jours ordinaires n’est pas obligatoirement chose facile. C’est pourtant l’œuvre inéluctable entreprise cette semaine. Faut-il pour cela la réaliser avec une espèce de résignation morose, conscients uniquement de l’impossibilité que nous avons de continuer notre route des cimes spirituelles ?

La tradition juive nous enseigne que cette période est celle du « Jacob partit sur son chemin. » Entendons par là que, tout ayant été accompli, il nous appartient de reprendre notre voyage. Munis de toutes les forces accumulées pendant ce mois de Tichri, à peine écoulé, si plein de ses expériences spirituelles diverses, nous avons tous les possibles ouverts au devant de nous. Cela semble bien ambitieux, presque démesuré si on met en rapport l’objectif à atteindre et nos capacités ? Peut-être mais le récit de la Torah nous fournit, encore une fois, un point d’ancrage. Cette semaine, il nous parle de Noé. Il nous montre un homme seul, si différent de tous ses contemporains, qui croit en une vérité et refuse obstinément de s’en détacher. Un homme qui, à l’appel de D.ieu, construit un navire en pleine terre sous les quolibets de ses voisins et qui, malgré eux, poursuit sa tâche jusqu’à son achèvement. Un homme par qui c’est toute l’espèce humaine qui est sauvée, avec l’avenir du monde.

En ce début d’année, face au tumulte du monde, nous pouvons comprendre, au moins en réduction, les sentiments que put éprouver Noé devant le défi à relever. Nous sommes également capables de les assumer. Le navire qu’il sut construire est aussi le nôtre. En notre temps, c’est avec les mots de l’étude et ceux de la prière qu’on le bâtit. Et, comme au temps de Noé il résista aux eaux du déluge, ainsi, en notre époque, il ne cède pas aux assauts du monde. Peut-être a-t-il même le pouvoir de les apaiser. N’est-ce pas là, du reste, notre rôle éternel ? Savoir vivre dans la cité, en comprendre les attentes et y répondre par notre présence et notre fidélité à ce que nous sommes. Une manière aussi de dire que la judaïté est, pour nous, la voie majeure de la fraternité.

Etincelles de Machiah

 Quand vient l’arc-en-ciel

La Torah enseigne (Gen. 9:13-15) que c’est après le déluge qu’apparut l’arc-en-ciel. D.ieu le créa en signe d’alliance avec les hommes, promettant qu’Il ne détruirait plus le monde par un tel cataclysme. Quel est donc le lien particulier entre l’apparition de l’arc-en-ciel et le fait qu’un nouveau déluge soit exclu ?

Avant le déluge, les nuages étaient si matériels et grossiers que les rayons du soleil ne parvenaient pas à s’y réfléchir. L’arc-en-ciel était donc impossible. Le déluge eut pour effet de raffiner les éléments constitutifs du monde, permettant ainsi à l’arc-en-ciel de surgir.

L’arc-en-ciel étant donc le signe d’un certain raffinement du monde, il l’est également de la Délivrance. C’est ainsi que le Zohar affirme : «Si tu vois un arc-en-ciel aux couleurs lumineuses, attends la venue de Machia’h». Car, alors le monde aura atteint un nouveau degré de raffinement et sera digne de cette nouvelle époque.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – Chabbat Parachat Noa’h 5721) H.N.

Vivre avec la Paracha

 Noa’h

Egoïste comme un corbeau

Est-ce un corbeau ?

Nos Sages ne sont pas très bien disposés à l’égard du corbeau.

Ils le disent terriblement cruel vis à vis de son petit. Dans le Livre des Psaumes, le Roi David évoque la miséricorde de D.ieu Qui nourrit la progéniture de cet oiseau. Les petits du corbeau ont besoin de la nourriture de D.ieu, expliquent nos Sages, parce que leur mère les abandonne à la naissance.

Il a été suggéré que le corbeau n’arrive pas à reconnaître ses petits parce que leur plumage n’est pas aussi brillant et d’un noir aussi profond que le sien. Le corbeau, créature égoïste, abandonne donc ses oisillons car il ne se soucie pas de ce qui ne lui appartient pas.

Dans l’Arche

La population du monde entier, y compris les animaux et les êtres ailés, avait été décimée par les eaux du Déluge. Pour faciliter la repopulation de ces espèces après le Déluge, D.ieu avait ordonné à Noa’h de prendre dans l’Arche sept couples de chaque espèce animale cacher et un couple de chaque espèce non cacher. Il y avait donc des corbeaux, mais comme ils faisaient partie des espèces non cacher, il n’y en avait que deux : un mâle et une femelle.

Bien que les occupants de l’Arche fussent épargnés du Déluge, pour pouvoir, par la suite, repeupler le monde, le Talmud explique qu’ils n’avaient pas le droit de s’y accoupler. Cela pour deux raisons : tout d’abord, il eut été inconvenant, et en fait le summum du narcissisme et de l’indécence, de s’engager dans de telles activités alors que le reste du monde souffrait. De plus, les ressources étaient peu abondantes dans l’Arche. Il était déjà assez difficile d’emmagasiner de la nourriture et de nourrir ceux qui étaient présents. Agrandir la population de l’Arche aurait posé un problème d’approvisionnement impossible à gérer.

Ces deux raisons sont motivées par la compassion à l’égard de la souffrance d’autrui. Seul un égoïste pouvait penser avoir des relations intimes alors qu’il était entouré par l’agonie et la mort et seul un égoïste pouvait envisager de consommer plus que sa juste part de provisions alors qu’une maigre quantité devait suffire pour tous.

Et pourtant, c’est précisément ce que fit le corbeau. Il ignora ces interdits. Mais, par ailleurs, le corbeau était un oiseau très loyal : une fois qu’il avait fait son nid avec sa compagne, il s’écartait de tous ses autres partenaires. Cependant, nos Sages considèrent cette attitude de manière négative. Le corbeau est antisocial parce qu’il ne se préoccupe que de lui-même. Même dans l’Arche, il refuse de considérer les besoins des autres habitants et les souffrances du monde en général. Il n’a d’yeux que pour sa femelle et ne pense qu’à lui-même.

Renvoyé

Quand la pluie se fut arrêtée de tomber et que, pendant plusieurs mois, les eaux eurent baissé, Noa’h ouvrit la fenêtre de l’Arche et renvoya le corbeau. Selon au moins un commentateur, Noa’h chassa le corbeau de l’Arche car il avait violé l’interdit et n’avait donc aucun droit d’y rester. Dès que les eaux eurent un peu décru, laissant assez d’espace pour que l’oiseau puisse voler, Noa’h le bannit de l’Arche.

Contrairement à la colombe, qui serait envoyée par la suite pour vérifier le retrait des eaux et reviendrait vers l’Arche, avec une branche d’olivier dans son bec, pour témoigner que la décrue était bien réelle, le corbeau se contenta de faire des allers retours jusqu’à ce que les eaux sèchent.

Le Talmud nous informe que le corbeau ne s’envola pas pour se percher sur un arbre, par considération pour ses compagnons. Il supposait qu’ils étaient tous aussi dépravés et égoïstes que lui-même. Quand Noa’h le renvoya, le corbeau pensa qu’il l’avait vu désobéir par concupiscence.

Le Talmud nous ouvre alors sur une perspective intéressante quant à l’esprit de l’égoïste. Les gens égoïstes ne sont pas cruels mais ils pensent simplement que tout le monde est comme eux. S’ils ne profitent pas de quelque chose qui se présente à eux, un autre le fera, aussi le prennent-ils avant les autres. Ils ne considèrent pas les conséquences de leurs actes sur des gens décents et altruistes parce qu’ils n’imaginent pas que ces qualités puissent exister chez autrui.

Si le corbeau se livra, dans l’Arche, à ces actes, c’est parce qu’il pensait que tous les animaux en faisaient de même et quand il en fut renvoyé, il jugea que Noa’h avait fait exactement ce qu’il voulait, parce qu’il le voulait.

Cet état d’esprit vient de la disposition d’esprit qui consiste à blâmer les autres pour nos propres failles. Il est très difficile d’accepter nos propres défauts mais il est facile de les projeter sur les autres. Nous devons nous préserver de cet état d’esprit en nous rappelant ce qu’ont dit nos Sages : « Ceux qui condamnent les autres se condamnent en fait eux-mêmes ».

Prendre de la hauteur

Bien que le corbeau s’envolât de l’Arche, il ne vola pas en cercles au-dessus. La Torah précise qu’il allait et venait. Que devons-nous comprendre de ce détail précis concernant la direction de son vol ?

Quand il fut renvoyé, il se plaignit amèrement : « D.ieu me hait et Noa’h me hait encore plus. D.ieu n’a permis qu’à deux d’entre nous de survivre, réduisant de ce fait les chances de survie de notre espèce mais Noa’h va complètement détruire notre espèce en me séparant de ma compagne. »

Le Talmud relate que quand il entendit cela, Noa’h prit pitié du corbeau, lui permettant de revenir à l’Arche par intermittence, pour y prendre du repos quand il était fatigué. Noa’h l’en avait chassé car il n’y a pas de place pour l’égoïsme dans un environnement plein d’altruisme. Mais malgré le fait que le corbeau ait ignoré les besoins des autres, Noa’h ne pouvait, lui, ignorer les besoins du corbeau.

Nous ne pouvons répondre à l’égoïsme par de l’égoïsme. Cette attitude ne ferait que renforcer l’état d’esprit de l’égoïste. Nous devons plutôt nous élever au-dessus de cette inclination autocentrée et y répondre avec équité.

Tout comme le fit Noa’h, nous devons protéger notre maison de l’influence néfaste de l’égoïsme et traiter décemment celui qui en est à l’origine.

Le Coin de la Halacha

 Quelles sont les 7 Mitsvot des Bné Noa’h, les enfants de Noé, c’est-à-dire les non-Juifs ?

Bien que six Mitsvot aient déjà été données par D.ieu au premier homme, Noé s’en est vu rajouter une septième ; cependant, quand D.ieu donna la Torah sur le mont Sinaï aux enfants d’Israël, ceux-ci se sont vu confier la mission de les enseigner autour d’eux, dans la mesure du possible. Si cette mission s’avérait difficile ou même impossible dans les époques précédentes, elle est aujourd’hui facilitée par les bonnes relations de courtoisie qui règnent entre les différents courants religieux.

Voici en résumé ces sept Mitsvot (dont l’étude des détails est obligatoire pour celui qui désire se conformer à la Parole de D.ieu) :

- Croire en D.ieu (et ne pas croire en d’autres divinités)

- L’interdiction de blasphémer le Nom de D.ieu

- L’interdiction de tuer, même l’embryon et l’agonisant

- L’interdiction de certaines unions (adultère, inceste, zoophilie…)

- L’interdiction de voler et de frauder

- L’interdiction de manger un membre d’un animal vivant et de faire souffrir les animaux

- L’obligation d’établir des cours de justice.

Les Sages ont ajouté à cette liste :

- Le respect des parents

- La prière

- la Techouva (le retour à D.ieu)

- La Tsedaka (charité).

F. L. (d’après Pinat Hala’ha - Rav Yosef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 La lettre qui arriva quarante six ans plus tard…

Yifra’h avait étudié la Torah durant plusieurs années auprès de Rav Chnéor Zalman Gafni, le directeur de la Yéchiva anglophone du village de Kfar ‘Habad, en Israël. Il avait apprécié ses compétences, sa chaleur, son écoute et, grâce à lui, était revenu sur le chemin d’un judaïsme joyeux, bien compris, ouvert et actuel. Yifra’h, qui avait du mal à s’intégrer en Israël, demanda au Rabbi où s’installer et le Rabbi lui avait répondu de retourner s’installer dans sa ville natale, St Pétersbourg en Russie. De fait, il s’y était marié, s’était lancé dans les affaires et avait fort bien réussi.

A l’occasion de l’anniversaire du décès de sa mère, Yifra’h retourna en Israël en janvier 2013. Il voulut profiter de ce court séjour pour revoir son professeur mais cela s’avéra plus difficile que prévu. Tout d’abord, il le chercha à la Yéchiva de Kfar ‘Habad mais Rav Gafni ne s’y trouvait pas. Yifra’h se rendit alors à Bné Brak, au domicile de Rav Gafni où il était venu si souvent auparavant mais celui-ci avait déménagé et nul ne connaissait sa nouvelle adresse.

Yifra’h ne désarma pas : il devait absolument retrouver son ancien professeur ! Il se renseigna auprès de tous les centres ‘Habad qu’il pouvait localiser.

La veille du Yortsaït, Yifra’h se rendit à Tsfat (Safed), la ville des Kabbalistes, là où sa mère était enterrée. Bien entendu, il demanda à tous les Loubavitch qu’il pouvait rencontrer, surtout dans le quartier ‘Habad, s’ils savaient où habitait Rav Gafni. Quelqu’un se rappela qu’il avait effectivement entendu que Rav Gafni allait s’installer à Tsfat mais il ignorait s’il avait déjà mis son projet à exécution.

De fait, Rav Gafni habitait à ce moment-là chez un de ses élèves dans la ville de Tsfat (et non dans le quartier ‘Habad) et c’est pour cela que les gens ne savaient pas encore s’il était déjà dans la ville ou non. De plus, Rav Gafni avait changé de numéro de téléphone portable et n’avait pas encore de ligne fixe. Tentant sa chance une dernière fois, Yifra’h se mit à arpenter les rues de la ville dans l’espoir de retrouver son maître.

Déçu, il s’apprêta à prendre le car à la gare centrale pour rejoindre le centre du pays et prendre l’avion le lendemain pour la Russie. C’était précisément le jour des dernières élections qui eurent lieu en Israël et, à la gare, Yifra’h rencontra un jeune Loubavitch qui rentrait chez lui afin de s’acquitter de son devoir électoral. Celui-ci était persuadé de l’avoir déjà rencontré – ce que Yifra’h contestait - mais brusquement, le jeune homme se souvint : « Mais oui ! Il me semble vous avoir déjà rencontré chez Rav Gafni ! »

- Justement ! Je le recherche désespérément ! s’écria Yifra’h.

Il s’avéra que le jeune homme n’était autre qu’un des petits-fils de Rav Gafni !

Oui, il savait que son grand-père se trouvait à Tsfat mais ne connaissait pas son adresse. Ni même son numéro de portable car il venait d’en changer (merci, pensa Yifra’h, je m’en étais aperçu moi aussi !). Par contre, il connaissait bien entendu le numéro de sa mère et celle-ci devait normalement connaître le numéro de son père, Rav Gafni. Bref, quelques instants plus tard, Yifra’h arrivait, très ému, chez son ancien maître avec une enveloppe mystérieuse…

- Incroyable ! murmura Rav Gafni quand il reçut l’enveloppe des mains de son ancien élève.

Yifra’h était devenu collectionneur ; il aimait se procurer toutes sortes de manuscrits rares et anciens des Rebbéim. Au début du mois de Chevat de cette année, Yifra’h s’était rendu au 770 Eastern Parkway à Brooklyn et un spécialiste de Judaïca qui connaissait la passion de Yifra’h pour les manuscrits lui proposa des lettres signées de la main du Rabbi et adressées à différentes personnes, datant de près d’un demi siècle. Feuilletant les lettres, Yifra’h fut stupéfait : il avait trouvé deux lettres, datant de plus de quarante-six ans, écrites à son maître, Rav Gafni (qui, lui-même, se demande pourquoi ces lettres ne lui étaient jamais parvenues !). Yifra’h, qui n’avait pas revu son ancien maître depuis bien longtemps, estima qu’il devait se procurer ces lettres et les lui offrir lors de son prochain voyage en terre sainte.

Bouleversé de recevoir une lettre du Rabbi après tant d’années, Rav Gafni ouvrit la lettre avec émotion, non sans avoir préalablement mis sa veste, son chapeau et son Gartel, sa ceinture de prière, en signe de respect.

L’enveloppe contenait deux lettres.

Dans l’une d’elles, datée du 28 Iyar 1967, le jour de la libération de Jérusalem, le Rabbi terminait sa lettre en souhaitant à Rav Gafni : « Celui qui change d’endroit change aussi de Mazal, de destin ! »

« Il faut comprendre, explique Rav Gafni, très ému quand il raconte cela, que j’avais habité près de cinquante ans au même endroit, à Bné Brak et que le déménagement dans une autre ville n’avait pas été facile au point que je m’étais demandé plusieurs fois si je ne devais pas revenir dans mon ancien logement. Soudain je reçois une lettre écrite il y quarante-six ans, dans laquelle le Rabbi m’encourage dans cette initiative ! Tous mes doutes se sont envolés et il n’existe pas de satisfaction plus grande que la disparition des doutes ! »

Bien entendu, Rav Gafni et Yifra’h se sont assis pour boire Le’haïm, A la vie ! et discuter ensemble.

« J’étais tellement ému, regrette Rav Gafni, que je n’ai même pas demandé à Yifra’h son nom de famille et son adresse… Mais je suis sûr qu’il viendra de nouveau me rendre visite, puisqu’il sait où j’habite, ajoute-t-il avec un sourire malicieux. Nous sommes maintenant entièrement rassurés que nous avons effectué le bon choix en venant nous installer ici ! Après tout, nous avons reçu une réponse du Rabbi, datée de quarante-six ans !

Yitzchak Cohen – Kfar Chabad N° 1500

Traduit par Feiga Lubecki