Semaine 50

  • Vayigach
Editorial
La lumière, pour toujours

Notre société est, sans doute, une des plus éclairées et lumineuses que la terre ait jamais portées. Certes, il est loisible à chacun de relever l’obscurité des cœurs, des esprits et des âmes. Pourtant, comme la lumière de ces millions d’ampoules électriques qui défient la nuit de nos villes, est puissante et éclatante ! On en ressent presque une sorte de fierté trouble, pétrie de modernité et d’artificialité. De fait, ces lumières ont souvent l’arrogance des certitudes rapidement acquises, d’autant plus fragiles qu’elles semblent si solides. Elles s’emploient à rassurer les hommes et, ce faisant, elles sont surtout le témoignage de leur inquiétude. Cette semaine, ‘Hanouccah se conclut ; ses lumières ont semblé si ténues et pourtant, leur clarté ne disparaît pas.
En ce dimanche de ‘Hanouccah, nous nous sommes tenus, comme cela en est devenu la presque tradition, au pied de la Tour Eiffel pour l’allumage des flammes de la fête avec d’autres villes du monde par liaison satellite. Revivons cet instant. Comme à son habitude, la Tour Eiffel, écrasante et délicate, brille puis scintille, faisant de la dentelle de fer une dentelle de lumière. A quelques pas de là, le Chandelier de la fête se dresse de ses simples huit mètres de hauteur. Une nacelle s’élève jusqu’au sommet du candélabre et les flammes, humbles, petites, apparaissent au bout de ses branches. Qui imaginerait comparer la splendeur de la gigantesque Tour qui brille et la modestie du Chandelier qui éclaire ? Pourtant, une impression étrange se dégage peu à peu… Les flammes dansantes de ‘Hanouccah ont la force de ces petites voix qui susurrent un message que nul ne peut s’empêcher d’entendre. A tel point que la lumière électrique paraît tout à coup bien présomptueuse.
Il y a ici comme une leçon d’éternité. «Les lumières de ‘Hanouccah ne disparaissent jamais» enseignent les Sages. De fait, elles ont accompagné le peuple juif au fil de son histoire, dans ses drames et dans ses joies. Elles sont toujours parmi nous alors que la pompe de tant de brillantes civilisations s’est évanouie dans le lointain, parmi les ombres. La fête se conclut cette semaine mais ses lumières restent en nous. Elles ne nous abandonnent pas, leur lumière est la nôtre. Pour un avenir lumineux.
Etincelles de Machiah
Une contradiction absolue !

Quand un Juif se trouve en exil, même quand il accomplit le service de D.ieu qui lui incombe de « faire pour D.ieu une demeure ici-bas », il ne peut pas être satisfait car il est en exil !
«Juif» et «exil» sont deux notions radicalement contradictoires ! Il s’ensuit que, quand un Juif est en exil, il est dans un état où «il languit après la maison de son père».
D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Vayétsé 5746 H.N.
Vivre avec la Paracha
Vayigach : Connaissez-vous votre âme ?

L’épisode de Yossef se révélant à ses frères après des décades d’amère séparation est l’un des plus dramatiques de la Torah. Vingt-deux ans auparavant, alors que Yossef n’avait que dix-sept ans, ses frères l’avaient enlevé, jeté dans un puits puis vendu comme esclave à des marchands égyptiens. En Egypte, Yossef passa douze ans en prison d’où il fut sauvé puis élevé au rang de vice-roi du pays. Maintenant enfin, le moment était à la réconciliation.
«Yossef ne put contenir ses émotions», raconte la Torah dans la Paracha de cette semaine. Il fit sortir tous ses assistants égyptiens de la pièce et «il commença à pleurer dans des sanglots si sonores que les Egyptiens pouvaient l’entendre de l’extérieur. Et Yossef dit à ses frères : «Je suis Yossef ! Mon père est-il toujours vivant?» Ses frères furent si bouleversés qu’ils ne purent répondre.»

Un sage pleure
Le Talmud relate que chaque fois que le grand talmudiste et Sage, Rabbi Eléazar arrivait à ce verset, «ses frères furent si bouleversés qu’ils ne purent répondre», il pleurait. Rabbi Eléazar disait: «si le reproche d’un homme de chair et de sang (Yossef) est si puissant qu’il suscite une telle consternation, le reproche de D.ieu (quand il a lieu) doit l’être d’autant plus, ayant causé tant de honte.»
Et pourtant, deux points semblent manquer dans les paroles de Rabbi Eleazar. Tout d’abord, le verset ne dit pas que les frères furent stupéfaits parce que Yossef leur avait adressé un reproche. Peut-être l’étaient-ils par la constatation que l’homme qui se tenait devant eux n’était pas moins que leur frère perdu depuis longtemps, Yossef ?
De plus, la comparaison entre le reproche de Yossef à ses frères et celui de D.ieu à l’humanité paraît excessive. Les frères avaient personnellement vendu Yossef comme esclave, l’assujettissant à la pire des formes d’abus de la personne. Il est donc logique qu’ils aient été plongés dans la consternation quand finalement ils lui firent face. Quiconque parmi nous ne s’est-il jamais rendu coupable d’un affront similaire à l’égard de D.ieu, pour en arriver à ressentir un tel effroi devant le reproche de D.ieu ?

Notre rêveur intérieur
Pour comprendre, nous devons nous souvenir d’une idée, exprimée à un certain nombre d’occasions, selon laquelle les personnages dépeints dans la Torah ne sont pas simplement des personnes physiques qui vécurent à une certaine période. Ils représentent également des forces particulières, psychologiques et spirituelles, qui existent continuellement à l’intérieur du cœur humain.
Yossef est décrit dans la Torah comme un jeune homme beau et gracieux, «beau dans sa constitution et beau dans son apparence», comme un «maître des rêves». Selon la Kabbale, Yossef symbolise l’âme de l’homme, pure et sacrée.
Aussi, pour comprendre l’histoire de Yossef, nous faut-il saisir la nature de notre propre âme.

Un portait de l’âme
A quoi ressemble l’âme ? Quels éléments de notre personnalité pouvons-nous attribuer à notre âme ?
Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi définit l’âme comme une flamme qui cherche à partir de la mèche et à embrasser les cieux. «L’âme, écrit-il, constitue la quête dans l’homme pour transcender les paramètres de son égo et s’absorber dans la source de toute existence».
Le Kabbaliste du seizième siècle, Rabbi Eléazar Azkari, a écrit une prière qui décrit l’âme en ces termes : «Mon âme est malade d’amour pour toi, Ô D.ieu, je t’en supplie, s’il Te plaît, guéris-la en lui montrant la douceur de Ta splendeur ; alors elle reprendra de la force et sera guérie, expérimentant une joie éternelle».
En d’autres termes, l’âme est cette dimension de notre esprit qui n’a pas besoin de grandissement personnel, de domination ni de matérialisme excessif. Elle méprise la politique, la manipulation et la malhonnêteté. Elle est repoussée par le comportement immoral et par des apparences hypocrites.

Quelles sont ses aspirations ? L’âme a une aspiration unique : se fondre dans la vérité absolue de D.ieu.

L’âme abusée
Et pourtant, combien d’entre nous sont-ils conscients de l’existence d’une telle dimension dans leur personnalité ? Combien d’entre nous se soumettent-ils aux besoins de leur âme ? En réponse aux rêves jamais assouvis de notre âme et à ses aspirations qui confondent notre emploi du temps basé sur notre propre satisfaction et dérangent notre désir de gratification immédiate, nous prenons souvent le «Yossef» qui est à l’intérieur de nous et le plongeons dans un puits. Nous tentons de reléguer ses rêves et ses passions dans les greniers subconscients de notre esprit.
Et quand cela ne marche pas, parce que nous continuons à entendre ses plaintes silencieuses, nous vendons notre «Yossef» comme esclave à des étrangers, permettant à notre âme d’être soumise aux forces et aux instincts étrangers à sa propre identité.
Pouvez-vous imaginer à quel point vous seriez horrifié devant le spectacle de quelqu’un qui prendrait la petite main adorable d’un enfant et la mettrait dans un four brûlant ? Les maîtres ‘hassidiques décrivent chaque occasion où nous prononçons un mensonge, chaque occasion où nous humilions un autre être humain, chaque occasion où nous péchons, comme exactement cela : prendre l’innocente et précieuse spiritualité de notre âme et lui faire subir des sévices et des tortures.

Le moment de vérité
Et pourtant, à un moment de notre vie, pour chacun de nous, arrive le moment où notre «Yossef» intérieur, qui a été forcé de cacher la vérité pendant tant d’années, se brise et nous révèle sa réelle identité. A ce moment, nous venons à découvrir la resplendissante beauté et la profondeur de notre âme et nos cœurs s’emplissent de honte ;
L’humiliation que ressentirent ses frères quand Yossef se révéla à eux ne venait pas de son reproche pour l’avoir vendu comme esclave. Sa simple apparition constitua le reproche le plus puissant. Pour la première fois, ils réalisèrent qui était celui qu’ils avaient soumis un traitement si horrible et leurs cœurs fondirent de honte.
De la même façon, Rabbi Eléazar dit que quand le jour viendra où nous réaliserons la sainteté et la Divinité de notre propre personnalité, nous serons également abasourdis. Nous nous demanderons sans cesse comment nous avons pu nous permettre de jeter une âme si belle et si innocente dans un puits sombre et obscur.

D’après une note écrite par Rabbi Mena’hem Mendel, le Tséma’h Tsédek, et Séfer Hamaamarim du Rabbi (volume 5 page 261).
Le Coin de la Halacha
Les femmes et jeunes filles ont-elles l’obligation d’allumer la ‘Hanoukia ?

Réponse : Les femmes et jeunes filles ont subi de terribles restrictions durant l’occupation gréco-syrienne.
Par ailleurs, la victoire militaire fut en grande partie due à l’action héroïque d’une femme, Yehoudit. C’est pourquoi les femmes et filles ont l’obligation d’assister à l’allumage des lumières de ‘Hanouccah par un homme. Dans le cas où il n’y a pas d’homme (ou de garçon de plus de treize ans) pour les rendre quitte, elles allumeront leurs propres lumières de la fête.
Que doit faire celui qui rentre chez lui très tard le soir de ‘Hanouccah ?
Normalement, on doit allumer les lumières de ‘Hanouccah de façon à «publier le miracle», donc quand les gens sont réveillés.
On peut allumer les lumières de ‘Hanouccah en principe toute la nuit, à condition que quelqu’un soit éveillé dans la maison. Si tout le monde dort, il faudrait normalement réveiller au moins une personne.
Cependant, celui qui allume sa ‘Hanoukia alors que plus personne n’est éveillé ne sera pas réprimandé pour cela.
Comment agissent les élèves d’un internat ?
Selon certaines opinions, ils sont considérés comme membres d’une même famille et doivent donc allumer chacun leur ‘Hanoukia dans le réfectoire ; s’ils le désirent, ils peuvent avoir la «Kavana», l’intention de ne pas se rendre quitte et allumer leur ‘Hanoukia dans leur chambre à coucher qui est considérée comme leur véritable demeure.
D’autres décisionnaires tranchent qu’ils doivent a priori allumer leur ‘Hanoukia dans leur chambre à coucher.
Enfin, certains décisionnaires séfarades estiment que les pensionnaires d’un internat sont rendus quitte de leur obligation d’allumer du fait que leur père allume chez lui à la maison en pensant à eux.
Si on allume la ‘Hanoukia en public, dans une synagogue ou une fête, doit-on prononcer les bénédictions ?
De nombreux décisionnaires tranchent qu’il faut allumer la ‘Hanoukia avec les bénédictions dans tout endroit où des Juifs se réunissent, que ce soit dans une fête, un restaurant, un mariage etc… afin de rendre le miracle public.

F. L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
Si difficile au pays de l’abondance ?

D’accord, c’était un peu tard pour s’en occuper, vendredi après-midi, c’est-à-dire juste quelques heures avant ‘Hanouccah. Mais je n’étais pas inquiète : j’habite à New York, la plus grande ville juive du monde et je travaille à Manhattan, le cœur du monde où l’on trouve tout ce qu’on veut à toute heure du jour et de la nuit. Et tout ce que je désirais, c’était une boîte de bougies pour ‘Hanouccah. Facile !
Premier essai : «Dean and Deluca», une épicerie pour connaisseurs avec un grand rayon d’articles de cuisine au fond. Sûre de moi, je doublais la file de clients extenués, attablés au café, heureux de payer trois fois leur prix un expresso ou un bol de céréales, de quoi se donner le cœur (et l’estomac) pour acheter encore davantage. Certainement je trouverais dans le rayon droguerie des bougies de ‘Hanouccah, même si je devais les payer trois fois leur prix. Effectivement, leurs bougies coûtaient à peine vingt dollars mais elles étaient en cire d’abeille, ternes – ce qui était peut-être très élégant selon certains mais… non, elles ne me convenaient pas. Elles étaient sans doute agréables à contempler dans une cuisine rustique mais pas sur ma Menorah.
Prochain arrêt : «Gate and Barel» qui abrite un rayon «fêtes». Bien entendu, les guirlandes de houx et les sapins décorés de boules multicolores, les bonhommes de neige et personnages barbus coiffés d’une toque rouge y abondaient. Comment trouver mes bougies de ‘Hanouccah dans cette abondance qui ne me convenait pas ?
J’approchai un vendeur : «Avez-vous des bougies de ‘Hanouccah ?». J’avoue que ma question – et moi-même – étions plutôt hors-sujet…
«Oui, bien sûr, par là, répondit-il poliment. Mais je crois que nous sommes en rupture de stock de chandeliers !»
Il me guida loin de la foule vers un coin que j’avais raté, juste à gauche de l’entrée. Oui, il y avait des boîtes de bougies et on pouvait choisir : bleues ou blanches.
Là, je réalisai qu’il y avait un problème. Moi je voulais des vraies bougies de ‘Hanouccah, avec les spirales, dans une boîte bleue, avec des lettres hébraïques et l’image stylisée d’une Menorah en or, avec des bougies de couleurs assorties. Quand nous étions petites, ma sœur et moi nous discutions passionnément pour savoir quelles couleurs utiliser chaque soir. A mon âge, j’étais prête à renoncer à la couleur de la boîte, mais certainement pas à n’utiliser que des bougies bleues ou que des bougies blanches !
Pas question !
Prochaine étape : un magasin exotique. Je sais ce que vous pensez : elle perd son temps, elle ferait mieux de retourner à Brooklyn, dans les quartiers typiquement juifs. Mais j’étais presque en rage. Cette ville est pleine de Juifs ! Ces magasins qui préparent un choix de neuf cents décorations pour les sapins de nos voisins ne penseraient donc pas à nous offrir plus de choix pour nos bougies de ‘Hanouccah ? D’accord, ce ne sont pas des décorations mais cela ne veut pas dire qu’elles devraient être ou toutes bleues ou toutes blanches !
Stylé, l’employé était aussi flegmatique. Il revint avec une poignée de bougies dans un cellophane tout simple. Blanches. Elles étaient toutes blanches.
«Blanches ? J’étais presque en colère. Non merci ! Par pour moi !»
Je tournai le dos pour partir, comme si je lui avait dit : «Honte à vous !». De fait, c’était moi qui devais avoir honte de prétendre trouver des bougies de ‘Hanouccah dans un magasin de meubles exotiques juste quelques heures avant la fête…
Résignée, j’entrai néanmoins dans une grande pharmacie dont la préparatrice ne fit aucun geste pour m’aider : «Non !» Evidemment…
Dernier essai, on ne sait jamais : «Sur la Table», un magasin de fournitures culinaires. J’étais déjà persuadée que c’était inutile. J’avais l’impression que je voulais m’infliger une punition. Peut-être pour rabaisser mon ego…
Je traversai le rayon des fournitures pour «fêtes».
Au bout du magasin, je trouvai un employé reconnaissable à son tablier et sa chemise blanche.
«Hum… Excusez-moi : avez-vous des bougies de ‘Hanouccah ?»
Il me lança un regard étrange. Apparemment ma question l’avait touché. Etait-il juif ? Etait-il philo-sémite ? Ou peut-être antisémite ?
«Oui, vous êtes au bon endroit !» lâcha-t-il une fois qu’il eut retrouvé ses esprits. Il me mena vers une boîte contenant neuf bougies, blanches bien sûr. J’allais recommencer ma tirade : non, je ne veux pas des blanches ! Mais je le vis se baisser, vers l’étagère où auraient dû se trouver les bougies de ‘Hanouccah. Elle était vide. «Hum… Attendez un instant !» dit-il en s’éclipsant.
J’étais soudain très, très fatiguée. Je me disais que je devais plutôt rentrer chez moi mais, quand il réapparut une minute plus tard, il portait un sachet bleu marine : «Vous savez, avoua-t-il, je suis un mauvais Juif !»
Oh non ! Qu’est-ce que cela signifiait ?
- Moi aussi, je n’avais pas de bougies de ‘Hanouccah. Mais l’autre jour, j’ai aperçu deux Loubavitch, vous savez ces jeunes, barbus, avec un chapeau noir, ils distribuent justement des bougies en vous recommandant de les allumer…
- Oui, je connais !
- D’habitude je traverse la rue pour les éviter, mais cette fois, je suis allé à leur rencontre et ils m’ont donné deux boîtes. En voici une pour vous, si vous voulez !
- Vraiment ?
Je devais avoir une baisse de tension – (après tout, j’aurais peut-être dû me restaurer auparavant !) mais j’étais sur le point de fondre en larmes devant cette aventure.
Il ouvrit le paquet et fouilla à l’intérieur.
«Voici ! dit-il d’un ton triomphant en me tendant le paquet traditionnel, oui, exactement celui auquel j’étais attaché depuis ma tendre enfance !
Regardez ! Ils m’ont même donné une toupie ! Elle est à vous !»

Julie Subrin
L’Chaim
traduit par Feiga Lubecki