Semaine 22

  • Bamidbar
Editorial
Le grand voyage de l’harmonie
Quel point commun y a-t-il entre les catastrophes naturelles à répétition qui frappent telle ou telle région du monde, les nouvelles crises de famine qui rappellent des temps oubliés, les oppositions meurtrières entre des hommes, des clans ou des peuples qui ensanglantent des contrées entières ? A une telle question, on est tenté de répondre : «Rien, bien sûr !». De fait, tous ces événements, et d’autres encore, ne paraissent présenter qu’un double dénominateur commun : ils sont graves et négatifs. Autrement, les uns procèdent de la folie ou de l’imprévoyance des hommes tandis que d’autres sont la résultante de causes bien au-delà de toute volonté ou intervention humaine. Semble-t-il… Car tout cela laisse comme une impression diffuse et générale de monde en désordre. «Les choses ne vont pas bien» finit-on par se dire sans parvenir à expliciter ce que recouvre un tel sentiment. C’est comme une sensation d’inconfort que l’on perçoit à l’extrême bord de la conscience, sans pouvoir vraiment en saisir les contours ni la portée.
Voici donc venu un temps complexe. Nous avons ainsi vu peu à peu s’estomper, parfois se dissoudre et, en tous cas, s’affaiblir, bien des certitudes anciennes. Ces éléments qui semblaient être à la fondation des choses, qui en donnaient le sens et permettaient de s’y inscrire, ont perdu de leur puissance et, à ce qui paraît aujourd’hui une merveilleuse simplicité, ont laissé se substituer une complexité plus subie que recherchée. Peut-être est-ce aussi là qu’il faut trouver les causes profondes de la perte d’harmonie ? Car, finalement, est-ce réellement d’autre chose qu’il s’agit ? Aux antagonismes des hommes semble répondre une sorte de révolte profonde d’un cadre naturel en perte de repères. Aux folies d’une société, parfois trop consciente de sa grandeur et de son pouvoir pour en percevoir les limites, font écho les réactions d’un monde las d’avoir tout enduré et qui, à sa manière, dit avec force : «Cela suffit !»
Comment, dès lors, penser l’avenir ? Il faut, d’abord, se garder d’oublier que l’homme est le couronnement de la création, qu’il y a été placé par D.ieu afin de la mener à son ultime accomplissement, que, par ses actes, il a la capacité de l’élever et d’en faire ainsi un lieu de merveilles. D’une certaine façon, il est le cœur et la raison des choses. Pour cela, il est, à la fois, le porteur d’une capacité d’harmonie intérieure, celui qui détient les clés de l’harmonie générale et celui qui est capable de l’instaurer et la maintenir. Disons-le : chacun peut choisir un tel chemin. De l’harmonie intérieure à l’harmonie universelle, matérielle et spirituelle : ce n’est jamais qu’un voyage à entreprendre dont l’itinéraire nous fut révélé au mont Sinaï. Quant au point d’arrivée, il est connu depuis bien longtemps : la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Une prière spontanée
Deux vieux ‘hassidim racontaient, un jour, ce qu’ils avaient eu l’occasion de voir chez les Rabbis qu’ils avaient connus. Un groupe s’était formé autour d’eux, buvant littéralement leurs paroles. Une longue discussion s’engagea alors et déboucha sur une question : comment serait le monde quand Machia’h viendrait ?
Un des vieux ‘hassidim entreprit d’y répondre : «Quand Machia’h viendra, un Juif se lèvera le matin pour se préparer à prier – et sa prière coulera spontanément. De même, pendant toute la journée, chaque instant sera utilisé pour l’étude de la Torah et le service de D.ieu. Et tout viendra naturellement, sans effort».
(d’après la tradition orale) H.N.
Vivre avec la Paracha
Bamidbar : Le 603 550ème Juif

En hébreu, on dit Bamidbar («Dans le désert») et également Séfèr Hapekoudim («Le livre des comptes»). En français, il s’agit de la section biblique connue comme les «Nombres». Et en effet, le quatrième des cinq livres de la Torah comporte beaucoup de « nombres ».
Dans les chapitres qui ouvrent ce livre, nous apprenons qu’un an après l’Exode, on comptait 603 550 hommes adultes âgés entre 20 et 60 ans, parmi lesquels 22 273 étaient premiers-nés. Un compte différent recense 22 300 Lévites âgés d’un mois ou plus (7 500 Gerchonites, 8 600 Kehattites et 6 200 membres appartenant au clan de Merrari). Nous sont également indiqués les chiffres de chacune des douze tribus, depuis les 74 600 membres de la tribu de Yehouda aux 32 200 de celle de Ménaché. Puis la Torah nous livre le nombre de chacun des quatre «camps» dans lesquels étaient réparties les douze tribus : le camp de Yehouda, incluant également les tribus d’Issa’har et de Zevouloun, en tout 186 400 personnes, les trois tribus réunies dans le camp de Reouven, totalisant 151 450 individus, le camp d’Ephraïm compris de 108 100 personnes et les 157 600 hommes qui avaient planté leur tente dans le camp de Dan.
Vingt-six chapitres et trente-neuf ans plus tard, nous sommes toujours dans le livre des Nombres et dans un nouveau recensement. A nouveau, nous est fourni un chiffre total, celui de désormais 601 730 et le nombre des membres de chaque tribu. Nous remarquons que la tribu de Chimone a été dramatiquement décimée (ils étaient 59 300, ils ne sont plus que 22 200) alors que les rangs de Menaché ont gonflé (ils ont gagné 20 500 hommes). Mais plus que tout, nous observons que la passion de D.ieu pour compter Son peuple ne s’est pas refroidie.
Car, comme le dit D.ieu à Moché, il ne s’agit pas simplement pour Lui de compter des gens, ici il s’agit de «lever leurs têtes.»
Quand un recensement est entrepris, il inclut des érudits et des rustres, des hommes actifs et des vagabonds, des philanthropes et des miséreux, des saints et des criminels. Et pourtant, chacun d’entre eux ne compte pas plus ni moins que pour «1» dans le nombre total. Le recensement ne fait que refléter la seule qualité que tous possèdent également, le fait que chacun est un être humain à part entière.
Ainsi, le compte des têtes serait-il l’expression du dénominateur commun d’une somme d’individus ? La réponse à cette question dépend de la façon dont on considère l’essence de l’humanité. Si, à la base, un homme est neutre, ou pire, si nous commençons tous au niveau zéro et sommes nous-mêmes les artisans de ce que nous devenons, alors, ce qui nous réunit est effectivement la seule de nos qualités communes. Cependant, D.ieu a une perspective différente.
Selon la vision de D.ieu, l’âme de l’homme est une étincelle de Son propre feu, une étincelle qui possède le potentiel de refléter l’infinie bonté et la perfection de sa source. La vie humaine est l’entreprise pour réaliser ce qui est latent dans cette étincelle. En fait, une personne peut mener une vie pleine, accomplie et juste et à peine effleurer la surface de l’infinitude de son âme. Un autre individu peut errer sa vie entière dans l’obscurité et l’iniquité et puis, dans un moment de clairvoyance, découvrir son étincelle divine et la transformer en un feu flamboyant.
Ainsi, lorsque D.ieu donne l’instruction de procéder à un recensement, il s’agit alors de l’expression de notre dénominateur commun le plus élevé. Au niveau de la Divinité, nos différences sont transcendées pour révéler le simple fait de notre existence, le fait qui exprime ce qu’il y a de meilleur en nous et d’où jaillit tout ce qui est bon en nous.
D.ieu ne nous compte pas pour connaître notre nombre (ce qu’Il connaît, de toute évidence), ni même pour entrer en contact avec la quintessence de notre âme (ce qu’Il fait toujours, de toute évidence). Il nous compte pour illuminer l’âme de notre âme, pour donner libre expression à son essence et pour la rendre plus accessible à nos vies liées avec la matérialité.
C’est là que réside le sens profond de l’expression «lever leurs têtes» dans l’instruction de D.ieu à Moché de compter le Peuple d’Israël. Quand D.ieu nous recense, Il stimule les parties les plus basses et les plus élevées de notre être, l’étincelle de Divinité qui réside au fond de notre âme.

Dans le désert.
Bamidbar se lit aussi «Dans le désert». Dans le désert, il n’y a pas de bureaux ni d’usines. Ainsi, si vous vivez dans le désert, vous ne pouvez travailler. Il n’y a pas de patron pour vous dominer et personne n’est sous vos ordres.
Dans le désert, il n’y a pas de villes ni de voisins, vous ne pouvez être sur le bon ou sur le mauvais côté de la rue. Il n’ya pas de grands magasins ni d’épiciers, vous mangez la manne qui tombe du ciel et portez la même paire de chaussures pendant quarante ans.
Ce sont les raisons pour lesquelles, affirment nos Sages, D.ieu nous donna la Torah dans le désert.
S’Il nous l’avait donnée dans le quartier des affaires, Il aurait dû décider qui nommer à la direction et qui empêcher de s’en mêler. S’Il nous l’avait donnée en Terre Sainte, Il aurait dû décider s’Il la voulait dans la Jérusalem religieuse, la mystique Safed, la Tel Aviv hi-tech ou complètement ailleurs !
D.ieu ne voulait aucun actionnaire dans Sa Torah, aucune structure corporative, aucun contexte social ou politique. En fait, Il ne voulait aucun contexte du tout. Juste nous et la Torah.

N’aurait-il pas été merveilleux, alors, de rester dans le désert ?
Mais dès que D.ieu fut sûr que nous avions reçu le message, que nous avions compris que la Torah n’est le produit d’aucune époque, d’aucun environnement ou d’aucun milieu culturel en particulier, et qu’elle appartient, de façon absolue et sans équivoque, à tout un chacun, Il nous envoya dans les cités et les villes de Son monde, dans les fermes et les marchés, dans les universités et les bureaux. Il nous dit que maintenant, Il avait joué Son rôle et qu’il nous revenait à nous de faire en sorte que Sa Torah soit importante dans ces lieux et dans ces contextes.
Mais, parfois, il est agréable de revenir de temps à autre dans le désert ! Tout au moins pour le visiter !
Le Coin de la Halacha
Quand doit-on se laver les mains ?

Un Juif devrait être toujours conscient du fait que D.ieu se tient près de lui et observe ses actions, ses paroles et ses pensées car D.ieu remplit le monde entier de Sa gloire.
C’est pourquoi il convient à tout moment de veiller à se comporter le mieux possible car on est en présence du Roi des rois, le Saint béni soit-Il. On veille particulièrement à la propreté des mains ainsi qu’à leur pureté. On les lavera donc soigneusement – si possible rituellement à l’aide d’un récipient dans les cas suivants :
- quand on se réveille, après au moins une demi-heure de sommeil.
- quand on sort des toilettes et de la salle de bains.
- après s’être coupé les ongles ou les cheveux.
- après avoir touché les chaussures en cuir.
- après s’être lavé les cheveux.
- après avoir touché un reptile.
- après avoir touché ses pieds.
- après avoir touché les endroits du corps normalement couverts.
- en sortant d’un cimetière.
- après un enterrement ou après avoir quitté une maison où se trouve un mort.
- après une prise de sang.

F. L. (d’après Junior Code of Law – Rav Dr Nissan Mindel)
De Recit de la Semaine
L’étincelle cachée

Lors de mon dernier voyage en Ukraine – où notre famille s’est réunie pour le quatre-vingtième anniversaire de mon père – j’ai rencontré Sacha, un “collègue” puisqu’il est lui aussi émissaire du Rabbi de Loubavitch ; c’est un ancien élève de mon père. Il se rend dans les villages les plus reculés d’Ukraine pour trouver des Juifs et leur faire retrouver leurs racines. Voilà ce qu’il m’a raconté :
“J’ai reçu dernièrement un étrange coup de téléphone d’une compagnie minière. Ses ouvriers avaient creusé un chantier près du village d’Anipoli, à l’ouest de l’Ukraine et ils avaient découvert ce qui semblait être une immense fosse commune datant de la Shoah. J’ai annulé immédiatement toutes mes autres occupations et j’ai contacté la “‘Hevra Kadicha”, la société des derniers devoirs à Jérusalem. On m’a envoyé une équipe de rabbins spécialisés dans cette tâche sacrée ; ils ont organisé des inhumations selon la ‘Hala’ha (la loi juive) avec tout le respect dû à ces martyrs. On a même érigé un monument pour rappeler leur souvenir.
Quelques semaines plus tard, nous avons décidé d’organiser un “Chabbat plein” pour les proches de ces Juifs assassinés. J’avais amené un groupe de jeunes étudiants de la Yechiva de Kiev, beaucoup de nourriture cachère et un coffret portatif contenant un Séfer Torah (un rouleau sacré de la Torah). Ce fut un Chabbat hors du commun, particulièrement poignant et bouleversant ; l’atmosphère était recueillie et enthousiaste à la fois.
Parmi les nombreux participants se trouvait un homme assez âgé qui refusa catégoriquement de prendre part aux divers aspects religieux de notre programme. Lors de l’office de Min’ha, du Chabbat après-midi, je l’aperçus à l’autre bout de la pièce, avec sa famille ; il ne portait même pas la Kippa. Je voulus l’appeler pour “monter” à la Torah mais, comme je m’y attendais, il refusa.
Je ne sais pas ce qui m’a pris mais je l’ai pratiquement tiré par la manche de sa veste et je l’ai amené vers l’estrade. Je lui demandai alors son prénom hébraïque ; il affirma ne pas s’en souvenir mais, si jamais cela pouvait servir, son prénom ukrainien était Vasily. C’est donc par ce prénom que, faute de mieux, je le fis approcher du Séfer Torah. Il hésita mais réussit assez bien à prononcer les bénédictions adéquates, avec mon aide. Quand je commençai à réciter la prière “Mi Chébéra’h” en sa faveur, je remarquai qu’il sanglotait sans même essayer de se cacher. Je lui demandai s’il ne se sentait pas bien et il répondit, d’une voix entrecoupée de sanglots qu’après tant d’années, il s’était soudain souvenu de son prénom hébraïque.
C’était Azriel, le prénom que son grand-père, le rabbin de la ville, lui avait donné lors de sa Brit Mila (circoncision).
“Vous savez, me dit-il, mon grand-père a été le premier à être assassiné par les nazis : je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. Ils avaient rassemblé tous les Juifs sur la place du marché. Je n’avais que douze ans, je n’étais même pas encore Bar Mitsva mais j’ai eu beaucoup de chance. Je m’étais caché derrière des arbres et de là, j’ai tout vu : mon grand-père a été assassiné le premier car il était le rabbin de la ville. Puis tous les autres, systématiquement, hommes, femmes et enfants. Nul n’a été épargné et je me suis retrouvé absolument seul au monde, passant toutes les années de la guerre à me cacher dans les forêts… Après la guerre, je suis retourné dans mon village natal mais il n’y restait plus un seul Juif.
J’ai tout renié, je me suis marié avec une non-juive et j’ai élevé mes enfants non juifs.
Quand j’ai entendu qu’on avait découvert cette fosse dans laquelle se trouvait ensevelie toute ma famille, j’ai ressenti une incroyable envie de retrouver les miens, de me rattacher à mon passé. J’ai même accepté de passer ce Chabbat communautaire mais avec mes enfants.
Durant tout le Chabbat, j’ai lutté avec mon identité juive. Qui suis-je : un Ukrainien du présent ou un Juif du passé ? Puis vous m’avez appelé à la Torah en me demandant mon prénom juif. Du coup, toutes les digues se sont rompues et mon passé a ressurgi en force : mon grand-père, mon prénom Azriel et la Bar Mitsva que j’avais préparée mais que je n’ai jamais célébrée : je sais que j’appartiens à mon peuple !”
Sacha conclut : J’ai doucement conseillé à Azriel de considérer cette montée à la Torah comme sa Bar Mitsva : “Certainement votre grand-père est fier de vous aujourd’hui !” Azriel m’a embrassé sans parvenir à contrôler ses larmes. Je pense que c’était des larmes de joie ! Et Sacha continua : on ne peut jamais sous-estimer la puissance d’une âme juive, même après tant d’années. Il suffit qu’on lui procure l’allumette : l’étincelle est déjà là !”
- Au fait, demandai-je à Sacha : quand cette histoire est-elle arrivée ?
- Il y a trois semaines !
- Comme c’est étrange !
Maintenant c’était à mon tour de pleurer : “Mon premier petit-fils est né il y a exactement trois semaines et il s’appelle Binyamine Azriel !”

Rav Avraham E. Plotkin
Canadian Jewish News - L’Chaim
traduit par Feiga Lubecki