Semaine 36

  • Ki Tavo
Editorial
Elloul : quand le monde change

Retour de vacances, fin de la pause sociale, la vie a repris son cours normal… semble-t-il. Car, brusquement, le monde a changé : nous sommes entrés en Elloul. Le dernier mois du calendrier juif a commencé mais, plus que cela, c’est un temps différent qui s’est ainsi ouvert. Nous l’avons abordé comme les navigateurs de jadis partaient à la découverte d’une terre inconnue, prêts à toutes les surprises et à toutes les aventures. Nous devons, à présent, le vivre jour après jour comme on explore un espace nouveau où tout paraît enfin possible.

C’est que, dans l’Israël antique, existait ce que le texte de la Torah dénomme « les villes de refuge ». Et, «refuge», elles l’étaient vraiment : celui qui s’était rendu coupable d’un homicide involontaire devait y être exilé, autant pour le protéger d’une vengeance éventuelle que pour réparer spirituellement les graves conséquences de son acte. L’idée n’était pas celle d’une relégation loin des terres civilisées ni celle d’un lieu de mortification ; elle était celle d’un nouveau départ dans un lieu neuf, loin des routines qui, pesantes, enchaînent l’homme dans son quotidien et tentent de lui interdire toute évolution. Certes, ces villes ont aujourd’hui disparu dans l’espace mais leur esprit existe toujours dans le temps. Aujourd’hui, le mois d’Elloul est notre «ville de refuge».

Chacun se connaît. Chacun sait ce qu’a été, pour lui, l’année écoulée. Et, sans doute, chacun sait qu’elle aurait pu être meilleure, que son lien avec D.ieu aurait pu être plus intense, sa vie juive plus enthousiaste et son élévation spirituelle infiniment plus grande. Voici venir la nouvelle année et l’époque est à l’introspection : comment répare-t-on de tels errements ou, plus simplement, les oublis induits par le déferlement des jours ? La réponse tient en un mot : Elloul.

Tout se passe comme si nous disposions ici de quelques semaines privilégiées, hors du temps et dans le temps à la fois. Alors que les jours passent et que le monde n’interrompt pas sa course, nous nous tenons en une période où le retour à D.ieu est plus facile et où tout semble nous porter vers le renouveau. Alors, il faut nous saisir de cet espace de liberté qui nous est ainsi donné. Il faut prendre en main les instruments de l’œuvre spirituelle : l’étude de la Torah, la prière, la Tsédaka. Il faut instaurer une manière nouvelle de vivre. Le monde a, à présent, changé ; sachons changer avec lui. Pour une bonne et douce année.
Etincelles de Machiah
La Techouva et la Délivrance

Maïmonide enseigne : «Israël finira par se repentir et sera immédiatement libéré» (Michné Torah, Hile’hot Techouva 7:5).

Maïmonide précise ainsi que la Délivrance arrive grâce au repentir, à la Techouva. Cela n’est pas simplement dû au fait qu’ainsi toutes les fautes sont effacées. C’est le processus même de la Délivrance qui nécessite l’œuvre spirituelle en question car celle-ci est, par essence, l’expression du niveau le plus élevé de l’âme appelé «Yé’hida», seul à même d’effacer toute trace d’une faute éventuelle. Or, la venue de la Délivrance est justement une manifestation du niveau Divin équivalent, qui transcende toutes les limites du monde matériel. C’est ce degré-là dont il nous faut, par nos actes, susciter la révélation.
(D’après Likoutei Si’hot, vol. IV, p. 1071)
Vivre avec la Paracha
Ki Tavo

Traverser la frontière

«Je te remercie, Ô D.ieu vivant et éternel, Qui m’a restauré mon âme, grande est Ta miséricorde.»
Notre premier acte conscient du jour est d’exprimer notre gratitude envers notre Créateur. Dès notre réveil, avant même de nous lever ou même de nous laver les mains, nous récitons la prière du Modé Ani, reconnaissant que c’est Lui qui nous accorde la vie et chaque moment de notre existence.

Les idées apparemment simples exprimées dans le Modé Ani occupent de nombreux chapitres des écrits législatifs, philosophiques et mystiques de la Torah. Le Rabbi en extrait des perspectives sur la nature de l’omniprésence et de l’immanence de D.ieu, le principe de la «création perpétuelle» etc. S’il en est ainsi, pourquoi le Modé Ani est-il prononcé dès le réveil alors que notre esprit est encore embué de sommeil ? N’aurait-il pas été plus propice de le faire précéder d’une étude et d’une méditation sur ces concepts ?

La nuit et le jour
La physiologie de notre corps et le rythme de l’horloge astrale partagent notre vie en domaines conscients et supra conscients. Durant les heures d’éveil, notre esprit prend le contrôle de nos pensées et de nos actions. Mais la nuit, alors que nous dormons, «le quartier général» laisse sa place à un lieu plus profond où la conscience est remplacée par une forme de connaissance plus élémentaire. Dans ce monde nocturne, les difficultés sont aplanies et les absurdités sont acceptées. Néanmoins, certaines vérités restent insensibles à ces fluctuations de la connaissance et de la conscience. Notre foi en D.ieu, Son rôle central dans notre existence, la profondeur de notre engagement pour Lui restent toujours des idées absolues.
L’éveil et le sommeil n’affectent que l’activité extérieure de l’intellect. Ce que nous savons avec l’essence même de notre être, nous ne le connaissons pas moins quand nous sommes plongés dans les tréfonds du sommeil. Bien au contraire, quand nous sommes éveillés, nous devons dépasser les préjugés d’un intellect remué par les «réalités» de l’état physique pour parvenir à ces vérités. Endormis, notre esprit se libère, nous nous rapprochons, bien qu’inconsciemment, de nos convictions les plus intérieures.
Le Modé Ani exploite un moment exceptionnel de notre journée, le moment qui se situe au seuil de notre éveil, le moment qui réunit les domaines supra conscient et conscient de la journée. Chaque matin, une opportunité extraordinaire se présente donc : celle d’exprimer à nous-mêmes une vérité qui habite notre moi le plus profond et de déclarer ce que nous savons déjà au jour qui attend.

L’état de Yitro
On peut observer un phénomène similaire dans une discussion hala’hique concernant la Mitsva des Bikourim (premiers fruits mûrs).
Les Bikourim comme Modé Ani représentent une déclaration de gratitude envers D.ieu. Dans le 26ème chapitre de Devarim, que nous lisons cette semaine, la Torah ordonne :
«Quand vous viendrez sur la terre que l’Eternel votre D.ieu vous donne en héritage et que vous la posséderez et vous y installerez» ;
«Vous prendrez des premiers fruits de la terre… et les placerez dans une corbeille ; et vous vous rendrez dans le lieu où l’Eternel votre D.ieu choisira pour y faire reposer Son nom.»
«Et vous vous rendrez chez le Cohen qui sera alors là et lui direz : Je proclame aujourd’hui à l’Eternel ton D.ieu que je suis venu sur la terre que D.ieu a juré à nos pères qu’Il nous donnerait…»
Dans sa «proclamation» le porteur des Bikourim continue en relatant l’histoire de notre libération d’Egypte et le don que nous fit D.ieu de la «terre où coulent le lait et le miel», concluant par les mots : «Et maintenant, vois, j’ai apporté le premier fruit de la terre que Toi, D.ieu Tu m’as donnée».
Quand nos ancêtres commencèrent-ils à faire cette offrande ? Le premier verset du chapitre des Bikourim comporte des implications à ce sujet qui suscitèrent des débats législatifs entre le Talmud et le Sifri.
Le peuple juif entra sur la Terre d’Israël en l’an 2488 (1273 avant l’ère commune). Mais quatorze ans devaient passer avant la conquête de la Terre et son partage entre les tribus. C’est pour cette raison, dit le Talmud, que le verset précise d’apporter les Bikourim «quand vous viendrez sur la terre… que vous la posséderez et vous y installerez». Cela nous enseigne que les premiers fruits de la terre ne devaient être présentés à D.ieu qu’après la conquête et l’installation.
Le Sifri, quant à lui, souligne les mêmes mots mais comme impliquant que l’obligation des Bikourim s’appliquait dès l’entrée des Juifs dans la Terre. Il base son interprétation sur le premier mot du verset : «Vehaya» (et ce sera) dont l’emploi indique, tout au long de la Torah, que l’événement doit se passer immédiatement.

Entre le rêve et la réalité
En fait cette divergence d’opinions se réfère à deux conceptions de la Mitsva des Bikourim.
La conception du Talmud exprime la notion que la véritable gratitude ne peut venir qu’une fois que le bénéficiaire a compris le sens et l’impact pour sa vie du bien qui lui a été fait. Sans «avoir pris possession» de quelque chose en l’étudiant et l’analysant, sans s’ «y être installé» en l’expérimentant d’une manière consciente, quelle est la valeur de nos proclamations ?
Par contre, le Sifri soutient une vision de la Mitsva des Bikourim comparable au Modé Ani, insistant sur le fait que notre premier moment sur la Terre que D.ieu nous a attribuée devrait être celui de la reconnaissance et de la gratitude pour ce don divin.
Pendant quarante ans, le peuple erra dans le Sinaï, rêvant de la Terre désignée par D.ieu comme lieu d’accomplissement de sa mission dans la vie. Et puis vint le grand moment où le rêve devint réalité, une réalité qui réalisa le rêve mais aussi le rendit moins pur. C’est le moment, dit le Sifri, pour exprimer tout ce que nous savons et ressentons de la Terre Sainte. Car bien que notre connaissance de la réalité quotidienne soit encore primaire et inconsciente, elle vient d’un lieu en nous qui ne sera plus accessible quand nous nous aventurerons plus loin dans le royaume de la connaissance et du sentiment conscient. Ce n’est qu’en l’exprimant maintenant que nous pouvons continuer, passant de la perfection et de la pureté de notre moi supra conscient à la réalité concrète de notre vie consciente.
A propos des débat de nos Sages, le Talmud statue : «Ceux-là et ceux-ci sont les paroles du D.ieu vivant». Car bien qu’une seule perspective puisse devenir une loi de la Torah, les deux représentent des formulations tout autant valides de la sagesse divine et les deux peuvent et doivent être incorporées à notre vision et notre approche de la vie.
Tout comme l’affirme le Talmud, nous devons veiller à comprendre pleinement et identifier les dons que nous offrons et les sentiments que nous exprimons. Et tout comme l’affirme le Sifri, nous devons rechercher le lien avec le moi supra rationnel, le moi supra conscient qui résident au cœur de notre personnalité consciente et intellectuelle et aspirer à transposer leur perfection non souillée dans notre vie éveillée.
Le Coin de la Halacha
Quelles sont les coutumes du mois d'Elloul ?

À partir du premier jour de Roch 'Hodech Elloul (cette année jeudi 24 août 2006) on ajoute dans la prière du matin et de l'après-midi le Psaume 27, et ce, jusqu'à 'Hochaana Rabba (cette année le vendredi 13 octobre 2006) inclus.
Le Baal Chem Tov a instauré la coutume de dire chaque jour du mois d'Elloul – à partir de vendredi 25 août 2006 - trois Tehilim (Psaumes), et ce jusqu'à la veille de Kippour. Puis le jour de Kippour, on en dit 9 avant la prière de Kol Nidré, 9 avant de dormir, 9 après la prière de Moussaf et 9 à la fin de Kippour, de façon à terminer les 150 Psaumes.
À partir du second jour de Roch 'Hodech Elloul, (cette année le vendredi 25 août 2006), on sonne chaque jour du Choffar, excepté Chabbat et la veille de Roch Hachana.
Durant tout le mois d'Elloul, «le Roi est dans les champs», c'est-à-dire que D.ieu est encore plus proche de chacun d'entre nous, et nous pouvons tout Lui demander. C'est pourquoi il est plus facile d'opérer un retour sincère à D.ieu en augmentant les dons à la Tsedaka (charité) et la ferveur dans la prière.
On a l'habitude de faire vérifier par un Sofer (Scribe) expérimenté les Mezouzot et les Téfilines. On écrit à ses amis et connaissances pour leur souhaiter d'être inscrits et scellés pour une bonne et douce année.
Samedi soir 16 septembre 2006, vers 1h 30, on dit les Seli'hot, prières pour demander le pardon. Puis à partir de lundi 18 septembre, on dit les Seli'hot avant la prière du matin.

F. L.
De Recit de la Semaine
«Avinou Malkénou, notre Père…»

Rav Mena’hem Manis Wasserman, bien versé dans l’étude de la Torah, était un fidèle d’une des petites synagogues du quartier Beth Israël à Jérusalem. Il avait perdu sa femme et ses enfants durant la Shoa et, après avoir survécu à l’enfer des camps, il avait fait son Alyah. Il s’était installé en Israël en 1949 et s’était remarié avec une femme de la famille Munk : elle aussi était une rescapée.
Quelques années plus tard, ils eurent la joie de mettre au monde un enfant. Un enfant unique peut être gâté par ses parents ; mais dans le cas de parents qui avaient perdu toutes leurs familles en Europe, cet enfant unique était plus que gâté. Le fils de Rav Mena’hem ne s’était jamais rien vu refuser ; malheureusement il abusa de sa liberté, se mit à avoir de mauvaises fréquentations et, bien vite, il abandonna toute pratique religieuse.
À l’âge de seize ans, le fils de Rav Mena’hem s’enfuit de la maison et disparut complètement. Au début, ses parents pensèrent qu’il ne s’agissait que d’une fugue passagère et qu’il reviendrait bien vite. Mais les jours passèrent, les semaines et les mois sans aucun signe de vie. Les parents avertirent enfin la police, mais toutes les recherches étaient vaines. On interrogea tous les amis, toutes les connaissances du jeune homme, sans succès.
Trois mois après sa disparition, les Wasserman reçurent soudain une lettre en provenance des Etats-Unis. Elle émanait de leur fils qui leur écrivait de ne pas s’inquiéter : «Ne perdez pas votre temps à me rechercher, vous ne me retrouverez pas ! Je me débrouille très bien et je ne manque de rien. Je vous écrirai de temps en temps !…»
D’un côté, les parents étaient soulagés d’avoir enfin reçu un signe de vie mais, bien entendu, ils restaient inquiets quant à son style de vie et son avenir. Il était absolument impossible de le retrouver.
Au bout de deux ans d’une attente infructueuse, Rav Mena’hem décida de se rendre aux Etats-Unis pour le chercher ; mais il n’avait pas la moindre idée par où commencer. Comme c’était la saison des fêtes, Tichri 1971, il décida d’aller passer les fêtes auprès du Rabbi et des responsables communautaires au 770 Eastern Parkway à Brooklyn. Là, il rencontrerait sans doute des émissaires du Rabbi qui proviennent du monde entier : peut-être l’un l’entre eux pourrait l’aider à localiser son fils.
Durant l’un des dix jours de Techouva, Rav Mena’hem eut le privilège de pouvoir entrer en Ye’hidout, en entretien privé avec le Rabbi. Il expliqua le but de son voyage aux Etats-Unis et demanda bénédiction et conseils pour la réussite de son initiative. Le Rabbi le bénit et lui suggéra : «Vous allez certainement être le ‘Hazane, l’officiant pour Kol Nidré (le soir de Yom Kippour) dans le New Jersey. Puissiez-vous avoir du succès et annoncer de bonnes nouvelles !»
Rav Mena’hem Manis était certain que le Rabbi l’avait confondu avec quelqu’un d’autre. Il expliqua qu’il n’avait pas l’intention de prier dans le New Jersey puisqu’il avait prévu de passer Yom Kippour à Crown Heights, à New York. Cependant, le Rabbi continua, comme s’il n’avait pas entendu son objection : «Ne vous excusez pas de ne pas passer Yom Kippour ici ! C’est une très grande Mitsva que de permettre aux Juifs du New Jersey de profiter d’une belle prière. Vous seul serez capable de chanter «Avinou Malkénou», «notre Père, notre Roi», comme il convient en ce jour si particulier. Et annoncez-nous de bonnes nouvelles !»
Rav Mena’hem n’avait plus le choix. Il se renseigna auprès des secrétaires du Rabbi qui découvrirent justement une communauté de New Jersey qui avait demandé qu’on lui envoie un bon officiant. Qui, mieux qu’un rescapé de la Shoa, pourrait communiquer un élan vers le judaïsme pendant cette journée solennelle ? Rav Mena’hem contacta alors le regretté Rav Pin’has Teitz, l’ancien rabbin d’Elizabeth dans le New Jersey.
Quand il entra dans la synagogue pour commencer la prière de Kol Nidré, il remarqua dans l’assistance un jeune Hippie aux cheveux aussi longs que notre exil. À l’évidence, il s’agissait d’un fidèle présent seulement une fois par an.
Le jeune homme regarda ce vieux Rav à l’aspect majestueux, au visage creusé par les épreuves et les soucis… Soudain, le jeune Hippie pâlit et faillit s’évanouir. Il se ressaisit et se précipita vers son père : «Papa ! Comme je suis content de te revoir ! Tu m’as tellement manqué ! Je veux revenir !»

Rav Benzion Gruzman – Kfar Chabad
Traduit par Feiga Lubecki