Semaine 4

  • Bo
Editorial
Un message, une force, un voyage
Le rappeler, c’est simplement relever une évidence : dans notre tradition, tout fait sens. Tout y résonne de manière que chacun qui tend l’oreille, ne serait-ce qu’un instant, en perçoit la musique. Le nouveau mois, Chevat, s’ouvre maintenant devant nous. Ses premiers jours se sont écoulés, ils nous apportent leur lumière différente. De fait, il nous est précisé que chacun des mois de l’année correspond – au sens spirituel – à un de nos ancêtres. C’est ainsi que le mois de Chevat se rattache à Joseph. Dire qu’un des aspects du rythme du temps est lié à un accent spirituel précis, incarné par un personnage fondateur, est en soi une idée bouleversante. Ne s’agit-il pas de la mise en perspective de deux dimensions de la création Divine ? Cependant, pour en saisir la portée, encore faut-il pénétrer l’essence de Joseph.
Ce nom renvoie à une étymologie précise : «Joseph – Yossef – ajouter». C’est, du reste, ce que la mère de Joseph affirma en le mettant au monde : «D.ieu m’ajoutera un autre fils». «Ajouter» l’autre, celui qui n’éprouve pas encore le sentiment d’appartenance nécessaire, en faire un «fils», «ajouter» aussi en soi car il n’est pas pensable de rester figé à un niveau déterminé, aussi enviable soit-il, c’est finalement ce à quoi le mois de Chevat nous engage. Plus qu’un signe ou un symbole, il est une force donnée à tous, à charge pour chacun d’en tirer le meilleur parti. L’ambition est grande et la route sans doute longue, elle est là, cependant, pour qu’on l’entreprenne.
Il reste à définir le chemin nouveau. Certes, il ne peut être identique pour tous les hommes puisque leur grandeur tient aussi au fait qu’ils sont divers, tous différents les uns des autres. Pourtant de grands axes apparaissent, liés à notre mode de vie, au monde dans lequel il s’exprime, à la société ambiante etc. Notre temps est, bien souvent, celui de la satisfaction de soi. Quelles que soient nos actions, la nature humaine nous conduit à les justifier à nos propres yeux avec une facilité souvent déconcertante. L’amour que l’on porte à soi-même n’est-il pas apte à jeter un voile sur les fautes les plus graves ? La violence de nos sociétés en vient à se répercuter jusque dans notre conscience ; ne pas laisser de place à l’autre finit par être une manière d’être commune. A la violence du monde répond ainsi celle des hommes et, dans un cycle sans fin, la satisfaction de soi légitime tous les excès. Le mois de Chevat remet alors les choses en place. Il n’est de chemin que dans l’ajout, de voie d’avenir que dans le progrès, nous dit-il. Pour soi et pour autrui. L’enjeu est d’importance : que pourrait signifier un monde où plus rien ne resterait à espérer ? Chevat, son message et sa puissance sont arrivés comme une belle invitation au voyage de la vie.
Etincelles de Machiah
Le temps de la préparation

Le Talmud enseigne que le Machia’h viendra au moment où “on n’y pensera pas”. Pourtant, nous observons qu’attendre sa venue fait partie des principes essentiels du judaïsme définis par Maïmonide. Aussi, diverses explications ont été données sur le sens de l’expression. Voici l’une d’entre elles :
La préparation à la venue de Machia’h doit être accomplie pendant le temps de l’exil qui est, justement, une sorte de “on n’y pensera pas” par rapport à la Délivrance. Lorsque l’on éclaire l’endroit le plus sombre, où l’idée même de Délivrance est absente des esprits, qui constitue l’opposé même de la lumière de Machia’h, alors celui-ci arrive.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch,
Chabbat Parchat Ekev 5713)
Vivre avec la Paracha
Bo : La porte à la sainteté

Qu’en est-il du sang sur les portes ?
La Torah nous relate les derniers pas qui conduisirent Israël à la libération de l’esclavage de l’Egypte ancienne. Lors de cette nuit fatidique, D.ieu donna le dernier coup aux Egyptiens en frappant les premiers-nés de chaque maisonnée égyptienne (épargnant les Juifs), ce qui précipita leur complète capitulation.
«Ils [les Israélites] prendront un peu de son sang [celui du sacrifice de l’agneau pascal] et le placeront sur les deux montants et sur le linteau de la porte de leur maison… Quand Je verrai le sang, Je passerai par-dessus vous ; il n’y aura pas de plaie destructrice sur vous quand Je frapperai la terre d’Egypte» (Chemot 12 :7-13).
Une question simple se pose : D.ieu avait-Il réellement besoin d’un signe pour savoir quelles maisons étaient habitées par des Juifs et quelles maisons ne l’étaient pas ?
On pourrait suggérer une réponse : D.ieu n’avait en effet pas besoin de signe supplémentaire, mais, en cette nuit si particulière, peut-être le Mala’h Hamavet (l’ange de la mort) en avait-il, lui, besoin alors qu’il balayait le voisinage de son extermination.
Mais soyons réalistes. Il ne s’agit pas d’une scène où le mauvais personnage se trouve sur les lieux au mauvais moment. Il est évident que l’Ange de la Mort n’avait pas besoin qu’on lui indique les adresses à éviter !
La question rebondit donc. Quel était le sens du sang du sacrifice sur les portes ? Et pourquoi sur la porte et pas sur la fenêtre ou le toit ?
Prenons un instant pour analyser le concept, le symbolisme de la porte. La porte permet l’intimité. En outre, elle procure un abri et la protection. La porte est ce qui sépare la personne publique de la personne privée, le moi extérieur du moi intérieur. C’est dans l’intimité de sa maison que toutes les attitudes de façade et toutes les inhibitions tendent à s’évanouir pour permettre de faire surgir à la surface le meilleur (et parfois le pire) de ce que la personne a à offrir.
Pour donner un exemple, il n’est pas rare de rencontrer des gens qui paraissent extrêmement sereins, souriants et cordiaux, en public. Et cependant, dès lors qu’ils se retrouvent chez eux, ils n’ont plus une once de patience avec leurs enfants, plus de tolérance à l’égard de leur conjoint, pas un sourire ne vient éclairer leur visage. Par contre, certaines personnes sont très calmes, introverties et réservées à l’extérieur mais lorsqu’elles se retrouvent à la maison, leurs rires et leur gaîté explosent. La porte est là où a tendance à se situer la transition du «moi» superficiel au «moi» réel.
Le Judaïsme nous demande : quelle sorte de portes possédez-vous ? Qu’est-ce qui transpire à l’intérieur de ces portes ? Règne-t-il un esprit de sainteté et d’élévation par-delà le seuil de votre porte ? Y a-t-il des livres juifs sur les étagères ? Y a-t-il des produits cachères dans les placards, dans le réfrigérateur et dans le magnétoscope? Le Chabbat et les jours de fête y sont-ils célébrés dans la joie, le sens et la profondeur ? Y partage-t-on des paroles de Torah ? Y récite-t-on des prières ? Seuls vous et le Tout-Puissant connaissez la réponse à ces questions.
On discute beaucoup sur le fait que les Juifs devraient ne pas avoir honte de se comporter comme des Juifs à l’extérieur mais parfois, cela nous renvoie à nous préoccuper de la difficulté à ne pas être laxistes à l’intérieur de chez nous où cela compte réellement.
Le Talmud raconte qu’ «il y avait une grande coutume à Jérusalem» où chaque fois qu’une famille s’installait à table pour prendre un repas, l’on mettait un tissu sur la porte de la maison. Cela servait de signe destiné à tout étranger ou tout passant pour leur indiquer que c’était l’heure du repas et pour convier à le partager tous ceux qui avaient faim ou en avaient envie.

Qu’est-il accolé à nos portes proverbiales ? Possédons-nous un signe de bienvenue ou plutôt le panneau «prière de ne pas déranger» ? Accueillons-nous les occasions d’hospitalité et de bienveillance à l’égard de ceux qui ont besoin de réconfort, d’amitié ou de subsistance ? Ou claquons-nous (de manière figurée) la porte au nez des rabbins ou des nécessiteux qui cherchent à pénétrer dans la sincérité de notre cœur ?
L’un des préceptes bibliques les plus extraordinaires et éternels est celui de la Mezouza que l’on appose au linteau droit de toute porte d’une maison juive. La Mezouza atteste que cette maison est un foyer juif, un foyer où la discrétion, la décence et la bonté sont un mode de vie, même (et pas seulement) derrière les portes fermées. La Mezouza représente la présence de D.ieu dans la maison de même que Sa protection pour tous ceux qui y résident. Il ne s’agit pas simplement d’une belle décoration juive. En fait si nous n’apprécions la Mezouza que pour son apparence extérieure plutôt que pour son sens spirituel, et que nous ne sommes pas méticuleux sur le parchemin qui y est contenu, si nous ne veillons pas à ce qu’il a bien été écrit en accord avec les enseignements de la Torah et qu’il l’est resté, nous passons à côté du sens profond d’une porte juive. Une porte juive est là où la façade est sensée s’achever et où la vérité et l’authenticité sont supposées commencer. Ce n’est pas l’apparence de l’étui de la Mezouza qui compte mais ce qu’il y a à l’intérieur, la véritable essence.
Ainsi donc, quel sens avait le fait que les Israélites marquent leur porte avec le sang du sacrifice pascal ? Ce n’était pas pour donner une adresse ou un signe distinctif à la porte. C’était leur témoignage qu’ils voulaient réellement quitter l’Egypte. Ils étaient dévoués, à l’extérieur et à l’intérieur, à D.ieu et à Moché, au point d’aller jusqu’au sacrifice de leur personne. Et c’est la raison pour laquelle leurs maisons étaient inaccessibles à l’Ange de la Mort. Car le sang sur les portes était là, non destiné à D.ieu ou à Son messager, mais pour les Juifs qui avaient compris ce qui sépare un Juif d’un Egyptien.
Tout est dans la porte.
Le Coin de la Halacha
Pourquoi l’incinération est-elle interdite par la loi juive ?

Ce sujet particulièrement sensible doit cependant être abordé et ne pas être laissé à discussion pour le moment où, malheureusement, une décision devra être prise rapidement.
- La Hala’ha est formelle : il est absolument nécessaire d’enterrer toutes les parties du corps du défunt dans la terre comme il est écrit : «Car tu viens de la poussière et vers la poussière tu retourneras» (Genèse 3 :19). L’âme de l’homme a été insufflée par D.ieu et, une fois sa mission accomplie, retourne à sa source tandis que le corps, formé à partir de la terre, doit retourner à la terre.
- Selon la loi juive, le corps humain appartient à D.ieu et est prêté à l’homme pour qu’il puisse accomplir son but sur terre : il n’a donc pas le droit de le mutiler, de le tatouer ou de le mépriser, il doit en prendre soin de son vivant ainsi qu’après la vie. Un objet qui a servi à l’accomplissement d’une Mitsva (le cuir des Téfilines, le parchemin du Séfer Torah…) est traité avec respect, même une fois qu’il est trop usé : à plus forte raison le corps humain qui a accompli tant de bonnes actions !
- Un des fondements du judaïsme est la croyance absolue dans la résurrection des morts, le fait que tous les corps se relèveront. Celui qui, en connaissance de cause, se fait incinérer rejette ce principe de base.
- La Torah nous demande de ne pas suivre les pratiques idolâtres et l’incinération en fait partie.
- Même dans le cas où un Juif a expressément demandé à être incinéré ou à «faire don de son corps à la science», on n’obéira pas à cette volonté : l’âme a maintenant atteint le «monde de vérité» et désire certainement que tout soit accompli selon la volonté divine.
- De plus, si déjà de leur vivant, on n’a pas le droit de mutiler ou d’endommager le corps de ses parents, à plus forte raison après leur mort. Car le corps appartient à D.ieu.
- Chacun a pu constater les efforts entrepris par les Israéliens pour récupérer les corps de leurs soldats et pour enterrer toutes les parties des corps des victimes du terrorisme. Sachons nous aussi respecter le corps, même après la vie.

F. L. d’après Rav Naftali Silberberg www.chabad.org
De Recit de la Semaine
Le guide

Né en 1912 en Pologne, Rav Pinhas Hirschprung fut l’un des plus célèbres érudits de sa génération. Son professeur, Rabbi Meir Shapiro, directeur de la Yechiva ‘Ha’mé Lublin, affirmait que, très jeune, Rav Hirschprung connaissait 2200 pages de Talmud par cœur.
A la mort de Rabbi Shapiro, Rav Hirschprung fut désigné pour tester les étudiants souhaitant s’inscrire à la Yechiva : ceux-ci devaient maîtriser 400 pages de Talmud avec les commentaires – par cœur !
Durant la guerre, en 1941, il parvint miraculeusement à Montréal au Canada : il devint le directeur du Conseil Rabbinique et du Tribunal Rabbinique ainsi que Grand Rabbin du Canada.
Avant la guerre, Rav Hirschprung avait eu le privilège de discuter avec de véritables érudits de la Torah en Pologne. Après la guerre, il avait eu des discussions approfondies avec des érudits de Lituanie, et de célèbres Rabbis aux Etats-Unis. Bien qu’il ait rencontré plusieurs fois le Rabbi de Loubavitch pour des problèmes communautaires, il n’avait jamais eu l’occasion de discuter avec lui sur les textes sacrés. Il demanda donc une fois une audience spéciale qui serait consacrée exclusivement à l’étude. Le Rabbi accepta et Rav Hirschprung se présenta au 770 Eastern Parkway quelques jours après un voyage en Roumanie.
Il raconta au Rabbi que, depuis son jeune âge, il avait rencontré quelques questions difficiles qu’il avait posées devant tous ses interlocuteurs, qui avaient pourtant consacré leurs vies à l’étude mais aucun ne lui avait donné de réponse satisfaisante.
Le Rabbi sourit : «Toutes les sommités du monde de la Torah n’ont pas pu vous répondre et moi je le pourrais ?»
Oui, Rav Hirschprung était persuadé que le Rabbi pourrait répondre à ses questions. Celles-ci portaient sur les passages les plus difficiles du Talmud de Jérusalem. A la surprise de Rav Hirschprung, il semblait que le Rabbi ne se concentrait même pas sur l’énoncé des questions. Quand il termina, le Rabbi remarqua : «A la façon dont vous expliquez ces passages, ils sont effectivement incompréhensibles. Mais la difficulté n’est pas dans le texte du Talmud de Jérusalem : elle est dans le fait que vous n’avez pas étudié le sujet correctement». Puis le Rabbi reprit le sujet comme si le volume du Talmud était ouvert devant lui et, avec l’intonation correcte et la traduction appropriée, tout devenait clair, il n’y avait plus de questions !
Rav Hirschprung était stupéfait ! Aucun des érudits qu’il avait contactés n’avait envisagé qu’il n’y ait aucune question ! Mais le Rabbi avait simplement prouvé que les questions émanaient en premier lieu d’une mauvaise lecture !
Il posa encore de nombreuses questions auxquelles le Rabbi répondit brièvement mais, à chaque fois, de façon précise et imparable.
Puis Rav Hirschprung raconta qu’il avait rencontré, en Roumanie, un Cho’het (abatteur rituel) qui, avec sa famille, malgré quarante ans de communisme dans son pays, continuait à pratiquer fidèlement les Mitsvot et à étudier la Torah.
Ce Cho’het avait signalé à Rav Hirschprung qu’il appréhendait le devenir spirituel de ses enfants, dans ce pays où toute éducation religieuse était interdite : «Seule une personne peut m’aider ! s’était-il écrié en pleurs : le Rabbi de Loubavitch ! Quand vous retournerez aux Etats-Unis, dites-lui que je le supplie de me faire sortir d’ici, avec ma femme et mes enfants ! Je suis sûr qu’il peut le faire !»
Le Rabbi devint très préoccupé ; il demanda à Rav Hirschprung tous les détails et son visage devint de plus en plus sérieux. Finalement il déclara : «Mon beau-père, le Rabbi précédent, a envoyé des émissaires dans de tels endroits et moi je me permettrais de leur dire de partir ? Et qui le remplacerait ? Qui fournirait de la viande cachère aux Juifs de ce pays ?»
Quand il vit combien le Rabbi se sentait responsable pour ce Cho’het, sa famille et, de fait, toute la population juive de Roumanie, Rav Hirschprung déclara : «J’ai compris que j’avais rencontré le guide de notre génération !»
A partir de cette audience si particulière, les liens de Rav Hirschprung avec le Rabbi – et la communauté ‘Habad en général – se resserrèrent. Il devint lui-même un ‘Hassid du Rabbi.

Rav Meir Plotkin
L’Chaim n°512
traduit par Feiga Lubecki