Semaine 46

  • Vayétsé
Editorial
Lumière !

Alors que le Congrès international des Chlou’him, des envoyés du Rabbi dans le monde, se termine, voici que le nouveau mois commence dans le calendrier hébraïque. C’est de Kislev qu’il s’agit et la tradition juive en fait un mois de lumière. Certes, le fait que la fête de ‘Hanouccah – celle, justement, des lumières – s’y inscrive n’est pas pour rien dans cette appellation. Pourtant, il y a derrière cette constatation tant d’idées, de symboles et un ressenti qui porte en lui une telle vision du monde, qu’il faut aller au delà. Car, entre l’action des Chlou’him et la naissance d’un « mois de lumière », c’est comme une parenté naturelle qui paraît se dessiner. Partout dans le monde, les Chlou’him travaillent, jour après jour, à repousser les forces de l’obscurité ; un mois de lumière ne peut pas leur être étranger.
Rattacher une période particulière de l’année à une notion comme celle de la lumière, avec tout ce qu’elle suggère, paraît tenir de la gageure. Nous vivons aujourd’hui un temps qu’il paraît bien souvent difficile de qualifier d’éclairé. Que l’on réfléchisse à ce qu’il est matériellement, intellectuellement ou spirituellement, dans les relations entre les hommes ou entre les nations, nombreuses sont les évolutions qui ne poussent pas à l’optimisme. N’est-ce pas le secret d’une certaine harmonie qui semble avoir été oublié ou d’une certaine façon de voir la qualité et la grandeur de la vie ? Lorsqu’on se lamente des conditions matérielles du moment, n’est-ce pas aussi cela que l’on regrette ? Alors que l’hiver approche, notre cœur n’a-t-il pas tendance à mettre son propre soleil en berne ?
Mais le mois de Kislev est là. Il nous rappelle une donnée essentielle : chacun est un porteur de lumière. Il suffit qu’il décide d’en faire rayonner la puissance et la beauté autour de lui pour que la nuit s’écarte. L’homme a ce pouvoir éminent. Les Sages n’affirment-ils pas : « D.ieu a mis le monde dans le cœur des hommes » ? Comme pour dire que la ressource ultime est en nous. Nous ne sommes pas soumis aux aléas du monde, nous pouvons en faire ce lieu merveilleux dont nous rêvons. Par nos actes de chaque jour, par notre vie de chaque instant, nous pouvons en faire ce lieu de la « demeure Divine ». La lumière qui vient n’est-elle pas d’abord celle des temps messianiques ?
Etincelles de Machiah
Une œuvre parfaite

Pendant le temps de l’exil, l’offrande de sacrifices est impossible du fait de l’absence de Beth Hamikdach. Certes, les Sages ont instauré les prières en remplacement de ces cérémonies. Cependant, un tel remplacement est, semble-t-il, imparfait comme l’exprime la liturgie : “Et là, (dans le Beth Hamikdach, après la venue de Machia’h) nous ferons devant Toi…. Selon l’ordre de Ta volonté”.
C’est précisément cette idée qui pose question. L’œuvre spirituelle accomplie par la prière est supérieure à celle des sacrifices, la première s’attachant à l’âme de l’homme tandis que la seconde porte sur son aspect animal. Pourquoi, dès lors, souligner l’importance primordiale des sacrifices ?
En fait, l’impossibilité d’offrir un sacrifice en temps d’exil a également un sens spirituel : comme l’homme est attaché “en bas”, il n’a pas la force d’élever “l’animal” et doit se contenter d’agir sur l’âme par la prière. En revanche, lorsque le Machia’h viendra, l’homme parviendra à la plénitude et son œuvre pourra englober tous les aspects.
(d’après Torah Or, Vaye’hi 46b)
Vivre avec la Paracha
Vayétsé : Yaakov est Israël

La Paracha Vayétsé est la première des six dernières Parachiot du Livre de Beréchit consacrées entièrement à la vie de Yaakov. Comme nous allons le voir, Yaakov fut le seul et l’unique Patriarche qui réussit à élever tous ses enfants dans un engagement total à la volonté divine et à la mission que D.ieu leur avait confiée. C’est pour cette raison qu’il gagna la distinction d’être le père éponyme du Peuple Juif. En effet, tout au long de la Torah, il est fait référence au Peuple Juif presque exclusivement comme les Bené Israël, c'est-à-dire les Israélites (ou littéralement, «les enfants d’Israël»), «Israël» étant l’autre nom de Yaakov.
C’est ainsi que Yaakov est le dernier de nos Patriarches. Seuls Avraham, Its’hak et Yaakov sont les géniteurs du Peuple Juif, eux seuls possèdent les éléments de la vie divine dont nous devons tous nous inspirer. Par contre, les enfants de Yaakov transmirent leurs qualités individuelles, personnelles, disséminant la conscience juive, chacun à sa tribu respective.

Une démarche unique
Yaakov réussit à assurer que tous ses enfants resteraient loyaux à son héritage parce qu’il était la synthèse du meilleur d’Avraham et d’Its’hak.
Comme nous l’avons vu, Avraham personnifiait l’amour et la bonté (‘hessed). Il exposait ses disciples, quels qu’ils fussent, aptes ou non à les recevoir, aux expériences et concepts divins. Mais il le faisait sans tenir compte de leur faculté à absorber la Divinité. Its’hak, par contre, personnifiait la retenue (gvourah) : il élevait ses disciples au point où ils pourraient absorber la Divinité mais il devait renoncer à leur faire expérimenter des niveaux de la conscience divine qui leur étaient naturellement inaccessibles.
Yaakov personnifia la réconciliation et l’harmonie (Tiférét). En tant que tel, il put lier ces deux approches diamétralement opposées, faisant parvenir des gens d’un calibre spirituel très peu élevé aux plus hauts niveaux de conscience divine et s’assurant par ailleurs qu’ils l’absorbaient complètement.
Yaakov parvint à concilier les deux approches antithétiques, de son père et de son grand-père, en se liant à D.ieu d’une manière plus transcendante qu’eux ne le firent. La relation d’Avraham avec D.ieu était basée sur la logique et c’est par la logique qu’il convainquait ses contemporains de l’existence de D.ieu. Its’hak basait également sa relation avec D.ieu sur la logique : il avait compris que pour que la création puisse absorber la révélation divine, il lui fallait en être capable et il basa le travail de sa vie sur ces prémices.
Par contre, Yaakov se liait à D.ieu d’une façon moins rationnelle, moins calculée, dépassant les limites de la raison. Son engagement en était donc inconditionnel et irrationnel. Et parce que son approche était telle, il put inspirer les autres à en faire de même. C’est pourquoi il put élever tous ses enfants dans un attachement inconditionnel à D.ieu, quelle que fut leur personnalité et amener tous ses disciples à une conscience de D.ieu dépassant les critères naturels mais qu’il leur enseignait à assimiler et intégrer dans leur propre vie. C’est donc Yaakov le Patriarche par excellence. C’est sa vie, plus que celles d’Avraham ou d’Its’hak qui constitue le modèle que nous devons imiter.

Une vie de défis
Cela n’est nulle part plus évident que dans le premier segment des chroniques de sa vie, la Paracha Vayétsé. Nous l’observons se marier, établir une famille et amasser sa richesse, tout cela dans une adhésion totale aux instructions de son père. Et pourtant, il semble poursuivre ces desseins d’une façon qui est contraire à celle qu’avait utilisée Its’hak lui-même. Alors que D.ieu n’avait pas permis à Its’hak de quitter la Terre Sainte, Il permet à Yaakov de le faire librement. Alors qu’Its’hak n’épousa qu’une seule femme, Yaakov en prit deux, outre leurs servantes respectives. Alors qu’Its’hak évitait les confrontations avec ses détracteurs, nous voyons Yaakov se mesurer aux siens. Yaakov semble s’inspirer davantage de son grand-père Avraham que de son père Its’hak!
Et tout comme Avraham n’avait pas été choqué par le fait que son fils Its’hak fut son antithèse virtuelle, Its’hak ne l’est pas plus. C’est même lui qui le renvoie du cocon protecteur de sa maisonnée vers le milieu idolâtre de Padan Aram , entre les griffes de Lavan le fourbe. Une fois encore, nous assistons à la prise de conscience tacite du père du fait que, pour que son fils marche dans ses pas, il doit se débattre et forger son propre itinéraire. Dans le cas de Yaakov, Its’hak comprend parfaitement que parce que Yaakov possède un engagement total et irrationnel à D.ieu, il est non seulement possible mais impératif qu’il relève le défi de s’aventurer à apporter le message divin au plus large public possible.
Voilà le message implicite dans cette Paracha Vayétsé dont le nom signifie «et il sortit». Pour que Yaakov puisse commencer son propre chapitre de L’Histoire de la Genèse, il devait «sortir», quitter le confort matériel et spirituel de la maison (sans parler de la voie simple qui aurait été de simplement imiter son père) et affronter le défi d’un monde hostile. C’est seulement ainsi, en testant son engagement et en éveillant sa force inhérente, qu’il pouvait mûrir et devenir un père capable d’élever la famille élue et un patriarche capable de mener le peuple élu dans son chemin à travers l’Histoire.

A l’instar de Yaakov
Comme ce fut le cas pour Yaakov, c’est le cas pour nous tous. Une fois que nous avons absorbé l’héritage culturel de notre passé, nous devons accepter le défi de la maturité, nous mettre en route vers notre destinée et apporter notre contribution unique pour conduire le monde dans son accomplissement ultime du plan divin. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons réveiller nos forces intérieures et utiliser au mieux les talents et les potentiels qui nous ont été donnés par D.ieu. Plus encore, ce n’est qu’ainsi que nous pouvons être sûrs que la force que D.ieu nous a donnée pour sanctifier toutes les facettes de la réalité de ce monde peut se manifester réellement, dans sa totalité, permettant à chaque recoin de la vie de devenir Sa véritable demeure.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que la Bar Mitsva ? Qu’est-ce que la Bat Mitsva ?

Un garçon juif atteint sa majorité religieuse à l’âge de treize ans : il devient « Bar Mitsva », c’est-à-dire astreint à la pratique intégrale de toutes les Mitsvot, les commandements de D.ieu.
Une fille juive devient « Bat Mitsva » à l’âge de douze ans car elle atteint la maturité plus tôt qu’un garçon.
Il est d’usage de célébrer ces anniversaires de douze ans pour la fille et de treize ans pour le garçon par une grande fête au cours de laquelle l’adolescent expliquera un passage de la Torah ou répétera un discours ‘hassidique. (Même si cet anniversaire n’a pas été célébré par une fête, l’enfant devient Bar ou Bat Mitsva et doit accomplir les Mitsvots).
Dès la Bar Mitsva (1) le garçon doit s’engager à mettre chaque jour les Téfilines (sauf Chabbat et les jours de fête juive) (2) il peut, à partir de ce jour, être appelé à la Torah pour en réciter les bénédictions (3) il compte dans le « Minyane » pour la prière en communauté et peut diriger l’office à la synagogue.
Bien entendu, il encouragera d’autres Juifs à accomplir également ces Mitsvots.

F. L. (d’après le Kitsour Choul’hane Arou’h)
De Recit de la Semaine
Retrouvailles

L’antisémitisme a existé depuis le premier juif, Avraham qui fut appelé «Haivri» («de l’autre côté») : le monde entier était d’un côté et lui de l’autre. Mais la Seconde Guerre Mondiale a fait franchir un pas immense à la destruction : conçue scientifiquement et de façon barbare, la machine à tuer a trop bien fonctionné durant six longues années, actionnée par l’un des peuples les plus «cultivés» et «civilisés» de l’époque… sans aucune raison logique à ce déchaînement de haine.
Pourtant, malgré cette terrifiante efficacité, des Juifs ont survécu.
L’un d’eux s’appelait Yehouda Finerman.
Il était jeune et fort quand il avait pénétré à Auschwitz avec ses parents, frères et sœurs. Mais quand il en fut miraculeusement «libéré» quatre ans plus tard, il était brisé physiquement et moralement et… absolument seul !
Après plusieurs mois d’errance dans des camps en Europe, après avoir exercé plusieurs métiers, il décida de monter en Israël et de se porter volontaire dans un Kibboutz pour construire le nouveau pays.
C’est là qu’il rencontra Jerry Simons. Celui-ci venait d’achever son service militaire dans l’armée américaine et y avait affronté des formes plus ou moins subtiles ou même violentes d’antisémitisme. Lui qui croyait que l’Amérique était le pays de l’égalité s’était rendu compte que nombreux étaient ceux qui haïssaient les Juifs encore davantage que les Nazis.
Au Kibboutz, lui et Yehouda devinrent partenaires de travail par la force des choses mais n’avaient pas vraiment le temps de bavarder. Ils travaillaient du matin au soir, mangeaient puis dormaient pour travailler encore.
Mais un jour d’été, alors que le soleil était encore plus fort que d’habitude, Jerry ne put s’empêcher de remarquer le numéro tatoué sur le bras gauche de son ami, un numéro qui se terminait par 7416 !
- Hé ! s’exclama-t-il, c’est… mon numéro !
- De quoi parles-tu, Jerry ?
- Excuse-moi… Tu sais ce qui m’a frappé dans ton numéro, c’est que c’est exactement les mêmes chiffres qui complètent mon numéro de sécurité sociale aux Etats-Unis : je l’ai écrit tellement de fois quand j’ai rempli mes papiers à l’armée que je le connais par cœur.
- Pas de quoi en faire toute une histoire. Ce n’est qu’une coïncidence ! soupira Yehouda.
Mais par la suite, Jerry remit le sujet sur le tapis :
- Ecoute, Yehouda, si tu ne veux pas parler, tant pis pour moi. Je sais qu’il est difficile d’en parler, j’ai entendu des choses terribles, j’ai vu des photos mais… est-ce vrai ? Par exemple : pourquoi vous ont-ils tatoués ? Chacun avait-il un numéro ? Vous n’aviez plus de nom ?
- Je n’en ai jamais parlé à personne parce que cela n’intéressait personne, murmura-t-il. Mais peut-être ce serait bien que les autres sachent, que le monde entier le sache. Tu es mon ami, je vais te raconter…
Et, sans s’arrêter, il raconta : comment les Juifs de sa ville avaient été rassemblés par les Nazis sans pouvoir imaginer un seul instant que des Allemands si propres et si éduqués puissent tuer des innocents, des femmes et des nourrissons… Des wagons à bestiaux, rien à manger ou à boire, puis l’arrivée, les chiens et les coups de crosse, la sélection… Puis on nous a tatoué ces chiffres à apprendre par cœur en allemand, nous n’avions plus de noms, nous n’étions que des chiffres qui se suivaient, mon frère eut les chiffres suivants puis nous avons été séparés, je n’ai plus jamais revu les membres de ma famille : je me suis renseigné, j’ai demandé partout mais je n’ai retrouvé personne.
Jerry resta silencieux. Que pouvait-il dire en entendant de telles souffrances ? Maintenant il comprenait pourquoi les survivants se taisaient : leurs cauchemars les poursuivaient…
Vingt ans plus tard, Jerry avait depuis longtemps quitté le Kibboutz. Il était devenu un guide pour les riches touristes américains qui désiraient visiter le pays dans une limousine confortable. Il gardait un contact épisodique avec Yehouda qui s’était marié et installé en ville.
La plupart des clients de Jerry étaient agréables et ouverts – comme le sont généralement les Américains. Mais un jour, il dut chercher à l’aéroport un touriste qui se révéla vite insupportable. Il souffrait visiblement de troubles nerveux, criait des ordres contradictoires, lançait des injures et même des menaces et des malédictions.
Jerry serrait les dents pour garder son calme et ne pas exploser de colère. Après tout, le client est roi mais tout de même !
A un moment, le riche touriste hurla : « Garez-vous de côté ! »
Inquiet, Jerry se demanda si l’homme était peut-être victime d’un malaise.
- Excusez-moi, sanglota presque l’homme qui s’essuyait le front avec son mouchoir. Il m’arrive quelquefois de perdre le contrôle de moi-même. Vous savez, je suis seul au monde ! J’ai tellement souffert, j’en deviens fou parfois, les cauchemars… Vous pensez que je suis un riche Américain gâté mais ce que je suis vraiment, c’est un survivant !
Et en prononçant ces mots, il releva la manche de sa chemise à fleurs et, les yeux écarquillés, Jerry remarqua les quatre derniers chiffres : 7… 4… 1…7.
- J’ai perdu toute ma famille : mère, père, frères, sœurs. Je n’ai plus personne au monde. Même D.ieu m’a abandonné !
- C’est incroyable, murmura Jerry. Mais vous n’avez pas tout perdu ! Vous n’êtes pas seul au monde. Je connais celui qui porte le numéro 7.4.1.6… ! C’est votre frère ! Nous avons travaillé ensemble au Kibboutz ! Il est vivant et je connais son adresse ! Je vous y emmène !
Ce jour-là, deux frères, deux rescapés se retrouvèrent et les cieux eux-mêmes pleurèrent… Des étincelles de grâce divine avaient chassé beaucoup d’obscurité !

Rav Tuvia Bolton
www.ohrtmimim.org
traduit par Feiga Lubecki