Semaine 53

  • Vaéra
Editorial

La place de l’homme

L’homme est décidément bien fragile. Il arrive parfois qu’il l’oublie ; il croit alors qu’il a, seul, la capacité de bouleverser le cours des choses, de changer le sens de l’histoire et, sans doute, de faire prendre à sa propre vie un autre tournant. Puis, brutalement, les plans subtils, les projets ambitieux s’évanouissent, remis en cause par cette donnée incontournable : les limites de la condition humaine.
Certes, l’homme a pourtant des pouvoirs immenses. Après l’avoir créé, D.ieu ne lui confia-t-il pas la charge exclusive de gouverner ce monde ? Plus encore, ne le fit-il pas apparaître sur terre comme un être unique, à la différence des autres créatures qui y apparurent par espèces ? C’est dire qu’Il lui conféra un rôle et une qualité qui ne se retrouvent dans aucun autre élément de la création. C’est donc à bon escient que l’homme décide librement de sa vie et des orientations qu’il entend lui donner. Du reste, les avancées de l’histoire, comme son action incessante, lui ont apporté la capacité d’avoir une réelle influence sur tout ce qui l’entoure, de devenir, d’une certaine façon, maître de son propre destin. Dans de telles conditions, il n’est pas vraiment surprenant qu’il en vienne parfois à oublier sa fragilité constitutive.
C’est alors qu’arrivent ces événements abrupts qui sont souvent le tissu de la vie, qui bouleversent l’existence de l’homme, ces drames personnels qui, parce qu’ils touchent l’être humain, couronnement de la création, touchent aussi le domaine sur lequel il règne. Tout prend alors un sens nouveau. L’avenir qui semblait tout tracé devient, tout à coup, comme incertain. Les chemins qui s’étendaient droit au devant de soi donnent une impression dérangeante, comme si la vision renonçait délibérément à servir le projet de l’homme et choisissait l’imprécision. Les certitudes acquises cèdent le pas. Voici revenu le temps de sentiments à la fois anciens et nouveaux. L’homme se retourne vers son Créateur et implore. Prenant conscience de sa petitesse au-delà des faux semblants, il demande la guérison des êtres qui lui sont chers, la réussite de ses entreprises et la justesse de ses décisions. C’est d’une véritable modestie retrouvée qu’il s’agit et peut-être est-ce là que se trouve le plus grand espoir. Car l’homme n’est jamais si grand que lorsqu’il se souvient que son plus haut titre de noblesse est d’être la créature choisie par D.ieu pour conduire Son monde. Il n’est jamais si grand que lorsqu’il retrouve sa pleine place et, conscient de son rôle, lui donne son plein sens.

Etincelles de Machiah

Corps et âme

Un verset prophétique enseigne (Osée 6:2) : «Il nous fera revivre après deux jours ; le troisième jour, il nous redressera et nous vivrons devant Lui.»
Les Sages interprètent les «deux jours» comme faisant référence à ce monde-ci et au monde futur, au sens d’au-delà. En revanche, le «troisième jour» correspond au monde de la résurrection, le plus haut des degrés qui suivra la venue de Machia’h. Ce dernier niveau est radicalement différent des deux précédents car le corps et l’âme partagent alors le même enthousiasme pour le service de D.ieu. C’est là le but ultime de la création.
(d’après les Iguerot Kodech du Rabbi de Loubavitch,
vol. IV, p.452)

Vivre avec la Paracha

Vaéra

La Paracha Vaéra décrit les sept premières des Dix Plaies, les cataclysmes que D.ieu produisit pour montrer aux Juifs, aux Egyptiens et au monde entier que Lui seul est le Maître de la création et de toutes ses forces. Dans ce contexte, le terme Vaéra («et J’apparus») s’applique également à tout le contenu de la Paracha : D.ieu «sort de sa cachette», pour ainsi dire, et manifeste Sa force surnaturelle, miraculeuse, aux yeux de toute l’humanité.
Néanmoins, rappelons que les mots qui ouvrent cette Paracha font partie de la réponse à la question accusatrice que Moché avait posée à la fin de la Paracha précédente : «Ô D.ieu, pourquoi as-Tu maltraité ce peuple ?». Bien que, dans une perspective plus large, Moché ne questionnât pas la justice de D.ieu par ses paroles, il n’en reste pas moins que dans le contexte littéral, il Lui pose cette question. Ainsi, les mots qui ouvrent la Paracha constituent-ils la réprimande qu’adresse D.ieu à Moché. D.ieu reproche à Moché de mettre en question Sa justice. C’est intéressant, mais cela doit également être pertinent sinon la Torah n’aurait pas relevé un incident qui semble constituer un certain dénigrement de l’attitude de Moché.
Nous pouvons tirer un enseignement de ces faits en observant le contexte de la question de Moché. Moché avait été élevé dans la maison d’Amram, le fils aîné du plus âgé des fils de Lévi, dont la tribu s’était dévouée avec abnégation à préserver les enseignements et les traditions des Patriarches. Aussi, Moché avait-il été très certainement bien guidé, dans sa jeunesse, inviter à imiter les Patriarches et leur foi inconditionnelle en D.ieu, foi qu’ils avaient maintenue même soumis à des épreuves terribles.
Mais il savait aussi que D.ieu est un D.ieu de Bonté et de Miséricorde, que les Juifs sont Son Peuple et que leur souffrance dépassait toute justification rationnelle. C’est la raison pour laquelle, en toute candeur, il pleura, cria et supplia : «Ô D.ieu, pourquoi as-Tu maltraité ce peuple ?»
Le fait que D.ieu immortalisa ce cri de désespoir, en l’inscrivant dans la Torah, implique que la plainte de Moché n’était pas une plainte contre D.ieu mais plutôt autre chose.
D.ieu dit à Moché qu’omettre cette «autre chose» est la raison pour laquelle Son reproche commence par les mots : «Je suis D.ieu et Je suis apparu» ou littéralement ! «Et J’ai été vu». Bien sûr, il est impossible de voir D.ieu car D.ieu ne possède pas de forme matérielle qui puisse être captée par notre sens de la vision. Mais en énonçant Sa révélation en ces termes, D.ieu indiquait qu’il est possible d’être certain de Sa réalité comme nous le sommes de ce que nous voyons avec nos propres yeux.
Le fait de voir quelque chose suscite sur nous une impression très profonde : nous croyons ce que nous voyons. C’est pour cela que quelqu’un qui assiste à un événement, qui sera porté devant une cour de justice, ne peut être le juge de ce cas. Sa mémoire de ce qu’il a vu le rend imperméable aux arguments des parties qui ne peuvent réussir à changer sa version des événements. (Par contre, quand l’on ne fait qu’entendre quelque chose de quelqu’un, un autre peut contester la véracité de ce que nous avons entendu, voire réussir à nous faire changer d’avis).
Ainsi, D.ieu dit-Il à Moché : «Bien sûr, tu crois en Moi. Tu as absorbé les enseignements de ta famille et tu ne doutes pas de Moi. Mais tu dois nourrir ta foi davantage encore, jusqu’à ce qu’elle soit si concrète que tu puisses virtuellement Me voir dans la création, jusqu’à ce que tu sois si sûr de Ma réalité que rien ne puisse ébranler ta conviction. Alors, tu ne seras plus troublé par les contradictions entre ta foi et ce qu’affirme ta raison».
Oui, D.ieu désire que nous utilisions nos capacités intellectuelles pour établir une relation avec le monde et avec Lui. Et quand cet intellect affirme que quelque chose semble contraire à la voie dans laquelle D.ieu dirige le monde, nous ne devons pas occulter la vérité de ce que nous voyons. Nous devons nous exclamer vers D.ieu : «Pourquoi as-Tu maltraité ce peuple ? Pourquoi nous permets-Tu de souffrir ? Ne sommes-nous pas Ton Peuple Elu, Ton aîné ? Où est ta Compassion ? Où est ta Justice ?»
Mais en même temps, ces questions ne peuvent et ne doivent pas porter la moindre atteinte à notre foi absolue et inébranlable en la Vérité et la Bonté de D.ieu. Plus précisément, elles ne doivent pas interférer dans notre travail d’accomplissement de nos obligations dans les termes de la volonté divine et de notre mission sur terre. Notre cri véhément et angoissé et les accusations que nous proférons à l’encontre de D.ieu doivent coexister avec notre empressement enthousiaste à accomplir Sa volonté et avec notre profonde gratitude pour l’occasion de l’accomplir.
Il est ainsi significatif que cette Paracha, tout au long de laquelle le Peuple Juif est plongé dans les profondeurs de l’exil égyptien, soit appelée Vaéra, «J’ai été vu». La leçon que nous devons en tirer est que nous devons refuser, avec entêtement, de nous réconcilier avec l’idée de rester, même une minute encore, en exil, et en même temps, nous devons refuser, avec entêtement, de laisser le fait que nous sommes en exil interférer avec ce que nous avons à y faire dans l’instant.
D’où devons-nous alors tirer la force de croire en D.ieu de façon si entière, comme si nous Le voyions réellement, alors que nous sommes dans les plus sombres moments de l’exil ? D.ieu répond à cette question dans Ses paroles qui suivent : «Je suis apparu à Avraham, Its’hak et Yaakov». Les Patriarches possédaient cette foi que rien ne venait ébranler et étant leur progéniture, nous en avons hérité. Selon les lois d’héritage de la Torah, l’héritier n’a pas besoin de montrer quelque qualité particulière pour pouvoir hériter. Il hérite pleinement et entièrement par le simple fait qu’il est l’héritier.
Notre foi profonde et infinie en D.ieu est l’héritage que nous devons réclamer. Tout ce que nous avons à faire est de la nourrir et nous aussi verrons virtuellement D.ieu. Cette foi nous permettra de vivre les derniers moments de notre exil en implorant pour sa fin, tout en optimisant notre utilisation des moments restants. Par ce mérite, nous serons les témoins de l’accomplissement de la promesse divine : «La gloire de D.ieu sera révélée et toute chair la verra, ensemble» avec la Rédemption finale amenée par Machia’h.

Le Coin de la Halacha

Comment se prépare-t-on à la prière ?

- Il convient de réserver à la prière un endroit fixe dans sa maison ou à la synagogue.
- On vérifie qu’on est habillé convenablement et proprement ; on évitera de prier avec un tablier ou des vêtements de travail.
- On vérifie que l’endroit où on va prier est propre, en particulier s’il s’y trouve des jeunes enfants : on veillera à ce qu’ils soient propres et habillés convenablement.
- Les femmes ont elles ainsi l’obligation de mentionner la sortie d’Egypte et doivent donc réciter le « Chema Israël » matin et soir.
- Un homme (dès l’âge de treize ans et même avant) s’efforcera de prier avec un Minyane (assemblée de dix Juifs) : la prière en communauté est toujours acceptée, même si la ferveur fait parfois défaut… Il vaut mieux prier en communauté que prier seul avec ferveur.
- Durant la prière, on ne vaque pas à d’autres occupations (ranger des livres, nettoyer la table, préparer le petit déjeuner etc…)
- On veillera à ce que la synagogue soit pourvue d’une « Me’hitsa », d’une séparation conséquente entre hommes et femmes.
- Les parents demanderont toujours dans leurs prières que leurs enfants étudient la Torah et se comportent suivant les voies de nos Tsadikim.

F. L. (d’après Rav Yaakov Fuchs – Hali’hot Bat Israël)

De Recit de la Semaine

Dix-neuf Mézouzot

Quand mon mari et moi-même avons enfin concrétisé l’achat de notre nouvelle maison à Richmond, nous avons organisé «‘Hanoukat Habayit», une petite cérémonie pour l’inauguration de notre nouveau foyer. Devant tous nos amis, nous avons cloué nos 19 Mézouzot. Nous étions certains de la qualité de nos Mézouzot puisque nous avions fait vérifier la plupart d’entre elles par un scribe qualifié.
En préparation pour cet événement qui n’arrive pas si souvent dans une vie, j’avais effectué quelques recherches et m’étais bien documentée sur la signification des Mézouzot : cela me permettrait de tenir un petit discours devant les membres de notre communauté et de leur faire partager quelques idées.
Tandis que je consultais des livres à ce sujet, je tombais sur un livre contenant des récits incroyables à propos des Mézouzot. Par exemple des gens qui avaient eu des difficultés à avoir des enfants avaient trouvé des erreurs dans les parchemins de leurs Mézouzot, des mots qui manquaient et qui signifiaient justement «vos enfants» etc… Une fois que ces erreurs avaient été réparées par un scribe compétent, leur problème avait disparu. Ces récits m’étonnaient, mais, à vrai dire, me laissaient sceptique.
Aussi bien mon mari que moi-même, nous avons suivi un cursus scientifique : lui en médecine et moi en psychologie. A cause de cette éducation, nous avons tendance à regarder le monde avec une perspective cartésienne, rationnelle. Nous préférons aussi ne dépendre que de notre dur travail plutôt que de rechercher ou d’espérer des solutions miracles par les autres. C’est ainsi que durant un an, alors que nous étions confrontés à notre problème de fertilité, nous faisions confiance aux spécialistes et à la science. Nous faisions bien sûr appel à D.ieu mais c’était par nos propres prières. Quand la famille ou les amis nous suggéraient de demander l’intervention de rabbins aux pouvoirs particuliers par exemple, nous ignorions leurs conseils. Les rares fois que nous avions tout de même demandé une bénédiction à un «quelqu’un de très spécial !», nous n’avons été ni surpris ni déçus que cela ne donne aucun résultat.
Après de nombreux examens et de lourds traitements, je suis enfin tombée enceinte. Au fur et à mesure que la grossesse avançait, nous étions fous de joie, un peu effrayés et même submergés par ce que cela signifiait. Bien des fois, nous nous sommes personnellement tournés vers D.ieu avec des prières d’espoir et de remerciement.
Alors que ma grossesse se poursuivait sans problème, un couple de nos amis nous suggéra de demander au Rabbi de Loubavitch une bénédiction pour une naissance dans de bonnes conditions. Même si mon mari et moi-même avons toujours respecté le Rabbi et le travail de ses émissaires, nous ne nous étions jamais considérés comme des membres du mouvement ‘Habad. Au fond, à un certain degré, nous étions restés un peu sceptiques. C’est pourquoi l’idée de demander une bénédiction nous semblait bizarre.
Cependant, cette fois-ci nous avons écouté le conseil de nos amis. Pour cela, nous avons demandé à Rav Yosef Kranz de présenter notre requête au Rabbi. Quelques jours plus tard, il nous appela : il avait reçu pour nous une réponse tout à fait inhabituelle : le Rabbi nous conseillait de vérifier nos Mézouzot. Rav Kranz ajouta qu’il était étrange que le Rabbi réponde ainsi dans le cas d’une naissance.
Maintenant que nous étions confrontés à ce conseil du Rabbi et qu’il fallait prendre une décision, je repensais aux récits que j’avais lus auparavant. Nous étions si rationalistes que nous avions vraiment du mal à nous plier à cette demande. En effet, ceci nous semblait insensé puisque nos Mézouzot étaient vraiment très belles, à tous points de vue. Mais par ailleurs, puisque le Rabbi nous avait suggéré de vérifier nos Mézouzot, il fallait le faire.
Le dimanche suivant, nous avons enlevé toutes nos Mézouzot et nous sommes rendus à Silver Spring, chez le scribe le plus proche. Pendant toute la journée que nous avons passé là-bas à attendre le résultat, nous nous demandions si nous n’étions pas fous. Je raisonnai ainsi : soit il n’y aurait pas de fautes soit il y aurait des fautes dans les mots désignant les enfants.
Vous devinez la suite ? Le scribe trouva trois fautes dont l’une dans le mot «Beneï’hem» (vos enfants) et une autre dans le mot «Beite’ha» (ta maison, ce qui signifie aussi : ta famille). Le scribe montra les fautes à mon mari qui est un expert dans la lecture de la Torah. Nous avons donc constaté avec nos yeux ! D’ailleurs au moins deux de ces trois Mézouzot n’avaient pas été vérifiées quand nous les avions clouées aux portes de notre nouvelle demeure.
Pendant tout le chemin du retour, nous étions bouleversés. Il est difficile de mettre des mots sur ce que nous ressentions. Quand nous avons raconté notre histoire à nos amis, ils avaient deux sortes de réactions : certains, comme nous-mêmes, étaient stupéfaits et pensifs ; d’autres restaient sceptiques et tentaient d’expliquer toute la situation.
Cette dichotomie me fait toucher du doigt ce qu’est l’engagement religieux. Alors que j’ai une grande confiance dans ce qui est rationnel et scientifique, je crois fermement que la religion et la croyance en D.ieu obligent à un certain saut vers l’irrationnel. La religion vécue par l’esprit n’est pas suffisante. Nous avons besoin de ressentir D.ieu dans notre cœur et notre âme. Peut-être mon mari et moi-même faisions un peu trop confiance à ce qui est évident et avions oublié cette importante leçon.
Et j’ajouterai encore autre chose : nous ne mettons plus jamais en doute la parole du Rabbi.

Robin B. Zeiger, Ph. D.
Richmond Jewish News – Le’haïm
traduit par Feiga Lubecki