Semaine 50

  • Vayétsé
Editorial
Le mois hassidique

Certains mois semblent être marqués par un caractère particulier qui les distingue du cycle général du calendrier. Le mois de Kislev fait partie de ceux-là. S’il est un qualificatif apte à le définir, c’est sans doute celui de “mois ‘hassidique”, et d’abord par l’accumulation des dates dont le lien avec l’histoire de la Hassidout n’est plus à souligner.
Ainsi, ce mois commence par un Roch Hodech qui, dans les mémoires, les livres et les cœurs, est resté un jour particulièrement faste: celui où le Rabbi, après un malaise cardiaque survenu pendant les fêtes de Tichri, se montra, pour la première fois, en public. On sait que la période fut celle, non d’une absence, mais d’un redoublement de force et qu’elle introduisit, pour tous les Hassidim, à une ère d’initiatives renouvelées, d’enthousiasme et de dynamisme neufs. Dans le cours du mois, d’autres dates évoquent des événements plus anciens mais tous porteurs de messages précieux: le 9 Kislev, naissance du deuxième Rabbi de Loubavitch, l’Admour Haemtsaï, le 10 Kislev, anniversaire de sa libération des prisons tsaristes, le 14 Kislev, date du mariage du Rabbi, le 19 Kislev, date de la libération de prison du premier Rabbi de Loubavitch, l’Admour Hazaken, anniversaire désigné comme le Roch Hachana de la ‘Hassidout. Toutes ces dates sont comme mises tant en lumière qu’en perspective par la fête de Hanoucca, le 25 du mois.
On pourrait légitimement s’interroger sur la nécessité d’égrener ainsi le souvenir, de marquer des jours anciens. Ce serait pourtant commettre une erreur grave. Certes, le peuple juif est celui de la mémoire et ce trait est, chez lui, si caractéristique qu’il explique nombre de ses attitudes, de ses rites et de ses choix de vie. Cependant, loin de s’arrêter à cette idée, si juste et importante soit-elle, conserver ces jours comme autant de rendez-vous indispensables, c’est leur donner un sens qui la dépasse. De telles dates sont importantes d’abord parce qu’elles nous éclairent, scandant pour nous les jours d’une série d’accents toniques, au sens strict du terme. Il s’agit de savoir en tirer l’élan et la force nécessaires à toutes les réalisations à venir.
Ce n’est pas là qu’un vœu abstrait. Nous savons que notre temps réclame un effort supplémentaire, que parvenir au parachèvement le rend, plus que jamais, urgent. Ces jours nous sont, dans ce cadre, une inspiration. Jours de joie, jours propices, jours de lumière, ils nous tracent, du cœur de l’obscurité, le chemin vers la Délivrance finale, celle que le Machia’h nous apportera.
Etincelles de Machiah
La sanctification personnelle

La Hassidout enseigne qu’une démarche particulière du service de D.ieu a le pouvoir de faire venir le Machia’h, celle que définit l’injonction des Sages : “Sanctifie-toi dans ce qui t’est permis”. Il convient de comprendre la portée d’une telle démarche.
De fait, cette dernière est exigeante. Il n’est pas simplement question, en l’occurrence, de la seule pratique des commandements énoncés par la Torah, de cet ensemble d’actes rituels qui rythment la vie juive et lui donnent son caractère spécifique. Il est clair que celui qui “se sanctifie dans ce qui lui est permis” n’a aucun rapport, a fortiori, avec ce que D.ieu a interdit. En fait, cette sanctification personnelle revient à refuser pour soi l’immersion dans les préoccupations matérielles, la recherche excessive du plaisir matériel ou physique. Dans cette optique, chaque acte de l’homme doit être une expression du service divin.
Certes, le projet est ambitieux. Cependant, sa mise en œuvre est nécessaire car plus la révélation divine est intense, plus facilement elle peut être obstruée par le voile le plus mince. C’est ce que veulent dire nos Sages (traité talmudique Baba Kama 50a) lorsqu’ils enseignent que D.ieu juge les Justes sur l’épaisseur d’un cheveu”. En effet, plus grand est l’enjeu, plus chaque détail compte.
(d’après Likouteï Si’hot, vol. I, p. 256) H.N
Vivre avec la Paracha
Vayetsé : Comment Yaakov put-il épouser deux sœurs ?

La Paracha de cette semaine nous relate les quatre mariages de Yaakov, tous (selon Rachi) à des filles de Lavan. Or, il semble que cela contredise la vue traditionnelle selon laquelle Yaakov (ainsi qu’Avraham et Its’hak) respectaient tous les commandements de la Torah, bien que D.ieu ne les ait pas encore donnés à Israël, poussés à la fois par un zèle personnel et une connaissance prophétique de ce que serait la loi, et le fait que cette même loi allait proscrire le mariage avec deux sœurs : «Tu n’épouseras pas une femme et sa sœur», c'est-à-dire l’interdiction d’épouser la sœur de sa femme (Vaykra). Rachi semble n’apporter aucune explication à cette difficulté.

Les femmes de Yaakov
Il est principe important et bien connu à propos du commentaire de Rachi, selon lequel il ne répond qu’aux difficultés apparentes dans le sens littéral du texte. Et quand, à ce niveau, il ne peut trouver de réponse, il note la difficulté et ajoute «je ne sais pas» comment la résoudre. Quand une difficulté ne se trouve pas même soulevée par Rachi, cela signifie que la réponse est évidente, même pour un enfant de cinq ans (âge auquel un enfant juif commence à étudier la Torah).
Il semble donc très étrange que la Paracha de cette semaine nous mette devant un fait étonnant, qui a préoccupé bon nombre de commentateurs et que Rachi non seulement n’explique pas mais ne relève même pas.
On nous dit que Yaakov épousa à la fois Ra’hel et Léa et plus tard Bilha et Zilpa, toutes filles de Lavan.
On pourrait peut-être avancer que Rachi n’apporte aucun commentaire sur ce sujet car lorsque «l’enfant de cinq ans» lit cette Paracha, il ignore que l’acte de Yaakov est interdit (il n’a pas encore atteint, dans son étude, le livre de Vaykra où figure cette prohibition). Mais Rachi ne le commente pas non plus plus tard, ce qui ne donne donc aucun crédit à cette tentative d’explication.
On peut aussi penser que Rachi estimait que parmi les nombreux commentaires proposés à ce sujet, il s’en trouvait un suffisamment évident pour qu’il ne juge pas nécessaire de le mentionner. Mais cela ne peut non plus expliquer son silence, puisque dans un premier lieu, les commentateurs ne tombent pas d’accord, donc aucune explication n’est évidente et d’autre part, aucune explication ne s’attache au sens littéral du texte.

L’argument de l’indulgence
On a beaucoup spéculé pour savoir si les Patriarches, dans leur observance de la Torah avant qu’elle ne soit donnée, n’acceptèrent que les lois les plus sévères, que les lois noa’hides (alors obligatoires) ou également celles qui étaient plus souples. Si l’on s’en tient à la seconde perspective, que l’on se rappelle que les quatre sœurs ont dû se convertir au Judaïsme avant leur mariage et que l’on tient compte de la loi indulgente selon laquelle «un converti est comme un enfant nouveau-né», il s’en suivrait donc que les femmes n’étaient plus considérées comme des sœurs puisque leur ancestralité avait été affectée par leur conversion.
Néanmoins, cette explication n’est pas satisfaisante au niveau de l’explication littérale :
a. Avant le don de la Torah, nous n’avons aucune preuve biblique que les Juifs possédaient d’autres lois que les lois noa’hides ou celles qui leur furent spécifiquement mentionnées (celle de la circoncision, par exemple). Si bien que le fait de les respecter émanait d’eux-mêmes et ils ne pouvaient y obliger leurs enfants. Il n’y avait donc alors aucune distinction légale entre les Juifs et les autres descendants de Noa’h. Le concept de la conversion ne pouvait donc exister.
b. Par ailleurs, Rachi ne mentionne jamais cette loi dans son commentaire sur la Torah. En fait, une lecture littérale du texte laisse entrevoir une vue contraire puisque D.ieu dit à Avraham : «Tu viendras en paix vers tes pères». En d’autres termes, même après la conversion d’Avraham, Téra’h est toujours considéré comme son père à qui il sera joint dans la mort.
c.Enfin, l’interdiction d’épouser la sœur de sa femme n’émane pas du seul fait qu’elle appartient à la catégorie de personnes trop proches du futur époux mais aussi pour la raison psychologique que cela risquerait de faire naître de l’animosité et de la jalousie au lieu de l’amour naturel entre deux sœurs. Donc même la loi «un converti est comme un nouveau-né» ne peut être relevée dans le cas présent car l’amour qui perdure entre deux sœurs converties pourrait être mis en danger par le fait qu’elles partagent un époux.

Les entreprises individuelles et collectives
L’explication réside dans le fait qu’Avraham, Its’hak et Yaakov respectaient la Torah parce que seuls ils se l’étaient imposé. Ainsi, si quelque chose qui leur avait été imposé clairement venait à l’encontre de ce qu’ils faisaient, mûs par leur zèle personnel, ce qui venait de l’autorité divine avait la priorité sur ce qu’ils avaient eux-mêmes choisi de faire.
C’est la raison, au niveau simple, pour laquelle Avraham ne s’était pas circoncis avant d’en recevoir l’ordre par D.ieu. Car la loi noa’hide interdit que l’on verse son sang, même sans faire de mal.
Lorsqu’un conflit opposait les interdictions que s’étaient imposés eux-mêmes les Patriarches (individuellement) et les lois volontaires des descendants de Noa’h (collectivement), les dernières l’emportaient sur les premières.
Et l’une de ces lois adoptées universellement était qu’il fallait veiller à ne pas tromper autrui.
Nous pouvons donc désormais comprendre pourquoi Yaakov épousa Ra’hel. Il le lui avait promis et lui avait même donné des signes pour qu’elle lui prouve son identité au soir du mariage. Ne pas l’épouser aurait signifier la tromper (interdiction collective) et cela aurait été plus grave que d’épouser la sœur de sa femme (interdiction individuelle)

Les égards que l’on doit à autrui
L’un des enseignements que l’on peut tirer de ces faits est que lorsqu’un homme désire prendre sur lui plus que ce que D.ieu ne lui demande, il doit d’abord s’assurer qu’il ne le fait pas au détriment d’autrui.
Et la tâche personnelle de se raffiner ne doit se faire ni matériellement ni spirituellement en lésant son prochain. Quand un juif ne sait rien de son héritage spirituel et a besoin de «charité spirituelle», il n’est pas adéquat qu’un autre Juif en position de l’aider déclare : «Il vaut mieux que je consacre mon temps à m’améliorer moi-même». Car il doit se juger avec honnêteté et répondre à la question : «qui suis-je pour que ces raffinements personnels soient tellement importants qu’ils méritent de priver un autre Juif des fondements mêmes de sa foi ?». Il verra alors la vérité sous-jacente au mariage de Yaakov et Ra’hel, le fait que le souci pour les autres l’emporte sur celui de la perfection personnelle qui va au-delà de la loi de D.ieu.
Le Coin de la Halacha
Qui doit étudier la Torah ?

Tout Juif a l’obligation d’étudier la Torah qu’il soit riche ou pauvre, en bonne santé ou malade (D.ieu préserve), jeune ou âgé. Même une personne réduite à la mendicité doit se fixer un moment pour étudier la Torah.
On étudie la Torah, plus particulièrement la ‘Hassidout, avant la prière, de façon à ressentir véritablement devant Qui on prie.
On étudie la Torah après la prière. On étudie le jour et la nuit, comme il est dit : «Tu l’étudieras jour et nuit».
On étudiera en priorité les lois juives nécessaires à la vie de tous les jours, du Chabbat etc… Ceci inclut les lois éthiques (croyance en D.ieu, conduite morale…). On étudie la Torah écrite (‘Houmach et Talmud) et Torah orale (les commentaires).
Il est recommandé d’avoir un moment fixe pour l’étude de la Torah, d’aller régulièrement à un cours de Torah et d’en faire une priorité absolue.
Une fois l’étude achevée, on ferme le livre – par respect - et afin de ne pas oublier ce qu’on a appris.
Si possible, on étudie à voix haute ou, au moins, en prononçant les paroles avec ses lèvres de façon à ce que les oreilles l’entendent.

F. L. (d’après le Kitsour Choul’han Arou’h)
De Recit de la Semaine
Le cercle se referme

Le récit suivant illustre la nécessité de se souvenir de ce que nous a fait l’ «Amalek» moderne, c’est-à-dire les Nazis. Il témoigne aussi du dévouement des nôtres qui ont tenu à garder, même dans les pires circonstances, certaines Mitsvot et la plus importante d’entre elles : l’amour du prochain, l’amour de la vie.


Pologne 1943
C’était le jour de Yom Kipour, mais pour le groupe de 50 détenus juifs du Camp d’extermination de Plaszow (près de Cracovie), c’était un jour d’esclavage comme les autres. Tandis qu’ils travaillaient à la limite de leurs forces, le chef de la police juive apparut : il désigna deux membres du groupe et leur ordonna de le suivre. Terrifiés et tremblants, les deux malheureux s’avancèrent. Ils savaient ce que cet appel signifiait : ils avaient été sélectionnés pour la mort immédiate.
Ce jour-là, les Nazis avaient ordonné aux responsables juifs de leur fournir 100 détenus pour les exécuter. La raison de cette demande n’était pas claire mais depuis quand les Nazis avaient-ils besoin d’une raison pour tuer des Juifs ? C’était Yom Kipour et ils aimaient «célébrer», à leur terrible manière, les jours les plus sacrés pour les Juifs.
Mais leur salut arriva de manière inattendue : un des membres du groupe, Yé’hezkel Eckstein risqua sa vie et fit courageusement face au policier, en utilisant toute sa force de persuasion pour qu’il épargne ces deux vies innocentes. Par un évident miracle divin, le chef de la police accepta et, d’un hochement de tête, fit signe aux deux Juifs de regagner leur place dans leur groupe.
Cependant, Yé’hezkel Eckstein ne s’arrêta pas là. Au péril de sa vie, il se précipita vers la baraque dans laquelle avaient pris place les 100 Juifs sélectionnés en attendant leur exécution. Sans que personne ne le remarque, il se glissa à l’intérieur, souleva l’une des planches en bois et fit passer l’un des Juifs par cette étroite ouverture, lui sauvant ainsi la vie.
Le courage et la rapidité d’action de Yé‘hezkel Eckstein lui avaient permis de sauver trois Juifs d’une mort certaine : celui qu’il avait poussé sous la planche en bois et les deux qu’il avait rendu à son groupe.

Brooklyn 1983
Après la guerre, un des deux Juifs que Yé’hezkel Eckstein avait sauvé à la dernière minute s’installa aux Etats-Unis et s’établit à Brooklyn. Durant des années, il tenta de retrouver son bienfaiteur pour le remercier en personne. Après de nombreuses recherches, il parvint à le localiser : l’homme habitait à Anvers, en Belgique.
Il envoya à Yé’hezkel Eckstein une lettre émouvante dans laquelle il rappelait toute leur histoire et terminait par ces mots : «J’espère, M. Eckstein, que vous vous souvenez de cet incident. Sachez que votre souvenir est gravé profondément dans mon cœur. Je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi et resterai à jamais endetté envers vous car vous m’avez sauvé la vie». Il signait sa lettre par son nom : Abish Hirsch.

Jérusalem 2004
La prière de Chabbat se terminait et Abish Hirsch se préparait à quitter la synagogue quand un des fidèles lui montra un journal qu’il tenait à la main : «Il y a là une histoire passionnante qui date de la Shoa. Elle mentionne le nom de Abish Hirsch : s’agit-il de toi ?».
D’une main tremblante, Abish saisit le journal qu’il lut attentivement : «Oui ! C’est bien de moi qu’il s’agit !».
Yé’hezkel Eckstein était décédé quelques années auparavant et son fils avait publié son histoire dans un journal en guise d’éloge funèbre.

Le cercle se referme
La lettre de Abish Hirsch – dans laquelle il décrit son miraculeux sauvetage – fut publiée il y a quelques mois dans le périodique «Méorot Daf Hayomi». La lettre était signée par David Eckstein, le fils du regretté Yé’hezkel, qui raconta comment se passèrent les retrouvailles : «Alors que nous préparions le mariage de mon fils qui devait se tenir à Jérusalem, j’aidai mon père à s’organiser. En ouvrant un de ses tiroirs, je tombais sur la fameuse lettre que lui avait envoyée Abish. Je lus l’histoire et en fut très ému : je tentai d’arracher à mon père d’autres détails sur cette sombre période de sa vie mais chaque fois, il me faisait comprendre qu’il n’était pas intéressé à discuter de ce sujet.
«Comme il refusait de parler de ce qui s’était passé durant la guerre, j’eus beaucoup de mal à localiser l’expéditeur de cette lettre, Abish Hirsch. Finalement je parvins à retrouver ses enfants qui habitent aux Etats-Unis».
David Eckstein décida de préparer une surprise originale, inattendue, à son père.
«Je décidai d’inviter M. Hirsch au mariage de mon fils sans que mon père le sache. Alors que nous étions en train de signer le contrat de mariage juste avant la cérémonie, Abish Hirsch entra, s’avança vers mon père et l’embrassa en déclarant : «Ce Juif m’a sauvé la vie !».
Ce fut un moment inoubliable.

Binyamine Chinkis
Traduit par Feiga Lubeck