Semaine 43

  • Le’h Le’ha
Editorial
Le sens du voyage

Etrange peuple juif dont la majeure partie de l’histoire est un récit d’exil, plus souvent dramatique que serein. Etrange homme que le Juif qui aspire sans cesse à quitter une sorte d’exil intérieur auquel il se condamne bien souvent lui-même. D’une certaine façon, l’histoire juive, collective ou individuelle, est celle d’un voyage – autour du monde pour l’ensemble du peuple, à la recherche de soi pour les individus qui le composent. Il existe sans doute bien des manières de voyager et bien des sens au voyage. Pour les uns, il ne s’agira que de vivre ailleurs comme on aurait vécu chez soi. Pour d’autres, il s’agira d’éblouir le monde par sa propre grandeur assumée. Pour les Juifs, le voyage dont il est question est d’abord une découverte car si nous y sommes engagés, c’est d’abord parce que D.ieu nous y conduit. En cet encore début d’année 5773, le voyage continue/recommence au moment où le cycle annuel de lecture de la Torah nous refait entendre l’histoire fondatrice de tous les départs : celle d’Abraham.
De fait, le récit apparaît comme un archétype. Abraham, notre premier ancêtre, a découvert D.ieu. Né dans une famille de notables de l’antique Mésopotamie, il répond à un appel qui le dépasse : «Va-t-en» lui dit D.ieu ou plutôt, en traduction plus littérale, «Va vers toi.» C’est ainsi qu’il laisse tout en arrière : habitudes, pensées de toujours, volontés anciennes. Même si, en lui, tout était noble et louable, il a, à présent, un nouveau monde à découvrir et mieux, à construire. Le passage était loin d’être facile. Abandonner tout ce qu’on a connu pour aller vers des contrées, matérielles et spirituelles, encore ignorées ? Abraham ne recule pas et, aujourd’hui, chacun sait qu’il fonda l’histoire.
C’est dans cet état d’esprit – et avec cet héritage – que nous avançons toujours. Le monde alentour peut paraître gronder de menaces. Notre monde intérieur personnel peut sembler insatisfaisant. Le voyage se poursuit pourtant. Il est celui de l’espérance invaincue, celui de l’émerveillement toujours renouvelé : les deux clés qui mènent à la victoire de l’esprit sur la grossièreté et la violence, à la victoire de la Lumière sur l’obscurité. Le voyage a commencé il y a longtemps ? Certes. N’est-ce pas là un signe que le but en est enfin proche ?
Etincelles de Machiah
Le pouvoir de la joie

La ‘Hassidout pose comme un principe de base que «la joie brise les barrières». Il faut rajouter à cela que la joie brise aussi les barrières de l’exil et hâte la venue de Machia’h, à propos duquel il est écrit (Berechit Rabba 85 : 14 sur Michée 2 : 13) : «le briseur montera devant eux».
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch
Chabbat Parchat Toledot 5741) H.N.
Vivre avec la Paracha
Lé’h Le’ha : Confiance et respect

Certains ouvrages contemporains attirent l’attention sur la dégradation des relations humaines et appellent à une «révolution en faveur de la pudeur».
La Torah a toujours développé ce message de façon très claire. Dans le Livre de Beréchit, nos héroïnes bibliques sont puissantes, de façon pudique et discrète. Leurs époux sont respectueux et protecteurs. Les femmes sont chéries et honorées.
Et c’est ainsi qu’a perduré la tradition juive qui remonte aux jours de nos Patriarches et de nos Matriarches.

Un récit de notre Paracha vient nous apporter un lumineux éclairage à ce propos.
Lorsque l’on jette un regard attentif sur leur relation, nous observons qu’Avraham et Sarah, respectivement âgés de soixante-quinze et soixante-cinq ans, voyagent vers le sud, vers l’Egypte. Pendant leur voyage, Avraham dit à Sarah combien elle est belle et exprime l’inquiétude que sa beauté risque d’inciter les Egyptiens à le tuer, lui-même, pour la mettre dans le harem du roi.
Avraham fait à son épouse les suggestions suivantes : «S’il te plaît, dis que tu es ma sœur, pour que tout aille bien pour moi, grâce à toi et que mon âme puisse vivre, grâce à toi» (Beréchit 12 :13).
Le plan d’Avraham le rayerait, en effet, de la liste noire du Pharaon, tout en rendant Sarah accessible à des abus hédonistes ! Ce qui va encore plus loin est qu’Avraham mentionne qu’en effet, il lui serait bénéfique que Sarah soit enlevée : «pour que tout aille bien pour moi, grâce à toi» !
Les commentateurs bibliques expliquent que si Avraham était pris pour son frère, il s’attendait à recevoir un hommage sous forme de cadeaux d’argent et de bétail.
S’agit-il ici réellement d’Avraham, le premier époux juif et le prototype de la bienséance ? S’agit-il de l’homme dont la générosité altruiste l’avait fait mettre quatre portes à sa tente, la rendant ouverte aux voyageurs qui venaient de toutes directions ?

Il y a environ deux mille ans, l‘auteur du Zohar posait la même question (question qui a d’ailleurs interpelé pratiquement tous les commentateurs de la Torah) :
Rabbi Eliézer a demandé : Avraham, qui craignait D.ieu et qui était aimé de D.ieu, aurait-il pu prononcer ces paroles dans son propre intérêt ?
Rabbi Eliézer a expliqué : Bien qu’Avraham craigne D.ieu, il ne faisait pas confiance en son propre mérite. Il ne demanda pas à D.ieu de sauver (Sarah) par son mérite à lui, mais par le sien (à elle). Il savait (aussi) que c’était par son mérite à elle qu’il accumulerait de la richesse provenant des autres nations, puisqu’un homme acquiert de l’argent par le mérite de sa femme… Il s’appuyait sur son mérite pour ne pas être atteint et pour qu’elle ne soit pas touchée et c’est pour cela qu’il n’eut pas peur de dire : « Elle est ma sœur».

Selon le Zohar, le raisonnement d’Avraham suivait deux directions :
a) Avraham ne pensait pas qu’il puisse mériter d’être sauvé de la mort mais il avait une confiance absolue en ce que D.ieu ne laisserait jamais qui que ce soit abuser de sa sainte épouse. Aucun danger ne la menaçait.
b) Avraham connaissait également la Loi Divine selon laquelle les profits de l’homme lui sont acquis par le mérite de sa femme.
Et c’est en effet ce qui se produisit. Sarah fut prise. Mais quelques heures plus tard, elle était libérée, intacte. Et le Pharaon donna à Avraham une profusion de richesses.
Alors que la convenance demande que l’homme soit courtois et défende l’honneur et la sécurité de sa femme, il est des situations où il lui est recommandé de prendre du recul et d’avoir confiance en ce qu’elle est capable de se protéger elle-même. En fait, elle peut même obtenir davantage de bienfaits que s’il s’était impliqué. Dans son célèbre poème : Une Femme de Valeur (Echèt ‘Hayil), le Roi Salomon décrit la stratégie d’Avraham : «Le cœur de son mari lui fait confiance, il ne manque aucun profit».
Le Zohar compare l’union d’Avraham et Sarah à celle de l’âme et du corps. Cela nous permet un parallèle extraordinaire entre l’histoire du voyage d’Avraham et Sarah en Egypte et notre voyage dans la vie.
L’âme descend sur terre et s’associe à un corps. Elle cherche à le protéger de tout mal. Mais le corps a une mission à accomplir, mission plus dangereuse que celle de l’âme. En tant que sujet physique, le corps est mieux équipé pour cultiver le monde matériel. Son travail consiste à labourer, planter, acheter, cuisiner, tout en apportant à ce monde matériel la conscience de D.ieu.
Il se peut que l’âme veuille instinctivement protéger le corps du matérialisme le plus trivial mais elle est obligée de le laisser faire. Les profits obtenus par le travail du corps apportent également à l’âme un bénéfice considérable.
Avraham, l’époux parfait, et Sarah, la quintessence de la femme juive sont l’exemple d’un couple modèle.
La femme est souvent fortement impliquée dans des poursuites matérielles. Tout comme le corps, elle construit, crée, organise, établit des stratégies et se plonge dans le matériel et le physique. Tout comme Sarah, elle peut paraître conduite de force dans le palais du Pharaon où le matérialisme règne et où est adoré ce qui a une belle apparence.
Mais un homme perspicace sait que sa femme est en sécurité. Les femmes ont un don : l’aptitude à voir la matérialité comme un moyen pour parvenir à une fin plus grande, une fin Divine. C’est avec cet objectif qu’elles font surgir la conscience du Créateur dans chaque aspect de l’existence.
Le Coin de la Halacha
Il est interdit de voler : quelques détails ?

Il est interdit de voler quiconque, que ce soit un enfant ou un adulte, un membre de sa famille ou une institution. Même si l’autre personne nous a causé du tort ou de la peine, il est interdit de lui voler quoi que ce soit, même si l’objet n’a pratiquement aucune valeur.
- Il est interdit de voler même si on a l’intention de rendre l’objet, par exemple si on veut donner une bonne leçon à celui qui laisse traîner ses affaires ou si on souhaite juste lui faire peur ou lui jouer un tour : ainsi on ne prendra pas l’habitude de voler.
- Il convient d’empêcher les enfants de voler et on les habituera à respecter le bien d’autrui.
- Il est interdit d’acheter un objet volé car ainsi, on encouragerait le vol.
- Il arrive parfois que l’on se trompe de manteau ou de sac… dans un mariage ou une réunion : on n’a pas le droit de se servir du vêtement ou de l’objet malencontreusement échangé ou de le garder pour soi : on doit s’efforcer de retrouver le propriétaire et on lui rendra son bien même si on a définitivement perdu son propre manteau ou tout autre objet.
- Le voleur qui se repent de ses actes devrait rembourser le double de la valeur de l’objet volé.

F.L. (d’après Rav Eliezer Wenger zal)
De Recit de la Semaine
Chabbat en Sibérie

Rav Yossef Its’hak Gurevitz fut arrêté sous le règne de Staline et emprisonné sous le prétexte d’activités contre-révolutionnaires, comprenez le fait qu’il persistait à croire en D.ieu et à se conduire suivant les règles de la Torah. Au cours d’un procès express de dix minutes, il fut condamné à «expier sa faute et à comprendre la vérité» grâce à des travaux forcés durant sept ans en Sibérie.
La plupart des prisonniers ne survivaient que très peu de temps dans ces circonstances terribles. Mais, dès le début, Rav Gurevitz décida qu’il verrait tout de façon positive.
Quand on lui demanda s’il avait des compétences particulières, il se souvint qu’on l’avait prévenu : si tu ne prétends pas connaître un métier, on te forcera à travailler à l’extérieur et tu ne pourras pas survivre ! Il prétendit donc qu’il était tailleur : il n’avait jamais tenu une aiguille mais avait observé sa mère quand elle utilisait sa machine à coudre. On l’amena alors dans un immense hangar où des prisonniers fabriquaient des sacs pour l’armée. On lui ordonna de s’asseoir devant une machine et de travailler : pour cela, on lui fournit des piles de pièces de cuir et on lui montra le produit fini qu’il devait livrer.
Le problème, c’est que c’était Chabbat !
Et les Juifs n’ont pas le droit de coudre Chabbat. Rav Gurevitz s’assit sur la chaise, contempla la machine à coudre qu’il n’avait même pas le droit de toucher puisque c’était Chabbat ! Que pouvait-il faire ? Il pria pour trouver une idée car s’il ne travaillait pas, il risquait… le pire ! Mais le fait de rester assis sans rien faire alors que tous les «camarades» s’activaient furieusement sur leurs machines ne résolvait pas le problème, bien au contraire ! Il se leva, prétextant un besoin urgent et en profita pour rester dans cet endroit tranquille plus d’une demi-heure. En sortant, il remarqua une salle remplie de lits, la salle prévue pour le repos de l’après-midi. Il se faufila dans un lit, tira sur lui la lourde couverture et se couvrit jusqu’à la tête malgré l’inconfort certain que cela représentait mais il était heureux : il n’allait pas désacraliser le Chabbat. A la fin de la journée de travail, comme si rien ne s’était passé, Rav Gurevitz émergea de son lit et rejoignit ses compagnons d’infortune.
Comme il était nouveau, les contremaîtres n’avaient pas remarqué son absence mais ils avaient remarqué qu’il n’avait produit aucun sac !
Le lendemain, il fut convoqué devant une sorte de tribunal : des «juges» exigeaient de lui des explications. Rav Gurevitz sentait ses jambes flageoler. Mais, à sa grande surprise, l’un des juges se mit à lui parler non pas en russe mais… en yiddish, sa langue maternelle !
- Que se passe-t-il ? Pourquoi n’as-tu pas travaillé hier pour la Mère Patrie, notre glorieuse Russie en danger ? demanda le fonctionnaire d’une voix neutre.
- C’était Chabbat, camarade Juge ! Vous savez qu’un Juif n’a pas le droit de travailler Chabbat !
- Mais en temps de guerre, c’est permis, n’est-ce pas ? Je connais la loi juive : si ta vie est en danger, tu as le droit de profaner le Chabbat !
- Vous avez sans doute raison, Camarade Juge mais – quoi qu’il arrive – je ne travaillerai pas Chabbat !
Le juge le regarda sévèrement puis se tourna vers les autres juges et tous discutèrent gravement en hochant la tête tout en lui jetant des regards menaçants. Rav Gurevitz suspecta le pire mais resta ferme dans son attitude.
- Bien camarade Gurevitz ! reprit le juge, cette fois-ci en russe. Nous avons ici un entrepôt où nous stockons tout le cuir nécessaire à la fabrication des sacs. Ce cuir est très précieux mais nous n’avons pas encore trouvé de moyen de l’empêcher de disparaître. Les hommes préposés à la sécurité de l’entrepôt ne sont jamais honnêtes et volent le cuir qu’ils sont chargés de surveiller ! Mais nous constatons que toi, camarade Gurevitz, tu es un homme de principes, tu es prêt à risquer ta vie pour tes valeurs et nous estimons donc que tu ne voleras pas ce qui ne t’appartient pas !
- Je n’ai jamais volé de ma vie ! affirma Rav Gurevitz.
- Vraiment ? Jamais ? C’est exactement ce que tous prétendent ici mais, dans ton cas, c’est différent : nous avons constaté que toi, tu respectes les lois de ta religion. Qu’en penses-tu ? Avec ce travail, tu pourrais d’ailleurs aussi respecter ton Chabbat !
C’est ainsi que, durant toute sa captivité en Sibérie, Rav Gurevitz n’eut aucun problème pour respecter le repos du Chabbat. De plus, il put tranquillement prier dans cet entrepôt, pratiquer les Mitsvot et même dans une certaine mesure aider les autres Juifs à en faire autant.
Ce n’est pas tant les Juifs qui gardent le Chabbat mais le Chabbat qui les garde !

Rav Tuvia Bolton
www.ohrtmimim.org – L’Chaim n°1241
Traduit par Feiga Lubecki