Semaine 30

  • Matot
Editorial
Des murailles et des hommes

Cette semaine, le jeûne du 17 Tamouz ouvre la douloureuse période des trois semaines qui se conclura par le 9 Av. Il n’est guère utile de souligner toute la gravité, le poids aussi, des événements qui marquèrent ce jour : de la première brèche dans la muraille de Jérusalem à la destruction du Temple. C’est du début du trop long exil du peuple juif qu’il s’agit, avec son cours plus souvent tumultueux que paisible, plus souvent chargé de drames que de bonheurs tranquilles.
La première brèche dans la muraille de Jérusalem… Ce fut le signe annonciateur de la chute prochaine. Mais un tel jour n’a pas uniquement une signification historique. Certes, la commémoration est de toute première importance. Certes, si le peuple juif a su rester fidèle à lui-même et refuser l’oubli, c’est aussi parce que des cérémonies, des rites ont encadré la nécessaire transmission. Quel peuple sans passé pourrait avoir un avenir qui fasse sens ? Pourtant, le 17 Tamouz va bien au-delà de ces notions.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde ouvert. «Les murailles sont tombées» dit-on souvent. C’est évidemment là une évolution que chacun a lieu d’approuver : la liberté de croire, de penser, de parler en ont été les traductions concrètes. Le peuple juif, éternelle minorité, ressent, peut-être plus fortement que d’autres, le bonheur d’un tel privilège. Pourtant, la muraille était aussi protectrice, au sens matériel mais aussi aux sens moral, culturel et spirituel. Elle préservait cet espace où la différence pouvait s’exprimer. La détruire, c’était entreprendre d’éteindre la diversité. Y faire une brèche était le début du processus. Il fallait que l’envahisseur efface ce qui s’opposait à lui, qu’il détruise l’obstacle devant sa volonté d’étendre son empire sur le monde tout entier.
Il n’est évidemment pas question d’élever de nouveaux murs ou de nouvelles barrières entre les hommes. Ne faut-il pas cependant veiller à ce que l’allégresse de la liberté ne dissimule pas l’uniformisation des modes de vie et de pensée, cette massification qui n’est qu’une autre manière de dire la dictature du puissant et l’oubli de sa conscience propre ? Décidément, cette première brèche dans la muraille a des accents bien contemporains tant il est vrai qu’on ne peut être un membre à part entière de la grande famille des hommes que lorsque c’est son âme et son identité éternelles et inchangées qu’on y apporte.
Etincelles de Machiah
Il est temps d’être joyeux!
Dans l’un des psaumes qui traitent du retour final des exilés en Israël, il est écrit (126: 2-3): “Alors ils diront parmi les nations: ‘D.ieu a fait de grandes choses pour ceux-ci’. D.ieu a fait de grandes choses pour nous; nous étions joyeux”.
Un des Maîtres polonais a commenté ces mots de la façon suivante:
“Alors ils diront parmi les nations”: quand Machia’h viendra, les nations du monde diront,
“D. ieu a fait de grandes choses pour ceux-ci”: D.ieu a fait des merveilles pour le peuple juif.
Nous répondrons à ces propos:
“D.ieu a certes fait de grandes choses pour nous”.
Quelle en est la raison? “Nous étions joyeux!”
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch) H.N.
Vivre avec la Paracha
Matot : Le Moché de l’intérieur

Parmi les nombreuses batailles décrites dans la Torah, l’on peut relever la guerre des Hébreux contre la nation de Midian. Dans le trente-et-unième chapitre du Livre de Devarim, nous lisons la façon dont D.ieu dit à Moché d’attaquer les Midianites. La Torah poursuit en décrivant la manière dont Moché rassembla une armée et indiqua de nombreux détails concernant la bataille et ses suites.
L’on peut considérer ce qui précède selon deux perspectives.
La première consiste à observer le fait historique littéral. Pour pouvoir survivre, le Peuple Juif devait mener plusieurs combats contre des forces variées. Les Midianites cherchaient la destruction d’Israël si bien qu’une action devait être menée contre eux. La Torah nous donne ces détails parce qu’à différentes époques et de manière différente, nous sommes confrontés à des batailles similaires. Ce peut être des batailles militaires et parfois des batailles culturelles.
La seconde approche pour comprendre cet événement se situe à un niveau personnel. Les nations hostiles au Peuple Juif, rencontrées dans les pages de la Bible, signifient les forces négatives que l’on possède à l’intérieur de soi. Les batailles constantes représentent la lutte perpétuelle de l’individu contre des traits négatifs de son caractère.
Midian, nous disent nos Sages, est lié au mot madone qui signifie «conflit». Ce trait négatif s’exprime par une antipathie hostile à l’égard d’autrui. On ressent que l’autre s’empare de notre propre territoire. Son existence même nous irrite. C’est là le sens de ce que l’on appelle «la haines gratuite» qui, nous relate le Talmud, provoqua la destruction du Temple. Rabbi Chalom Dovber, le cinquième Rabbi de Loubavitch (1860-1920) disserte sur la bataille contre Midian comme étant un combat intérieur contre son propre égoïsme et le rejet d’autrui.
Un aspect crucial dans cette bataille tient au fait que D.ieu dit à Moché qu’il devrait s’y impliquer personnellement. Chacun d’entre nous possède en lui-même la qualité de Moché. Le Moché intérieur représente la force de l’altruisme, l’opposé radical de l’égoïsme et de l’égocentrisme qui nous poussent à rejeter les autres.
Chacun d’entre nous possède ce potentiel intérieur de se dépasser. Il s’exprime dans des actes d’héroïsme et également parfois dans des périodes de dévouement intense. Un groupe de personnes veillant tard le soir pour organiser un événement de charité, un individu solitaire prenant soin d’une personne âgée font partie de ces innombrables êtres humains dans la vie desquels s’exprime le Moché intérieur et pur.
Ce Moché intérieur nous aide à briser les forces de Midian. Plutôt que repousser et mépriser les autres, nous les acceptons et en venons même à les aimer comme l’enjoint la Torah : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même». La bataille contre Midian décrite par la Torah est donc un événement crucial et qui se poursuit encore de nos jours.

Hésiter entre le spirituel et le concret
Un thème que l’on retrouve constamment dans l’enseignement juif est l’interface entre la spiritualité et la vie, entre les rêves idéaux et la dure réalité. L’affrontement entre ces deux dimensions et la tentative de trouver une solution à ce problème s’expriment dans un incident que l’on peut lire dans notre Paracha, Matot.
Après quarante années d’errance dans le désert, le Peuple Juif campait sur la rive est du Jourdain. Bientôt, ils allaient traverser le fleuve et conquérir la Terre d’Israël. Un groupe constitué de deux tribus, Réouven et Gad, s’approcha de Moché et exprima une requête : «Nous avons des troupeaux de moutons. La terre sur laquelle nous sommes, à l’est du Jourdain, est une bonne terre pour l’élevage. Permets-nous de rester ici plutôt que de traverser le Jourdain.»
La réaction de Moché fut empreinte d’un souci extrême. Il voyait ici une répétition de l’épisode des Explorateurs, quelques quarante années plus tôt, quand le peuple avait clamé qu’il ne voulait pas entrer dans la Terre. La demande de rester à l’est du Jourdain semblait similaire. Toutefois, après en avoir discuté avec les membres des deux tribus, Moché accepta leur requête. Du moment qu’ils aideraient le reste du peuple à conquérir l’ouest du Jourdain, ce serait correct.
Qu’arrive-t-il ici ? De quoi est-il réellement question ?
La ‘Hassidout explique que la génération du Sinaï ne voulait pas entrer en Israël parce qu’ils préféraient la spiritualité du désert. Ils s’y sentaient proches de D.ieu. Ils n’avaient pas besoin de travailler pour leur subsistance : la Manne du ciel et le Puits du rocher suppléaient à leurs besoins matériels. Entrer en Israël signifiait qu’il faudrait semer et récolter et pratiquer toutes les activités d’une vie besogneuse. Ils préféraient donc rester dans le désert. Ce choix en faveur de ce qui était purement spirituel fut condamné par D.ieu.
Quand les tribus de Reouven et de Gad demandèrent à rester sur la rive est du Jourdain où ils pourraient faire paître leurs troupeaux, il semblait que ce fut la même démarche. Les Sages nous disent que la raison pour laquelle bon nombre de nos ancêtres (y compris nos Patriarches et les fils de Yaakov) étaient des bergers est que cette activité leur permettait de garder un état d’esprit préoccupé par le spirituel, loin de l’activité assourdissante de la ville.
C’est pourquoi cette requête contraria tout d’abord Moché. C’était un nouveau cas de rejet de la réalité de la vie. Et puis il s’en accommoda. Pourquoi ?
La génération des Explorateurs voulait que tout le Peuple reste dans un monde spirituel. Par contre, ces deux tribus constituaient une minorité. Plus encore, ils acceptèrent de traverser le Jourdain pour pouvoir aider le reste de leur peuple à conquérir la terre. Cela signifie qu’ils acceptaient que leur spiritualité se pratiquait pour le bienfait des autres. Moché pouvait donc approuver leurs plans.
De nos jours, certains sont principalement actifs dans le monde du commerce et des affaires, d’autres se dévouent à la dimension spirituelle de la vie et en priorité, étudient la Torah. La présence de ces deux groupes, ceux qui sont actifs dans le monde pratique et les érudits, est une configuration honorée par le temps dans la communauté juive. (Dans la société en général, il y a également de nombreux érudits académiques).
Parfois une question se soulève : l’érudit en Torah fuit, en quelque sorte, le monde réel. La leçon de la Paracha est que si les érudits considèrent que leur véritable dessein est rempli en aidant les autres, en communiquant leurs connaissances en Torah et en les inspirant, alors ils ne tentent pas de s’échapper. Au contraire, ils aident à allier le spirituel et le concret, à faire de la réalité de ce monde une véritable Résidence pour D.ieu.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le Kaddich ?

Le Kaddich est une prière récitée en présence d’un Minyane – dix Juifs – par celui qui a perdu l’un de ses parents, durant l’année de deuil ainsi que chaque année, le jour anniversaire du décès.
Cette prière est rédigée en araméen, ce qui était la langue parlée à l’époque de la rédaction du Talmud (premiers siècles de l’ère commune). Elle ne mentionne aucunement le décès, elle est plutôt un appel à reconnaitre la grandeur de D.ieu et à accepter Son décret.
Quand l’orphelin le récite, les fidèles répondent, à haute voix : «Yéhé Chemé Rabba…», ceci efface les jugements pénibles.
Le Kaddich permet de sanctifier le Nom de D.ieu dans les sphères supérieures, ce qui pardonne au défunt les fautes les plus graves, celles que même la Techouva (retour sincère à D.ieu) et Yom Kippour ne peuvent effacer.
Si le défunt n’a pas eu l’occasion ou le temps de se repentir avant que son âme ne quitte son corps, le Kaddich récité par son fils (ou tout autre Juif) lui procurera le pardon.
La Nechama (l’âme du défunt) entend et profite de chaque Kaddich récité en son souvenir. Elle profite également de toutes les bonnes actions accomplies en son mérite : étude de la Torah, dons à la Tsedaka (charité) etc.

F. L.
(d’après Rav Yaakov Klass (Jewish Press)
De Recit de la Semaine
Et le bus continua sa route

Cela fait déjà vingt-cinq ans que Rav Raskin amène avec lui de nombreux Juifs de Montréal à New York, au moins une fois par mois, en autobus.
Il a commencé peu après sa nomination comme Chalia’h, émissaire du Rabbi, à Montréal en 1986.
La première fois, il n’avait loué qu’un minibus.
«Les participants ne savaient pas à quoi s’attendre. Ils ignoraient ce que représente un voyage chez le Rabbi, avec les prières, les réunions ‘hassidiques, les rencontres avec des Juifs de tous les pays imaginables, l’entrevue privée avec le Rabbi… mais ils étaient curieux et excités.
Quand nous sommes arrivés, j’ai transmis au Rabbi les noms de tous les participants. Quelques temps plus tard, je reçus une réponse du Rabbi : «La prière du voyage – que ceci se passe dans un moment propice ! Je (les) mentionnerai auprès du tombeau (de mon beau-père, le Rabbi précédent)».
Les premiers mots me semblèrent étranges. Mais c’est alors que je réalisai que, sans doute à cause de l’excitation, nous avions oublié de réciter la prière du voyage !»
Chacun de nos voyages avait sa particularité.
En 1991, j’ai emmené quelques-uns des fidèles de ma communauté pour passer un Chabbat chez le Rabbi. Durant la réunion ‘hassidique, le Rabbi s’adressa à eux en français (car la plupart d’entre eux étaient francophones) : «Il leur demanda à chacun de dire «Le’haïm» («A la vie») sur un petit verre de vodka, trois fois de suite. C’était quelque chose de très rare, qui ne manqua pas de provoquer notre étonnement.
Durant notre voyage de retour pour Montréal, le chauffeur arrêta brusquement l’autobus : un des pneus était crevé ! Nous avons été obligés de descendre sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute et d’attendre que le chauffeur remplace le pneu endommagé.
Nous avons repris la route et, deux heures plus tard, nous avons soudain ressenti des tremblements inquiétants dans l’autobus : le chauffeur s’arrêta et descendit voir ce qui se passait. Effectivement, il repéra une panne qui aurait pu causer le renversement de l’autobus ! Il procéda à la réparation et nous sommes repartis.
Quelques instants plus tard, nous avons entendu le bruit d’une formidable explosion et avons aperçu les cornes d’un cerf qui s’étaient introduites dans l’axe du volant !
Celui-ci éclata en plusieurs morceaux mais le chauffeur avait réussi à s’arrêter à temps.
Je saisis alors le micro et déclarai : «Mes amis ! Ne vous inquiétez pas ! Nos ennuis sont maintenant terminés, nous pouvons continuer tranquillement !» Tous les voyageurs me regardèrent, ils étaient étonnés de mon assurance. Je leur rappelai alors que le Rabbi leur avait demandé de trinquer trois fois «Le’haïm» !
Effectivement, la suite du voyage se déroula sans autre incident…»

* * *

Rav Raskin continua les voyages mensuels à Brooklyn, même après le 3 Tamouz 1994, le jour de la Hiloula du Rabbi.
«A l’aller, l’atmosphère dans l’autobus est différente car les gens savent qu’ils ne verront pas le Rabbi. Cependant, au retour, l’atmosphère est comparable à ce qu’elle était avant ce 3 Tamouz : un enthousiasme et une impression d’élévation spirituelle vraiment extraordinaire ! C’est inexplicable, il faut le ressentir !»
D’ailleurs les chiffres parlent d’eux-mêmes : après avoir organisé 126 voyages chez le Rabbi, Rav Raskin peut affirmer que des milliers de bonnes résolutions ont été prises – et tenues ! Comme avant… !
Lors d’un de ces voyages une dame qui avait subi des soins intensifs pendant huit ans se joignit à nous avec l’espoir de pouvoir enfin mettre un enfant au monde. Elle se recueillit auprès du tombeau du Rabbi, pria et pleura. Dans l’année, elle donna naissance à une magnifique petite fille. A l’âge de onze ans, cette fillette nous accompagna avec sa mère dans notre centième voyage. Sa mère me la présenta et la fillette déclara d’emblée : «Je suis une enfant née grâce à la bénédiction du Rabbi !»
Et ce genre de miracles se produit à chaque fois !

Menachem Cohen
Sichat Hachavoua n°1278
traduit par Feiga Lubecki

Éléments similaires (par paracha)